Discussion: entre RANCŒUR et amertume.

Vendredi 20 Décembre.
19h56. Ruelles d'Avalon.

La nuit était tombée depuis quelques heures déjà sur Avalon et ses environs. Les ruelles du petit village gallois étaient éclairées par quelques lampadaires suspendus aux murs des habitations. La neige recouvrait les alentours du village et les rues pavées déneigées étaient un vrai parcours du combattant, le gel ayant prit le dessus sur l'humidité. Le ciel était sombre et des flocons tombaient doucement pour aller mourir sur la route. Dans le pénombre, une petite silhouette encapuchonnée marchait prudemment. Quelques mèches blondes s'échappaient de leur abri de fortune. Les rues silencieuses et désertes arrangeait bien la jeune femme qui se faufilait vers le Parker's Coffee, là ou elle avait rendez-vous.

La porte du café était en vue, et Megan se figea, hésitante. En franchissant cette porte, elle allait être confronté à la seule personne qu'elle haïssait plus que sa mère et Voldemort : Lanalia Winslow. Pour le coup, elle en avait quelques sueurs froides. Pourquoi avait-elle acceptée cette rencontre ? Depuis un mois, après le désastre qui c'était produit durant le festival culturel et qui avait ravivé de douloureux souvenirs à la jeune femme, cette dernière avait pris la décision de faire le deuil de son frère. Depuis, elle n'était pas en grande forme, et cette rencontre avec Lanalia promettait d'être encore plus douloureuse. Elle pouvait encore faire demi-tour...

Megan fit volte face, prête à repartir. Un pas, puis deux, et elle s'arrêta de nouveau. Peut-être que parler avec Lanalia l'aiderait à faire son deuil après tout. Un rire froid s'échappa de sa bouche avant qu'elle ne claque des dents. Le vent venait de se lever et Megan était vraiment gelée. Elle se tourna à nouveau vers la porte, la regarda avec une certaine appréhension. Mieux valait en finir maintenant...

D'un pas gauche, elle s'avança dans la rue glissante, jusqu'à se retrouver devant la grosse porte en chêne noir devant elle ou le panneau au dessus de sa tête indiquée en grosse lettre « Parker's Coffee ». Prenant son stupide courage gryffondorien entre ses mains, elle poussa la porte et s'engouffra à l'intérieur.

20h00.
Parker's Coffee

L'intérieur du Parker's coffee était chaleureux. Des tables dispersées dans deux pièces différentes, agrémenter de fauteuils confortable ou de banquettes aux coussins visiblement moelleux qui ne donnait qu'une envie, s'y installer.
Un comptoir se trouvait à la droite de l'entrée et l'odeur qui s'échappait de la pièce de derrière était succulente. Probablement la cuisine du café. Megan ôta le capuchon de sa cape, laissant apparaître son visage aux yeux de tous. Elle était frigorifiée, et le nez légèrement rougie qu'elle affichait lui promettait un bon rhume. Elle ôta sa cape, laissant apparaître, un gros pull blanc en laine, ainsi qu'un pantalon en cuir de dragon noir.  Ce n'était pas super confortable, mais ce genre de pantalon avait le gros avantage de tenir chaud et d'être imperméable au froid et à l'humidité.

Elle chercha du regard la silhouette de fausse-blonde Lanalia, non sans une envie de prendre les jambes à son cou et de sortir d'ici. Elle finit par la remarquée, dans un recoin du café, assise sur un fauteuil. Ravalant sa rancœur le temps de s'approcher, elle franchit les quelques mètres qui la séparée de la jeune femme. Rien à faire, la voir lui était douloureux tant elle lui rappelait son frère jumeau. Elle posa sa cape sur le dossier du fauteuil face à Lanalia, sans trop savoir quoi dire. Un bonsoir lui paraissait hypocrite venant de sa bouche, mais il fallait bien commencer par quelque chose, sinon la conversation promettait d'être encore plus compliquée et compromise. C'est donc avec un air pincé et plein de retenu qu'elle marmonna.

-Bonsoir.

Doucement, elle s'assit sur le fauteuil de libre en face de Lana et croisa doucement les jambes. Il y avait une table basse entre elles, permettant à Megan de pouvoir garder un minimum de contrôle sur elle-même. Car oui, Megan avait voulu une rencontre dans un lieu public, c'était d'ailleurs la seule condition qu'elle avait posée à Winslow avant d'accepter. Elle redoutait la confrontation, et encore plus ce qu'elle pourrait faire à Lanalia si leur rencontre se passait mal. C'était en quelques sortes, une assurance pour que Lanalia puisse rester en vie, et une assurance pour ne pas que Megan finisse à Azkaban.

Qu'est-ce qui m'avait pris d'envoyer cette missive, en premier lieu ? Si au moins j'avais été saoule, j'aurais eu une excuse. Mais là non, même pas saoule, sous l'influence d'absolument aucune substance d'ailleurs. J'avais juste... je sais pas, une bulle m'avait traversé le cerveau, je pense. Je m'étais beaucoup rapproché de Luuna depuis qu'on partageait notre chambre dans les dortoirs de Sinistros et je savais qu'elle et Megan étaient amies. Je savais aussi que Luuna faisait exprès de pas trop m'en parler quand elle allait boire un café avec Megan. Et je savais qu'à son anniversaire, quand j'avais superbement ignoré cette dernière, ma compagne de chambre avait dû être un peu triste. Après tout, quand deux de nos amies se détestent, ça peut pas être confortable. J'avais donc décidé que le jour était venu pour Megan et moi de faire la paix, pour le bien de Luuna.

Ha ha ha. J'avais toujours mon sens de l'humour on dirait. Comme si j'avais fait ça pour Luuna ! Non. Je me mentais à moi-même, là. J'étais en train d'essayer de justifier mon geste, de trouver une explication rationnelle à la lettre que j'avais envoyée à la blonde au coeur de glace. Et surtout, j'étais en train de vouloir m'enlever la responsabilité de sur les épaules, pour la placer sur les épaules de quelqu'un d'autre. Luuna, en l'occurence. Non. J'étais bien responsable de mes gestes et j'avais en toute connaissance de cause envoyée cette missive. Luuna ne m'avait jamais demandé de faire la paix avec Megan après tout.

Mais si c'était ni l'alcool, ni une autre substance, ni Luuna qui étaient à l'origine de l'envoi de cette missive, c'était quoi? Je le savais très bien, mais j'avais trop peur de l'admettre.

Le soir du rendez-vous était arrivé bien trop vite. Toute la semaine, j'avais essayé d'imaginer le moment dans ma tête et de me préparer mentalement à ce que j'allais lui dire, à ce que je voulais comme résultat, à l'attitude que je souhaitais adopter. Mais au final, j'avais fini par m'interdire d'y penser parce qu'à chaque fois, ça me faisait franchement angoisser. Je savais qu'elle ne me portait pas du tout dans son coeur. À vrai dire, moi j'avais aucune raison de ne pas l'aimer. J'étais froide avec elle pour une seule et unique raison : elle l'était avec moi. Qui perd son temps à aimer quelqu'un qui le déteste? Pas moi.

Il neigeait. Merci, déesse du climat, j'adorais la neige. Je la trouvais apaisante, réconfortante. J'ai enfilé une cape épaisse, des moufles et une écharpe démesurément large pour me protéger du froid, mais ça n'a pas empêché mes joues et mon nez de rougir. Ça m'était égal, en fait il ne faisait pas si froid que ça. Il ne fait jamais vraiment froid quand il neige.

J'ai pris mon temps pour marcher jusqu'à Avalon, admirant les flocons se déposer sur l'herbe givrée, écoutant le bruit du vent dans les arbres. Au village, les rues étaient désertes et les volets étaient fermés. L'endroit semblait presque endormi. Le contraste entre cette ambiance silencieuse et étouffée et l'intérieur chaleureux, jovial et éveillé du Parker's Coffee était frappant quand j'ai poussé la porte.

C'est là que je me suis comme réveillée d'un rêve et que j'ai réalisé ce que je faisais ici. Je venais rencontrer Megan. Merde, ma promenade me l'avait presque faite oublier. Je l'ai cherchée du regard et avec un immense soulagement, j'ai vu qu'elle n'était pas encore arrivée. J'avais un peu de temps pour me préparer mentalement, finalement. J'ai choisi une table dans le coin de la pièce et je me suis calée dans un fauteuil confortable comme si c'était les bras de ma mère, tellement j'avais besoin de réconfort à ce moment.

J'ai attendu avant de passer ma commande parce que je ne voulais pas paraître impolie. Elle n'a de toute façon pas mis bien du temps avant d'arriver. Je l'ai vue entrer, retirer sa capuche et me chercher du regard. Quand elle m'a vue, mon coeur a fait un bond et j'ai dévié les yeux. Elle s'est approchée. A mis sa cape sur le dossier du fauteuil qui me faisait face. S'est assise. M'a dit bonsoir. Et j'ai finalement levé les yeux vers elle.

La voir me faisait mal tant elle ressemblait à son frère. Les mêmes yeux, le même nez. Le même menton. La forme des lèvres. La lueur glaciale mais aussi brûlante dans le regard. Ils n'étaient pas jumeaux pour rien... Mon coeur s'est serré et j'ai dû m'éclaircir la gorge avant de répondre.

- Bonsoir... Merci d'avoir accepté qu'on se voit.

La serveuse est tout de suite venue prendre notre commande ; j'imagine qu'elle attendait avec impatience que je ne sois plus seule. J'ai commandé un chocolat chaud avec un extra de crème fouettée. Je savais même pas si j'aurais les entrailles suffisamment détendues pour le boire. Après le départ de la serveuse, mon regard s'est reporté sur l'Abraxan en face de moi. Il fallait que j'entame la conversation sinon je sentais que j'allais m'enfuir en courant. Parce qu'il fallait dire que le regard qu'elle posait sur moi à cet instant avait le pouvoir de crucifier quelqu'un sur place.

- Voilà... Depuis qu'on est arrivées à Haveirson j'ai l'impression que tu ne me porte pas trop dans ton coeur et... je voulais, je sais pas, qu'on en parle comme deux adultes matures, pour essayer de voir pourquoi et de savoir s'il y a quelque chose de réparable.  

La bombe était lâchée.

Lana était assise dans son fauteuil et semblait tout aussi mal à l'aise que Megan d'après ce que voyait la jeune femme, et d'un côté, ça l'arrangée bien. Alors que Megan tentait de garder un masque impassible et hermétique à toutes les émotions qui pourtant se bousculait violemment en elle, Lana prit la parole, juste pour la remercier d'être venue. Megan ne sut quoi répondre sur le moment. Elle n'allait pas lui dire que c'était un plaisir. C'était évident que ce n'était pas le cas. A vrai dire, Megan ne savait même pas elle-même pourquoi elle avait accepté cette rencontre. Voir Lanalia, c'était comme retourner le couteau dans la plaie. Lanalia était la seule personne pour qui Tigurius avait éprouvé des sentiments, autres que de la colère et de l'amertume. Et elle l'avait laissé sombrer...

Rien qu'à cette pensée, une vive envie de lui fracasser la tête contre la table entre elles la démangeait. Heureusement, la serveuse choisit ce moment pour venir prendre la commande, Lana avait donc du répit, et Megan aussi dans un sens. Lors de la commande, elle s'apprêtait à dire un whisky pur feu, histoire de se donner du courage et qu'un bon p'tit remontant faisant toujours du bien. Heureusement pour Lana, Megan opta pour un capuccino. Après réfléxion, elle s'était dit que cette boisson n'était pas une bonne idée, surtout qu'elle ne tenait pas du tout l'alcool qui la rendait soit joyeuse, soit vraiment mauvaise. Dans cette situation, mieux valait l'éviter si elle ne voulait pas que ça se termine en bain de sang.

La serveuse partit aussitôt leur chercher leur commande, et Lana reprit la parole. Elle avait l'impression ? Megan ne put s'empêcher de se mettre à rire. Ce n'était pas un rire joyeux comme on pouvait l'entendre souvent lorsqu'elle était avec ses amis, c'était plutôt un rire nerveux. Un rire sans gaieté comme quelqu'un qui a besoin d'évacuer une horde de sentiments sans en montrer un seul, car montrer ses émotions dans un moment pareil, c'était simplement pas possible, surtout si elle voulait garder le contrôle de la situation, ce qui en soit était compliqué parce qu'elle ne contrôlait rien à cet instant précis.

L'angoisse lui nouait l'estomac. Elle craignait les paroles de Lana, car c'était aujourd'hui, la fin du mensonge et elle ne le voulait pas. Se voiler la face avait été si simple jusqu'ici et elle ne voulait simplement pas que ça finisse. Elle avait besoin d'un coupable pour se décharger de sa propre culpabilité, et cette coupable parfaite, c'était Lana. Elle n'était ni plus, ni moins que la victime de deux jumeaux sans scrupules. Mais ça, Megan refusait de l'admettre, car si elle était mêler à ça, c'est qu'elle l'avait cherché et qu'elle avait sa part de responsabilité.

-Sans blague...

Elle finit par dire ses deux mots, rongés par la rancœur et le sarcasme. Que pouvait-elle die de tout façon. C'était vrai. Megan haïssait Lana pour ce qu'elle avait été pour son frère, elle la haïssait aussi car Lana avait été la seule personne pour qui Tigurius aurait pu quitter le Lord Noir et cesser la magie noire. Au lieu de l'aider, elle l'avait purement abandonner.

-Réparable hein? Tu peux me ramener mon frère ?

Elle voulait du réparable ? La seule chose de réparable, c'était que Tigurius revienne. Autrement dit, autant attendre que 36 miracles se réalise pour le réparable...

J'avais lâché la bombe sans autres artifices parce que je trouvais déjà la situation assez inconfortable comme ça et je voulais pas que ça dure des heures. De toute façon, on verrait très vite s'il y avait place à la discussion ou pas. Quand Megan a émit un rire cynique et nerveux, je me suis calée encore plus dans mon fauteuil, de plus en plus convaincue que j'avais fait une grave erreur. Mais qu'est-ce qui m'avait pris de me précipiter comme ça dans la gueule du loup? Son regard empreint de mépris me faisait me sentir comme de la chair à canon juste avant l'assaut.

Deux autres mots remplis de sarcasme. Les mêmes que ceux qu'elle avait dit avoir eu envie de répondre à ma lettre. Au moins, l'insulte n'avait pas fusé après ceux-ci. C'était toujours ça. Je me sentais de plus en plus misérable, mais la phrase qu'elle a lâché après m'a figée sur place. Mon coeur s'est mis à battre à toute allure alors que je me sentais franchement attaquée par ses propos. Je sentais peser lourdement sous ses mots la hargne, la rancoeur, la colère, le mépris et même la tristesse et j'avais l'impression que si elle ne s'était pas donné contenance, toutes ces émotions se seraient déchargées sur moi. Peut-être que j'avais tort, aussi. Après tout, son visage demeurait impassible. Mais ce que je voyais dans ses yeux et ce que j'avais senti dans son ton me laissaient croire que j'avais raison.

L'évocation de Tigurius m'a fait serrer les dents. Dans cette simple phrase, elle venait de confirmer mes doutes, mes hypothèses, mes craintes par rapport à notre relation. Elle me tenait responsable de la disparition de Tigurius. C'était tellement insensé que si j'avais pas été moi-même remplie d'émotions que je peinais à contenir, j'aurais pu éclater de rire. Comment pouvait-elle me tenir responsable de ce que son frère m'avait fait vivre, m'avait fait subir?

J'ai jamais eu une très bonne répartie. Certaines personnes agissent avant de penser, moi, je pense trop avant d'agir. Et pour avoir une bonne répartie, il faut être spontané. Heureusement pour moi, la serveuse est revenue à ce moment-là pour déposer nos commandes sur la table. Elle a dû voir que le courant était électrique entre nos regards, parce que son "et voilà les ... filles..." s'est fini dans un murmure. Mais ça a quand même fait diversion pendant quelques secondes.

J'ai tiré les manches de mon pull trop grand pour couvrir mes mains et prendre ma tasse de chocolat sans me brûler. Je me suis adossée sur le dossier du fauteuil et j'ai ramené la tasse contre ma poitrine presque comme si c'était une peluche. Toi, chocolat extra crème fouettée, tu allais devenir mon objet transitionnel. Mon regard était fixé sur mes jambes que je venais de croiser quand j'ai repris la parole. La seule chose qui m'est venue en tête, c'est la vérité. La simple vérité. Celle que j'avais tenté de me cacher à moi-même en essayant de trouver toutes les raisons et justifications possibles pour expliquer que j'aie fait le premier pas vers elle. Et dans ma voix se mêlait toute la déception que je ressentais face à ce que je comprenais de ses paroles.

- Moi qui croyais que tu pourrais me dire où il est.

Et j'ai levé les yeux vers elle pour qu'elle comprenne bien la signification de mes prochaines paroles, soit que ce qu'elle me reprochait était du domaine du délire psychiatrique.

- ...Parce qu'après qu'IL m'ait abandonnée, j'ai plus jamais eu de nouvelles.

Car c'était bien comme ça que j'avais interprété la chose. Après toute cette histoire avec la fille qu'il avait foutue en cloque et les horreurs commises au nom de Vous-Savez-Qui et tous les mensonges et toutes les tromperies, j'avais quand même accepté de le revoir. J'avais franchement essayé de croire toutes ses belles paroles, ses excuses, ses justifications, tout ça. J'avais tenté de lui faire confiance. Putain ce que j'avais pu l'aimer. Mais au final, il avait fait son choix. Il s'était enfoncé dans la magie noire, il avait continué à s'obscurcir et se faisant, il m'avait abandonnée. Moi et tout l'amour que je lui portais, moi avec mes bras grands ouverts d'adolescente naïve à presque supplier de me faire briser le coeur, il m'avait abandonnée. Je lui avais donné un ultimatum, il avait choisi les ténèbres et il était parti. Et j'avais plus entendu parler de lui.

Mais le pire dans tout ça, c'était que j'avais jamais vraiment cessé de l'aimer complètement. Oubliait-on réellement un jour son premier véritable amour? Alors quand l'Académie avait ouvert ses portes, j'avais eu le juvénile et stupide espoir qu'il serait peut-être dans le hall le jour de la rentrée, qu'il aurait peut-être refait sa vie sur le droit chemin.... mais non. Je n'y avais vu que Megan et son visage trop ressemblant et ses yeux remplis de haine.  

Le temps paressait s'être figé au Parker's Coffee. Entre les deux jeunes femmes la tension était palpable. Lanalia avait commis une erreur en voulant arranger les choses car le souvenir cuisant de Tigurius leur rappeler trop combien elles avaient toutes les deux soufferts de ses choix. Les deux jeunes femmes se dévisagèrent un instant. Megan n'avait pas été tendre avec elle en lui faisant comprendre qu'elle avait l'intime conviction que si Tigurius avait disparu, c'était de la faute de Lanalia. Se trompait-elle ? Le regard fuyant de Lanalia semblait pourtant lui donner raison. Megan serra les poings, tentant de contrôler ainsi sa rage sourde et aveugle qu'elle avait en elle depuis trop longtemps.

La serveuse revint avec leur commande, toute guillerette. Elle repartit aussi vite en voyant l'ambiance qui régnait, sans demander son reste. Elle avait du bon sens celle-là. Lanalia fut la première à attraper sa tasse, alors que le regard polaire de Megan restait posé sur elle. Pendant combien de temps d'ailleurs ? Megan l'ignorait. Ce n'était d'ailleurs pas son intention, mais revoir Lanalia lui avait ramener des souvenirs qu'elle aurait préféré oublier, notamment, la dernière confrontation qu'elle avait eu avec son frère. Ce jour ou pour les jumeaux, cela avait été la fin de tout espoir. Ce jour ou Tigurius, dans sa quête de pouvoir, avait simplement tenter de tuer sa sœur qui avait une fois de plus tenter de le ramener à la raison, dans le droit chemin. Souvenir douloureux. Triste amertume. Amère rancoeur. Megan coupa le contact visuel avec Winslow et se pencha sur la petite table basse pour attraper son cappuccino fumant. Elle le serra dans ses deux mains, profitant de la chaleur de la tasse pour se réchauffer, avant de le ramener contre elle, toujours dans ses deux mains, afin d'avoir un peu de réconfort dans cette confrontation délicate.

Elle qui pensait que le pire était passé en la voyant, elle se trompait lourdement. Elle avait un tel toupet ! Lui demander si elle savait ou était Tigurius ? Et puis quoi encore ?! Comme si elle allait lui répondre ! Parce que les rares personnes qui avait eu vent de la tentative de Megan de ramener Tigurius à la raison, savaient parfaitement que ce jour là, avait été le dernier jour où on avait apperçu Tigurius. Lui, le bras droit du Lord Noir qui avait commis des atrocités sans nom avait dés le jour même, manquer à l'appel et depuis, plus de trace de Tigurius. Aucune. Comme s'il s'était évaporé... Et ce jour là, Megan était revenue différente. Méfiante, paranoïaque, sombre. Depuis ce jour là, tout avait changé. Alors est-ce qu'elle savait ou il était ? Là était toute la question...

-Tu crois vraiment que si je le savais, je te le dirai ?

Étrangement, elle avait prononcé ses mots sans rage contenue, sans violence vis à vis de Lana. C'était simplement, une extrême lassitude qui se lisait sur son visage. Elle devait se rendre à l'évidence, Lanalia n'était pas responsable des choix de Tigurius, la seule chose que Megan lui reprochait, c'était de l'avoir laisser sombrer sans réagir. C'était stupide de chercher un coupable aux choix de Tigurius, puisque personne n'était responsable a part lui-même. Mais c'était une sorte de soulagement pour Megan. Un besoin extrême, une nécessité. Elle ne voulait pas remettre la cause sur Tigurius. Dans le fond, Tigurius ne pouvait pas être devenu ce sorcier ignoble sans remords et sans scrupules, lui qui avait été un enfant plein de vie. Dans le fond, si, il le pouvait... C'était une évidence même. Les jumeaux avait tout deux mis de côté leur enfance joyeuse jusqu'au tragique accident pour ne garder que le pire en eux. C'était d'ailleurs ça qui avait permis à Megan de mettre Tigurius hors d'état de nuire. Culpabilité ? Peut-être, mais le soulagement primait, en quelques sortes...

-La dernière fois que je l'ai vu, il a essayé de me tuer...

Megan admit cela à mi-voix, la gorge nouée. Elle finit par regarder Lanalia droit dans les yeux. Eclair de tristesse.

Elle garda pour elle que la dernière fois qu'elle l'avait vu, c'était le jour de sa disparition. Elle garda pour elle que la dernière personne à l'avoir vu, c'était elle. Elle garda pour elle, le combat qui s'en était suivi, violent, sinistre, sombre. Elle garda pour elle les nombreux sorts de magie noire qu'ils avaient utilisés l'un contre l'autre. Elle garda surtout pour elle l'issu du combat. C'était son fardeau après tout.

Mais Lana... Pourquoi avait-elle renoncé si facilement à Tigurius? Comment avait-elle pu oublié qu'elle avait été le premier amour de son frère? Etait-elle si insensible? On oublie jamais son premier amour non? Peut-être n'aimait-elle pas vraiment son frère puisqu'elle n'avait rien fait pour l'aider... D'une voix impassible, bien que froide, elle lui demanda.

-Tu connaissais son ambition?

Mieux valait d'abord le lui demander avant de la pointait du doigt en criant "au bûcher", mais Megan se douter bien que Lanalia la connaissait. Tigurius n'avait jamais caché son ambition de devenir le successeur de Voldemort et sa quête de pouvoir après laquelle il courait insatiablement... Lanalia ne pouvait simplement pas l'ignorer...

J'avais du mal à soutenir le regard de Megan et je ne me forçais pas à le faire non plus. Je gardais les yeux baissés soit sur mon chocolat, soit sur mes genoux, sans vraiment les regarder non plus. Je réfléchissais et j'essayais de ne pas me laisser sombrer dans tous ces souvenirs qui remontaient à la surface alors que les minutes s'écoulaient dans le Parker's Coffee. Par réflexe, j'ai néanmoins levé les yeux vers elle quand elle m'a répondu d'une voix neutre, lasse, blasée. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'elle savait où il était mais ne voulait pas me le dire? Non. Elle l'ignorait probablement et pour une quelconque raison, elle ne me considérait pas digne de le savoir non plus. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien me reprocher, au fond? Rien de toute cette rage que je sentais dirigée envers mois depuis des mois ne me semblait justifiée ou compréhensible. Et maintenant qu'elle venait de laisser entendre qu'elle ne savait pas où il était, je voyais plus ou moins ce que je faisais là. J'avais envie de partir. J'avais rien à me reprocher, c'était dans sa tête à elle que ça ne tournait pas rond et puisqu'elle ne pouvait pas me donner ce que je voulais, ça servait à rien que je reste.

Mais il y avait Luuna. Ma raison, ma justification, ma défaite devenait maintenant mon motif pour rester. C'était vrai que ça la rendrait heureuse que Megan et moi on parvienne à s'entendre. Et puis j'aimais pas particulièrement être l'objet de haine des autres... Je me sentirais beaucoup mieux si on rabibochait les choses un peu. Même si j'avais pas trop espoir que ça soit possible. Après tout, la dernière fois qu'on avait vraiment interagi l'une avec l'autre, Megan avait essayé de me noyer.

Comme réponse à sa question qui m'apparaissait rhétorique, j'ai simplement haussé les épaules d'un air las et en pinçant les lèvres. Comme tu veux, Megan. J'ai pas mis de véritaserum dans ton café.

J'allais répliquer de façon un peu acerbe quand elle a pris à nouveau la parole pour m'avouer sur un ton triste que la dernière fois qu'elle l'avait vu, il avait voulu la tuer. Mon regard était toujours posé sur elle quand elle a levé les yeux pour le rencontrer. Elle semblait sincèrement triste et c'est là que j'ai compris qu'elle ne mentait pas. Mes mains se sont resserrées sur mon chocolat chaud et un frisson m'a traversée. Était-il vraiment devenu si noir ? Comment avais-je pu me sentir si proche de lui et ignorer à ce point l'obscurité qui l'habitait? Avais-je été rendue aveugle par l'amour ou n'avais-je qu'été trop stupide?

J'ai rien dit après son affirmation. Il me semblait que le silence était la meilleure option, parce que si j'avais dit un truc comme "je suis désolée" elle aurait senti que c'était pas à cent pour cent honnête. Et je voulais rien dire de méchant non plus. Mon silence était en fin de compte plus sincère que tout ce que j'aurais pu dire.  

Et puis, elle m'a demandé si je connaissais son ambition. Je me suis calée dans mon fauteuil et j'ai porté le chocolat à ma bouche pour en boire une petite gorgée, pas trop sûre de ce que j'allais répondre. Étais-je au courant ? Je l'avais été, oui, mais trop tard. Il avait été tellement habile pour me faire croire qu'il souhaitait vraiment être un homme bon.

- Tigurius m'a vraiment aimée. Je le sais et jamais je n'en douterai. C'est pour ça qu'avec moi il s'efforçait d'être le plus près possible du genre de personne qu'il savait que je pourrais aimer en retour. Quand j'ai appris toute cette histoire avec la fille enceinte et les liens qu'il entretenait avec tous ces gens, c'est là que j'ai compris qu'il me mentait et qu'il n'avait jamais eu l'intention de quitter ce monde obscur.

J'ai longuement soupiré. Repenser à tout ça me faisait mal. J'ai plongé mon regard émeraude dans celui de Megan et j'ai ajouté, avec une sincérité désarmante :

- J'étais une gamine de 16 ans qui croyait qu'en l'aimant assez fort, je pourrais le retenir, le changer, le sauver. Je pensais que l'amour avait ce pouvoir et que si je lui pardonnais tout, si je continuais de l'aimer, si je l'aimais toujours plus fort, j'y arriverais.

Nom d'un gobelin mal luné! Voilà que mes yeux se remplissaient de larmes. Je les ai baissées sur mon chocolat, duquel j'ai bu une autre gorgée. Au diable ma sensibilité! J'aurais tout donné pour qu'elle ne me voit pas pleurer.

Il l'avait vraiment aimé ? L'envie de lui arracher les yeux et de le lui faire bouffer lui effleura l'esprit. Elle manquait pas de culot d'affirmer cela. En attendant, Tigurius l'avait trompé et avait mis une fille enceinte, l'oubliait-elle ? C'était une drôle de façon de lui montrer qu'il l'aimait et l'envie de le lui faire remarquer la tiraillait d'une étrange façon. Elle voulait le lui faire remarquer, histoire de la ramener un peu sur terre, mais sans trop savoir pourquoi, elle se ravisa.

Et puis, Lanalia lui confiait que lorsqu'elle était jeune, elle avait pensé pouvoir le ramener dans le droit chemin rien qu'avec son amour. Un peu de la même manière que Megan en quelques sortes, et elles avaient toutes les deux échouées. Un échec douloureux pour les deux jeunes femmes qui même encore aujourd'hui, restait gravé au fer rouge, en tout cas, dans le cœur de Megan, pour Lanalia, elle ne savait pas si elle en gardait encore des séquelles, mais si c'était le cas, ça leur faisait un point commun non négligeable. Contrairement à ce qu'elle aurait pensé, les paroles de Lanalia la touchèrent plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Bien plus... Car elles avaient toutes deux, par des moyens différents, tenter de ramener Tigurius à la raison. Megan ne se sentait pas bien, et encore le mot était faible. Déjà qu'elle tentait de faire le deuil de son frère depuis l’élément déclencheur du festival, mais en discuter là, comme ça, c'était vraiment émotionnellement très dur. Elle reposa sa tasse et se leva rapidement.

-excuse-moi, je reviens.

Et Megan partit aussitôt, droit vers les toilettes. Elle avait besoin d'être seule. Elle claqua la porte des toilettes et la verrouilla à double tour à coup de baguette magique et l'insonorisa par la même occasion. Certaine d'être seule, elle se laissa tomber au sol, en larmes. Larmes de peine, de détresse, de rancoeur, de rage... Des larmes qu'elle avait trop longtemps contenues dans ses yeux, elle qui ne s'était plus autorisé à pleurer depuis des années. L'abraxan tentait pourtant de se calmer et de refouler ses larmes, mais plus elle faisait des tentatives pour se calmer, plus les larmes redoublèrent. La tête entre ses mains, elle avait honte d'avoir laisser ses nerfs l'emporter. Mais cela faisait presque 10 ans qu'elle retenait ses larmes. Désemparée, vulnérable. Ses sensations qu'elle n'avait plus ressentit depuis longtemps s'étaient emparées d'elle avec une force inouï. Elle finit par retrouver son calme après quelques minutes qui lui semblèrent interminables et mit debout sur ses jambes fébriles et tremblantes. Elle s'approcha du lavabo doucement avant de poser ses mains sur les bordures de celui-ci pour se soutenir, craignant de s’effondrer si elle le lâchait. Elle releva la tête vers la glace et contempla son reflet. Sa peau était pâle, son regard rougit semblait éteint et les traces de ses larmes étaient toujours visibles sur ses joues. Elle aurait pu croire que ce n'était pas elle dans le miroir tellement se reflet lui paraissait éloignée de ce qu'elle voulait montrer. Et puis cette ressemblance frappante avec Tigurius... Tout lui rappelait son frère, même son propre physique et la douleur n'était que plus intense. Megan hoqueta, secouée par des spasmes. Elle se rinça le visage avec de l'eau, essuyant les traces des larmes sans pour autant pouvoir faire quelque chose pour camoufler ses yeux gonflés et rougis. Tant pis. Lanalia l'attendait probablement depuis un moment, si elle n'était pas partie...

Prenant son courage à deux mains, Megan déverrouilla la porte et regagna la salle. Elle traça son chemin jusqu'à Lanalia qui par chance était encore là. Bizarrement, elle ne ressentait plus vraiment de haine en la voyant. La seule personne qui méritait sa colère c'était bien Tigurius en fin de compte. C'était lui qui les avait brisées toutes les deux après tout. Megan se rassit avec hésitation, craignant de fondre en larmes de nouveau, mais en public. Elle ne pouvait, tout simplement pas se le permettre.

-Tu aurais pu l'aimer autant que tu le voulais, Tigurius n'aurait jamais changé... Il... Il aimait le pouvoir, et rien de que tu aurais pu faire l'aurait ramener à la raison. Ni toi, ni moi, ni personne d'autre...

En disant cela, Megan ne savait pas trop qui elle essayait de réconforter entre Lanalia et elle. Cette impression que Tigurius n'en avait jamais rien eu à faire d'elles commençaient à jaillir de son esprit, et c'était d'autant plus douloureux que jusqu'ici, elles avaient tentées toutes deux de lui trouver des excuses. Megan attrapa son cappuccino et bue des petites gorgées, fuyant par la même occasion le regard de Lanalia. Culpabilité. souffrance... tout ses sentiments qui la tourmentait, c'était étourdissant et elle avait besoin de faire le vide dans sa tête.

J'ai fini de parler et mes derniers mots ont semblé flotter dans l'air, laissant entre nous un silence chargé d'émotion. Les mots que j'avais dit, mais surtout ceux qui étaient restés suspendus à mes lèvres, ceux que je n'étais pas parvenue à dire. "Mais j'ai pas réussi". Car ça, nous le savions toutes les deux. J'avais échoué, tout autant qu'elle, à le ramener sur le droit chemin. Qui étions-nous pour vouloir aider quelqu'un qui ne souhaitait pas l'être? C'était une mission condamnée à l'échec mais l'amour que je lui avais porté et la naïveté dont je faisais preuve à l'époque m'avait empêchée de m'en rendre compte. Je l'avais aimé tellement, tellement fort. Je lui avais tout donné. J'étais prête à tout pour lui, tout sauf le suivre dans l'obscurité qu'il laissait l'envahir de jour en jour.

J'avais baissé les yeux et je sentais mon menton trembler, signe que j'allais bientôt me mettre à pleurer. Je n'ai donc pas pu voir la raison pour laquelle Megan s'est précipitamment levée en s'excusant, avant de s'enfuir vers les toilettes. Avait-elle eu une envie pressante? Un truc dans l'oeil? Bu une gorgée de travers? Qu'en savais-je. Je suis donc restée là, mon chocolat entre les mains, mes yeux remplis de larmes et une montagne de regrets à contempler. Si seulement j'avais pu l'aider... Il serait encore près de moi. Dieu qu'il me manquait. Son rire, ce rire franc que peu de gens avaient eu le plaisir d'entendre. Son regard perçant qui se faisait couvant et aimant lorsqu'il le posait sur moi. Son humour, sa répartie, sa finesse, son intelligence et surtout, la façon dont il endossait avec moi un rôle protecteur et enveloppant. Par dessus tout, c'était notre complicité qui me manquait. Sa manière de me comprendre sans que j'aie à élaborer ou même à parler. J'avais l'impression qu'il me connaissait vraiment et je croyais le connaître autant... mais non. Tout ça, tout ce qui me manquait, est-ce que ça avait même été vrai? Je regrettais une illusion...

Megan ne revenait pas et je commençais presque à m'inquiéter. Était-elle partie? Possible. Elle m'avait peut-être laissée en plan avant de sortir par la porte de derrière. Peut-être en avait-elle eu marre de notre discussion... J'ai étouffé un soupir alors que je ravalais mes larmes, ne voulant pas afficher ma détresse aux inconnus qui fréquentaient le café.

J'allais m'en aller moi aussi quand je l'ai vue qui revenait vers moi. Elle a repris sa place sur le fauteuil d'en face et j'ai pu l'observer un peu. Ses yeux étaient rougis et gonflés, tout comme ses lèvres, signe qu'elle venait de pleurer. Ça, pour une surprise, c'était une surprise. C'était donc pour ça qu'elle était partie? Pour pleurer? Une bouffée d'empathie m'a gagnée alors que je me rendais compte qu'au final, toute cette histoire la rendait aussi triste que moi. Mais ce sont ses paroles qui m'ont le plus touchée. Je sentais à travers ses dires qu'elle comprenait, au fond, que j'avais moi aussi fait tout ce que j'avais pu pour aider Tigurius. Je sentais qu'elle réalisait toute l'impuissance qu'elle, tout comme moi, avions ressenti depuis cette époque fatidique. Que peu importe ce qu'on aurait pu faire, ni elle ni moi n'avions le pouvoir de le sauver. Là, les vannes se sont ouvertes et j'ai versé plusieurs larmes, en silence, le regard baissé.

De longues minutes se sont écoulées, en silence, moi pleurant doucement et elle buvant son cappuccino. Et plus le temps passait, plus je me sentais envahie par la tristesse. Pourquoi avait-il fallu qu'il nous échappe ainsi? C'était tellement injuste!

- Il me manque, parfois. J'avais laissé échapper ça dans un murmure, presque plus pour moi-même que pour Megan. Toujours, en fait. Je me demande souvent où il est, ce qu'il fait au moment où je pense à lui. J'avais espoir de le revoir en venant étudier ici...

Et puis je me suis rappelée à qui j'étais en train de parler. J'étais en train de lui confier sans le vouloir ma plus grande faiblesse : ma candeur. Ma tendance à souhaiter tellement ardemment que les contes de fées se réalisent. Ma propension à toujours croire que le meilleur va arriver, que si on veut on peut, que si on souhaite assez fort nos souhaits se réaliseront. Cette caractéristique de mon être avait été à l'origine de mes plus grandes déprimes, parce que non, la vie n'était pas qu'une promenade sur un océan de ouate. Mais je peinais à m'en débarrasser. Et pour Megan, pour qui la vie avait été loin d'un long fleuve tranquille, cette naïveté pouvait paraître particulièrement agaçante. J'ai senti le rouge me monter aux joues et j'ai pesté intérieurement contre moi, sentant à nouveau poindre en moi la crainte d'être encore la cible de sa hargne.

L'atmosphère qui régnait entre elles était digne d'un enterrement. Par Morgane, heureusement qu'elles se trouvaient à l'écart de la foule, on aurait pu croire que c'était l'association des dépressives si quelqu'un les avait vu à ce moment d'émotion. D'ailleurs, contrairement à Megan qui s'était enfuit pour pleurer dans les toilettes, Lanalia fondit en larmes, assise dans son fauteuil alors que Megan qui buvait quelques petites gorgées de son cappuccino avala de travers sous la surprise. L'abraxan toussota un peu par réflexe puis regarda Lana, soudain gênée. Elle n'allait quand même pas devoir la réconforter ?! Elle avait déjà fait l'effort d'admettre à demi-mot que ce n'était pas sa faute, fallait pas trop lui en demander, elle n'allait pas se mettre à lui faire un calinou et des petits bisous ! C'était juste pas possible.

Mais la voir en pleurs lui faisait quelque chose quand même. Cela lui rappelait qu'elle n'était pas la seule touchée par le comportement de son jumeau et celui lui permettait de voir Lanalia différemment. C'était peut-être pas la salope qu'elle croyait, bien qu'elle gardait quelques réserves à ce sujet. Bah quoi ? C'est vrai ! Megan regardait Lanalia avec un certaine gêne. Elle ne savait pas du tout comment réagir face à ses pleurs. Et puis, entre deux sanglots, Lanalia lui confia qu'elle se posait souvent des questions sur lui, et qu'elle avait espéré le revoir à Haveirson. Megan se tendit légèrement, pas sur de comprendre la jeune femme. Après tout ce que Tigurius avait fait, elle voulait encore de lui ?

-Tu l'aimes encore ?

Sa question franchit ses lèvres d'une voix nouée par le ravalement des sanglots qui menacaient d'éclater, avant qu'elle ne réalise la portée de ses mots. Elle n'était pas sur de vouloir connaître la réponse en réalité. Megan ne comprenait pas les filles qui s'accrochaient à un amour perdu, et ne comprenait pas comment Lanalia pouvait encore éprouver des sentiments pour Tigurius malgré tout ce qu'il avait pu faire ? Pour Megan, c'était normal, elle ne cesserait jamais d'aimer son frère jumeau, même si pour elle, l'amour et la haine s'entrechoquaient. Mais Lana ne devait rien à Tigurius, alors pourquoi ?

Ressasser tous ces vieux souvenirs n'était vraiment pas une partie de plaisir et cette soirée prenait des airs d'enterrement. Je m'en voulais encore de m'être laissée aller à penser à voix haute sans filtrer mes paroles et j'avais l'impression qu'à tout moment, Megan se refermerait et se retournerait contre moi. Mieux valait ne pas lui donner de munitions. C'était tellement pas dans ses habitudes, à ce que je savais d'elle, de montrer ne serait-ce qu'un peu de vulnérabilité... Alors en mon fort intérieur, je me disais que ça ne pourrait pas durer et qu'elle se retrancherait dans sa carapace d'une minute à l'autre.

Quand elle m'a demandé si j'aimais encore Tigurius, un vague sourire nostalgique a traversé mes lèvres. Si je l'aimais encore... Quelle étrange question. Une question qui se répondait normalement par un oui ou par un non... mais à laquelle j'étais incapable de répondre aussi simplement. L'avais-je même véritablement aimé, si l'on considérait que je n'avais connu de lui que le déguisement qu'il avait bien voulu me montrer? L'avais-je aimé ou n'avais-je aimé qu'un personnage? Quant à savoir si je l'aimais toujours, mes dernières paroles pouvaient effectivement laisser penser que oui... mais c'était il y avait tellement longtemps maintenant qu'il m'était impossible de dire que c'était encore le cas. Le temps estompe toutes les passions...

J'ai levé les yeux vers la soeur de mon premier amour et j'ai répondu du mieux que je le pouvais, en tentant de faire court.

- J'aime encore le souvenir que j'ai de lui, mais seulement le souvenir avant que tout commence à mal tourner. Alors non, je ne peux pas dire que je l'aime encore. Je ne sais même pas si je l'ai déjà vraiment aimé, puisque je ne le connaissais pas...

Ma voix s'est brisée et j'ai baissé les yeux sur mon chocolat. Dire cela à voix haute, ça me faisait vraiment réaliser l'étendue de ma naïveté et je pouvais pas m'empêcher de me dire que je m'étais salement faite avoir dans cette histoire. Comme toujours, j'oscillais entre la rancoeur et la résignation. Une minute j'étais prête à le revoir à Haveirson et l'autre j'avais envie de le faire souffrir autant qu'il m'avait fait souffrir. Il est difficile de combattre sa nature, de renoncer à ses rêves d'enfants. Après toutes ces années, la discussion que j'étais en train d'avoir avec Megan me faisait réaliser combien je n'avais toujours pas vraiment accepté la trahison de Tigurius et je me rendais compte, soudainement prise en défaut à cause de mon élan de nostalgie, qu'une partie de moi tentait encore de faire comme si tout ça n'était jamais arrivé. Qu'il pourrait se pointer à l'école et qu'on pourrait redevenir le couple amoureux et passionné que j'avais cru que nous étions.

J'ai déposé ma tasse sur la table basse avant de glisser mes deux mains dans mes cheveux et d'appuyer mes coudes sur mes genoux. J'ai ensuite relevé la tête pour poser mon menton sur mes mains croisées et j'ai lancé un sourire triste à Megan.

- Pourquoi t'es jamais venue me parler, après? Pourquoi tu m'as tout de suite détestée? Toutes les deux, on était pourtant les mieux placées pour se comprendre, même si on vivait pas exactement la même chose... Il me semble qu'on a perdu tellement d'énergie à se haïr en plus.

J'avais dit ça sans aucune malice, juste par désir de comprendre. J'attendais maintenant de voir comment elle allait réagir...

Aimer. Ce mot voulait dire tellement et si peu en même temps. La réponse de Lanalia fit se figer la jeune femme. Ce qu'elle décrivait était tellement vrai, tellement juste. Megan ferma les yeux quelques secondes. Elle peinait à croire que Lanalia et elle avaient tant en commun, alors que jusqu'à aujourd'hui, elle ne pensait que seul Tigurius était la seule chose qui les lier.

Megan avait ressenti la même chose pour Severus. Aujourd'hui, elle ne savait plus si elle l'avait réellement aimé. Tout ce que Lanalia venait de dire, c'était exactement le même ressentiment que la jeune femme avait ressentit envers son ancien professeur. L'abraxan avait au fond d'elle, toujours été un peu jalouse de Lanalia, de la relation qui la liait à son frère et du fait que c'était un véritable amour. C'était ce qu'elle avait toujours cru, jusqu'à aujourd'hui. Elle qui ne comprenait pas, cherchant désespéramment à ressentir ce si beau sentiment qu'on décrivait tant, et qui pour elle, ne voulait pas dire grand chose. Mais l'aveu de Lanalia venait de faire voler ceci en éclat. Elle n'était pas la seule à ne pas savoir faire la différence entre profonde affection, attirance ou amour. Elle n'était plus la seule à se poser se genre de question. Avait-elle vraiment aimé ? Qu'était-ce vraiment l'amour ? Elle ne répondit rien à Lanalia, plongeait dans sa réflexion.

Lorsque la Sinistros l'interrogea à son tour, Megan resta un moment silencieuse. Elle n'aimait pas étaler ce genre de chose, répondre à Lanalia tout en étant parfaitement honnête, c'était lui donner le moyen de l'atteindre en plein cœur. Mais peut-être que ce n'était pas une mauvaise chose après tout et si Lanalia comptait se servir de ce qu'elle apprendrait de Megan à des fins contre elle, nul doute que l'abraxan saurait se venger. D'une voix éteinte, insondable, la jeune femme tenta de répondre à la fausse blonde () avec sincérité, cherchant parfois les mots les plus justes.

-Parce que, j'avais besoin d'en vouloir à quelqu'un pour ne pas m'en vouloir à moi-même, murmura-t-elle après de longues secondes de silence. J'ai perdu mon frère lorsqu'on avait huit ans, j'ai fini par savoir qui il était lorsqu'on avait 13 ans. Je ne voulais pas le perdre à nouveau... Lorsqu'il a définitivement choisit son camp et qu'il a... disparu, c'était... y a pas de mot pour décrire comment je me sentais, admit-elle à mi-voix, cassée. Et toi, tu étais le seule lien de Tigurius. Je crois que... Je crois que j'ai toujours été jalouse du lien qui vous unissez. Tigurius recherchait ta présence alors que lui et moi avions perdus le lien qui nous unissaient avant sa première disparition. J'ai pensé... qu'on aurait pu repartir au même point qu'avant lui et moi, mais ce n'était pas dans ses projets... Je recherchais la complicité et l'amour qu'on avait ensemble autrefois, et Tigurius lui ne recherchait que le pouvoir... et toi...

Megan ne s'était jamais senti aussi vulnérable en admettant ce qu'elle avait toujours niée à tous. Elle était loin d'être aussi forte qu'elle voulait le laisser paraître, mais c'était sa seule façon de garder la tête hors de l'eau. Megan se renfonçant dans son fauteuil, relevant doucement ses jambes, pliants ses genoux et les ramenant contre elle. Elle emprisonna ses genoux dans ses bras, tout en fixant un point invisible devant elle. La jeune femme se refusait à regarder de nouveau Lanalia. Elle ne voulait pas que cette dernière ne remarque sa douleur et sa détresse, qu'elle devinait lisible dans son regard.

Megan semblait vraiment affectée par cette discussion qu'on était en train d'avoir et je savais pas du tout comment moi-même je me sentais. J'avais le coeur en miettes à force d'évoquer tous ces souvenirs douloureux, j'étais pas confortable d'être en compagnie de celle que j'avais crue ma pire ennemie pendant toutes ces années, mais j'étais en même temps étrangement rassurée de voir que derrière cette façade un peu dure se cachait un coeur possiblement aussi sensible que le mien et j'arrivais pour la première fois depuis des années à considérer la soeur jumelle de mon premier amour comme un être vraiment humain. C'était à la fois déstabilisant et réconfortant.

Quand elle a répondu à ma question, j'ai définitivement commencé à être empathique à son égard. Ses paroles m'ont touchées droit au coeur par leur sincérité. Elle avait besoin d'en vouloir à quelqu'un pour ne pas s'en vouloir à elle-même. Ça m'a fait mal de me rendre compte qu'elle m'avait ainsi fait payer pendant toutes ces années pour quelque chose dont je n'étais pas responsable et dont elle savait que je ne l'étais pas, mais ça m'a aussi étonnée de voir à quel point elle parvenait à avoir du recul sur la situation et sur son comportement. Je ne m'attendais pas à ça et j'étais agréablement surprise. Elle avait l'air tellement mature, tout à coup, que j'avais du mal à croire que j'avais devant moi la fille qui hurlait comme une hystérique dès que quelques gentils hypogriffes posaient leurs regards sur elle ().


Et quand elle a continué à parler, à raconter son vécu par rapport à Tigurius et la façon dont elle avait envié la relation que lui et moi nous avions, j'ai fini par baisser les yeux, redevenant tout à coup émotive. Voilà qui expliquait aussi en partie pourquoi elle m'en avait voulu pendant si longtemps. Je ne pouvais pas lui reprocher d'avoir voulu se rapprocher de son frère. Le refus de Tigurius de le faire, alors que lui et moi étions si proches, ça avait dû être vraiment difficile à vivre pour elle.

Quand j'ai à nouveau levé mon regard sur elle, elle avait replié ses jambes contre sa poitrine et elle m'a soudain paru comme une enfant très triste et, surtout, très seule. Si je m'étais pas méfiée de la réaction qu'elle pourrait avoir, je pense que j'aurais voulu la prendre dans mes bras pour lui faire sentir que je comprenais ce qu'elle venait de me dire et qu'il m'était désormais impossible de continuer à la détester. Je suis toutefois restée bien assise sur mon fauteuil et un long moment s'est écoulé en silence, alors que toutes deux, nous semblions perdues dans nos pensées. La serveuse est venue ramasser ma tasse de chocolat maintenant vide et je lui ai demandé un verre d'eau, qu'elle m'a amené presque tout de suite.

J'en ai bu quelques gorgées avant de m'éclaircir la gorge et de parler.

- Il me parlait de toi, parfois, tu sais. Je ne sais pas ce que renfermait son coeur mais s'il était capable d'aimer, alors il t'aimait. Je le sais à la manière dont il prononçait ton nom. Mais vers la fin, il avait tellement changé... Je pense que son coeur a progressivement gelé jusqu'à ce que tout amour y meure de froid. Celui qu'il était avant va toujours nous manquer... Mais ce Tigurius-là est mort.

J'ai prononcé cette dernière phrase avec amertume et froideur, avant de finalement me radoucir.

- Merci de t'être confiée à moi... Ça signifie énormément pour moi. Je pense que cette rancune entre toi et moi, c'était ce qui m'empêchait de tourner vraiment la page...

L'ambiance à la table des deux filles aurait fait fuir un croc-mort. Ressasser ces vieux souvenirs étaient d'une douleur sans nom pour l'une comme pour l'autre. Tigurius resterait pour elles deux, la source de leur plus grande souffrance. Cette soirée était plus éprouvante que la jeune femme ne l'aurait cru. En venant ici, l'inquiétude l'avait rongée, pensant que cette soirée promettait d'être mouvementée, mais elle devait l'admettre, elle n'avait pas imaginé une seule seconde que ce serait ses propres émotions qui allait faire l'ascenseur. Pour le moment, l'Abraxan n'arrivait plus à réfléchir correctement. Est-ce que cette soirée lui serait bénéfique au point de renoncer à sa haine envers Lana et d'aller de l'avant ? Elle l'ignorait, mais une chose était sur, leur discussion avait permis à Megan de prendre conscience que sa haine envers l'ancienne serdaigle n'était pas justifiée. Et c'était fichtrement dur de reconnaître qu'elle ne devait pas en vouloir à Lanalia.

La jeune femme regardait sa tasse de cappuccino vide, sans grand intérêt. A vrai dire, c'était surtout pour ne pas croiser le regard de l'ex-petite amie de son frère. Megan réalisait à peine que cette introspection avait été éprouvante. Elle avait réussi à prendre suffisamment de recul pour analyser tout cette histoire, et elle devait l'admettre, elle ne pensait pas avoir suffisamment de force, de courage et de maturité dans ce domaine là pour y arriver. Était-ce d'ailleurs pour cela qu'elle n'avait jamais essayé auparavant ? Elle en doutait fortement. En fait, c'était l'après-introspection qui l'angoissait vraiment. Qu'allait-il se passé maintenant qu'elle avait fini par accepter la réalité en face ? Si elle ne pouvait plus éprouvait de haine pour Lanalia, alors elle allait devoir apprendre à aller de l'avant, sans savoir comment. Mais elle devait accepter l'évidence, il n'y avait pas de responsable. Ni Lana, ni elle, n'avait forcé Tigurius à suivre la voie qu'il avait choisi. Il n'y avait pas de coupable, pas de personne à blâmer. Il fallait juste accepter ça. Megan réprima un sanglot. Elle ne voulait pas pleurer pour ne pas qu'on la voit en position de faiblesse. Mais aussi, elle ne voulait pas pleurer parce qu'elle ne savait pas si elle serait en mesure de s'arrêter.

La serveuse revint prendre leurs tasses vidées de leur contenu, et Lanalia en profita pour commander un verre d'eau. Megan ne voulait rien, ne broncha pas. La serveuse partit aussitôt devant le silence de Megan et revint avec le verre d'eau quelques secondes après. Elle ne demanda pas son reste et repartie aussitôt, l'ambiance qui régnait, devait probablement y être pour quelque chose.

Puis, la voix de Lanalia s'éleva. Oh, Megan ne la regarda pas, non. Mais elle buvait ses paroles, à la fois si réconfortante et si douloureuses. Elle voulait tant y croire, mais son cœur était plein de doutes. Si Tigurius l'avait aimé, s'il les avaient toutes les deux aimé, pourquoi les avait-il fait autant souffrir ? C'était une preuve d'amour peut-être ? L'amertume de Megan était toujours là, mais plus diriger contre Lanalia. C'était son cher frère qui en faisait maintenant les frais et les dernières paroles de la tirade de la sinistros sonnèrent comme un coup de poignard dans le cœur de Megan. Elle avait tant raison. Mais si Megan accepté ce fait, cela voudrait dire qu'elle avait perdu son jumeau une deuxième fois. Et elle ne se sentait plus assez forte pour surmonter ça.

-Pour toi peut-être, mais... si j'accepte ce fait là, je ne pense pas que je pourrais m'en remettre...

et malgré son désir de ne laisser paraître aucune faiblesse, les larmes qui lui montèrent aux yeux en prononçant ses paroles forcèrent ses yeux, et se mirent à couler sur ses joues pâles. Megan baissa la tête, alors que ses cheveux lui tombèrent devant, cachant en grande partie son visage inondé de larmes. Elle ne put dire combien de temps il lui fallu pour reprendre contenance, elle essuya d'un revers de manche les larmes qui coulaient toujours et tenta à plusieurs reprises de reprendre la maîtrise d'elle-même et de ses foutues émotions. Lanalia ajouta quelques mots qui au lieu de rassurer Megan ne firent que la faire sentir un peu plus mal. Lanalia voulait tourner la page, c'était normal, mais l'abraxan constatait que Lanalia en avait la possibilité, contrairement à elle...

-Tourner la page ? Toi au moins tu as cette chance...

Les sanglots recouvraient l'amertume de Megan. Elle enviait tellement cette fille de pouvoir aller de l'avant. C'était normal, Tigurius avait été son petit-ami, son premier amour, mais ils ne s'étaient pas promis la lune. Alors qu'elle... Megan était tout simplement prisonnière du lien qui l'unissait à Tigurius. C'était ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle-même. Prisonnière.

La jeune femme ferma les yeux, tentant de reprendre à nouveau contenance. De toute façon en vouloir à Lanalia ne servait à rien, ça n'allait pas changer le passé et au fond, Megan ne savait que trop pourquoi Tigurius avait disparu. Le fardeau qu'elle portait la lierait toujours à son jumeau, puisque c'était elle qui l'avait fait disparaître.

-Je ne dois pas t'en vouloir, tu n'y es pour rien... J'essayerai de faire en sorte... de ne plus te faire ressentir cette rancœur dont tu n'es pas responsable...

C'était tout ce qu'elle pouvait dire pour le moment. Elle ne pouvait rien promettre, juste essayer. L'ancienne serdaigle avait été liée avec un des jumeaux O'Neill, mais elle ne devait plus souffrir de cela, c'était injuste pour elle, et même si Megan avait besoin d'éprouver des sentiments dur envers quelqu'un, cela ne devait plus être sur Lana...

Il y a tellement de façons de réagir à ce qui peut nous arriver dans la vie. Comment deux personnes pouvaient elles avoir été plongées dans la même situation, mais l'avoir vécue de manière aussi différente et y réagir aussi différemment? Megan avait son passé, son présent et sa personnalité, tout comme j'avais les miens. Et le clash entre nous ne s'était jamais fait sentir aussi profondément que quand la jeune femme affirma d'une voix brisée que si je pouvais accepter de considérer que le Tigurius que j'avais connu et aimé était mort, elle, en revanche, ne le pourrait jamais. Même durant toutes ces années où nous nous étions détestées, jamais je n'avais ressenti aussi clairement et douloureusement le fossé qui nous séparait. C'est étrange comme la haine rapproche les gens, en fin de compte. Tant qu'on se hait, quelque chose nous lie. Là, nulle haine ni rancoeur ne subsistait entre nous et j'avais l'impression qu'on avait atteint la croisée des chemins, moi m'apprêtant à prendre une route et Megan une autre...

Car oui, je sentais que désormais, je pouvais tourner la page. Que plus rien ne me retenait pour aller de l'avant, pour prendre ce que cette expérience avait pu m'apprendre et pour laisser derrière ce qui avait été douloureux. Jamais je n'arrêterait de souffrir en pensant à tout ce chagrin qu'il m'avait laissé en partant et je savais que je ne serais plus jamais la même depuis qu'il avait dérobé et brisé ma naïveté d'enfant, mais oui, je pourrais tourner la page.

Megan, elle, ne le pourrait pas. Elle ne le pourrait jamais vraiment. Tigurius avait été mon premier amour et cela avait beau marquer, ce n'était rien comme la relation qu'on entretient avec un frère, avec un jumeau, avec le double de soi-même. Même si leur relation n'avait pas toujours été facile, rien ne se compare au lien qu'ils partageaient et qu'ils continuaient de partager, même depuis la disparition de Tigurius. Car on peut mettre fin à une relation de couple, mais pas aux liens du sang. Et j'avais le sentiment que c'était ce qui coulait dans les larmes de Megan, le sentiment d'impuissance et de résignation lié au fait qu'elles ne suivraient jamais la même route que moi.

J'avais de la peine pour elle, mais je me voyais mal essayer de la consoler. Je suis restée assise sans trop la regarder, le temps qu'elle reprenne contenance, par respect pour elle. Je voyais pour la première fois en elle l'enfant blessée derrière le masque de marbre et j'en étais touchée droit au coeur. Et je ne pouvais m'empêcher d'en vouloir à Tigurius de nous avoir fait tant de mal, à elle et à moi. Il nous avait aimé, mais Dieu qu'il nous avait mal aimées. Pourquoi avait-il fallu qu'il nous aime si mal?

Les paroles de Megan me firent lever les yeux vers elle. Elle ne m'en voulait plus et tenterait de faire en sorte que je ne ressente plus la rancoeur qu'elle m'adressait jusque là. Des larmes se sont échappées de mes yeux sans que je m'en rende vraiment compte avant qu'elles me chatouillent les joues, alors je les ai essuyées avant de parler.

- Je crois que tu es la personne la plus forte et la plus courageuse que j'aie jamais rencontrée. Et je ne dis pas ça en raison de la carapace que tu porte à chaque jour, mais bien par rapport à la personne que j'ai devant moi ce soir. Cette personne est tellement plus solide qu'elle le pense.

J'ai laissé s'écouler quelques secondes, le temps de mettre mes mots en ordre.

- Je... Je ne souhaite pas que toi et moi soyons amies, je pense que tu ne le veux pas non plus. Je pense que se côtoyer, ça ferait juste trop mal, ça nous tirerait vers le bas. Mais je veux que tu sache tout le respect que j'ai pour toi après ce soir et que tu voies en moi une personne sur qui tu peux compter, malgré tout. Et si tu veux on peut même continuer à se chamailler en public! ai-je ajouté, en souriant. Ce que je veux dire, c'est que tu peux me faire confiance, si tu veux.

La-dessus, je lui ai souri et je me suis levée, prenant mon manteau sur mon bras. En passant près d'elle, je me suis arrêtée pour déposer doucement une main sur son épaule, avant de reprendre mon chemin sans dire un mot. J'ai réglé ma facture au comptoir et j'ai enfilé mon manteau pour retourner sous la neige, le visage inondé de larmes, à la fois soulagée et immensément triste, avec une seule envie : m'enfouir sous une pile de couvertures et pleurer toutes les larmes de mon corps. Ce que je fis.

Elle ignorait combien de temps elle était resté là, prostrée dans ce fauteuil, l'air aussi faible que misérable en laissant ainsi ses larmes se déverser sans qu'elle ne puisse les contenir. Elle aurait aimé transplanné là, directement. Montrer ses larmes étaient la pire chose à ses yeux, paraître faible, et donner à des potentiels ennemis une possibilité de l'achever. Lanalia n'était pas une ennemie, mais elle n'était pas non plus une alliée. Et malgré les quelques paroles qui se voulurent réconfortantes, Megan était toujours à terre alors qu'elle venait de donner l'occasion à Lanalia de se relever.


La hâche de guerre venait d'être enterrée entre elles. Elles n'étaient pas pour autant amies, car l'une comme l'autre, ça leur aurait été trop douloureux. Elles auraient toujours entre elles, les stigmates que leur avait laissé Tigurius. Des blessures invisibles mais éternelles qui leur rappelerait trop souvent que leur destin avait été lié à celui d'un homme qui avait soif de pouvoir au point de laisser derrière lui, tels des animaux blessés, les personnes qui l'avaient un jour, aimé.

Megan laissa partir Lanalia sans un mot, pas même un au revoir. Il était tant de tourner la page. Elle ne sut combien de temps elle resta assise dans ce fauteuil, recroquevillée. Suffisamment longtemps pour que lorsqu'elle sortit après avoir payer sa consommation, il ne restait aucune trace de Lanalia autour du Parker's, ni même de leur conversation... Seules les larmes séchées sur ses joues lui confirmèrent que cela n'avait pas été un simple rêve...

Et comme elle était venue, Megan disparut dans la nuit...