Family is Sharen

Aujourd'hui, c'est grasse mat. Et ouais, j'avais réussi à négocier ma matinée. J'aimais mon boulot, mais j'aimais aussi dormir. Et bon, la patronne m'avait dit que ses gosses se ramenaient ce matin, donc c'était pas trop grave que je ne vienne pas. Puis j'allais me pointer l'après-midi. J'en avais donc profiter pour ronfler de tout mon saoul jusqu'à l'heure qui m'avais plus, soit midi et demi. Une fois bien réveillé, c'est à dire un quart d'heure plus tard, j'avais fini part me lever pour aller dans la cuisine, chantonnant gaiement une chanson en tête des ventes à ce moment-là. J'espérai que mes voisins avaient insonorisé leur appartement, parce que les aiguës n'étaient pas mon fort, mais ça m'empêchais pas de taper dedans.

Une fois mon assiette d’œufs brouillés engloutis, j'allai dans la salle de bain faire un brin de toilette. Lavage, coiffage, brossage de dent et tutti quanti. Je me faisais beau pour accueillir  William et Harmomo. D'ailleurs, j'avais appris qu'elle avait un p'tit copain, c'était meuhgnon tout ça. J'allais pouvoir l'embêter encore un peu. Quant à l'autre, je n'étais pas au courant de sa vie sentimentale. Faut dire qu'il m'en avait jamais parlé non plus. Enfin, j'allais vite savoir vu que je le revoyais cet aprem. En attendant, j'allais me recaser dans mon canapé. En l'analysant bien, j'étais presque sûr de pouvoir discerner la silhouette d'Isolde imprimée dedans.

Enfin bref, deux heures sonna et il était temps d'y aller. Ouais, j'avais encore un peu d'avance, mais j'aimais pas être en retard. Je refermai mon appart et m'engageai dans la rue, direction l'animalerie magique. Heureusement, c'était pas super loin, donc j'arrivai vite et entrai. Je lançai un salut collectif : c'est à dire aux personnes humaines ainsi qu'aux animaux magiques. Un mouvement attira mon attention. La porte de la réserve était à moitié ouverte, j'allais donc inspecter l'endroit.

Et pof, je tombais sur Bill. Il avait l'air d'être content de me voir. Moi aussi, mais bon, j'avais une face de pet du coup je préférai ne pas trop sourire non plus, j'étais déjà assez ridicule comme ça. Bref, il eut des embrassades, tout ça tout ça, et hop, prise de nouvelles.

-Bah écoute, ça va. tranquille. J'suis plus avec Jareth depuis pas mal de temps, mais ça va. Et j'travaille tous les jours sauf le week-end ! C'est ça quand on aime son boulot. Et toi ? Quoi de beau ?

Bon, j'en avais un peu rien à faire, mais j'l'aimais bien pis j'voulais être poli.

-J'ai appris que ta soeur était plus toute seule, si c'est pas trop chou tout ça. Et toi, les amourettes ?

Les vacances. C'était si agréable de travailler avec ses enfants. Une trêve dans leurs vies bousculées. Quelle que fût l'opinion qu'ils avaient d'elle, aucun d'eux ne rechignait à l'aider et elle en avait du baume au cœur. Harmony avait même semblé plus affectueuse que d'habitude dans ses dernières lettres, ce qui avait grandement ranimé en elle l'espoir que cette froideur dans laquelle elle s'enlisait depuis des années se dissipe et que leur famille redevienne unie comme auparavant, bien qu'amoindrie. Elle était donc de bonne humeur ce jour-là à la boutique et cela se sentait dans les nombreux sourires qu'elle adressait à sa petite famille. Sa voix, aussi, était plus animée et chaleureuse que d'habitude et elle riait si quelqu'un lançait une plaisanterie, ce qui ne lui arrivait plus souvent depuis longtemps. Belle journée. Au loin la menace moldue et la guerre approchante, ils pouvaient bien tous, une fois de temps en temps, se vider la tête et apprécier le privilège de savoir quelque peu compter les uns sur les autres.

La Ménagerie débordait de piaillements, de couinements, de miaulements et des froufrous de plumes des créatures diverses. Comme d'habitude, William la déchargeait beaucoup en s'occupant des livraisons et des cages. Il rentrait des boîtes de nourriture dans la réserve. Anna se trouvait dans une pièce attenante dévolue à la toilette et aux petits soins des animaux, et elle s'occupait de brosser les longs poils d'une chatte violette à rayures noires. Malgré les mots rassurants qu'elle lui susurrait, la pauvre bête était extrêmement sensible aux brosses et se mettait à trembler comme une feuille au moindre geste brusque. De temps en temps, elle émettait une plainte à fendre l'âme. Il lui faudrait un maître ou une maîtresse très doux-ce, à celle-là. D'autant que sa toilette était une longue opération et qu'il fallait aussi lui limer les griffes. Elle se simplifiait la vie en hâtant les choses d'un petit coup de baguette magique occasionnel. De l'autre côté de la porte qui n'était pas fermée, elle entendit William et Ethan, qui venait d'arriver, commencer à discuter. Elle le héla de loin, d'un ton plutôt joyeux mais intransigeant :

- Hé, Ethan ! Ça suffit de bavarder, viens me donner un coup de main avec ce chat ! Il y a des poils partout qui n'attendent que d'être annihilés...

Comme elle brossait et recoupait le pelage fourni du chat, des poils tombaient forcément sur la table et par terre. Un petit coup de baguette magique arrangerait ça. C'était de la pure maniaquerie de sa part puisqu'elle pouvait s'en occuper après, mais de toute façon, par principe, elle ne laissait jamais son employé inoccupé. Ils avaient certes moins de travail que d'habitude avec ce petit supplément de main-d’œuvre, raison supplémentaire pour ne rien laisser au hasard...

- Et quand tu auras fini, tu t'occuperas des clients ! ajouta-t-elle comme elle entendait le tintement de la porte qui s'ouvrait.

Certaines décisions semblent parfaitement logiques. Tissées de fil blanc dans une stratégie définie méticuleusement. C'était le genre de décision dont on pouvait se demander pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt. Pourquoi il avait fallu autant de temps pour se rendre à l'évidence.
Pourtant, elle avait longuement hésité. Elle avait tardé à comprendre la nécessité d'un tel choix – elle qui était pragmatique, réfléchie. Et quand elle avait fait part à Yvain de son interrogation, elle avait ressenti une once de honte : elle se serait presque crue idiote. Il ne l'avait pas perçu ainsi, bien sûr, il était toujours élogieux ; il lui avait confirmé que le choix était avisé. C'était une bonne chose, de renouer avec sa famille.

Alors elle avait rédigé une lettre à la hâte et rassemblé ses affaires. Un dernier coup d'oeil à Alycia l'avait fait douter une nouvelle fois. Etait-ce vraiment une bonne idée de lui laisser les cachots libres ? Ses récentes prises de parole et son comportement – ainsi que celui de Marie étaient préoccupants. Ses jointures s'étaient blanchies plus que de raison à l'annonce du retrait des points si durement gagnés par leur maison. Et ce ne pouvait être le seul fait du décadent Zabini.
Il lui semblait que les garçons étaient réticents à l'idée de la voir les rejoindre. Alors que l'urgence du recrutement était toujours soulignée, l'opportunité de récupérer deux éléments pour le prix d'une ne les avait pas tant émus. Non, elle avait raison de se méfier. Elle lui écrirait, donc, à défaut de la surveiller, de l'apaiser. Telle une bonne amie.

Enfin, assise dans le train, ses inquiétudes se réveillaient. Alors qu'elle était seule et que défilaient paisiblement les vallons verdoyants du nord de l'Angleterre, l'angoisse lui serrait le coeur. Ça se passerait bien. Ça se passerait bien : c'était ce qu'elle se répétait. L'été, elle les subissait bien, également. Si elle se montrait bonne pâte, ils seraient agréables, non ? Ils ne seraient pas suspicieux. Parce qu'elle était sincère, de toute façon : il fallait conclure une alliance, tendre le brin d'olivier pour signifier l'espoir au coeur de ce marasme qui les engloutirait tous, s'ils restaient divisés.
Elle ne put s'assoupir. Et la redondance des paysages s'offrant à son œil pâle l'ennuyait. Aussi passa-t-elle le reste du trajet à réviser un traité de métamorphose. Elle devrait de nouveau en discuter avec Hope. Vraiment, elle ne saisissait pas.
Quand la dame du chariot-repas fit tinter sa clochette à la porte, elle lui répondit avec une politesse usuelle, un sourire fade marquant ses traits juvéniles. Elle était transparente. Lisse et belle, oubliée dès l'instant suivant par les passants. Une adolescente lambda, un peu timide, dirait-on. Non elle ne voulait pas de sucreries. Elle prendrait seulement un sandwiche triangulaire à l'oeuf brouillé. Elle n'en grignota qu'un, chassant fébrilement les miettes des pages de son grimoire. Le deuxième était encore sur la tablette quand le train arriva à King's Cross. Elle le fourra dans sa poche, ne pouvant l'offrir à Minerva.
Elle avait pris le soin d'envoyer sa chouette avec la missive. Au centre-ville de Londres, elle ne prendrait pas le risque de se déplacer avec un oiseau de nuit en cage. Elle ne portait pas de cape, mais un pull en laine épaisse sous un coupé printanier usé. Une jupe d'uniforme, et ses bottes habituelles. Rien d'extravagant. Aucun détail à relever. Elle se devait d'être transparente.

Sa valise légère sous le bras, elle se rua vers le métro, imitant la foule. Elle fut frappée de l'absence des punks dans la rame. Une vieille femme vêtue avec excentricité était dévisagée par ses voisins. Une femme plus jeune lui céda la place et aussitôt la suspicion régnait. Etait-ce parce que les couleurs qu'elle portait auraient pu faire croire à sa maîtrise de la magie ? Rien ne pouvait confirmer ses hypothèses et un commentateur plus bienveillant les auraient éludées d'un mouvement de la main. On se méfiait toujours des personnes étrangères : Roms, marginaux, sans-abris. Autrui bénéficiait rarement des bonnes grâces des passants. Aujourd'hui comme un an auparavant, ils auraient eu un regard torve.
Cette argumentation n'aurait pas convaincu Harmony.

Elle passa au Chaudron Baveur, saluant Tom – il la connaissait la petite, enfin elle et sa sœur, était-ce elle, Rose ? Non, c'était l'autre. L'autre sautillait, elle était très calme. Il l'aimait bien, elle était polie, pas très drôle, mais respectueuse. Elle se rendit rapidement à l'Animalerie magique – de toute façon, il n'y avait pas grand-chose à voir et ce qu'il y avait, elle le connaissait déjà, ou alors ça ne l'intéressait pas.
Avec une dernière appréhension faisant battre au creux de ses oreilles son sang, elle serra la poignée et entra. Le carillon signalant sa présence. Au milieu de la faune, pas d'humain.
Toutefois, la voix de sa mère lui parvint – elle devait s'occuper des bêtes à l'arrière ou faire du rangement dans la réserve. « Et quand tu auras fini, tu t'occuperas des clients ! » Peut-être s'adressait-elle à Ethan Dane. A moins que son frère ou sa sœur ne soient déjà rentrés. Elle déglutit en pinçant les lèvres – oh et puis ! Elle était chez elle, il n'y avait pas de raison qu'elle ait peur. Elle ne pouvait les craindre.
Minerva piailla pour la rejoindre et grignotait la poche de sa veste. Perspicace petite. Elle déposa sa valise et sortit de sa poche le pain de mie malmené. Elle ne lui en donna qu'une petite miette avant que sa mère ne la voit et ne la réprimande sur le régime alimentaire de l'oiseau. Alors elle s'annonçait.
« C'est seulement moi, Maman. » déclara-t-elle d'une voix forte.

La machine était lancée. Ensuite, advienne que pourra. Entre Ethan qui l'avait harcelée sur ses émois d'adolescente, son frère avec lequel sa relation se qualifiait de mutique et sa mère, toujours protectrice, exigeante, directe : elle ne savait pas dans quoi elle s'embarquait. Aucun scénario ne lui avait semblé convaincant.

Bon, au moins William semblait être en forme. Il avait aussi l'air très empathique à mon sujet. Genre j'lui annonce que je suis célib et tout de suite "Oh ? Y'a eu quelque chose ?". Hein ? Réaction normale ? Moi pas connaître.

-Moh.. Il était un peu distant en ce moment. Puis il est parti deux semaines sans prévenir, et il est revenu sans excuses, donc bon...

Bill fut très étonné quand je lui appris que sa soeur n'était plus forever alone. Héhéhé, l'effet de surprise. J'adore ça. Par contre, on aurait dit qu'il s'était pris un Stupefix en pleine poire. Alors j'agitai ma main devant ses yeux comme pour faire coucou. Oh putain, je devais être Merlin sans le savoir, parce que ça le ranima d'un coup. Oh my good, j'ai un pouvoir dans ma main ! Faut que j'en parle à personne, j'suis sûr que ça me sera utile !
Bref, le pré-pubère avait besoin d'être rassuré. Malheureusement il était mal tombé.

-Bah c'est vrai que t'es en pleine puberté là, et que c'est pas joli à voir. M'enfin, ça va s'arranger. J'espère pour toi en tout cas.

Et hop, Mammà Sharen ramène sa fraise. Bon, tant pis, j'fais un dernier signe de la main à Bill, vu que je n'ai plus le droit de parler. Avec ma main gauche hein, parce que j'avais peur de le blesser avec ma nouvelle main magique.

Bref, je me rendais dans la salle à côté et j'attrapai un balai avant de pousser les poils. Y'avait rien à faire donc autant passer le temps. Au pire, je pourrai valser avec le balai si jamais. Ouais, c'était bien de valser. Même si je ne savais pas faire. Et encore moins avec un balai.

La cloche sonna, signe que quelqu'un venait d'entrer. Mammà Sharen me demanda d'aller m'en charger, aussi je lâchai le balai, le laissant là où il était et fit partir les poils d'un coup de balai. J'entendis Bill aussi se ramener. Wsh, c'était quand même à moi qu'elle avait demandé !

Enfin, ce n'était que Harmony, donc pas un client. Donc l'ordre de Mammà Sharen ne marchait plus. N'empêche que je m'approchais d'elle et lui fit la bise, bousculant involontairement Bill au passage.

-Hey Harmomo ! Tu vas bien ? Ça fait longtemps.