Sois beau et thèse toi

Quinlan referma le registre qu’il détenait bien illégalement, et le rangea dans le coffre-fort magique de ses appartements. Il avait enfin une piste sérieuse, et il faudrait qu’il en parle à Clemens. Il devrait sûrement s’absenter d’ici début février, si tout allait bien. Évidemment, ce serait sans compter sur d’autres pans de sa vie, de plus en plus encombrants, qui ne manqueraient pas d’interférer. Le monde sorcier bougeait et le monde moldu avait peur. C’était un sale temps pour tout le monde, et dans ce macabre jeu de massacre, il n’y avait que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Épeler-Le-Pseudonyme qui en tirait son épingle. De quoi se remplir de désespoir, mais Quinn n’était pas du genre à se laisser avoir si facilement. Il avait un objectif de recherches, des principes moraux, des positions affirmées mais pas forcément définitivement arrêtées, et il n’avait surtout plus l’impression de dériver sans but dans sa propre vie.

Cryptant rapidement ses notes, il laissa également son carnet derrière lui et descendit au second étage pour rejoindre le bureau qu’il n’occupait presque jamais. Il vérifia rapidement l’heure : ça va, il n’était pas en retard. De toute façon, il avait cru que son étudiant avait aussi d’autres choses à faire avant de venir au rendez-vous, ce qui n’était pas vraiment un mal. Heureusement, quand Quinn arriva, le bureau était toujours vide et personne n’attendait devant.

Il laissa la porte ouverte alors qu’il s’asseyait derrière le bureau et détaillait un peu la pièce. C’était un peu plus en bordel que la dernière fois, la faute aux comptes-rendus de T.P. du cours d’avant les vacances et à la préparation de l’atelier de parole, qui avançait plutôt bien. Il faudrait qu’il s’enquiert de la version Poudlard. Est-ce que les élèves avaient répondu ? Étaient-ils intéressés ? Quinlan avait toujours un doute. Serait-ce bien utile de mener un tel atelier ? Il était convaincu du bienfondé de la chose dans l’absolu, mais la situation politique était quand même assez particulière… Se perdant dans ses pensées, il se fit machinalement un café, préparant une autre tasse — vide — au cas où.

Il n’avait aucun a priori sur Anton, et était même plutôt content d’avoir un nouveau spécialiste à martyri… à suivre. Il se demandait simplement dans quelle branche de la médicomagie ce dernier souhaiterait évoluer et quels étaient les thèmes qui l’intéressaient le plus.

Si, tu l’es. Ouais non, Quinlan n’allait pas répondre ça à son étudiant qui s’était manifestement pressé et avait eu la présence d’esprit d’amener un bloc-note et un stylo bille avec lui. Plutôt moderne, le sorcier dis donc. Quinlan était étonné mais ne montra rien.

— Bonjour. Un thé, ou un café ?

Après tout, l’étudiant aurait droit lui aussi à sa tasse, que Quinn s’apprêta à remplir du breuvage choisi. Ce n’était pas parce qu’ils commençaient en retard qu’ils ne devaient pas se laisser séduire par un petit remontant. Une fois ceci fait, Quinlan se rassit derrière son bureau.

Bon alors, par où commencer ? Quinlan n’avait pas de plan précis pour ce premier rendez-vous : il pouvait donner des pistes à Anton, mais ça dépendait surtout de ce que lui aimait faire et étudier.

— Déjà, est-ce que tu as des idées pour ton sujet de thèse ? Quelque chose qui te botterait plus que le reste ?

Histoire de déjà voir si Anton avait des goûts particuliers ou non. Quinlan n’arrivait pas bien à savoir si cet étudiant se montrerait très direct, ou au contraire bien trop évasif. S’il savait ce qu’il voulait, tant mieux, mais sinon, ça risquait d’être un poil long.

— Peut-être que tu vises un métier ou un service particulier, remarque.

Lui n’avait jamais pensé finir urgentiste quand il avait commencé ses études, mais il y avait fait sa carrière et ne l’avait pas regretté le moins du monde. C’était exactement ce qu’il lui fallait : du mouvement, du changement et de la diversité. Il aurait seulement voulu aller plus en détail en ce qui concernait certaines maladies, mais bon. Il n’était pas trop tard, non plus.

Le bureau de Quinlan n’était pas beaucoup mieux rangé que celui des autres professeurs, mais comme il y passait beaucoup moins de temps, il était sûrement moins encombrant. Il n’y avait que des choses en lien direct avec ses cours et ses étudiants, et rien qui ne touche de près ses recherches personnelles. Tout ça, c’était dans ses appartements, loin des regards indiscrets.

Quinn servit un thé à Anton et s’assit pour lui poser quelques questions. Il fut surpris de voir que son étudiant ignorait qu’il était recommandé de rédiger une thèse.

— Disons que de ne pas en faire peut vous fermer des portes. Si vous voulez avoir le statut de guérisseur, qui est supérieur à celui de médicomage, il faut valider un doctorat.

La vie est dure, oui, mais Quinlan était aussi là pour aider ses étudiants à trouver leur voie et s’y tenir. Ils avaient trois ans minimum pour s’y atteler, des stages, de la pratique… Rien qui soit totalement insurmontable.

Quinn faillit hurler de rire en entendant Anton parler de médicomagie sportive. Si seulement il savait. Lui-même allait devoir s’y spécialiser alors c’était l’occasion ou jamais, n’est-ce pas ?

— C’est un domaine intéressant oui, et puis avec la saison de Quidditch qui va reprendre, on aura de quoi faire niveau pratique. Je comptais justement faire un cours un peu spécial en urgences et premiers soins à l’occasion des matchs à venir. Après, je ne veux pas vous empêcher de jouer si vous aimez ça.

Mais ce serait dommage de passer à côté de l’occasion de faire un peu de pratique, non ? Quinlan avait de quoi lui enseigner : les urgences c’était son truc, et depuis peu, il avait énormément appris sur les traitements à plus long terme, lorsque la blessure était trop importante pour être soignée en deux minutes avec quelques sorts.

Quinlan ne manqua pas de remarquer l’attitude profondément dédaigneuse qu’Anton avait pour son thé offert avec politesse. Bien, qu’il aille se faire voir, ça ferait plus de thé pour lui ensuite.

Mais revenons à ce qui les préoccupait réellement : la médicomagie, et le sujet qu’Anton choisirait pour sa thèse. Quinn doutait qu’il se fixe dès aujourd’hui sur un sujet précis, mais s’il pouvait lui avancer des pistes, ce serait déjà pas mal. Dans quelle branche ? La médicomagie sportive. Parfait, Quinlan avait déjà prévu un petit cours pratique… si tant est qu’Anton voudrait bien y participer plutôt que de jouer. Et comme le guérisseur s’y attendait, c’était bien le cas.

— Oh, pas de problèmes, postulez. Vous serez de l’autre côté de décor quand votre équipe ne jouera pas.

Dans le fond, ça ne changeait pas grand-chose : Quinlan comptait assister à tous les matchs, et pas depuis des gradins vaguement confortables. Il voulait se tenir prêt à toute éventualité, et mettre ses talents de guérisseur urgentiste à disposition. Être infirmier pendant un match de Quidditch lui paraissait être l’évidence même depuis quelques temps, d’ailleurs.

Quant à faire partie du cours de Quinlan malgré lui… Le guérisseur était trop plein de l’image fantasmée d’un Clemens chutant de son balai pour trouver l’allusion drôle. Son visage se renfrogna et ses sourcils se froncèrent presque contre sa volonté.

— Je ne l’espère pas, pour votre intégrité physique. Le Quidditch est un sport particulièrement violent, après tout.

Ce serait dommage qu’il perde un étudiant si vite, ou que son étudiant perde des bouts au passage. Quinlan chassa cette pensée morbide de la tête, pour se reconcentrer sur le sujet de ce rendez-vous : la thèse d’Anton.

— La médicomagie sportive est un domaine assez large, et ça n’englobe même pas que le Quidditch bien sûr — même si je pense que c’est bien ce qui vous intéresse le plus. Il vous faudrait un thème plus précis maintenant. Qu’est-ce qui vous intéresse vraiment : les urgences traumatiques, les soins réguliers pour les sportifs de haut-niveau, les traitements post-traumatiques…? Est-ce vous voulez travailler sur les os, les muscles, les nerfs, la douleur, l’impact psychologique…?

Comme dit, la médicomagie sportive était un large domaine.

Anton commençait à s’ennuyer ? Parfait, Quinlan n’en avait pas terminé avec lui. D’autant plus qu’il n’apprécia pas du tout sa remarque sur le Quidditch. Le guérisseur avait simplement voulu le mettre en garde, mais ne s’était pas spécialement attendu à une réponse aussi bouffie de pédantisme.

— Effectivement, les gens qui ont un minimum d’instinct de survie s’en tiennent éloignés comme de la peste. Il n’y a bien que les têtes brûlées pour se lancer là-dedans…

Et encore, Quinlan ignorait qu’Anton était batteur, le rôle le plus stratégique comme le lui avait appris Clemens, mais aussi le plus dangereux. Enfin. Avec une attitude pareille, Anton grattait lui-même l’estime que Quinlan lui avait porté jusque là, en tant que futur médicomage. Le guérisseur avait un respect infini envers ses confrères, diplômés ou non, du moment qu’ils s’en montraient dignes. Et là… l’attitude vaguement dédaigneuse d’Anton n’était pas pour lui faire gagner des points auprès de son professeur.

Après une courte réflexion, Anton annonça qu’il pensait plutôt s’orienter vers la rééducation. Un éclair sombre passa dans le regard de Quinlan, qui s’efforça de le faire disparaître au plus vite. Ne rien montrer, ne rien laisser filtrer.

— C’est un sujet intéressant, quoiqu’encore plutôt vague.

Quinlan croisa ses doigts sous son menton. Non, il n’avait ni cheveux blancs, ni barbe en bataille et ses vêtements étaient loin d’être dévorés par les mites. Au contraire même : aujourd’hui il n’avait pas une mise clairement luxueuse, mais il était selon ses propres critères, plutôt bien habillé. Une chemise bleu/gris en très bon coton, avec par-dessus un veston en brocart noir et argent, le surmontant un pantalon classe et classique. Pas exactement le genre de chose que portait Quinlan au quotidien pour travailler, mais ça n’avait rien de choquant non plus.

Mais revenons au sujet qu’avait choisi Anton. La rééducation, et tout ce que ça comportait de terriblement personnel pour Quinlan. Au-delà de ça, le contexte politique faisait qu’il était quand même obligé de préciser un léger détail à propos de cette branche de la médicomagie sportive.

— La rééducation est en grande partie basée sur des techniques moldues, autant vous prévenir tout de suite. Ce n’est pas pour autant que vous ne pouvez pas inventer un sort ou quelque chose d’un peu plus sorcier pour venir compléter ces techniques. Il y a en fait beaucoup à faire, ce qui rendra vos travaux d’autant plus intéressants, reste à savoir votre spécialité. Vous vous sentez à l’aise à quel niveau ? Sortilèges, potions…?

Ils avaient bien convenu d’une heure de rendez-vous, mais pas d’une heure de fin. Si Anton voulait être libre plus tôt, il n’aurait peut-être pas dû arriver si tard.

Oh, Anton n’avait pas tort. Les têtes brûlées existaient pour faire peur à ceux qui avaient un minimum de considération pour leur état de santé. Pour leur rappeler que finalement, la vie ne tenait pas à grand-chose.

— Les encourager, ou les pleurer.

Encore une fois, tout était une question de risques et de récompenses. Prendre un risque, mais pourquoi ? Les bavboules n’offraient aucun challenge, donc aucun frisson. Oui, Quinlan pouvait comprendre ça… Mais Quinn ne pouvait s’empêcher de penser à Clemens. Il redoutait le moment où il remonterait sur un balai, sans pour autant se donner le droit d’exprimer sa peur. Il n’avait pas à se sentir inquiet pour quelqu’un qui était assez grand pour prendre ses propres décisions. M’enfin. Au pire serait-il là pour le soigner si un malheur arrivait. Encore.

Bon bon, on s’éloignait du sujet du rendez-vous là. Bien, la médicomagie sportive, spécialité rééducation. Et quelle branche Anton souhaitait-il explorer en priorité ? Quinlan n’aurait peut-être pas dû lui demander en quoi il était bon… Apparemment il avait en face de lui un élève brillant. Ce qui expliquait peut-être son attitude légèrement blasée. Les surdoués avaient tendance à se montrer infects parce qu’ils s’ennuyaient de tout et tout le monde. Pas que Quinlan pense qu’Anton en soit un — il faudrait tout une batterie de tests plus ou moins fiables pour le savoir — mais l’impression de facilité avait tôt fait d’endormir la vigilance.

— Impressionnant.

Quinlan dit ça sans la moindre expression visible, comme s’il n’y croyait pas vraiment. Un doute sur la véracité de ces informations ? Peut-être pas… Plutôt un doute concernant la viabilité du système éducatif dans son ensemble, et le fait que les notes pour lui n’étaient pas toujours le juste reflet des capacités d’un individu. Sans attendre, il enchaîna :

— Donc dans ce cas-là, puisque vous avez le choix, vous vous souhaiteriez approfondir quelle discipline ?

Il n’avait pas eu de réponse à sa véritable question, en fait. Qu’est-ce qu’Anton voudrait mettre au centre de ses recherches ? Des expérimentations sur les potions ? L’exploitation d’une plante magique avec des applications en rééducation ? L’invention ou le perfectionnement d’un sort ? Les possibilités étaient encore nombreuses.

La réplique d’Anton fit tiquer Quinlan, qui le prit très personnellement. Trop, peut-être. En un sens, l’étudiant n’avait pas tort, mais cette façon de présenter l’échec comme quelque chose de toujours évitable et de honteux ne lui plaisait pas. Malheureusement, qu’Anton le veuille ou non, l’échec faisait partie de la vie. Il faisait partie du jeu.

— Ah mais quand on joue, même pour gagner, il faut aussi s’attendre à perdre.

Il n’avait pas eu besoin de Clemens pour apprendre ça, même si le Sinistros avait réussi à changer son angle de vue sur la chose. La voix de Quinlan s’était faite un peu plus douce et grave, calme comme s’il cherchait à prédire ou à connaître l’avenir. Ce n’était pas conscient, mais c’était sûrement ça qui contribuait à le rendre ‘mystérieux’.

Cette impression s’envola vite quand Anton dévoila ses résultats aux ASPICs. Des O dans les matières les plus importantes en médicomagie… Quinn pensait directement à un surdoué, même si concrètement il n’en savait rien. Au minimum, Anton était un étudiant capable, et dans le fond, c’était tout ce qui comptait. Ça, en plus d’une attitude correcte pour un médicomage, mais ça… Quinlan aurait bien le temps de travailler dessus plus tard, pendant les travaux pratiques. D’autant plus si Anton était stagiaire infirmier, d’ailleurs.

Bref, il lui demanda ce qu’il voulait travailler plus en détails. Il aurait dû s’attendre à la réponse évasive de l’étudiant… En même temps, ce n’était que leur premier rendez-vous. Quinn avait seulement été habitué à des étudiants débarquant directement avec un sujet, voire des recherches déjà entamées. Avoir un étudiant qui en était à l’étape zéro le bousculait dans ses habitudes.

— Ok, réfléchissez-y alors. Ce serait bien d’avoir un sujet et un angle d’attaque le plus vite possible, histoire que vous sachiez où vous allez. On a vite fait de tourner en rond et de perdre du temps dans ces circonstances.

Le domaine dans lequel voulait travailler Anton était aussi intéressant qu’un peu délaissé. En général les futurs médicomages se concentraient sur les modes d’action des maladies magiques, la magie blanche pure, ou la métamorphose réparatrice. La rééducation, même les guérisseurs finissaient par la trouver ennuyeuse.

Oui bon, Quinlan allait arrêter de relever là. Il avait compris qu’il avait en face de lui un étudiant fier et buté, qui ne manquerait pas d’apprendre la vie tout seul comme un grand. Le guérisseur espérait juste qu’il n’aurait pas trop d’os brisés à réparer le moment venu. Pessimiste ? Un peu oui.

Il ne laissa rien paraître et afficha à la place un petit sourire. Ils avaient quand même bien avancés pour un premier rendez-vous, ce qui restait un bon point. Anton, malgré ses défauts qui transparaissaient à la surface de son attitude, savait ce qu’il voulait et ce n’était pas une mauvaise chose. Il aurait de toute façon encore un peu de temps s’il changeait d’avis, même si ces quelques mois en retard risquaient quand même de le pénaliser. Bref, pour Quinlan l’entretien commençait à toucher à sa fin. Sauf si…

Anton lui posa une question. Surprenant, mais pas totalement inattendu. Quinn arqua un sourcil, se méfiant de la question sans la trouver déplacée pour autant. Disons que Quinlan et les questions… C’était parfois compliqué.

— Les urgences. J’ai travaillé en tant qu’urgentiste à Sainte Mangouste pendant dix ans environ. Ça m’est arrivé de changer de service, mais pas assez longtemps pour que ce soit vraiment significatif.

Voilà, il avait lancé la bombe, à savoir si Anton allait trouver quelque chose à y redire. Jaugeant son étudiant, Quinlan planta son regard dans le sien, un léger sourire à peine visible accroché sur ses lèvres.