Concessions à la sagesse des fous - ft. Anastasiya Styrbjörn

Progresser était le seul mouvement convenable et désirable. Il ne s'agissait pour Harmony que de cela. Bien sûr on ne pouvait renier la tradition d'un bloc – néanmoins d'elle il ne fallait conserver que les bénéfices. La construction de l'Histoire ne se réalisait que par addenda successifs, elle n'était heureuse que par les revirements depuis une voie tortueuse. Elle ne niait pas ces égarements, au contraire, s'en instruisait. Et les excuses n'avaient de sens que si elle paraient les agissements fructueux. Refuser de se voiler la face, reconnaître que le chemin choisi avait perdu toute pertinence, mieux considérer ses options et choisir la meilleure. Ainsi seulement pouvait-on progresser.

Pour Harmony il ne s'agissait que de cela. Ses objectifs restaient inchangés, ses compétences n'étaient qu'accrues : elle offrait simplement son service à une autre Cause, ses mains à un autre projet. Elle ne saisirait pas l'ironie qui était celle de se croire mûrie, alors qu'un an auparavant elle approchait Yvain Gallant, dans le même but. Elle était persuadée du bien fondé de la démarche de son amie et de la capacité qu'elle en soutirerait à gravir des échelons tant désirés. Car elle avait bien soupesé les choses, n'est-ce pas. Le mouvement qu'elle intégrait n'avait rien à voir avec le précédent : il n'était mené que par Anastasiya et de par sa nature, également, ne supposait aucun ordre arbitraire.

Les deux jeunes filles mèneraient leurs camarades au progrès par leurs instigations à la réflexion. Rien n'était plus louable que de croire à la nature humaine et son potentiel intrinsèque. Elle pourrait se vanter auprès du professeur Slughorn de la volonté de tirer tous ses camarades vers le haut, leur proposer un horizon à définir conjointement et individuellement. Le monde magique ne pouvait en tirer que des bénéfices. Il s'élèverait. Ses membres s'appliqueraient à songer à leurs problèmes comme tant d'opportunités d'imaginer des solutions.
Partant la société magique ne sombrerait pas. Ses fondements ne seraient pas sapés par des années de refus de modernisation, par le reflux d'une eau poisseuse de paresse et de contentement. Sa structure cesserait de s'étioler et ne dissoudrait pas dans une soumission à la majorité qui l'avait devancée. La magie ne disparaîtrait pas, ne s'instrumentaliserait pas aux mains des froids et monstrueux Moldus.

Déterminée, Harmony approcha son amie, et s'installa dans un canapé, auprès d'elle. « Bonjour, Ana. Comment te portes-tu ? » Peut-être que tous s'Eveilleraient. Progresser était la seule voie envisageable.

HRP:

Il n’y avait qu’un seul sens proposé par la vie. Le temps ne s’arrêtait jamais, quoi que l’on puisse croire. Une minute faisait toujours soixante secondes, chez les moldus comme chez les sorciers, ici comme ailleurs. Tout ceci ne sont que des mots qui s’écrivent de mille manières différentes, toujours est-il que le temps passe, le signifié transcende le signifiant qui est incapable de dominer son sujet. La vie n’était qu’une lutte acharnée entre l’existence éphémère de l’être humain et sa volonté de graver son nom dans l’Histoire infinie qui ne prend fin que lorsque le monde entier disparait, lorsque le dernier souffle de la vie sortira de cette bouche grisâtre et amaigrie, amaigrie par la faute de cette végétation traîtresse qui a noirci à tel point que tous ses fruits ont pourri, pourri par le temps qui inculque des concepts insensés à l’humain qui est prêt à détruire pour exister, s’épanouissant dans le luxe
et les quêtes de pouvoir insensées.

Toutes ses idées se bousculaient dans des collisions brutales qui nourrissaient la réflexion intense à laquelle s’adonnait Anastasiya, ce fil fin et pourpre qui glissait entre ses doigts fins, comme le symbole de ces nœuds indéfaisables et pourtant si simples à comprendre.

Les intentions d’Anastasiya se basaient sur des valeurs profondément altruistes. Offrir à chacun une chance d’exister, que toute personne puisse saisir la pertinence de son existence pour vivre pleinement et ne pas finir ombre d’un autre. La question de son enrichissement personnel revenait sans cesse au cœur des problématiques qu’elle pouvait rencontrer. On l’écorcherait sans cesse sur ce point très précis et en tant que meneuse, elle serait évidemment cibles de critiques et d’interrogations. Anastasiya avait fini par accepter les véritables raisons de son énergie à défendre ce projet qu’elle créait de toutes pièces.

L’Eveil du monde était, bien sûr, dans ses objectifs et les mots qu’elles répétaient sans cesse pour convaincre les gens de penser à eux avant toutes choses ne pouvaient pas mentir sur les bons sentiments fondateurs du projet. Pour autant, Anastasiya y trouvait aussi une récompense. L’argent l’intéressait tout aussi peu que l’amour des autres, elle laissait tout cela aux frêles esprits sans épaisseur. Non, rien ne pouvait être meilleur que cette sensation d’avoir trouvé une utilité sur cette terre et d’assister au pouvoir d’éveiller les consciences pour faire d’eux des êtres meilleurs, des sorciers et sorcières qui bâtiront le monde de demain, une société, au moins un peu, plus maligne et aux initiatives individuelles plus riches.

Cet Eveil devait fonctionner comme un virus. La contagion ne devait jamais s’arrêter, les idées devaient naître d’une personne à l’autre et germer petit à petit, même si cela devait prendre des années. Anastasiya savait pertinemment qu’il faudrait des années, des décennies et peut-être des siècles pour pouvoir observer des sociétés fières et debout qui ne s’agenouilleraient pas devant la première personne de caractère qui déciderait de détruire l’humanité.

Toutefois, plus il y aurait de contaminateurs, plus cet Eveil serait transmis de personnes en personnes, l’idée était là.

Le fil ne bougeait plus, Anastasiya avait été rejoint par le premier élément de cette construction ambitieuse.

« Bonsoir, Harmony. Pour toute dire, je pensais justement à toi. Plus ou moins en tout cas. »

Dans le petit salon aux bois vernis et aux coussins satinés, Anastasiya était installée, l'air de rien – et sa figure aux traits lisses représentait la surface, en réponse à la vue donnée des abysses tumultueuses, derrière elle. Harmony ne pouvait douter de son activité ; elle ne pouvait être banalement assise là. Rien n'était banal, chez cette amie aux mots soupesés, dissimulant dans leur économie la richesse de ses idées s'entrechoquant.

Au salut, la brune répondit par une négative. Il ne faisait plus jour pour elle. Interloquée, Harmony s'assit en pinçant les lèvres. Se jouait-elle d'elle ? Son ton ne pouvait le laisser supposer. Bien qu'elle fut son amie la plus proche, Anastasiya restait difficile à lire et toute gêne n'était pas disparue, des mois après leurs retrouvailles. Elle n'était pas sur la sellette : l'aveu de confiance au Chaudron Baveur devait l'en convaincre. Toutefois encore, Harmony sentait un vacillement dans ses tempes. Elle devait faire ses preuves, un jour après l'autre.

Il n'existait rien d'autre que des échanges entre toute personne et ceux qui croyaient à un altruisme désintéressé étaient soit fous, soit exceptionnellement idiots. Dès lors elle ne pouvait concevoir que cette amitié offerte était dénuée d'attentes. Il lui fallait être parfaite afin qu'elles en retirent toutes deux le bénéfice souhaité. Et celui-ci trouvait une forme projetée dans l'ambition d'Anastasiya de fonder un mouvement d'Eveil des consciences.

« Ah bon ? A quoi songeais-tu ? » Cette question était parfaitement logique et témoignait de toute la créativité dont était capable Harmony Sharen. Au point d'interrogation se posait surtout la teneur de la réponse. Soit son aînée tairait tout dans une formule énigmatique, soit elle ferait preuve de mansuétude envers l'esprit plus simple de la préfète par un discours clair. Rien n'était moins sûr.

En effet, elle ne se contentait de rien – c'était ainsi que la définissait la blonde – et ce stimulus permanent devait l'élever à ses côtés. Harmony savait bien pour quelles raisons elle se tenait là, dans ce cercle infranchissable pour bon nombre de leurs camarades. Elle méritait cette place toute particulière et avait les capacités de tout faire. C'était bien en cela que les jeunes filles se ressemblaient : le monde n'était pas assez vaste pour elles.

A force de travail, aucune limite ne pouvait lui être posée. Ainsi lorsque la magie lui avait fait défaut, Harmony s'était entraînée, comme une forcenée, jusqu'à produire les premières étincelles. Elle avait caché à ses semblables la faille, usant d'ingéniosité et de prétextes. Et dans la pénombre de sa chambre, elle avait insisté, sans autre fin possible que la réussite.

Fin octobre, elle pensait avoir passé un cap, mais redoutait toujours les cours de sortilèges ou pire encore, de métamorphose, matière dans laquelle elle avait toujours des difficultés. Ce qu'ils apprenaient en vue des BUSEs se montrait de plus en plus complexe et les dernières barrières de son blocage estival lui opposaient encore quelques déconvenues.
Dès lors que ce problème serait du passé, elle n'y songerait plus. Néanmoins, en l'absence d'une solution stable déjà découverte, Harmony se questionnait sur les causes troublantes de son incompétence passagère.

Comment gagner tant que des idiots peuvent régner ? La société sorcière jamais n'avancerait, empêtrée qu'elle était dans ses tourments séculaires, incapables de prévoir, de mesurer l'accélération des connaissances de son tout, de son autre, de ces Moldus qui avaient paré à leur incompétence magique par leur incessante quête de progrès. Voilà désormais qu'au-delà de leur supériorité numérique, ils avaient établi leur puissance débridée. Les sorciers copiaient bêtement, mais où était l'innovation ? Que devenait la recherche ? Certes une université avait ouvert ses portes au Pays de Galles l'année passée mais elle avait fait plus parler d'elle pour ses événements mystérieux – d'ailleurs symptômes de l'absence totale de maitrise par les sorciers de leur art et de leur environnement – que par les découvertes de ses professeurs et étudiants.

Cela faisait enrager Harmony. Elle était persuadée que leur communauté se dissoudrait dans l'acide Moldu ou, pire, serait asservie par ces créatures obtues et bien trop rationnelles pour accepter l'existence d'une mystique s'affranchissant de leur logique tant vénérée.
Il fallait éviter cette situation. Le retour au secret avait été la première étape nécessaire. Désormais il fallait agir pour que les sorciers cessent de se délasser dans leurs crasses turpitudes et voient au-delà. Dans cette période trouble, nombreux seraient les chamanes aux paroles transcendantales, les meneurs d'hommes ayant découvert une portion de leur charisme, les fauteurs de trouble prompt à profiter du désordre pour convertir les esprits faibles et se servir de leurs maigres ressources. Ils verraient leur intérêt, là où Dumbledore et Voldemort avaient fini malgré eux par sonner du cor.

Anastasiya présentait, elle, un projet profondément idéaliste – et Harmony n'avait pas manqué d'être étonnée de voir son amie animée d'espoirs si grands, à son énoncé. Elle cherchait à se démarquer, à faire que chacun puisse s'éveiller et penser par soi-même, pour construire enfin une société dynamique et qui avancerait. La préfète de Serpentard se le disait : elle seule peut voir plus loin que là où son esprit porte. Et par sa dévotion elle allègerait le fardeau pour qu'un autre espoir l'emporte.
Pour cela, elle aurait besoin d'aide. Elle ne pourrait mener la marche seule. Il faudrait déblayer le terrain, écarter les branchages aux épines griffant par plaisir de voir à terre les peaux rougies. Il faudrait lui ouvrir la voie. C'était le rôle qu'Harmony s'était assigné, le jour où Anastasiya lui avait pris la main.

Elle observait le fil dans les doigts fins de celle qui lui tenait des propos nébuleux. Il était rouge et la blonde se demandait d'où il pouvait bien provenir, alors que tout dans cette pièce était teinté de vert et de morillon. Il ne lui semblait pas non plus qu'Anastasiya se vêtissait de tenues pourpres. Laissant le temps à son amie le temps de développer ses idées, Harmony puisait dans ses souvenirs, incapable de l'imaginer avec un habit de cette couleur. Quoique, à la réflexion, les teintes grenat devaient flatter son teint.
Peu importait, cependant, il lui paraissait étrange de la voir ainsi jouer avec un objet aussi futile. A moins que cela n'ait un sens ? Elle ne pensait pas Anastasiya distraite, elle se concentrait forcément indépendamment de toute référence matérielle. Et puis elle était ordonnée. Elle ne laisserait pas trainer un fil comme cela, elle l'aurait jeté immédiatement. Non vraiment, Harmony était perplexe.

Et Anastasiya reprit la parole, mettant fin à l'aporie futile à laquelle se livrait Harmony. « Je vois. J'y ai songé souvent et nous devrions avancer. Je veux bien jouer les objecteurs, ça me va bien. A quoi pensais-tu, par exemple ? » Autant entrer directement dans le vif du sujet. Elle n'était pas là pour débattre de théorie, ça ne l'avait jamais intéressée. La flatterie la touchait évidemment, comme toujours. Ces petites confirmations de ses qualités étaient un moteur certain.

Aussi lorsqu'Anastasiya aborda la question épineuse de l'aubépine récalcitrante, Harmony eut un rictus. Elle savait très bien que le problème ne résidait pas dans le bois de sa baguette. C'était bien sa magie qui ne répondait pas correctement. Harmony avait aussi tenté de trouver des réponses dans les livres, mais aucun n'avait su lui donner une piste convaincante. Sa vulnérabilité, elle l'avait révélée d'elle-même à Anastasiya. Toutefois, la gêne vint marquer ses pommettes.
« Eh bien » commença-t-elle. « Ce n'est pas à proprement parler ma baguette qui pose problème. C'est... moi. J'ai du mal à stabiliser ma magie. » Elle soupira. Encore maintenant, elle était épuisée à la fin de la journée, ses difficultés l'obligeant à fournir des efforts colossaux. « Ça date de la bataille. Pourtant je n'ai pas été blessée, je n'ai reçu aucun sort perdu. Rien dans ce que j'ai lu ne l'explique. » Elle hésita, sceptique. « La seule piste est... l'ancienne magie. Mais je ne comprends pas. » C'était bien trop mystique et troublant pour son esprit méthodique, insensible selon elle aux superstitions et à la destinée fantasmée.

Tout n’était que question de temps, et celui-ci s’échappait bien trop rapidement. L’Eveil devait s’opérer rapidement sans quoi l’espace propice à sa création serait lieu fertile pour un autre projet, une autre personne, qui n’aurait pas forcément les mêmes valeurs qu’Anastasiya et qui pourrait tenter et réussir de reprendre la main sur les anciens partisans qui se retrouvaient perdus, plus facile à cueillir qu’auparavant puisque étêté suite à la chute brutale de leur chef. Les esprits étaient faibles, plus encore après de tels évènements et, sans la moindre pudeur, Anastasiya savait qu’il fallait en profiter tant que cela lui était possible. Elle comptait lancer très bientôt des réunions, des conférences, des groupes de paroles, peu importe la forme concrète de ces manifestations tant que les idées de l’Eveil s’épancheraient d’un élève à l’autre, confectionnant au fil des paroles de nouveaux éveillés qui rependraient, à leur tour, ces convictions portées avec force par Anastasiya.

Sans la moindre surprise, Harmony avait répondu positivement aux demandes de son amie, c’était une évidence. Il aurait été tout à fait étonnant qu’elle se positionne différemment, malgré un attachement sincère l’une pour l’autre, Anastasiya avait toujours eu cette tendance à prendre les initiatives et à mener, là encore. Cette nouvelle enchanta la créatrice de l’Eveil dont les pensées redoublèrent, matérialisant avec syntaxe les hésitations qui la troublaient depuis la nuit. Tout ceci s’arrêta nette à la deuxième réponse d’Harmony. Si le temps passait bien trop vite, il fallait toutefois l’utiliser à bon escient, plaçant chaque sujet selon leur priorité. Les soucis que rencontraient Harmony intriguèrent et alarmèrent son amie qui se mit à regarder dans le vide, en réfléchissant.

C’était un problème tout à fait singulier dont on ne parlait presque jamais. Certains étaient touchés en conséquences de sorts reçus ou par simples maladies ou dégénérescences mentales, ce qui ne semblait pas être le cas d’Harmony. La réponse était pourtant dans ses propos, consciemment ou non, l’origine de ces maux était connu de la malade, et désormais de son interlocutrice. « La bataille ». Elle n’avait aucun doute sur le commencement de ses soucis mais n’arrivait pourtant pas à cerner l’évidence. Pour Anastasiya, tout fut clair à l’entente de ces mots prononcés de vive voix mais rappeler cette période trouble engageait aussi à reparler de leurs propres conflits, ce qui déplaisait fortement à la sorcière au projet fou.

Ce problème devait être résolu, c’était une urgence. Si cela allait gêner Harmony dans son année scolaire, ça aurait surtout le don de la tracasser, diviserait son attention et perturberait la confiance qu’elle peut avoir en elle. C’était un fléau qui avait déjà pris bien trop d’ampleur dans l’esprit de la jeune fille qui paraissait déjà toute confuse. Anastasiya ne prit pas en compte cette histoire d’ancienne magie, pas même une seconde. Pour elle, la magie n’était qu’un outil qui prenait forme par l’unique force du caractère, si elle était instable, la source venait sans aucun doute des pensées de son amie.

« Un conflit bien trop ancien déchire ton esprit, Harmony. » commença-t-elle, les yeux toujours plongés dans la vacuité du décor qui l’entourait. Leurs corps, leurs enveloppes charnelles n’étaient, eux-aussi, que des outils et à ce moment très précis, seuls les mots et les réflexions existaient réellement. « Je ne pourrais pas te jeter le moindre sort impardonnable, même si tu me le demandais. Je n’en ai pas l’envie profonde, cette volonté ne serait pas mienne. En cela, ma magie serait vaine, sans puissance et ne te couperait pas un cheveu. Les sortilèges ne sont que des chemins, des voies aidant la magie à s’extirper de notre corps, du profond de notre être. Ce n’est pas ta baguette qui ne t’obéit plus, c’est ton âme elle-même. »

La voix d’Anastasiya avait perdu sa force, finissant presque dans un murmure. Comment pourrait-elle aider son amie à retrouver la conscience tranquille et juste ? Cette question la troublait profondément et aucune réponse concrète ne lui convenait. C’était grave sans l’être, ce tracas était loin d’être irréversible… Pour l’instant.

A ces quelques mots, le visage froid d’Anastasiya se retourna vers son amie, lui offrant un sourire désolé.

A l'interpellation franche, directe, Anastasiya opposa un crochet et refusa d'y répondre simplement parce qu'à la fois la logique et la bienséance l'y enjoignaient. Harmony attendit, puis se redressa et s'appuya contre le dossier du fauteuil. La frustration agitait ses doigts posés à plat sur le tissus lissé de sa jupe d'écolière. Il ne lui revenait pas de détourner son amie du flux de ses pensées. Elle les délivrait, l'une après l'autre, selon son bon vouloir. Nul autre ne saurait dévier le cours de sa volonté ; et si ce constat faisait bouillir l'impatiente dans les veines de la blonde, il attisait l'admiration qu'elle lui vouait.

Aussi, elle se résignait. Ses yeux pâles sondant le regard de celle qui menait le jeu. Elle se plierait à répondre à son prochain mouvement, elle le suivrait. Et sans plus de manière, Anastasiya annonça la couleur. Elle voulait élucider les problèmes qu'Harmony avait mentionnés dans ses lettres.
Embarrassée, la blonde extirpa de sa manche l'aubépine chérie qui avait fort à faire avec l'instabilité du flux qui la traversait, ces derniers mois. Elle tenta donc, en limitant les balbutiements, d'expliquer qu'il ne s'agissait pas tant d'un manque de réactivité de son catalyseur magique, que d'un souci plus profond. La difficulté était ancrée en elle-même, scellée au lendemain d'une date que tous connaissaient.

Ses iris clairs s'agitaient ; il fallait mettre de l'ordre dans ses pensées, dans les bribes de solutions qu'elle avait entrevues sans pouvoir s'en satisfaire. Le problème résidait en elle, en sa chair et son esprit. Elle en connaissait l'origine temporelle sans saisir la nature de l'affection dont elle souffrait. Certes l'affliction du deuil l'avait touchée, tout comme tant d'autres, et le fait de se remémorer les traits d'Yvain restait douloureux. Cependant elle refusait de se qualifier d'une émotivité telle qu'elle perdrait le contrôle de son pouvoir, dès lors qu'un être aimé disparaissait. Ce n'était pas elle, elle le savait. Cela ne pouvait donc expliquer la corrélation bizarre ainsi observée.
Elle osa mentionner l'ancienne magie. Ces mots étaient apparus au cours de ses lectures, sans qu'elle sache bien quoi en faire. En effet, ils s'approchaient davantage de la superstition que d'une science magique intéressante. Certes la magie était un flux d'énergie qui les parcourait, eux, qui par leur sang ou leur disposition particulière, héritaient de ce don. Elle savait aussi que l'usage des baguettes n'était que relativement récente à l'échelle de l'histoire du monde sorcier. Dès lors la magie pouvait s'exprimer en dehors de l'usage de la férule et imprégner leurs actions ainsi que leur être. Mais pour quelle raison ? Ceci restait parfaitement obscur.

Elle accouchait de ces quelques pistes, les soumettant au jugement de son amie. En quelques mots, Anastasiya acheva de bouleverser la préfète des Serpentards. Elle pointait un conflit intérieur qui remuait son esprit ; celui entre le chemin des Ténèbres et l'autre, à n'en pas douter. L'essence du bois qui roulait entres les doigts d'Harmony rappelait la nature conflictuelle de sa maîtresse. Interloquée, Harmony pencha la tête, curieuse d'autres précisions.
Anastasiya se prit en exemple pour formuler avec douceur et désolation sa réponse. Les sortilèges impardonnables avaient été au programme de l'enseignement que Gabrielle Rosier avait prodigué à sa jeune élève. Harmony en connaissait toute la théorie mais n'avait eu l'occasion de les essayer sur quiconque. Toutefois, l'idée ne la répugnait pas. Ils étaient des moyens d'agir comme toute autre magie et, usés dans les conditions adéquates, ils remplissaient des missions qui étaient favorables ou non à la société qu'en fonction du but poursuivi. Rien que leur qualification signifiait la valeur immorale qui leur était donnée, sans autre forme de procès. Ils étaient considérés comme irréparables et pire, comme impardonnables. On ne pouvait se racheter de la faute commise par simple production d'un tel sortilège. C'était se frapper d'un cachet morbide que d'y recourir, dans un monde qui refusait de réfléchir.
Pour autant, Harmony ne voyait aucune idiotie candide dans les propos de son amie. Il était normal que les tâches soient réparties. Les visionnaires n'avaient pas à s'acquitter des tâches concrètes qui les hérissaient. Ce n'était pas leur rôle et c'était bien pour cela qu'ils n'allaient jamais seuls. Il leur fallait toujours des mains – Harmony hocha la tête.

Ce que soulevait Anastasiya était généralement intéressant : la magie n'était que l'expression de la volonté de l'être qui la maniait. Pour cela, certains étaient incapables de faire fonctionner une magie noire exécutée toutefois dans les règles de l'art. Ce serait donc la volonté d'Harmony qui serait troublée. Et puis le couperet tomba : l'âme d'Harmony ne lui obéissait plus.
Son mouvement de recul accompagnait celui de son esprit qui cherchait à saisir l'ampleur de cette affirmation murmurée. Bouleversée, Harmony déglutit et fixa son regard clair sur ses genoux. Loin du sourire las et empli de pitié de sa si forte amie.

Pourtant, quelque chose lui semblait irrésolu. Elle n'était pas certaine de vivre le conflit ainsi décrit. La magie noire ne la rebutait pas plus qu'avant. Toute magie était bonne pour le but qu'elle servait, selon elle. Ce n'était pas la chute d'un mage noir aveuglé par la quête de pouvoir et d'absolu au détriment de ses semblables qui allait changer ce constat. « Je ne sais pas, Ana. Je ne crois pas que le bien et le mal se battent dans mon esprit. Je ne crois pas que le monde se divise en noir et blanc et mes priorités sont claires. Je me suis trompée de camp, très certainement mais... » Elle s'interrompit, songeuse. « Tu crois que la culpabilité peut faire cet effet ? »
Elle étudiait avec soin les reliefs de sa baguette. « Je me suis sentie impuissante, incapable d'agir. Pour protéger les miens. En résultat, je le deviens effectivement. C'est cocasse, mais est-ce que cela a un sens ? » Elle s'en était voulu, au point que son cœur lui était arraché dès que le prénom était imaginé, au point que ses yeux se desséchaient. Au point que plus rien n'avait de sens et que son âme était foudroyée, paralysée. Mais pourquoi ?