[ALEA] Le temps des dinosaures - LIBRE

10 août 1997 – Vers 10h du matin



Il faisait une chaleur à crever. Littéralement. Et le mode constructif des bicoques magiques alignées le long du Chemin de Traverse n'aidait absolument pas. Elles étaient en bois, non isolées, alambiquées et le sol était couvert de tapis épais. Autant dire que lorsqu'on dormait dans une chambre mansardée, dans un établissement qui hébergeait une faune diverse et nombreuse, émettant une chaleur supplémentaire, les nuits d'août n'étaient pas des plus agréables.
Harmony s'était levée aux aurores, la tête embuée, son drap roulé en boule auprès de ses pieds, les cheveux collant à sa nuque : résultat d'un sommeil agité. Elle avait rejoint sa mère pour nettoyer les cages, ouvrir grand les fenêtres et, à l'aide de sortilèges, aérer la boutique, où régnait une odeur pestilentielle, encore amplifiée par la chaleur.

Elle voulut, après avoir englouti son bol de porridge, trouver un endroit frais. Malheureusement, la librairie constituait un bien piètre refuge : le soleil écrasait également ses rayons sur les tuiles et la carcasse en bois du bâtiment, laissant l'air enfler entre les rayonnages poussiéreux. Au lieu d'être une oasis ombragée, l'établissement devenait asphyxiant.
La seule solution que voyait Harmony était de retrouver le monde Moldu.
Encore un témoin de la déchéance de leur civilisation sorcière, à des kilomètres derrière la société non-magique : les magasins de Londres étaient climatisés. Ce qui signifiait qu'alors que les sorciers suaient, retranchés chez eux, s'ils avaient le malheur de ne pas disposer d'un manoir en pierre de taille, les Moldus allaient faire les boutiques et boire un verre de soda glacé dans des restaurants agréablement rafraîchis.

Harmony, vêtue de la plus légère de ses robes, fleurie, à la jupe froncée et des sneakers en toile blanche, avait pour une fois relevé ses cheveux en une queue de cheval basse et prit un chapeau de paille rond. Elle rejoignit le Chaudron Baveur puis la station de métro. Il faisait bon, sous terre, au point qu'elle hésita à rester dans la rame. Mais la proximité des groupes de touristes l'ennuyait. Elle voulait trouver de la fraîcheur et du calme.
Aussi, elle descendit à Tottenham, pour rejoindre la librairie du London Review, où elle s'installerait pour bouquiner dans un coin.

Elle marchait d'un pas preste, modérément rapide, de sorte à limiter le temps passé sous le soleil, sans pour autant s'astreindre à un effort qui la laisserait luisante à l'arrivée. Elle passa près de l'Atlantis, une librairie spécialisée dans « l'occulte » et la « magie ». Tenue par des Moldus considérés comme excentriques, il s'y trouvait des gens aux cheveux longs, des enfants en quête d'aventures à imaginer et des adultes refusant de quitter le monde de l'enfance. Parfois un homme en costume ou une femme en tailleur s'y arrêtaient pour offrir un cadeau d'anniversaire à leur petit dernier. Leurs regards, tour à tour méprisants, incrédules ou moqueurs, s'attardaient sur les couvertures tant que sur les visages des passionnés. Ils s'adressaient d'une voix sèche et d'un ton pressé aux vendeurs.
Parfois, des sorciers curieux passaient la porte. Harmony y était déjà allée plusieurs fois, pour voir ce que les Moldus pouvaient bien s'imaginer d'eux, quelles potions ils inventaient dans des livres illustrés, décorés de lettrines imprimées et de couleurs prune et verte. A la lecture, elle avait parfois dû réprimer un rire, alors qu'elle songeait au résultat : une explosion ou une bonne soupe, selon le cas.


Avant de prendre la rue qui menait droit à la librairie, elle jetait un coup d'oeil au British Museum, bien en face d'elle. Là encore elle hésitait. Peut-être s'y trouverait-elle plus à l'aise, à déambuler dans les grandes pièces carrelées de marbre, où la température était toujours basse, afin de mieux conserver les trésors ici exposés. Trésors volés, conquis, acquis lors d'échanges inégaux entre peuples moldus, à l'issue de guerres violentes, à travers les siècles, qui construisirent la grandeur de ce beau peuple britannique – songeait-elle.
Après quelques secondes, elle se décidait à passer la matinée au musée. Il venait d'ouvrir, il ne devait pas y avoir tant de monde.

Sur l'esplanade, quelques groupes de touristes patientaient, pendant que leur guide retirait leurs billets. Harmony gravit les marches sans leur prêter attention.
Malheureusement, l'inverse ne fut pas vrai. Elle entendit de l'agitation à sa droite et voulut vérifier ce qui se passait. Trois adolescentes, de son âge environ, gloussaient en la regardant. Machinalement, elle passa sa main dans sa nuque et passa en revue l'avant de sa tenue. Rien ne semblait bizarre. Elle palpa sa baguette qui était bien cachée, toutefois. Non, vraiment rien.

Elle continuait de grimper les marches, se dépêchant néanmoins. D'une oreille elle percevait des bribes d'échanges, plus loin. L'accent était clairement américain.
« Maman, maman, regarde ! … Si, je t'assure ! Oh, maman, est-ce que tu peux venir prendre une photo ? Allez, on a le temps ! » Entendait-elle bien ? Elle devait se faire des idées : ce n'était pas elle qu'elles voulaient photographier. Elles souhaitaient certainement qu'on les prenne, sur les marches, avec la jolie luminosité matinale !

Mais enfin voilà qu'elle eut le sentiment d'être interpellée. Elle se retourna et se retrouvait face à trois filles aux longues jambes bronzées, qui l'observaient avec un enthousiasme ulcérant. Derrière elles, leur mère, avec l'appareil Polaroïd. Et un stylo. Un stylo ?
Harmony commençait sérieusement à avoir peur. Elle les dévisagea, craintive, crispée. Ses cheveux avaient-ils changé de couleur ? Est-ce que l'une des potions qu'elle avait utilisée le matin pour soigner un Musard ? Avait-elle un petit de Musard sur son chapeau ? Le Secret était rétabli, elle ne pouvait pas avoir de Musard dans les cheveux ! En plus, elles étaient Américaines ! Ce n'était vraiment pas une bonne idée de faire intervenir les Oubliators dans un cas de relations internationales !

Alors, les filles s'exprimèrent. « Excusez-nous, on est vraiment désolé, on veut pas vous ennuyer... Mais, on vous aime beaucoup, vous êtes vraiment extra ! » Une autre prit le relais, visiblement excitée : « Est-ce que ça vous embêterait de prendre une photo avec nous, et de nous signer un petit autographe ? » « Oh, c'est vraiment incroyable qu'on vous rencontre à Londres ! Quel hasard ! »
La crainte quitta peu à peu le visage d'Harmony. La consternation la remplaçait. « Euh, vous devez vous tromper, je... Je ne suis pas célèbre. Pas du tout. »

Les jeunes filles échangèrent un regard, interloquées. Harmony crut en avoir fini d'elles, qu'elles s'excuseraient puis se souhaiteraient poliment une belle journée. Elle avait tort. Elles reprirent de plus belle. « Oh, allez, on veut pas vous embêter ! Ça prendra juste cinq minutes ! Allez quoi, soyez chouette ! On est vos plus grandes fans ! » « Oui, on a regardé tous vos films, et puis les épisodes de série où vous êtes passée ! » « Notre mère est juste là, avec l'appareil, ça prendra vraiment pas longtemps ! »
Harmony, que la station debout, en plein cagnard, agaçait déjà, sentait monter l'énervement. « Ecoutez, je ne sais pas avec qui vous me confondez, mais je suis juste une collégienne lambda qui va au musée. C'est certainement... flatteur, mais je vous assure, vous faites erreur. » C'était mal parti.

« Mais ne vous moquez pas de nous ! Nous savons qui vous êtes ! » « Mais oui, vous êtes Ariana Richards ! On aurait pu vous croiser à Chicago, ou pendant nos dernières vacances à San Francisco, mais voilà qu'on vous croise devant le British Museum ! Si c'est pas un hasard ! »
Excédée, Harmony les interrompit. Elle savait vaguement qui était Ariana Richards : elle avait joué dans un grand succès de science-fiction, ces films catastrophe que les Moldus semblaient adorer, où des scientifiques ressuscitaient les dinosaures. L'actrice était blonde, aux yeux clairs, certes, mais elle ne lui ressemblait pas tellement !

« Mais puisque je vous dis que je ne suis pas connue ! Je n'ai pas joué dans Jurassic Park ! Ecoutez, c'est un malentendu. D'ailleurs : écoutez-moi quand je parle, vous voyez bien que j'ai un accent de Londres... » Cela ne suffit pas à convaincre les Américaines qui, sûres d'elles, commençaient également à s'énerver. « C'est pas sympa de nous mentir, vous savez. On est juste de grandes fans. On sait que c'est vous. »
Harmony, à bout de sa patience, regardait autour d'elle, désespérée de voir une caméra cachée. Quelqu'un s'était-il amusé à lancer un Confundo sur ces trois pimbêches ? Rah, si seulement elle pouvait fuir. Si seulement elle avait décidé d'aller à la librairie plutôt qu'au musée...

Encore une période de sommeil trop courte pour Eleonora. Quand on vivait toute l’année aux confins de l’Ecosse, la température semblait méditerranéenne dans la capitale du Royaume-Uni. Elle était venue à Londres, pour ses courses de rentrée. Elle en profitait également, pour une visite à Lili et pour découvrir un peu plus la capitale anglaise.
Elo s’était retournée la moitié de la nuit, se demandant quand elle aurait enfin droit à un courant d’air. Vers 5h30, le soleil se levait et elle décida qu’il était temps pour elle de faire de même. Elle logeait dans une chambre d’hôtel, à proximité de la gare d’Euston, en compagnie de ses parents.

Elle alluma la télévision, mais les programmes matinaux étaient plutôt désespérants. Le point rassurant était qu’il n’y avait aucun signe d’événements magiques, aux informations. Elle écoutait aussi la rumeur de la ville, qui s’éveillait lentement. Les bruits étaient bien différents de ceux de Kirkwall ou de Poudlard.

Lorsqu’elle ne tint plus en place, elle se doucha, s’habilla, puis descendit prendre son petit déjeuner. Dans la salle, les clients étaient rares. Une famille de touristes prenait un rapide repas, avant de rejoindre leur train. En écoutant leur accent, Elo les imaginait, comme des habitants de Manchester. Il était si simple de vivre des vacances, pour les moldus, qui se trouvaient à nouveau dans le secret. Il y avait bien des souvenirs d’attentats, au début de l’année. Mais le danger semblait si lointain, en ce mois d’août. Pour l’adolescente sorcière, ce n’est pas aussi simple. Elle ne savait pas encore à quoi ressemblerait le Poudlard de sa rentrée. Ni même si l’école rouvrirait ses portes. Et par dessus tout, elle s’inquiétait pour ses amis d’Haveirson, toujours enfermés dans l’Université magique. Hazel… Cela faisait des semaines qu’elle n’avait plus de nouvelles. Comment pouvait-elle aller, aujourd’hui ? Elle lui manquait tellement. Elo avait passé son année à se réjouir, à l’idée des vacances aux côtés de son amie. Mais au lieu de cela, elle avait veillé sur Molly et allait voir Lilianor, dans une espèce de cellule. Pourquoi fallait-il qu’elle soit une sorcière ? Et HazBelle, qui avait découvert son état, cette année seulement.
Eleonora abandonna le reste de son yaourt et son thé presque froid. Elle n’avait plus le cœur à manger. Elle avala la fin de son jus d’orange et empocha une pomme.
Elle se rendit ensuite à la réception, pour laisser un message à ses parents. Elle allait faire un tour. Le Royal Opera House n’était pas si loin. Elle y avait vu le Lac des Cygnes. C’était un cadeau de sa nounou. Elle avait envie de retourner là-bas, en sa compagnie.

Hors de l’hôtel climatisé, la température montait déjà. Elo se réjouit d’être habillée légèrement. Un short en jean et un simple T-Shirt aux couleurs des Pride of Portree. L’entorse au secret était légère. Personne, en dehors du monde magique, ne saurait de quoi il s’agissait. Et seuls les sorciers les plus au fait du monde moldue, comprendraient qu’une telle tenue était inadaptée, ici.
Dans son sac à dos, Elo avait glissée sa souris et gardait ses deux baguettes. Depuis que la première était tombée de la tour d’astronomie, elle était capricieuse. Elo en avait achetée une nouvelle, chez Olivander. Elle était surprise que le bois et la taille aient changé, ne se sentait pas si différente de ce qu’elle était auparavant. Elle gardait cependant l’ancienne, dans sa boîte, ne souhaitant pas s’en séparer. De toutes façons, avant la rentrée, elle n’aurait pas le droit de s’en servir.
En route pour l’opéra et le Royal Ballet, elle passa à proximité du British Museum. Elle l’avait visité l’année précédente, mais regarda quand même les affiches de l’exposition temporaire.
Au-dessous, elle crut reconnaître une silhouette peu désirée. Abby ? Elle fit la moue et regarda de loin, si elle avait raison. Il y aurait peut être William, aussi, si la Sharen de Gryffondor était présente. Autant elle préférait éviter Abby, autant elle se réjouirait de croiser son frère, avant son entrée à Haveirson. Lorsque la blonde se retourna, elle l’identifia mieux. Il s’agissait en fait de Harmony. La Serpentard semblait seule, mais cherchait quelque chose du regard. Elle était vraisemblablement accompagnée de touristes. Des Néo-Zélandais ? Poussée par la curiosité, Elo approcha.

Lorsqu’elle fut suffisamment proche, elle croisa les yeux de Mony. Un regard mi-désespéré, mi-agacé. Elle entendit aussi les jeunes filles.
Franchement, vous pourriez-être agréable ! On ne vous demande qu’une photo, après tout…
Mais qu’est ce qui se passait, ici ?
Elle grimpa les dernières marches, en direction de Sharen. Elle sentait, que la jeune Serpentard cherchait du renfort, mais ne comprenait encore rien à la situation. Elle avançait donc sur des œufs.
Salut, Harmony… Ton frère est dans le coin ?
Elle surprit du coin de l’œil, le regard intrigué du groupe, qui entourait Mony. Il y avait des murmures autour d'elles. L'une des adolescente disait que Mony ne devait pas avoir de frère. Elo ne comprenait vraiment rien, à ce qui se passait...

Au fond de moi, quelque chose savait qu’il n’était pas sensé de revenir à Londres. Pas quelques jours à peine avant ma grande rentrée dans une université magique dans laquelle je n’avais pas vraiment envie de remettre les pieds. Enfin, ça dépendait des jours. Parfois, quand j’oubliais un peu mon incapacité chronique à produire de la magie fiable – surtout après deux ans à jouer la moldue – j’arrivais à développer une espèce d’enthousiasme enfantin à l’idée de découvrir toute une nouvelle pharmacopée aux propriétés étonnantes. Et certains jours, comme aujourd’hui, je me levais aux aurores avec une question brûlante au creux de l’estomac.

Pourquoi tu te fais ça à toi même, Pippa ?

J’avais fui l’agréable fraîcheur d’Avalon alors qu’il n’était même pas huit heures trente, avec dans l’idée de rendre visite à ma tante pour me lamenter une fois de plus sur ma condition de sorcière. Néanmoins, à peine transplanée dans la cour du Chaudron Baveur, je m’étais rappelée un détail cinglant qui allait mettre mon plan en péril ; si ma famille proche avait échappé au retour au Secret en vertu de leur parenté avec le raté de sorcière que j’étais, il n’en avait pas été de même pour tout le monde. En un sens, c’était sans doute mieux comme ça, les repas de famille seraient plus reposants à l’avenir, mais aujourd’hui, cela ne faisait pas mes affaires, particulièrement au milieu de la touffeur qui régnait à Londres.

Indécise et furieuse contre moi-même, je m’étais baladée une demi-heure sur le Chemin de Traverse, jetant des coups d’œils désintéressés aux vitrines qui ne proposaient rien que je ne possédais déjà… ou dont j’avais véritablement besoin. Le shopping magique n’avait jamais vraiment été ma spécialité. Même les farces et attrapes tendaient à se comporter comme de vulgaires objets inertes en ma présence. Alors je finis par fuir le monde magique pour errer dans les rues de Londres ; étrangère anonyme dans une foule à laquelle je voulais tant ressembler. Je ne sais exactement combien de temps j’ai perdu dans mes propres pensées.

Jusqu’à ce qu’un motif inhabituel ne me fasse sortir de mes rêveries. Venant en face de moi, une adolescente détonne des passants pour un détail que le Londonien moyen trouverait soit de mauvais goût, soit juste un peu étrange. Je ne suis pas une grande fan de Quidditch, mais il est difficile de passer une scolarité entière à Poudlard sans acquérir – bon gé, mal gré – un certain nombre de connaissance sur les équipes du championnat. Alors, poussée par une curiosité invaincue depuis 1975, je fais demi tour pour la suivre à quelques mètres, me demandant si, par hasard, une autre sorcière pas tout à fait adaptée au mélange des mondes a sous sa baguette une bonne occupation pour une journée caniculaire.

Arrivée sur le parvis du British Museum, je la lâche pour quelques secondes, déçue que sa destination ne soit pas plus exotique. Je fouille ma besace à la recherche de mon porte-monnaie, incertaine d’avoir l’argent pour me payer un ticket, l’agitation ambiante de la file d’attente me refait lever les yeux pour découvrir un petit attroupement près duquel la victime de ma filature se tient à présent, son attitude trahissant une hésitation manifeste. Les yeux ronds, je découvre en son centre la blondinette de l’animalerie magique, dans laquelle j’ai traîné plus souvent qu’à mon tour au mois de juillet, sans parvenir à me décider sur l’achat d’un compagnon magique pour ma rentrée.

Je m’approche moi aussi, accrochant le regard désespéré de l’adolescente pressée par trois touristes à l’accent américain. Il n’est pas difficile de deviner l’objet de la méprise quand on a passé quelques soirées dans les soirées hypes londoniennes – merci Tantine. La situation est plutôt courante durant les mois d’été dans la capitale, et ce n’est pas la première fois que j’en suis témoin ces dernières années.

« En plus, tout le monde doit faire la file. Donc c’est même pas comme si on vous faisait perdre du temps. »

Je réfléchis rapidement au dernier blockbuster américain que j’ai pu voir à Manchester, quand mes colocataires avaient encore la foi de me traîner au cinéma.

« Oh. Mon. Dieu. Si j’avais su que... »

J’accroche une des touristes aux longs cheveux bruns, posant une main sur son épaule, affichant un air à la fois candide et enthousiaste.

« Milla Jovovich qui est une vraie fan d’une de ses collègues. Ca fera un trop bon article pour la rentrée du journal du campus. La célébrité ça change pas le fond d’une fangirl, hein ! »

Je sors un stylo et un carnet de ma besace, le regard plein d’une admiration consumée, comme si je mourrais dans l’attente d’un commentaire.

Tu vois ce que ça fait, pimbêche ?

La situation devenait un peu plus claire, dans l'esprit d'Eleonora, au fil de la discussion. Au moins, elle comprenait maintenant, pourquoi Harmony traînait avec des moldus. Pourtant, elle avait encore des difficultés à comprendre ce qui avait poussé les américaines à la confondre avec l'actrice de Jurassic Park. Bien évidemment, Sharen était blonde et avait un peu la même allure, mais elle était bien moins guillerette, que la comédienne.
Bon, les touristes ne le savaient pas, ça. Abby, pourquoi pas, aurait fait une bonne actrice. Mais Harmony... La sage et presque ennuyeuse Harmony était bien trop droite pour cela. A moins qu'il ne joue toujours un rôle, dans l'école ?

Une nouvelle larronne entra dans la danse, de leur côté. Elo ne l'avait pas vu arriver, mais reconnu un visage perdu de vue depuis des années. Pippa ! L'ancienne Poufsouffle avait quitté Poudlard, il y a quelques années maintenant. Elle resta un instant interdite. Etait-elle une amie de Harmony ou sa présence était-elle aussi due au hasard ?
Elo s'amusa de la technique employée par Pippa pour chasser les adolescentes américaines. Malheureusement, cela ne suffit toujours pas, pour les faire partir.
D'ailleurs, le ton commençait à monter entre les étrangères et Sharen. Elo n'avait jamais vu la Serpentard si proche de perdre les nerfs. Cela en devenait troublant. Pour éviter que la situation s'aggrave, la préfète se redressa. Il était parfois bon d'être grande et de pouvoir jouer là-dessus, pour intimider les autres. D'ailleurs, si ce n'était sa taille, Elo était tout sauf impressionnante. Pourtant, son poste de préfète, ses duels dans l'Armée de Dumbeldore et son rôle lors de la Bataille de Poudlard l'avaient rendue bien plus courageuse et sûre d'elle.
Finalement, les fans acceptèrent à contrecœur de quitter les lieux. Elo les entendait maugréer en s'éloignant. Un moment, elle sourit et eut envie de dire à Sharen que *Ariana, tu aurais quand même pu leur signer cet autographe. Tu penses un peu à ton image? *
Mais la Poufsouffle se retint. Harmony ne semblait pas d'humeur. Pourtant, elle se tourna avec le sourire, vers la Jaune et Noir et la remercia.
Bon, Elo n'avait pas fait grand chose. Elle ne s'était contentée que d'un bonjour et d'une présence à côté de Harmony. Mais si ça avait suffi, tant mieux.
Pas de quoi, Sharen. Ils sont quand même bizarres, ces Américains, non ?
Elle ne put s'empêcher de penser à Charlie ce qui ne fit que confirmer sa remarque.

Alors que Harmony tentait de remettre un nom sur leur aînée, Elo se retourna vers elle, souriante.
Pippa ! Je n'imaginais pas te croiser à Londres ! Après, ça fait un bail que je ne t'ai pas revue, je ne suis même pas certaine que tu me remettes. Eleonora McPhee, de Poufsouffle... Tu sais bien, j'avais toujours une question.
Oui, elle lui avait posé quelques centaines de questions, à Pouddlard, comme à la plupart de ses aînés, au cours de ses premières années de sorcière. Ce n'était pas forcément la meilleure manière de se rappeler aux souvenirs de ses interlocuteurs, mais tant pis.
Elle reporta à nouveau son attention vers la Serpentard.
Sharen ? J'espère que tu n'as pas prévu de visiter la galerie de paléontologie, parce que ce serait abusif. Et au fait, au cas où, si un jour tu deviens vraiment une star, tu peux me signer un autographe ?

Je range mon calepin et mon stylo alors que le groupe de touristes maugréantes s’éloigne. Je ne suis pas fâchée que la supercherie ait rapidement touché à sa fin, car mon illumination ironique n’avait pas vraiment de suite. C’était encore une des caractéristiques de ma personnalité impulsive ; je pouvais débarquer dans n’importe quelle situation dans laquelle je n’avais pas ma place, mais je n’avais jamais – vraiment jamais – la moindre idée de comment j’allais m’en sortir. Adolescente, j’avais appris à ne pas trop m’en soucier avant d’être au bord d’un raz-de-marée de problèmes, mais les derniers mois m’avaient rendue beaucoup plus prudente, si ce n’était carrément inquiète. La chute de Voldemort ne signifiait pas, pour moi, la fin des problèmes du monde magique.

Pendant que je rumine dans mon coin, je croise le regard de la blonde qui a sauté dans ma diversion avec un aplomb un peu déconcertant. Je suppose qu’elle doit être une sorcière, puisqu’elle semble connaître la brune, qui en est indéniablement une au vu de son t-shirt.

Ou alors, elle a juste de drôles de goût et tu as intérêt à la jouer finement, Funnell.

Je réalise alors que j’ai un sourire trop enthousiaste sur le visage, tellement je suis satisfaite de ne pas être la seule sorcière à des kilomètres à la ronde à avoir quelque attache avec le monde moldu. Je m’efforce de retrouver une attitude adulte et détachée pendant que les adolescentes échangent quelques mots, car, même si j’aimerais que mon dilemme sociologique soit partagé par la terre entière – ce qui n’en ferait de facto plus un dilemme – je suis bien obligée de m’imposer à moi-même que ce n’est pas le cas. Et que la plupart des sorciers n’en ont toujours rien à cirer du monde moldu.

« Enchantée Harmony, je m’appelle Pippa. »

Je marque une pause, satisfaite du ton mature et distancié qui perce dans ma voix. Tout cela, juste avant de me ridiculiser un peu en prenant une inspiration pour me lancer dans une évocation sous-entendue du monde magique et d’être coupée dans mon élan par la dénommée Eleonora. Je l’observe un instant, surprise qu’elle me reconnaisse avec tant de facilité, et un peu honteuse de ne pas l’avoir reconnue plus tôt. Je me souvenais évidemment de sa curiosité insatiable qui faisait ronronner la mienne de plaisir à chaque fois que je devais déterrer un autre bouquin inattendu pour palier à une interrogation dont je n’avais pas la réponse. Je n’avais plus repensé à elle depuis des années.

« Si si, bien sur, Eleonora… Je t’avoue que je ne t’aurais pas remise spontanément, mais maintenant que tu m’en parles, je m’en souviens ! »

Ok, ça fait très hypocrite ça.

« J’imagine que c’est là qu’on a du se croiser, Harmony. Enfin, à l’école quoi. Je suis sortie depuis quelques années maintenant, mais notre différence d’âge ne doit pas être si énorme. »

Je jette un œil autour de nous, pour juger la densité de la présence moldue. L’attention que notre petit groupe attirait s’est rapidement diluée après le départ des Américaines, mais je n’ose pas encore poser des questions sur l’état de l’école et la bataille de Poudlard, pas avec tant d’oreilles indiscrètes autour de nous. Je me mords la lèvre inférieure, soudainement brûlante de replonger par leur biais dans le monde magique et son actualité. Après tout, elles sont ma première opportunité de recevoir des informations à la source… et de ne pas passer pour une bênette qui a vécu en Sibérie une fois arrivée à Haveirson.

« Paléontologie ou autre chose, je vous suivrais volontiers si vous n’avez rien contre. J’ai, comment dire… bien besoin d’un peu de solidarité jaune et noire. »

Je dévisage Harmony une seconde, incertaine de la maison à laquelle elle appartient, jusqu’à sentir mon esprit hausser les épaules avec une sorte d’indifférence fataliste. Tout le monde voudrait être à Poufsouffle de toute façon, alors l’erreur ne peut pas vraiment faire de mal.

Enfin ! Grâce à l'intervention des deux jeunes femmes, les Américaines semblaient enfin décidées à reconnaître leur erreur et s'éloigner. C'était tout de même invraisemblable, d'être borné à ce point ! Surtout qu'Harmony, à part en âge et en couleur de cheveux, ne ressemblait pas tant que ça à l'actrice en question.
Enfin, elle se tourna vers la préfète des Pouffsouffle pour la remercier. Comme à son habitude, elle usa de grandiloquence. Et Eleonora balaya d'une phrase ses ex-voto pompeux. Et elle avait raison : ils étaient bizarres, les Américains.

Les seuls autres Américains qu'Harmony connaissait étaient les Grant. Autant dire qu'elle s'était immédiatement fait une opinion sur toute la population de cette lointaine contrée à partir de sa simple expérience du partage de la salle commune avec Charlie Grant. Elle ne comprenait toujours pas comment Daphné pouvait considérer cette fille imbuvable comme sa meilleure amie. Elle valait tellement mieux que ça.

Mais ce n'était pas le moment d'engager cette discussion avec une Pouffsouffle qu'elle connaissait finalement à peine. Il lui fallait d'abord remercier également l'inconnue qui les avait rejointes. En s'attardant sur son visage, Harmony eut un sentiment de déjà-vu. Toutefois, cet été, à l'Animalerie, elle avait vu défiler des centaines de visages aussitôt oubliés. Peut-être une jeune fille qui achetait un soin pour sa chouette lui ressemblait-elle. Ça ne voulait rien dire.
Mais sa question visait également à comprendre l'intervention de la jeune femme.

Etait-elle moldue ? Eleonora portait un t-shirt aux couleurs d'une équipe de Quidditch, ce qui ne semblait pas perturber la brune plus âgée. Si elle avait été sorcière, elle aurait peut-être fait une remarque : c'était un signal intéressant pour repérer ses semblables.
La dénommée Pippa fut bien vite interpellée par Eleonora et le doute fut dissipé. Elle était également passée par Pouffsouffle. Harmony se retint de pousser un soupir de soulagement. Bien que vivant au centre-ville de Londres, les discussions avec les Moldus l'angoissaient, lorsqu'elles sortaient du cadre maîtrisé de l'achat d'un livre ou d'un billet de cinéma.

L'inquiétude d'Harmony ne faiblit pas immédiatement cependant, car elles étaient toujours entourées de non-sorciers et le tour que prenait leur conversation pouvait poser problème. Elles devaient utiliser des mots neutres, ne pas attirer l'attention sur elles.
« Oui, c'est probable. Je suis en quatrième année. » Elle lui répondait bêtement, sans se questionner sur le caractère rhétorique de sa question. Elle s'interrogeait davantage sur la remarque d'Eleonora concernant ses questions incessantes. C'était... étonnant ?

Enfin la préfète des Pouffsouffle revint sur l'événement cocasse de la journée, incitant Harmony à éviter la section paléontologie du musée. La blonde lui sourit, timide. Elle comprenait la plaisanterie, mais était mal à l'aise. « Je t'en signerai un, Eleonora, en gage de ma gratitude pour ton aide ! » Elle espérait ne pas tomber à côté avec sa blague. Elle était toujours placide et son humour retombait comme un soufflé, bien souvent.

Pippa renchérit, s'invitant dans une visite du musée. Harmony voulait simplement trouver un peu de fraîcheur et se retrouvait entre deux anciennes amies, qu'elle-même ne connaissait pas. Elle hocha néanmoins la tête : elle voulait absolument entrer : la sueur collait ses cheveux contre sa nuque, c'était infernal !
« D'accord. Je suis à Serp... chez les verts, par contre, Pippa. Mais ça me convient, allons-y. »
Joignant le geste à la parole, elle suivit la queue pour acheter un ticket. Une fois l'entrée payée et les portillons passés, elle se retourna vers ses camarades d'infortune. « Par quoi voulez-vous commencer ? »

L'ensemble de cette situation était parfaitement étrange.

Elo sourit à la réponse de Sharen, pour l’autographe. La Serpentarde ne semblait pas savoir comment réagir et elle trouvait cela touchant. Ne voulant pas la gêner davantage, elle évita de lui toucher le bras et l’épaule, d’un geste amical. C’est ainsi qu’elle stoppa son mouvement à quelques pouces d’Harmony. Elle avait eu la même éducation que Will et probablement qu'elle devait fuir les contacts, comme son frère.
Sa réputation d’élève studieuse et calme avait aussi fait le tour des préfets. Entre eux, ils savaient, qu’ils n’avaient rien à redouter de sa part. D’ailleurs, Elo s’était toujours demandée pour qu’elle raison, elle avait été répartie chez les Serpentards, plutôt que chez les Serdaigles ou même les Poufsouffles. Cependant, elle ne la connaissait pas suffisamment pour pouvoir juger de sa personnalité.

Debout sur les marches, elle fut bien tentée par la proposition de Pippa de passer un peu de temps dans le musée. Malheureusement pour elle, elle ne pouvait pas se le permettre. Ses parents lui avaient déjà fait confiance, en la laissant vagabonder à sa guise dans les rues de Londres, toute seule et malgré son comportement dévastateur des dernières semaines. Elle savait que si elle n’était pas à l’heure, de retour à l’hôtel, elle serait privée de toute liberté, jusqu’à la fin de l’été.
Elle ne pouvait pas se le permettre. Ce soir, elle revoyait Skyler. Elle devait bien admettre que le futur étudiant lui plaisait et surtout, il était le seul à même de lui fournir la potion, qui lui faisait défaut.
La simple pensée des effets de la Joie Enflammée déclencha un frisson dans l’ensemble de sa colonne vertébrale, la fit saliver et lui donna envie d'ouvrir son sac. Il restait une unique dose dans la fiole. Mais elle préférait la garder pour une occasion plus importante.
Sa main commença à trembler légèrement et elle préféra la glisser dans sa poche, pour cacher cette faiblesse. Une goutte de sueur perla sur son front, que l’on pouvait heureusement associer à la température ambiante.

Je ne pense pas pouvoir vous accompagner. Je suis désolée. Si mes parents ne me voient pas revenir rapidement à notre hôtel, ils me réduisent en charpie. En plus, j’espérais aller jusqu’à l’opéra.
La voix était neutre, peut être trop pour une oreille attentive. En tout cas, Elo n'y voyait aucun signe, pour les autres de s'inquiéter.
Par contre, j’ai un peu de temps pour un cappuccino dans un salon de thé, si vous préférez.

Elle espérait un peu que les filles refuseraient. La présence de Pippa réjouissait Elo, mais elle avait envie de passer à l’opéra et craignait de trahir son état mental et physique.
Elle s’efforça malgré tout de sourire à ses interlocutrices. On ne se refaisait pas. Après tout, Elo était agréable et plutôt joviale, quand sa nature profonde pouvait prendre le dessus.

La relation entre les deux adolescentes semble tendue bien qu’amicale, et je sens ma curiosité irrationnelle pointer le bout de mon nez. Leur passé ne m’appartient pas, mais il est toujours si étrange d’assister à de tels quiproquos que je brûle de me mêler de leurs affaires. Poudlard m’a ainsi fascinée pendant toute ma scolarité ; bien que très fière de ma maison – et persuadée qu’elle valait un tout petit peu mieux que les autres – je n’étais jamais rentrée dans la compétition intra-maisons. J’avais eu des amis de toutes les couleurs, et pas vraiment d’opinions pré-établies. A la réflexion, j’avais toujours trouvé les Gryffondor un peu grandiloquents, mais il en fallait de ceux là aussi. Je n’étais néanmoins pas assez naïve pour penser que mon attitude était majoritaire.

J’essaie donc de me montrer guillerette, et de camoufler mon besoin junkie d’avoir des nouvelles récentes du Monde Magique et de ses grands événements. J’avais certes lu la Gazette ces dernières semaines, mais plutôt en dilettante, et le puzzle informatif qu’elle offrait ne m’avait de toute façon jamais vraiment satisfaite.

« A l’opéra ? »

Ma voix résonne d’un intérêt poli, alors que je pose un regard étonné sur Eleonora. Pour l’avoir suivie – ce que je n’allais cependant pas avoué – je savais bien qu’elle s’était dirigée directement vers le musée ; sa présence ici ne semblait donc pas tenir du hasard. Et il me paraissait un brin ineffectif de faire la file aux caisses du British Museum quand on voulait se rendre à l’opéra. Je regrette de ne pas avoir un meilleur souvenir d’elle, tandis que je peine à analyser son comportement désintéressé. Je n’ai jamais été une excellente juge de caractère, mais cette réaction illogique faisait sonner mon alarme « y-a-anguille-sous-roche-dans-cette-affaire ». Généralement, elle ne marchait pas vraiment bien, parce que j’étais beaucoup trop rationnelle pour mes pairs. Par contre, Eleonora était une Poufsouffle. Les Poufsouffle n’étaient certes pas vraiment rationnels, par contre, ils étaient relationnels. Décidément, ça ne collait pas.

« Pourquoi pas un cappuccino, oui. Harmony ? »

Sous un soleil de plomb, j’avais bien plus envie d’un smoothie pomme-gingembre que d’un cappuccino mais la contre-proposition avait suffit à endormir ma méfiance. Je pouvais comprendre que l’adolescente ne souhaite pas s’enfermer dans un musée par une météo pareille, et préfère passer du temps en terrasse avec des compatriotes. Ca, c’était très Poufsouffle, ça, ça faisait sens. Je souris à nouveau, réajustant ma besace sur mon épaule pour indiquer que j’étais prête à partir si Harmony donnait, elle aussi, son accord au changement de plan.

« Je connais un endroit sympa à trois rues d’ici, d’ailleurs. C’est un peu touristique, mais la plupart des clients sont étrangers et parlent un anglais de cochon. On pourrait papoter tranquille, si ça vous dit. »

En plus, ils font du cappuccino glacé ajouté-je ensuite pour moi-même.