À baguette éreintée, coquillage à demi.

24/07/2016

« Ce n'est pas raisonnable, Pippa. »

La voix réprobatrice de ma mère me tourne encore et encore dans la tête, alors que je quitte l'hôtel pour descendre vers la plage. Je sais au fond de moi qu'elle a raison, et qu'il est stupide de séjourner à quelques centaines de mètres seulement de ma future université, de dépenser de l'argent inutile pour me tenir éloignée d'un château dans laquelle ma chambre est déjà prête. Elle a beaucoup regretté mon départ de Manchester, et mon retour dans le monde des sorciers. La lueur de déception dans son regard m'a transpercée, m'a donné l'impression d'avoir raté un échelon important, déçu ses espoirs.

Je me passe une main dans les cheveux, comme pour me redonner contenance, alors que personne bien sûr ne se préoccupe de moi. Un petit rire m'échappe, je suis ridicule. J'essaie de me convaincre que ce nouveau départ est une bonne chose, un petit coup de pouce du destin pour repartir sur la bonne voie. Bien sur, je ne crois pas au destin non plus ; j'ai simplement raté mon retour dans le monde des moldus. Je suis, encore et toujours, une sorcière. La magie et sa culture me colle à la peau, sans que je parvienne à m'en défaire. C'est terriblement frustrant, et terriblement séduisant en même temps. La différence ne m'a jamais dérangée, en revanche, j'ai toujours regretté de ne pas la comprendre.

Je sors ma baguette comme si je la voyais pour la première fois. Immobile, les pieds profondément enfoncés dans le sable chaud, j'observe ce bout de bois d'apparence inerte, mais que je sens vibrer doucement dans ma main, comme un moteur qui se remet tendrement en route. Quelle ironie, vraiment, de comparer une baguette magique – si irrationnelle – à un moteur – si explicable. Cette étincelle de vie me réconforte néanmoins, tout en faisant naître une nouvelle vague de doutes. Je n'ai jamais été une sorcière hors pair. La magie s'est donnée à mon corps, mais refusée à ma tête ; je m'y étais habituée, à Poudlard. L'adolescente enthousiaste, mais moyenne, toujours assise au milieu de la classe, grattant sagement le parchemin sans faire de vagues. À l'époque, je n'étais jamais sûre de réussir un sort avant de l'avoir lancé. À présent, je n'étais même plus certaine d'en être capable tout court. Je n'ai plus utilisé ma baguette depuis mon dernier examen d'Aspic. Une baguette peut-elle dépasser sa date de péremption ? Tomber en panne ? Cesser de fonctionner après une trop longue absence d'utilisation ?

« Accio ! »

J'ai visé un coquillage devant moi, les yeux fixés sur ma baguette. Je ne suis pas surprise par l'échec, bien qu'une vague de déception me douche froidement. J'ai probablement été idiote de m'inscrire dans une université magique sans être capable de lancer de sorts. Peut-être mon choix de cursus me permettra-t-il de cacher mon handicap pendant quelques semaines, avant d'être virée sans doute. Quoique. Un apothicaire n'est pas forcément mauvais parce qu'il est diminué de la baguette. Un nouveau rire nerveux me secoue la poitrine.

« Accio ! »

La nervosité n'a pas fait trembler ma voix, l'a rendue plus haute cependant, comme un couinement de douleur. Cette fois, le coquillage vole vers mon visage et me heurte en plein front. Je suis froidement douchée à nouveau, mais par la gêne cette fois. Dans ma main, la baguette pulse comme un cœur soumis à l'effort.

« Tu te fous de ma gueule c'est ça, vilain morceau de bois !? »

Je soupire de dépit, avant de me pencher et de ramasser l'assaillant coquillage, brisé en deux par l'importune rencontre avec le haut de mon crâne.

« Au moins un token d'un sort réussi par la grandiose, la flamboyante, Pippa Funnel. »

Au moins, personne n'a été témoin de mes infortunes. N'est-ce pas ... ?

29/07/2016

À baguette éreintée,
Coquillage à demi
Clemens Neubach

Je me promenais tranquillement le long du bord de mer à Avalon. Ce village qui regorge d’histoire et de magie, alors qu’à la base, ce n’était pas du tout le cas. Une fois mes emplettes terminées, je décidais d’aller me balader pour admirer le paysage ? L’air était très doux pour un mois de Juillet, ce qui était bien mieux qu’une forte chaleur écrasante. Ne sachant pas réellement où aller, je me contentais de marcher le long de la plage, perdue dans mes pensées. La mer était calme, seulement ballotée çà et là par quelques fines brises de vent.

Portée par mon élan, j’étais arrivée près d’une personne, jeune de toute évidence, qui jouait avec sa baguette. À mon avis, elle devait bien s’ennuyer, assise seule, sur la plage, à faire léviter des coquillages. M’enfin, ça peut arriver à tout le monde. Mais, à y regarder de plus près (et discrètement, cela va sans dire) je remarquais qu’elle avait quelques faiblesses. Même si ce mot ne convenait sans doute pas, vu qu’elle n’arrivait même pas à utiliser le sortilège d’attraction. Comment cela pouvait-il être possible ? D’après son apparence, elle devait avoir la vingtaine. Elle n’était pas une simple gamine faisant mumuse avec la baguette de ses parents. Je ne comprenais pas…

Je m’approchais d’elle pour tenter d’en savoir plus lorsque son sortilège fonctionna enfin ! Même si c’était un bien grand mot, vu le résultat. La pauvre devait avoir eu mal. Résistant à l’envie de rire, j’arrivais discrètement à sa hauteur.

- Excuse-moi jeune fille, mais… Tout va bien ? Lui demandais-je poliment.

De nombreux facteurs peuvent expliquer une perte de magie, une maladie, un mental éprouvé, des contrariétés… Elle n’avait plus l’âge d’aller à Poudlard, elle devait donc avoir terminé ses études. Si tant est qu’elle les ait réussies, vu ses problèmes… Mais bon, en tant que professeur à Haveirson je me devais de l’aider. Si elle acceptait, bien entendu.

24/07/2016

Je sursaute violemment et laisse choir le coquillage à mes pieds. Évidemment, il était impossible que je sois seule sur cette plage, au milieu d'un après-midi ensoleillé, et que nul n'ait assisté à mon infortune. Je ferme les yeux une seconde, gênée et confuse à la fois, avant de me pencher pour me ressaisir de mon butin, espérant m'être reconstitué une contenance alors que je fais face à mon témoin. Il s'agit d'une femme, jeune et élégante. Son regard rieur est posé sur moi avec une certaine bienveillance et d'une certaine forme de … curiosité ?

Bravo Pippa, te voici transformée en animal de foire pour les locaux. Eh, regardez, il y a une jeune sorcière sur la plage, déjà vingt ans et plus capable de lancer un sortilège ! La pauvrette…

« Oh bonjour mademoise… madame ! »

Encore un impair, décidément, tu collectionnes.

« Tout va bien, oui, ne vous inquiétez pas ! Ma baguette est un peu… capricieuse. Je ne l'ai pas beaucoup utilisée ces derniers temps, et je crois qu'elle me le fait un peu payer. Heureusement elle n'est pas très puissante. »

J'affiche un sourire un peu crispé. Enfant, j'avais été très vexée de découvrir que le cœur de ma baguette passait pour un peu faiblard, facile à maîtriser pour tout un chacun. J'avais encore des envies de grandeurs et d'éclats à l'époque, mais face aux difficultés que j'avais rencontré pour lancer des sortilèges, je m'étais rapidement satisfaite que ce soit cette baguette qui m'ait choisie. La honte de mes échecs étaient suffisamment brûlante pour ne pas me donner envie d'affronter le challenge d'une baguette houleuse et indépendante.

« Un peu d'entraînement suffira à remettre tout cela en place pour la rentrée. Enfin, j'espère. »

Je force un rire un peu artificiel. Je ne peux vraiment cacher une lueur de crainte dans mes yeux, alors que je m'efforce de rencontrer le regard de mon interlocutrice. Ce n'est pas sans raisons que j'ai tenté de fuir le monde magique, tenté de me réaliser dans un univers explicable et rationnel. Ma magie a toujours été trop erratique, trop incontrôlée et incontrôlable. L'entrée à Haveirson m'emplit de désarroi.

« Quelle impolie je fais. Je me présente, Pippa Funnel. Je me suis récemment inscrite à l'université d'Haveirson, dans le cursus d'apothicairerie… Je ne suis pas trop une lanceuse de sortilèges, comme vous avez pu le constater. Je découvre la région en attendant la rentrée. »

Bravo, maintenant, tu te transformes en pipelette. Qui te dit que ça l'intéresse, ton histoire ?

Je lui tends la main avec une seconde de retard, avec une mine finalement enjouée. Ma bonne humeur finit toujours pas reprendre le dessus, même dans mes moments de honte. Après tout, ils ont été nombreux à Poudlard, à force, je pensais m'y être suffisamment habituée pour accepter qu'ils fassent partie de moi. Manchester semblait avoir remis tout cela en cause. La sorcière devenue moldue, la moldue toujours restée sorcière. Quel paradoxe.