Mezmerize [PV Léonor]

La pluie tombait drue depuis qu’elle s’était levée. Cette météo insipide masquait le déroulement de la journée avec son épaisse couche de nuage. La grisaille arrêtait le temps, presque comme par magie. Un joli blocus de cumulo-nimbus, voilà ce qui se passait dans le ciel. Mais Mara chérissait très fort ce temps, cette période de l’année. L’automne la rendait tristement heureuse, fredonnant son air de mélancolie dans les feuilles des arbres. Bizarrement, ça la rendait plus vivable, plus docile. Elle se sentait tout simplement en parfaite harmonie avec cette ambiance. Comme tout le monde, elle aurait pu y voir le côté déprimant de la décrépitude de la nature. Et l’associer au morbide royaume de la Mort. Mais la simple idée de sentir la pluie courir sur son visage lui tirait un sourire. Que voulez-vous, on la refera pas !

C’est donc toute pimpante que la Kvelgen entra au Morrigan. Elle s’ébroua après avoir accroché son anorak jaune, qui gouttait allégrement sur le sol. Siobhan devait être dans les parages, mais où, elle en savait rien. De toute façon, ça l’empêcherait pas de faire son job ; elle avait trépigné toute la journée avant de prendre son service du soir. Elle se sentait ici comme chez elle, et c’était le cas de le dire. Cet été, leur père et elles avaient retapé l’endroit au complet. Par Loki, ça déchirait sa race maintenant. L’odeur du bois dans les narines, elle commença à préparer certains trucs pour les futurs consommateurs ; genre, découper des citrons. Elle aurait pu utiliser la magie, histoire de s’aider, mais c’était de la triche. Pour la première fois depuis la tragédie de Poudlard, elle se sentait tout à fait sereine. Le temps panse les blessures, fallait croire que c’était vrai.

Le tintement significatif de l’arrivée d’un client fit tendre l’oreille à l’Abraxane. Elle ne s’affola pas tout de suite à se ruer dessus. Fallait laisser le temps à la personne de choisir sa place, de consulter tranquillement la carte. Alors elle continua ses petites affaires dans son coin, avec une exécution experte. Il avait fallut qu’elle se charcute plusieurs fois pour parvenir à une telle maîtrise de tous les ustensiles du bon barman ; à savoir le couteau, le shaker, et les bouteilles. Maintenant, ça la détendait de s’activer derrière le comptoir. La blonde s’essuya les mains sur son tablier avant de se rendre auprès de sa cliente. De sa voix rauque, mais enjouée -un ton qu’elle employait rarement-, elle l’interpela :

« - B’jour, bienvenue au Morrigan’s Perch ! Vous savez ce que vous allez prendre ? »

Contre toute attente, son expression aimable se figea. Elle se décomposa lentement en une expression de surprise pétrifiée. Comme si elle avait vu un fantôme, revenu d’entre les morts, ressuscité par quelques frasque du Destin. Alycia McWood se tenait devant elle, assise bien sagement. Tout était normal. La secousse que provoqua un frisson dans son corps la força à s’appuyer un instant à la table. Incapable de poser à nouveau son regard sur la jeune fille, elle releva ses cheveux en un chignon bordélique pour se donner une contenance. Respire imbécile, c’était pas possible que ce soit elle. Aly reposait au fond du Lac Noir, sirène d’écume et d’os à présent. En plus, c’était certain que l’inconnue avait capté son malaise. Elle avait pas l’air con maintenant, à tenter de paraître absolument confiante alors que tout en elle tremblait. Il fallait qu’elle passe sa foutue commande, et vite. Qu’elle puisse se retrancher derrière le bar, pour reprendre ses esprits.