Il était né, il avait été élevé et il mourrait dans la magie. Comme un étau mortel aux serres glaciales, ces mots résonnaient dans sa tête. Pire encore, cette pensée envahissait son esprit et tout son corps s'en trouvait engourdi, emprisonné par une étreinte au goût amer du désespoir. Le désespoir, voilà le mot. Ou plutôt un des nombreux qui lui venait et tambourinait dans son crâne sans cesse, à un rythme effréné. Ténèbres, noirceurs, ruines...
Apocalypse. Ce dernier mot, suprême, celui qui montrait la fin d'une ère, les ruines d'une civilisation jadis puissante mais aujourd'hui en proie à des intrigues sanguinolentes, le faisait frissonner à sa seule pensée. Inévitable, inéluctable, tel était la fin des sorciers, des sangs-purs. Une fois encore, il avait plongé dans ses doutes, dans ces froides incertitudes qui, l'embrassant de leurs lèvres envieuses, le laissait, là, en transe, à se morfondre d'une situation qui ne cessait d'empirer et dont la seule issue, la seule possibilité... C'était la fin. La fin pure et simple pour sa famille, ses amis, lui-même. La fin pure et simple qui attendait de les accueillir dans ses bras avides de chair fraîche, leur promettant la délivrance à leurs angoisses, leurs peurs les plus profondes.
Lettres en main, il s'efforçait alors de se sortir de cet état second pour s'évader, une nouvelle fois. Il était assis dans sa chambre, les posters s'animant, le sol jonché de plusieurs Gazettes du Sorcier et autres souvenirs. Les photos, les cartes, les lettres du passé l'attiraient, comme si elles seules, lui permettaient de fuir un présent bien trop cruel...
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Seize ans plus tôt, Jasper Lysander, destiné à devenir l'héritier d'une partie d'une famille de Sang-Pur voyait le jour, enfant d'Owen et d'Astra Greengrass. L'empire Greengrass flambloyait, l'aristocratie était au plus haut et occupait à tous les étages, les plus hautes sphères du monde magique. Et c'est dans ce contexte que Jasper fut élevé. Enfant adoré par ses parents, éduqué en respectant les principes, les us et les coutumes de l'aristocratie sorcière, il nageait dès le plus jeune âge dans une opulence teinté du prestige qui entourait la famille Greengrass, ce qui le privait de la moindre et la plus maigre des possibilités d'être dans le besoin. Le monde tournait, dans une harmonie relative mais Jasper n'avait à se plaindre de rien. Il était heureux, du moins, autant qu'il pouvait l'être.
Il n'avait pas besoin non plus d'assumer des responsabilités qu'il jugeait ennuyantes, inutiles, sans le moindre intérêt. Ce devoir revenait à Daphné Greengrass, sa cousine. Passer en second plan dans ce genre de mondanités si familières aux familles prônant le statut de Sang-Pur ne l'énervait pas, bien au contraire. Certains diront que par bien des aspects, Jasper différait en beaucoup de points par rapport à ce en quoi on pouvait s'attendre en parlant à un Sang-Pur, notamment par sa faculté à esquiver tout type de responsabilités. Dès qu'il était question de ces dernières, Lysander, de son second nom, semblait disparaître, purement et simplement, si bien que pour blaguer aux repas de famille, certaines de ses cousines parlaient d'un sortilège de Métamorphose particulièrement au point. Jasper, comme à son habitude, souriait car il portait, tout comme à ses amis, à sa famille une affection toute particulière.
Autre point rendant ardue la tâche de classer Jasper dans une case était qu'il parlait à ce que certaines des branches les plus extrémistes des Sang-Pur appellent les Sang-de-Bourbe. Certes, il ne s'affichait pas clairement au côté de nés-moldus, soucieux de ne pas faire éclater un scandale, d'autant plus un scandale ayant pour sujet principal lui-même. Mais Jasper, éduqué dans le souci des bonnes moeurs du monde éminent de l'aristocratie, trouvait ces idées de race supérieure ou de vol de magie complètement absurdes si bien qu'il n'était pas rare qu'il parle à des nés-moldus, voir même qu'il considère certains comme de ses amis.
Owen et Astra Greengrass, ses parents, s’inquiétaient des fréquentations de leurs fils, de ses habitudes, de ses études et surtout, des conséquences que cela pourrait avoir sur son avenir. Davantage encore, depuis le retour du Seigneur des Ténèbres, qui n'avaient aucune pitié face aux Traîtres à leur sang. Car, oui, Jasper Lysander Greengrass, héritier d'une respectable famille de Sang-Pur depuis des générations était de ceux-là. Comme l'avait été les Weasley, il savait avoir raison et que seul la peur de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ou du déshonneur, de l'opprobre que cela jetterait sur leurs familles empêchait les autres Sang-Pur de faire de même. Tous savaient plus ou moins dans sa famille proche. Les plus laxistes lui disaient de faire attention seulement, ses parents s'en inquiétaient grandement. Cela entraînait souvent des débats houleux et bien que l'attachement qu'il portait à ses parents était profond, Jasper savait qu'un jour ou l'autre, il devrait faire son propre bonhomme de chemin bien que la peur d'attrister ses parents le remplissaient de doutes et de remords.
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Un sourire se dessinait à présent sur ses lèvres, les rides soucieuses qui étaient apparus lorsqu'il pensait à ce qu'il allait advenir avaient disparus. A cette époque, Jasper était heureux, sans nul doute, à cette époque-ci et il avait encore quatre années devant lui avant que tout bouscule, tout s'arrête, que la face du monde qu'il pensait connaître se voile un instant et s'orne d'un sourire aux promesses macabres.
Avant qu'il n'arrive à ce moment-là, ici, assis dans sa chambre.
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Jasper se délectait du succulent petit-déjeuner qu'avait préparé Glaby, l'elfe de maison de la famille. Il entendait, derrière les murs de la maison, le gazouillis mélodieux des oiseaux perchés sur un arbre. A l'intérieur, crépitait un feu de cheminée qui propageait chaleur et réconfort dans toute la maison. Soudain, alors qu'il savourait une autre bouchée de ses si délicieux pancakes, entendit-il un bruissement d'ailes puis l'hululement d'un hibou. Se précipitant vers la fenêtre, et l'ouvrant de ce même élan où l'excitation fébrile qui l'avait pris se faisait ressentir, il déposait une noise dans la bourse du messager, lui caressait les plumes avant de s'emparer en douceur de la lettre que ce dernier portait.
Il ne s'était pas trompé, le sceau de l'école, là, frappé au milieu de la lettre lui confirmait. Il se mit alors à rigoler, les angoisses et l'excitation qui l'avaient assailli ces derniers mois d'attente s'évanouissaient, d'un seul coup. Dans deux semaines, il serait à Poudlard, l'école des sorciers, il retrouverait ses cousines, sa famille, se ferait des amis, apprendrait des sorts. Tout le fardeau qu'il portait sur ses épaules d'enfant de onze ans s'étaient volatilisé, comme par magie.
C'est le sourire aux lèvres, l'air confiant d'apparence pour masquer au mieux l'inquiétude qui s'était emparé de lui cette dernière semaine que Jasper accédait à la voie 9 3/4, sous le regard bienveillant de sa famille et s'installait dans un compartiment où deux élèves de son âge discutait. Ils se présentèrent et commencèrent à parler d'un ton enjoué, ce même ton dont discutait Jasper avec ses parents la veille. Cependant, en cet instant, il avait la gorge nouée : et si sa rentrée ne se passait bien ? Si, par malchance, le choixpeau ne l'envoyait nul part si ce n'est chez lui, parce qu'il était Cracmol ? Il serait la honte de sa famille, la honte de toute une génération. Il serait renié, et pire encore, banni. Alors qu'il se perdait dans ces doutes, une voix l'interpella :
- Et toi, Jasper ? Tu veux aller où, dans quelle maison ? Les courageux Gryffondors (le jeune homme bomba le torse et mima des exploits héroïques) ou bien...L'enfant qui lui parlait débordait d'énergie, mimant tous les qualités de chaque maison, une par une avant de regarder Jasper d'un regard qui ne trompait pas, il avait posé une question et attendait une réponse. Lysander répondit d'une voix égale, espérant ne pas être tombé sur des pro-Gryffondor ou des pro-Serpentard ou quelconque autre apprenti sorcier avide d'atterrir dans une maison en particulier.
- La majorité des gens de ma famille sont allés à Serpentard, donc j'imagine que le Choixpeau va m'y envoyer même si j'aimerais bien rejoindre les rouges et or...A dire vrai, rejoindre les Serpentards ne l'enchantait guère, bien qu'il y avait de nombreuses connaissances dans le rangs de la maison verte. Il n'écoutait que d'une oreille la conversation, trop accaparé à regarder l'agitation qui régnait dans les couloirs. Après quelques minutes, alors que les derniers bâtiments londoniens disparaissaient à l'horizon, noyés dans une brume épaisse, il se retournait et prenait part à la conversation, apprenait à connaître et apprécier ses camarades de compartiment. Après quelques heures, quelqu'un dans le bus avait crié de commencer à s'habiller, et toute trace d'angoisse disparue à force de discuter avec l'enthousiasme communicatif dont avait fait preuve le jeune garçon aux cheveux bruns, les trois jeunes hommes s'exécutèrent, fébriles à l'idée de faire leur rentrée à Poudlard.
Rien n'avait préparé Jasper à la vue du château. Baigné dans une nuit naissante, Poudlard se révélait dans toute sa magnificence ! Les tours se découpaient dans la brume, les lumières semblaient étinceler de milles feux, tout en ce lieu respirait la magie. Des arbres, jusqu'aux chariots avançant tout seul, des professeurs portant capes et chapeaux en agitant leur baguette et en appelant d'une voix amplifiée les différentes années, tout était rempli de magie. Jasper souriait, il aimait le spectacle qui s'offrait à lui, à voir les visages fascinés de certains premiers années, les lumières bouger, le lac qu'il allait devoir traverser sur des barques ensorcelées. L'enfant d'Owen et d'Astra se sentait dans son élément et ce qu'il voyait le fasciner, l'envoûter à tel point qu'il faillit ne pas entendre le professeur appeler les premiers années.
Ils marchaient dans l'obscurité, suivant les traces du professeur qui les avaient appelé. A mesure qu'ils approchaient du lac et du château par la même occasion, Jasper ne pouvait s'empêcher d'essayer de graver dans sa tête tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait. La traversée s'était faite dans le calme, tous les élèves restant bouche-bée devant l'édifice prostrée ainsi sur le rocher, surplombant de sa splendeur tous les environs, de Pré-Au-Lard qui s'étendait sur sa gauche, au lac et la forêt interdite. Tout semblait minuscule face au colosse de pierre à l'architecture gothique. Puis alors qu'il n'avait de cesse de s'émerveiller face au spectacle qui s'offrait devant lui, Jasper sentit la barque ralentir et s'arrêter dans un à-coup. Le chemin semblait avoir été taillé à même le rocher, montant dans les hauteurs jusqu'aux portes du château. Deux portes immenses faites de bois et cerclés de métal...
Alors que la tête de la file arrivait à leur hauteur, elles s'ouvrirent sans qu'un professeur ne mette un coup de baguette. Enivrés par le déroulement imminent de la Répartition, les élèves s'engouffraient dans le hall, s'arrêtant par instant pour se laisser le temps de découvrir et de comprendre ce que leurs yeux leur montraient. Même le manoir Greengrass n'était pas aussi énorme, aussi vaste, aussi haut ! C'est alors que la Grande Salle s'ouvrit, laissant entendre un brouhaha empli de cris de joies, de discussions, de rires. Là encore, les premiers années s'y engouffrèrent.
Quatre longues tables étaient disposés dans la salle, chacune surmontée de bannières au couleur des maisons. Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle et Serpentard. Puis alors, le silence s'installa et une voix s'éleva, une voix qui semblait émaner du chapeau, sale, rapiécé, déformé par les années qui était posé sur un tabouret devant l'estrade où les professeurs étaient assis.
Le Choixpeau magique. Jasper souriait. Après tant d'années à entendre ses cousines parlaient de Poudlard, des cours, de ses mystères, de ses intrigues, il était là aussi. Le Choixpeau entonnait une chanson, dictant les qualités exigés dans chaque maison. Tout cela, Jasper le connaissait à travers les récits des membres de sa famille.
Un par un, dans l'ordre alphabétique qu'énonçait le professeur qui les avait mené jusque dans la Grande Salle, le troupeau se vidait.
- Greengrass, Jasper ! Les regards tournés vers lui, il s'avançait à travers l'allée et s'asseyait sur le tabouret. On lui déposait alors le Choixpeau sur la tête. Ce qui se passa après ? Jasper s'en souvenait comme si tout s'était déroulé la veille et il devait l'avouer, le Choixpeau ne s'était pas trompé. Poudlard était devenu un second foyer où il savait avoir des amis...
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A ce souvenir, Jasper s'était mis à rire. L'angoisse qui l'avait submergé quand il avait pris le Choixpeau, que ce dernier s'était mis à sonder son esprit en se demandant où il serait le mieux, tout semblait désormais loin dans le temps mais le souvenir restait vif dans sa tête. Il avait vécu des années heureuses, quatre années où il s'était senti aimé, protégé. Puis le Secret avait été dévoilé, et l'équilibre déjà précaire où le monde magique se trouvait, dévoré par les conflits entre le Ministère et les partisans de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, avait été bouleversé. D'ailleurs, le Lord, selon Jasper, n'était qu'un taré de plus, un criminel en puissance qui ne méritait que de finir à Azkaban ou à l'Hopital St-Mangouste...
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C'était déjà il y a neuf mois que ça s'était déroulé. Jasper avait du mal à le croire, c'était arrivé d'un seul coup, sans prévenir. Le Secret dévoilé, au début, tout semblait n'être qu'un canular de plus, le genre qu'aurait pu faire Le Chicaneur. Mais alors, on avait vu des Moldus manifester, s'attaquer à des prétendus sorciers et sorcières, les tuer, les assassiner, les brûler. La Chasse aux Sorciers avait recommencé, des siècles après sa fin. Jasper en avait peur -en a toujours peur-, les Moldus pour la plupart étaient tolérants, simplement surpris et sans doute un peu effrayés... Puis, on avait vu des groupuscules se former et recruter, de plus en plus de monde, devenir des armées extrémistes, qui au service de la religion, massacraient et pillaient. Au fur et à mesure, la catégorie "Nécrologie" de la Gaztte, déjà conséquente, entre les morts étranges sans doute orchestrées par les Mangemorts et les batailles ouvertes entre ces derniers et les Aurors, s'était agrandi... La "Mort par voie Naturelle" n'avait guère plus de place, on voyait davantage de "Assassiné (Sortilège Impardonnable)" ou bien "Meurtre au couteau" ces derniers temps. Jasper ne savait plus où donner de la tête, le monde moldu l'effrayait, le monde magique était à tout jamais ébranlé, et ces deux mondes diamétralement opposés semblaient s'entremêler dans un ballet funèbre pour mieux précipiter leur chute respective. Un monde en ruines, voilà ce que la génération suivante connaîtrait... Personne n'était dans le bon camp, les sorciers perpétraient des horreurs au nom d'idéologies ou de sécurité, les moldus y répondaient en doublant de violence. L'ascenseur de violence ne semblait vouloir s'arrêter qu'au dernier étage, celui de l'auto-destruction... D'autant plus que, par son statut de Sang-Pur, il savait être désormais une cible de choix pour tous les camps, quel qu'il soit...
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La cinquième année à Poudlard avait débuté pour Jasper désormais. L'école avait ouvert plus tôt, par crainte des tensions. Cependant, il était bien décidé à continuer ses études et suivre l'actualité du monde de près, même si Daphné était parti du château précipitamment, ce qui n'était pas pour le rassurer quant à sa situation. L'aristocratie semblait être voué à disparaître, fatalement...