19 décembre 1996Elle s’emmitoufla un peu plus dans son pull de laine blanche épaisse et duveteuse, le regard perdu dans le livre qu’elle contemplait depuis plusieurs minutes déjà sans prêter attention au fait qu’elle ne faisait que relire et relire la même phrase.
Certaines personnes ont montré des aptitudes importantes à résister à l’effet du Veritaserum, si bien qu’il fut banni des procès. « Incendio. »Elle eut un léger mouvement de surprise, tirée de sa contemplation silencieuse par une voix grave inattendue. Rowle se tenait juste derrière son fauteuil, la baguette tendue vers la cheminée dont le feu mourant venait d’être ravivé.
« C’est bientôt l’heure, Freya. »
Elle hocha la tête en silence, la nuque raidie par l’attente et la tension. Ces semaines passées à arpenter l’Allée des Embrumes, à marchander des Potions et à vendre ses talents n’avaient pas été vaines.
Elle y était. Elle allait être présentée. Ce n’était plus qu’une question d’heures, peut-être même moins. Elle avait perdu la notion du temps, absorbée dans l’attente et l’appréhension de finalement atteindre ce qu’elle avait recherché des mois durant, de finalement pouvoir peser dans la balance.
« Je serai la seule ? Comment ça va se passer ?- Je t’avais pas demandé de la boucler un peu, avec tes questions ? »Elle se renfrogna, mais obéit.
***
Freya ne pouvait s’empêcher de se sentir immensément petite face à cette bâtisse. Son regard s’accrochait à tout ce qui pouvait attirer son attention, en évitant néanmoins de dévisager les Mangemorts déjà présents ; elle tournait sur elle-même, absorbée par le grand escalier, les livres qui reposaient sur des étagères, les tapis sur lesquels tous marchaient comme s’ils ne se rendaient même pas compte de leur présence.
Freya les voyait. Freya voyait tout.
Et quelqu’un la voyait,
elle. Au lieu de se désintéresser d’elle ou de l’observer avec curiosité, il semblait s’accrocher à elle comme si sa vie en dépendait, comme si rompre leur contact visuel allait le mener à sa perte.
Rowan. Camarade de promotion à Poudlard, camarade de confrérie et… Un ami de Clemens.
Déstabilisée par sa présence et par les tourments qu’il semblait ressentir, elle manqua de faire un pas vers lui avant de se rappeler dans quel contexte ils étaient. Elle se retrouva figée dans un demi-mouvement, son esprit bousculé par toutes les questions qui y naissait. Que faisait-il ici ? Pourquoi semblait-il aussi désemparé ? Elle s’apprêta à les formuler, espérant que Rowle y réponde, mais des bruits de pas firent mourir ses interrogations sur ses lèvres.
« Merveilleuse nouvelle mes amis… Le Seigneur est prêt à nous recevoir ! »Elle se détourna du Sinistros, qui montait à présent les marches, pour observer l’intervenant ; il était si massif et imposant qu’il ne se laissait pas engloutir par la grandeur des escaliers, et ne faisait qu’accentuer l’allure déliée de Rowan.
Rowle lui toucha légèrement le bras pour la mettre en mouvements, et elle fut entraînée vers l’étage. Ils entrèrent à la suite d’un des accompagnateurs de Rowan dans ce qui semblait être une salle de réunion où de nombreux Mangemorts étaient déjà attablés, présidés par le Seigneur des Ténèbres. Elle tenta de mettre des noms sur les visages qu’elle pouvait voir, mais la plupart lui étaient inconnus – elle pouvait deviner à leur maintien, si semblable à celui de Rowan, que certains faisaient partie de l’aristocratie sorcière, mais c’était tout. Elle se contenta donc refuser de se laisser impressionner par leur présence, et s’appliqua à se tenir droite, à défaut de pouvoir dissimuler à quel point elle était impressionnée.
Elle avait fait le bon choix. Le seul.
« Maître, intervint encore la voix de l’homme massif.
Je nous ai amené le fils de Ranulf. »Et il poussa Rowan avec force vers la table, lui attirant une attention vive et inquisitrice de la part des personnes assises. Freya demeura immobile, partiellement dissimulée par les hommes qui se tenaient debout à ses côté sans toutefois lâcher son camarade du regard, observant la suite des évènements avec minutie. Le Seigneur des Ténèbres sembla sous-entendre que son père avait failli, d’une façon ou d’une autre, et… Que Rowan devait
lui montrer l’exemple.
Elle se mordit les lèvres – son camarade n’était pas là parce qu’il le voulait, mais parce qu’il le
devait. C’était une punition.
Un long moment s’en suivit ensuite, pendant lequel ils ne firent que s’observer, immobile et silencieux, l’un à côté de l’autre. Le Seigneur des Ténèbres finit par lui demander son bras, et lui apposa sa Marque – et ce fut tout. Il fut renvoyé auprès de ceux avec qui il était arrivé, laissant Freya dans sa perplexité, incapable de trier les émotions contraires qu’elle éprouvait quant à sa présence, quant à ce à quoi elle venait d’assister.
Rowle lui pressa le bras une nouvelle fois, interrompant le fil de sa pensée.
« Maître, permettez-moi d’introduire notre jeune amie auprès de vous » dit-il en la faisant avancer avec infiniment plus de prévenance que le Mangemort qui avait poussé Rowan.
« Voici Freya. »Les murmures, les regards qui se tournèrent vers elle lui embrasèrent les joues, gênées d’être le centre de l’attention à son tour. Elle s’efforça de ne pas trembler en marchant vers la table, mais elle sentait une telle chaleur se répandre sur son visage qu’elle en était
forcément devenu apparente. Elle envia brièvement la retenue dont l’ancien Serpentard avait fait preuve, malgré les circonstances, et s’immobilisa face au Seigneur des Ténèbres.
« Ne sois pas aussi intimidée. » Sa voix avait beau être basse et presque rassurante, le danger en suintait tant qu’elle se raidit.
« Après tout, les rumeurs à propos de tes talents t’ont précédée. »
C’était donc ça. Rowle lui avait sous-entendu qu’ils la surveillaient depuis un moment déjà avant qu’il ne lui commande ce Polynectar, mais elle n’aurait pas envisagé que tous ces Mangemorts auraient entendu parler d’elle…
« Approche. »L’ordre, jumeau de celui qu’il avait donné à Rowan, brisa immédiatement les chuchotements épars qui avaient subsisté après sa dernière remarque. Elle s’avança vers lui, regrettant brusquement d’avoir mis ces chaussures ce matin-là – elle faisait bien trop de bruit contre le parquet. Elle aurait du mettre celles qu’elle avait achetées avec l’argent des potions, la semaine précédente.
Elle se mordit à nouveau la lèvre, se rappelant à l’ordre – la tension était telle qu’elle commençait à perdre pied, et que ses pensée s’éparpillaient.
Elle faisait le bon choix. Il n’allait rien lui arriver.
Prenant place exactement là où Rowan s’était tenu, elle releva finalement les yeux vers celui qui allait devenir son Maître, liant ses iris ébène aux siennes, rougeoyantes et inquisitrices.
Un flot de souvenirs envahit immédiatement son esprit.
Âgée de quinze ans peut-être, elle observait un match de Quidditch de Serdaigle, assise dans une des tribunes les plus basses. C’était le match où elle avait remarqué Clemens pour la première fois – au moment où elle se fit la remarque, un autre moment de sa vie refit surface ; elle avait presque seize ans, et Clemens l’embrassait pour la première fois à Pré-au-Lard. Dix-sept ans, elle coupait enfin ses cheveux, juste après qu’ils se soient séparés. Dix-huit, elle était assise dans une des salles de l’université de Salem, écoutant un cours alors que sa plume prenait scrupuleusement des notes. Dix-neuf, la potion sur laquelle elle avait tant travaillé n’avait pas les effets escomptés – elle devait revoir toute ses recherches pour comprendre quelle interaction avait bien pu avoir lieu.
Vingt, elle découvrait le monde des Moldus. Partagée entre la fascination et la peur, elle découvrait tant de choses et les craignait presque toutes.
Vingt, Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom revenait dans la lumière, après des mois et des mois de murmures et de rumeurs que le Ministère s’était efforcé de faire taire.
Vingt, le Secret était aboli.
Elle revenait au Royaume-Uni, persuadée qu’elle pourrait être utile aux sorciers.
***
Le retour à la réalité fut brutal et manqua de la faire tomber ; ses pensées ricochèrent les unes sur les autres dans un tel tourbillon qu’elle ne savait plus où donner son attention. Qu’était-il arrivé ? Comment était-il possible de lui faire revivre autant de souvenirs qu’elle n’avait pas recherchés, auxquels elle n’avait même pas pensé ?
S’appuyant sur la table pour éviter de tomber, elle releva son regard scrutateur vers le Seigneur des Ténèbres, faisant face à un de ces mystères qui valaient la peine d’être percé. Pas aujourd’hui, cependant.
« Donne-moi ton bras. »Aujourd’hui, elle obéissait sans rien dire. Imitant machinalement les gestes de Rowan, elle tendit son avant-bras gauche, dénudé de son pull, et attendit qu’Il appose sa baguette en silence, le cœur battant et l’esprit affûté par sa détermination.
La Marque apparut sur son bras, d’abord d’un noir d’encre puis pâlissant jusqu’à devenir rouge, à peine visible sur sa peau foncée.
***
Elle se laissa entraîner hors de la salle avec Rowan par un des Mangemorts, l’esprit encore enfiévré de tout ce qu’elle avait vu et de ce qu’il lui restait à découvrir. Des cris et des plaintes attirèrent pourtant son attention, et elle ne put s’empêcher de se retourner pour découvrir d’où ils venaient.
Elle le regretta.
La vision de cette vieille femme, jetée sur la table, décharnée par sa douleur et sa peur, lui donna la nausée. Elle accéléra légèrement le pas, désireuse de ne pas voir ce qui allait se passer ensuite, mais le bruit qui retentit ensuite fut pire encore que tout ce qu’elle aurait pu voir – il lui laissait la possibilité d’
imaginer.