Quiétude extrême (libre)

Kerry Adamson + Quinlan Fitzsimmons + vous peut-être :hawt:

Kerry avait essayé de rejoindre son dortoir d'un air confiant et enjoué, à l'idée de pouvoir aller récupérer ses livres et pouvoir passer la soirée enveloppée dans une couverture au coin du feu, à relire L'Anatomie de Gray. Cliché, comme livre de chevet pour une fille de médecins moldus et sorciers. Cela dit, ca avait le don de la détendre. Mémoriser les moindres éléments du corps humain. Après tout, moldus comme sorciers étaient constitués de la même manière... c'était bien la question qui fascinait le plus Kerry, ces derniers temps. Quelle réaction chimique physiologique faisait donc que l'on naissait moldu ou sorcier ? Personne ne semblait vraiment s'être jamais posé la question.
Mais apparemment, les chances n'étaient pas de son côté ce soir. En arrivant dans le dortoir, elle était tombée nez à nez avec un petit groupe d'élèves de Phénix qui avaient décidé de faire une petite fête, menée par un beau et grand jeune homme... qui l'avait tout simplement envoyée paître juste avant la Saint Valentin, lorsqu'elle lui avait demandé si un rendez-vous avec elle l'intéressait. Depuis, c'était un peu une sorte de cache-cache à sens unique. Alors en entrant, elle s'était retrouvée figée, rouge comme une tomate. Avant d'attraper sa cape dans un coin de la salle commune et de disparaître en faisant demi-tour - sans oublier de se prendre les pieds dans un tapis et manquer de s'étaler en fermant la porte du salon. Fantastique.
Kerry avait trouvé refuge dans la cafétéria de l'école, déserte à une heure avancée. Il était vingt-deux heures, et seuls quelques victimes de fringales avant de dormir étaient là, dans des coins de la salle, grignotant en silence. Quelqu'un avait laissé des boîtes de jeux de société et un paquet de cartes à jouer, empruntés du salon commun, traîner sur la table des Phénix. Kerry s'était laissée tomber sur le banc d'un air las, une moue agacée et frustrée sur le visage. Il lui faudrait un jour s'en remettre, elle s'en remettrait sans doute, mais elle était comme ça, et elle détestait ça. Se mettre dans tous ses états pour un type qu'elle ne connaît même pas si bien que ça.
Kerry était à moitié affalée sur la table, accoudée et la joue dans une main, avec une expression dépitée, alors qu'elle retournait des cartes à jouer d'un geste nonchalant dénué de sens. Elle avait demandé des gâteaux et des sucreries pour l'accompagner, mais elle n'avait même pas vraiment la tête à se gaver de fraisiers. C'est alors que la porte s'ouvrit en grinçant sur le professeur Fitzsimmons. Kerry était l'une de ses élèves, elle assistait à tous ses cours avec assiduité, et elle aimait bien le personnage - quoiqu'un peu grognon et ours mal léché parfois. Mais c'était un médicomage de renom avant tout, ou du moins, il avait plutôt bonne réputation en tant que professeur.
Kerry lui adressa un pauvre sourire sans grand enthousiasme, lâchant ses cartes pour creuser dans son fraisier avec une petite fourchette. « Oh, bonsoir professeur... » fit Kerry en saluant le mage avec la fourchette. L'ennui la gagnait, elle avait cruellement besoin de parler à quelqu'un. Manque de chance pour lui, ça tombait sur le professeur ce soir. A voir s'il se montrerait aussi placide lorsque son élève commencerait le flot de paroles qui était sur le point de lui tomber dessus. Kerry eut cependant un moment de silence, avant de poser la fourchette pour pousser une des boîtes de jeu vers elle et regarder de quoi il s'agissait. Docteur Maboule. Evidemment. Elle laissa échapper un petit rire, un rire un peu jaune et blasé, avant de se retourner vers le professeur Fitzsimmons. « Vous voulez jouer ? Ou une part de gâteau peut-être ? » demanda-t-elle de sa voix aigüe. Avant de laisser tomber son sourire faussement enjoué pour avoir un soupir, et s'écrouler le front contre la table d'un air dépité. « Jouez avec moi s'il vous plaît... je... je voulais étudier ou lire un livre mais pour ça il faudrait que je passe par la salle commune des Phénix, et ce soir, apparemment, il y a une fête et quelqu'un que... je ne souhaite pas voir, alors... j'attends ici. Qu'ils aillent tous se coucher et que je puisse y aller aussi... » déblatéra-t-elle, toujours le nez contre la table, en faisant des grands gestes avec les mains en même temps, dans un tableau un peu pathétique, comme d'habitude. Et puis elle releva la tête, les cheveux en bataille et pas vraiment dans le bon sens, dans un dernier espoir de convaincre le professeur. « C'est un jeu moldu. C'est vraiment stupide. Mais je trouve ça ironique, » lâcha-t-elle enfin en ouvrant la boîte. Puis en piquant un bout de fraisier pour l'enfourner dans sa bouche, histoire que le sucre active un peu sa motivation et son enthousiasme.

La soirée était bien avancée quand Quinlan descendit dans la cafétéria. Il n’y avait plus rien à manger dans son frigo moldu trafiqué pour la peine, et le guérisseur n’avait eu d’autre choix que de se rendre jusqu’au rez-de-chaussée pour manger. Il avait eu une de ces flemmes, mais il avait aussi diablement faim. Il ne s’était pas changé après les cours, et arborait toujours sa super chemise violette aux reflets un peu étranges et son pantalon noir. Il avait juste retiré les deux brassards qu’il s’amusait parfois à porter aux biceps. Même s’il n’était pas en pyjama, il avait quand même ouvert un bouton de sa chemise, signe qu’il n’était pas en mode professionnel.

La cafétéria lui rappelait des souvenirs très agréables, heureux même, et il ne put s’empêcher de sourire légèrement en passant la porte de la salle. Il repéra une de ses étudiantes, Kerry, et la salua au passage. Il y avait peu de monde à cette heure-ci, et il se demandait bien ce qu’elle faisait là alors qu’elle pourrait se détendre dans la salle commune de sa confrérie. Elle lui proposa une part de gâteau, que Quinlan accepta avec un sourire.

— Ouais, une fois que j’aurais fini mes frites, ok ?

Pour le jeu, il haussa un sourcil. En fait, il s’installa à sa table, près d’elle, et regarda les autres boîtes. Franchement, le Docteur Maboule, très peu pour lui. Ça pouvait faire office de défouloir pour certains médecins, mais s’il pouvait penser à autre chose que son boulot, ce serait sympa.

— Je veux bien jouer, mais ça me tente moyen.

Kerry lui avoua alors la raison pour laquelle elle n’était pas chez Phénix comme on aurait pu s’y attendre. La jeune femme lui paraissait mélancolique : quelque chose n’allait pas vraiment pour elle. C’était bien dommage, c’était une étudiante passionnée. Pas que ça ait un quelconque rapport, mais bon.

— Bon, si tu veux rester ici et passer le temps… On joue. Mais franchement, tu préfères pas un Scrabble ou un Pictionary ?

Ouais nan, Quinlan n’avait vraiment pas envie de jouer au Docteur Maboule. Il connaissait ce jeu pour avoir grandi dans une famille sang-mêlée, et franchement, c’était drôle que quand on n’était pas médecin en vrai. Enfin, ce n’était que son avis. Si Kerry insistait, il voudrait sûrement bien faire un effort. En plus, il était nul à ce jeu, en vrai. La honte quoi.

Drôle d'idée, les frites à une heure pareille. Kerry avait levé un sourcil à la réponse du professeur, et puis s'était rendue compte qu'elle était bien mal placée pour juger. Après tout, c'était bien elle qui était en train de s'empiffrer de fraisier en retournant des cartes à jouer affalée sur une table. Visiblement, l'idée du Docteur Maboule n'enchantait gère le professeur Fitzsimmons. Ce n'était pas bien surprenant, dans un sens, bien que ça aurait été drôle de voir un professeur en médicomagie aussi respecté essayer de retirer une pomme de la cage thoracique d'un patient en carton. « Oh, » lâcha Kerry en guise de réponse à son refus de jouer les apprentis médecins moldus. Mais visiblement, le professeur avait plusieurs cordes à son arc. Kerry s'en vit un peu soulagée et se redressa sur son siège en entendant les propositions du professeur quant à l'activité de la soirée.
« Vous connaissez ces jeux-là aussi ? Je veux dire, les jeux moldus, qui n'impliquent pas de détruire violemment les pions adverses à l'aide d'un sortilège automatisé en cas de victoire... » s'exclama-t-elle en poussant les boîtes qui traînaient sur la table vers elle. Quelqu'un avait ramené ces jeux pendant les vacances et ne les avait jamais repris pour les remettre à leur place - dans une famille moldue ou de sang-mêlé. Et ce soir, ca venait à sa rescousse pour se sauver d'un ennui profond et mortel. Kerry poussa la première boîte pour la regarder et froncer le nez. « Je déteste le Scrabble. Quand j'étais à Poudlard, pendant les vacances d'été, mes parents et ma soeur me forçaient à jouer. On peut difficilement battre deux médecins et une médicomage quand on a douze ans et qu'on sait à peine épeler "fistule" ou "tachycardie" correctement... je suis sûre que vous voyez exactement de quelle manière ils arrivent à faire environ cinq ou six Scrabble par personne par partie avec tout ce jargon... » déblatéra-t-elle d'une traite, d'une voix rapide, comme d'habitude. Sa nature bavarde et stressée à la fois n'était jamais bien loin. Elle invita alors le professeur à s'assoir en face d'elle d'un geste exagérément pompeux, avec un sourire un peu blasé mais un peu plus motivé que quelques minutes auparavant.
« Je veux bien jouer au Pictionnary. Mais je suis vraiment nulle en dessin, vous gagnerez sûrement. » Elle ouvrit la boîte, repoussant une ondulation rousse derrière son épaule, pour sortir le plateau et tout ce dont ils avaient besoin. Puis ne résista pas à l'appel du fraisier toujours posé à côté d'elle dans une petite assiette dorée. Kerry piqua à nouveau dedans pour se fourrer un morceau de génoise, de crème et de fraise dans la bouche. « Toujours pas de gâteau ? » proposa-t-elle, la bouche pleine en désignant l'assiette à son adversaire de la soirée.
Et puis elle eut un moment de vide, immobile, le plateau dépliable dans les mains, une expression perplexe sur le visage. Il lui fallut quelques secondes pour se reprendre et jeter un regard de doute vers le professeur Fitzsimmons. « Attendez une minute... on peut jouer au Pictionnary avec seulement deux joueurs ? » demanda-t-elle. Parce qu'elle avait beau s'imaginer tous les scénarios possibles, à deux joueurs, soit la tricherie serait facile, soit il n'y aurait aucune rivalité pour alimenter la partie.

Ah, c’est vrai, elle ne devait pas être habituée à ce qu’un sorcier lui parle de jeux désespérément moldus. La méfiance de Quinlan rampa le long de sa peau, mais il n’y avait pas vraiment de raison de l’être. C’était un simple réflexe, conditionné par la situation actuelle du monde magique. Révéler qu’il en savait pas mal sur les Moldus pouvait rapidement se retourner contre lui, dans un sens ou dans l’autre. M’enfin. Il était à Haveirson, et son étudiante avait sorti des jeux moldus. Elle n’allait sûrement pas lui en vouloir ou lui sauter à la gorge. À moins que tout ceci ne soit qu’un subterfuge pour en apprendre davantage sur Quinlan ? Las, ce dernier chassa ces idées stupides, et ricana à la remarque de Kerry.

— En fait, je préfère la version sorcière du Scrabble.

D’excellents souvenirs, d’ailleurs. Il ne put s’empêcher de rire doucement, avant de dévorer ses frites. Autant qu’il mange, pendant qu’ils choississaient le jeu auquel ils joueraient. Apparemment pas le Scrabble. L’explication effrénée fit sourire Quinn.

— Je suis guérisseur et pourtant je suis pas spécialement doué au Scrabble tu sais. La médecine, c’est de famille chez toi ?

Autant poser les questions quand on ne voulait pas répondre à certaines d’entre elles, n’est-ce pas ? Apprendre à connaître ses étudiants ne pouvait pas lui faire de mal, d’autant plus qu’il n’avait pas eu l’occasion de s’entretenir avec Kerry à propos de son sujet de thèse, si elle désirait en rédiger une. Vu comment elle travaillait d’arrache-pied, ça étonnerait Quinn qu’elle refuse.

Elle se décida pour le Pictionary, et le guérisseur hocha la tête. Et puisqu’il venait de finir ses frites, il accepta aussi la part de gâteau offerte par Kerry. Il adorait les fraises, ça tombait bien ! Bon, après il n’était pas non plus très difficile, et il avait encore faim. Alors qu’il attaquait sa part, son étudiante lui fit remarquer un léger détail qui pouvait s’avérer… problématique.

— Oh.

Quinlan fouilla ses souvenirs, et il demeurait persuadé qu’on pouvait y jouer en duel, avec des règles additionnelles… dont il ne se souvenait malheureusement pas. Il haussa les épaules.

— Au pire, c’est rien. On peut jouer à autre chose. Y a pas un jeu de cartes qui traîne ? Une bataille, histoire de pas trop avoir à réfléchir…

Il n’était pas tard pour quelqu’un qui se couchait régulièrement à trois heures du matin, mais il avait quand même eu une journée de travail, et s’il pouvait mettre son cerveau en veilleuse, ça lui ferait un bien fou.

Kerry haussa un sourcil à l'évocation de la version sorcière du Scrabble. Elle n'avait jamais entendu parler de cette version-là, ça titillait sa curiosité. « Il y a une différence ? » s'exclama-t-elle, un peu sceptique, avec un léger sourire en coin un peu étonné. Sincèrement, elle avait du mal à imaginer comment on pouvait rendre un Scrabble magique, sauf peut-être si les lettres allaient former d'elles-mêmes les mots sur le plateau. Ce n'était pas réputé pour être un jeu très... dynamique. Mais c'était peut-être par manque de créativité. Kerry était une sorcière ayant grandi dans une famille de médecins, après tout. On pouvait faire difficilement place à l'imagination, la plupart du temps.
La question du professeur sur sa famille la surprit un peu. D'habitude, on connaissait déjà sa famille, et on lui posait des questions sur des détails des recherches de son père, ou on lui demandait de raconter des anecdotes trépidantes sur sa mère. Kerry haussa les épaules d'un air las. « On peut dire ça comme ça... mon père et ma soeur sont médecins moldus, et ma mère est médicomage... ils sont tous assez réputés dans le milieu et tout le monde s'attend à ce que je fasse pareil, mais même si la médecine est de famille, le talent, visiblement, c'est au plus chanceux qui en aura... » fit-elle d'une voix rapide, comme d'habitude, mais le ton de sa voix tombant peu à peu. C'était clair que Kerry n'avait pas hérité du génie d'Evelyn, et que si elle n'était pas aussi travailleuse et ne tenait pas tant que ça à ne pas décevoir sa famille, elle n'userait certainement pas les bancs des cours du professeur Fitzsimmons. L'injustice de la génétique. Kerry se redressa pour rejeter ses cheveux en arrière encore une fois, tout en empoignant la boîte du jeu. « Enfin, longue histoire, je n'ai pas trop envie de parler de ça maintenant, en fait, » ajouta-t-elle avec un sourire se voulant plus ou moins détaché, mais plutôt forcé.
Elle eut un sourire cependant plus enthousiaste quand le professeur accepta une part de fraisier. Au moins quelqu'un qui partagerait son goût pour les trucs pleins de crème et de fraises. Lorsqu'elle souleva la question du Pictionnary, cela dit, il sembla que le professeur Fitzsimmons n'y avait pas pensé non plus. « Ouais... » renchérit-elle d'un ton gêné. Elle eut un silence, essayant de trouver une idée pour remplacer cette initiative de jeu avortée, mais le professeur fut plus rapide en proposant les cartes.
Kerry hocha la tête en tendant le bras pour attraper le tas de cartes posés à côté sur la table. « Oh oui il y a un jeu de cartes... là, » fit-elle. Elle en profita pour les mettre à l'endroit rapidement, jetant un oeil au jeu, vérifiant s'il était bien complet. Kerry eut un temps d'arrêt et un sourire amusé sur l'une des cartes. « La Reine de Coeur est encore partie se promener mais ça n'empêche à rien, » fit-elle avec un petit rire. Très adapté, elle avait dû fuir loin de Kerry et de ses béguins-éclairs catastrophiques de peur de faire plus de dégâts. « Bataille alors, » lança-t-elle en commençant à distribuer. Ca commençait déjà à occuper son esprit, remplaçant peu à peu l'embarras et la frustration de sa confession-transformée-en-fiasco. C'était le genre de jeu que l'on pouvait entamer machinalement, sans besoin de trop réfléchir, comme l'avait fait remarquer le professeur. Kerry resta silencieuse quelques temps, pour finalement céder à sa nature de bavarde. « Vous dormez toujours aussi tard ? Je ne viens pas souvent à cette heure-ci mais je suis étonnée de trouver des gens avec encore assez d'appétit pour manger des frites à une heure pareille, » fit-elle avec un petit rire un peu nerveux. Ca avait l'air un peu idiot comme sujet de conversation, mais le professeur l'intimidait légèrement. Kerry avait toujours eu un sens assez fort de la hiérarchie. Alors trouver de quoi discuter sans non plus assommer les gens avec des sujets lourds comme les cours ou le travail, c'était assez difficile... Là, elle espérait quand même un peu que quelqu'un de plus à l'aise et plus bavard qu'elle arrive pour venir jouer avec eux, histoire de faciliter les choses. Une victoire d'une bataille du professeur Fitzsimmons déclencha une petite explosion avec les cartes, qui arracha un petit cri de surprise à Kerry, sursautant par la même occasion. Elle oubliait souvent ce que ce genre de jeux version sorciers impliquait.

Ah, s’il y avait une différence entre le Scrabble moldu et sa version sorcière ? À l’évocation silencieuse de quelques souvenirs certes mémorables, Quinlan sourit avec malice et hocha la tête.

— Ouaip, c’est beaucoup plus marrant. Les lettres s’assemblent pour former le mot que tu veux sur le plateau, déjà, et chaque joueur a une écriture bien particulière, histoire qu’on sache qui a posé quoi. Et puis, quand tu poses ton mot, le jeu fait une petite animation, un peu comme un hologramme, au-dessus du plateau. Mais ce n’est même pas le plus drôle.

Ok, Quinn était en train de se marrer franchement là. Les soirées passées avec Scrabby, son propre jeu, avaient été vraiment épiques.

— Le plus fun, c’est que chaque jeu dispose d’une mini-statue, au milieu du plateau, qui s’amuse à commenter ce qu’on fait. Et plus tu y joues, plus l’intelligence artificielle — enfin, son équivalent magique hein — se cale sur ton caractère. Je peux te dire que mon exemplaire est assez spécial du coup…

À force de parler de cul autour du jeu et de s’amuser à poser des mots bourrés de double sens, son Scrabby a tôt fait de devenir une entité à l’humour douteux, un poil cynique et malpolie. Son insolence et son irrévérence étaient des choses que Quinlan appréciait autant qu’il les détestait. Son jeu pouvait s’avérer très blessant parfois, en fait. Et Quinlan n’avait pas la moitié d’un ego non plus.

Quant à la famille de Carrie — encore une Carrie ? — apparemment ils étaient non seulement médicomages mais très reconnus. Quinn haussa les épaules pour s’excuser.

— Je n’ai pas la mémoire des noms, alors même si j’ai pu travailler avec eux… Je ne sais pas si je m’en souviendrais.

Et ce, même si j’avais couché avec ta mère. Ou ton père. Évidemment, Quinlan ne l’ajouta à voix haute pour des raisons évidentes de respect envers son étudiante, mais aussi parce qu’il se souvenait douloureusement de sa stupidité quand l’ex-femme de Rupert était morte. Non seulement il avait eu une aventure avec elle, mais il n’avait pas fait le rapprochement en lisant son nom dans le journal. Pas plus que lorsque Ruppie avait parlé d’elle. Quinlan avait l’impression désagréable que les gens ne commençaient à exister pour lui que lorsqu’ils se souvenait enfin de leurs noms. Une pensée si pessimiste et sombre qu’il fut heureux que Carrie lui demande de changer de sujet de conversation. Ouais, faisons ça.

Leur choix pour le jeu du soir se porta donc sur une bataille. Pas trop besoin de réfléchir : c’était parfait. Évidemment, avec un paquet de cartes sorcières, donc avec chaque figure qui faisait un peu de ce qu’elle voulait et des effets spéciaux façon Michael Bay. Bon, ok, en 1997 il était pas siiii connu que ça mais vous verrez l’année prochaine quand il sortira Armageddon hein… Hahem. Du coup, avec le petit effet spécial qui ne manqua pas de surprendre son étudiante, Quinn en oublia presque de lui répondre. Il était trop mort de rire pour ça.

— Euh ouais… Je me couche jamais tôt en fait. Et puis j’ai bossé toute la soirée, donc j’ai faim. J’suis si bizarre que ça ?

Franchement, ça l’amusait. C’était bien la première fois qu’un.e étudiant.e trouvait ça étrange de se coucher tard et de manger à n’importe quelle heure. Non mais parce que c’était pas ça, le cœur de la vie estudiantine !?

HRP:

Le flot de paroles quasi ininterrompu de Kerry amusait beaucoup Quinlan, même si tôt ou tard, il finirait par trouver cela agaçant. Pour l’instant, ça allait, d’autant plus s’il pouvait lui remonter le moral. Quand il était arrivé, la pauvre étudiante était seule dans cette grande cafétéria, cherchant quelqu’un pour jouer avec elle. Et discuter aussi, certainement. Le guérisseur avait trop tendance à penser qu’il était de mauvaise compagnie, ce qui n’avait pas l’air d’être le cas avec Kerry. Et puis, elle lui rappelait indirectement de bons souvenirs : ce n’était pas la seule connaissance joueuse du professeur. Il se mit à rire à sa remarque sur le Scrabble sorcier. L’exemplaire que possédait Quinlan était depuis longtemps empreint de la personnalité de son propriétaire, ce qui donnait des choses plutôt… cocasses.

— Oh, mon jeu n’est pas du genre à crier. Il est cynique, sarcastique et résolument porté sur la chose. Il s’amuserait à détourner le moindre mot pour en faire des sous-entendus salaces. Ma faute.

Un sourire charmeur et faussement désolé s’afficha sur le visage de Quinlan. Il plaidait coupable, il avait un esprit profondément mal tourné. Du coup, quand Kerry évoqua sa famille — et notamment sa mère — Quinn eut un moment de doute. Peut-être qu’il la connaissait oui, et peut-être que comme feue l’ex-femme de Rupert, il avait couché avec. Après, il n’avait pas la mémoire des noms mais quand même, elle avait créé un élixir alors oui, ça lui disait quelque chose. Il n’était pas certain de l’avoir déjà croisée, mais c’est clair que le nom ne lui était pas inconnu. Il était impressionné, mais ne le montra pas trop. La célébrité de sa mère n’avait pas l’air d’avoir que des effets positifs sur sa fille.

— Je vois oui…

Il n’épilogua pas. Il aimerait bien lui parler de sa famille, de ce que ça pouvait faire de vivre entouré de gens qui avaient déjà tout accompli, de la difficulté de trouver sa place, mais ce n’était pas vraiment le moment. Kerry avait justement besoin qu’on lui lâche la grappe, non ? Un jeu — le Docteur Maboule ou autre chose — et pas mal de sucre. Il comprenait aussi pourquoi elle avait choisi ce jeu, et cela lui arracha un nouveau rire.

— Ouais je comprends. On n’avait pas vraiment de jeu de prédilection à la maison. Mon Scrabble… Disons que je l’ai eu sur le tard.

Quinlan se tut. De toute façon, c’était pas pour ce que c’était intéressant ce qu’il disait. L’étudiante continua dans sa logorrhée en parlant de fraises, de boutons et du fait qu’elle n’arrivait pas vraiment à se faire d’amis. Vraiment ? Peut-être parce qu’elle lui semblait trop centrée sur ses études, sûrement… Elle avait besoin de lâcher un peu de lest.

— Je comprends aussi. Pas trop envie de traîner avec un vieux, c’est normal. Même si je suis pas aussi croulant que ça hein… Pourquoi tu parlais de boutons ? T’as des allergies ?

Elle n’eut pas le temps de répondre qu’un jeune homme fit son entrée. Quinn ne se souvenait pas l’avoir vu, mais encore une fois, sa mémoire n’était pas au beau fixe la plupart du temps. Il demanda poliment à s’asseoir et à profiter de leur compagnie, ce à quoi Quinlan répondit par une invitation de la main.

— Fais donc ! Plus on est de fous plus on rit ! Tu veux jouer à quelque chose… Hmmm ?

Oui, il ne connaissait pas son nom et ne le retiendrait pas du premier coup mais c’était toujours bien vu de le lui demander.

Visiblement, le Scrabble sorcier du professeur était plutôt... atypique. Et si Kerry écoutait patiemment ses explications au début, la fin de la phrase la laissa sans voix pendant quelques secondes, gênée par ce que ça impliquait. « Oh. Je vois... » bafouilla-t-elle d'une petite voix, les joues virant au rouge pivoine, avant de rester silencieuse encore quelques minutes, écoutant le professeur en posant ses cartes - et sursautant toujours à chaque petit combat entre les têtes. A vrai dire, elle ne voulait pas s'étaler sur le sujet famille, et le professeur Fitzsimmons n'avait pas l'air d'avoir envie de poser des questions, Merlin merci.
Elle finit par s'enfoncer dans sa confusion en bavassant trop, comme d'habitude, mais visiblement, le professeur n'était pas trop susceptible. C'était plutôt pour la différence hiérarchique que c'était bizarre, elle n'avait pas l'habitude de jouer aux cartes à une heure tardive avec un professeur. « Vous n'êtes pas vieux ! » s'exclama-t-elle d'une voix aigüe un peu trop forte, pour se rendre compte de son propre écho, et poser une main sur sa bouche d'un air gêné. « Enfin, plus vieux que les élèves, bien évidemment, mais vous savez, à Poudlard, et avec tout le respect que je lui dois, il y a encore le professeur McGonagall... » poursuivit-elle d'une voix plus basse, histoire de ne pas réveiller tout le manoir non plus. Ca devait sans doute être parce qu'il était plus vieux, mais le professeur ne fit pas la liaison entre nourriture grasse et boutons d'acné. « Vous savez, c'est quand vous vous gavez de chips de citrouille ou de chocolats, vous allez dormir, et puis vous vous réveillez, et c'est comme si on vous avait jeté un sortilège de pustules ! » expliqua Kerry avec de grands gestes circulaires devant son visage, l'air un peu agacé par l'idée. Evidemment, elle s'était un peu laissée emporter sur le sujet. « Bon, j'exagère mais... je déteste ça, avoir des boutons d'acné sur le visage, ça donne l'air négligé, » termina-t-elle avec une moue et un haussement d'épaules.
C'est le moment que trouva un autre étudiant pour entrer dans la cafétéria, un grand type aux cheveux châtains qu'elle n'avait croisé que de loin auparavant. « Bonsoir ! » lança-t-elle avec enthousiasme avant de piocher un morceaux de fraisier à nouveau. « Euh je... je crois que je ne connais pas ton prénom, » répondit-elle lorsqu'il demanda s'il pouvait s'inviter, avant de faire une place sur la table en poussant les assiettes vides. « Kerry, Phénix, médicomagie, enchantée ! » ajouta Kerry en tendant une main en guise de salut. Pas de sa confrérie, pas de son cursus, ça limitait deux choix. « Couche-tard ? On faisait une bataille avec le professeur Fitzsimmons, tu veux jouer aussi ? » proposa-t-elle en empilant les assiettes vides de l'autre côté de la table, et en attrapant le paquet de cartes alors que leur bataille se finissait. Parfait timing. Kerry se mit à remélanger les cartes, avant qu'une espèce de cri strident de souris ne fende la cafétéria. Pas très puissant, mais plutôt agaçant. La rouquine fouilla les cartes pour trouver la Dame de Carreau en train de faire ses gammes avec une expression très sérieuse. « On a pas idée de chanter à une heure pareille, et faux en plus... elle doit être de la même famille que la Grosse Dame, » grommela Kerry en la fourrant au milieu du tas de cartes pour continuer à mélanger, et distribuer.

HRP:

Le guérisseur n’avait pas totalement suivi le cheminement de pensée de Kerry, et on ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. La jeune femme partait dans tous les sens, à tel point que l’espace d’un instant, avec le peu de connaissances que Quinlan avait en terme de psychologie, il se demanda si elle n’était pas tout simplement hyperactive. Ou maniaque. Il mit rapidement son cerveau en veilleuse, heureusement : il n’était pas là pour analyser et diagnostiquer les étudiants — et diagnostiquer quoi, d’ailleurs, il n’était pas psy, aux dernières nouvelles — mais juste pour se détendre un peu. Ce qui ne lui ferait vraiment pas de mal. Bref, tout ça pour dire qu’il n’avait pas du tout pensé aux éruptions cutanées liées à l’alimentation, un souci que beaucoup d’amateurs de nourriture grasse connaissent.

— Je dois rester raisonnable ou avoir un bon métabolisme alors, parce que ça m’arrive pas très souvent…

Jamais, en fait. Quinlan avait payé quand il était adolescent, et maintenant qu’il avait la trentaine passée, si l’acné pouvait lui lâcher la grappe, ce serait sympa. Il avait déjà donné côté gueule de pizza.

L’arrivée d’un nouveau joueur interrompit cette discussion à base de problèmes épidermiques pour revenir finalement sur ce qui avait fini par les réunir : les cartes. Quinn laissa Kerry mélanger les cartes et se présenter, avant de faire de même.

— Vous pouvez m’appeler Quinlan, là je suis pas vraiment prof.

Azphel. Quinn était presque sûr de l’avoir déjà croisé, mais quand il déclina sa confrérie et surtout les études qu’il suivait à Haveirson, il comprit mieux pourquoi ils ne se croisaient pas très souvent. Il y avait bien peu d’étudiants en littérature ou journalisme qui s’aventuraient jusqu’au cours de médicomagie, quand bien même ce dernier était ouvert à tous.

À la remarque de ce nouvel arrivant, le guérisseur ne put s’empêcher de rire. Laisser gagner son étudiante ? C’était hors de question. Plongeant son regard noisette dans celui, étrangement envoûtant d’Azphel, Quinlan répondit avec un petit sourire.

— Ce ne serait pas leur faire honneur. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Et puis, franchement, laisser quelqu’un gagner, je considère ça comme étant un vrai manque de respect. Je suis sûr que vous n’avez pas besoin de ça : ce n’est pas comme si j’étais un très bon joueur moi-même de toute façon.

Quinn garda son sourire et prit ses cartes en main, espérant que les Dames allaient garder leur bouche fermée. Kerry avait raison : il y avait des heures pour faire ses vocalises, surtout quand on avait une voix aussi douce et mélodieuse qu’un violon mal accordé.