Boutique Barjow et Beurk : Ce décor sombre et dangereux cache peut-être un soleil qu'il suffit de débusquer ?

Le jeune homme se tenait, éternellement droit et nonchalant, auprès du comptoir. Le visage profondément ancré dans cette indifférence notable qu’on lui connaissait. Un effet commun de ce sang rutilant qui s’écoulait en lui, réputé précieux par d’innombrables théories fallacieuses. Un détail, en vérité, de sa condition intrinsèque.

Un témoignage inaudible de l’éducation rigoureuse et savamment orchestrée qu’il avait reçu par le passé. En des temps révolus. Oubliés, aujourd’hui, par la cendre d’une bataille innommable et les trop nombreux noms des disparus. Des corps – atrophiés – amoncelés en une offrande morbide à quelques dieux railleurs et détestables.

Ses doigts lissèrent avec précaution les pans de son veston. Loin des tourments estivaux et des regrets, Rowan devait se concentrer sur la première tâche de sa mission. Paraître irréprochable et avenant – des choses aisées à déployer pour lui. Après tout, il ne s’agissait que d’une nouvelle mascarade à mener. Une énième valse à conduire et parfaire au-devant d’une foule extatique. Captivée. Intéressée.

Quoi qu’il lui sembla, brièvement, que les curieux qui s’aventuraient dans la boutique de messire Beurk étaient rarement de ce genre. Tout au plus, ils lui donnaient l’impression de porter davantage d’intérêt à ses haut faits ombrageux qu’à son maintien. Ou alors, comble de l’extravagance, de vieilles sorcières acariâtres lui glissaient des œillades appuyées. De celles qui, sous le couvert de la décence, murmuraient des pensées malaisées ; cristallisées par son charme vénéneux.

Et ce n’était pas un égayement de son propre esprit – il avait réellement entendu une cliente le souffler à sa fille, la veille.

Littéralement horrifique.

Un mouvement imprévu le tira de ces écueils passagers. Un acquéreur, sans doute. Une, même. Distraite par quelques flacons : à moins qu’elle hésita à en acheter ? « Demoiselle, bonjour à vous. » L’ancien Serpentard quitta sa position pour la rejoindre, en une démarche définitivement maîtrisée et altière. « Puis-je vous être d’une quelconque aide ? »

Phineas était très occupé ces derniers temps. Depuis qu'il était revenu de son escapade en Ecosse, où il avait rencontré de potentiels alliés - qui ne le sont finalement pas devenus suite au renouveau politique apporté au Royaume-Uni magique - il n'était obnubilé que par une chose : l'extension de son commerce. Il prévoyait depuis un certain temps d'étendre l'éventail des objets qu'il proposait à sa clientèle. Il souhaitait désormais également vendre des artefacts de magie blanche. Toute sorte d'objets magiques seraient maintenant vendus dans ses boutiques.

Il avait prévu de multiplier les commerces. Ainsi, les boutiques qu'il avait actuellement à travers tout le pays resteraient spécialisées dans le commerce d'artefacts noirs. Mais il prévoyait que chacune d'elles ouvre une ou plusieurs succursales dans les beaux quartiers commerçants de chaque ville afin de vendre tout ce qui tournait autour de la magie blanche. La coordination qu'il fallait apporté à toutes ces boutiques franchisées était vraiment prenante et compliquée. Il n'avait plus une seconde à s'accorder. Heureusement que ses enfants n'étaient plus au foyer familial et étudiaient car il n'aurait même pas eu de temps pour eux. Une fois que toutes les ouvertures seraient faites, il aurait certainement un peu plus de temps, mais il ne le pouvait guère actuellement. Il y avait de gros enjeux pour l'avenir de ses commerces et pour la survie de sa famille. Etendre ses commerces était son moyen d'assurer la survie des siens sur plusieurs générations, à condition de bien former les successeurs. Mais, depuis longtemps, avait-il déjà pris en compte cette nécessité et avait formé ses fils et sa fille au fur et à mesure qu'ils grandissaient.

Et c'était maintenant au tour de Rowan Westminbrook de se former à ce commerce particulier. En effet, ce dernier lui avait envoyé une lettre pour connaître ses positions quant à l'obtention d'un travail à temps partiel dans sa boutique londonienne, la boutique historique du commerce, celle où tout a commencé. Phineas avait bien entendu répondu par l'affirmative à cette lettre. Rowan, en plus d'avoir compris -tout comme lui- que l'avenir se préparait ardemment, était le fils de feu Ranulf Westminbrook, meilleur ami de Phineas durant de nombreuses années. Jamais leurs familles n'avaient été liées par le sang mais elles l'étaient très certainement par l'amitié - et une forte amitié qui plus est - depuis que les deux hommes s'étaient rencontrés à Poudlard.

Rowan était tout à fait dans les cordes du métier qu'il avait demandé. Peut-être trop même ? Phineas n'était clairement pas déçu de Rowan et était même ravi de voir l'allure à laquelle il s'était habitué au commerce et aux us et coutumes de la boutique. Le patriarche Beurk n'en aurait jamais douté et était même persuadé que l'héritier Westminbrook s'avèrerait un commerçant hors pair. Si ses convictions s'avéraient justes, il pourrait - par les liens d'amitié entre les deux familles - proposer un partenariat dans l'affaire au jeune homme. Il le laissait tout de même faire ses preuves.

Un client venait d'entrer. Phineas releva la tête des papiers et contrats sur lesquels il travaillait et sortit de son bureau. Il resta dans l'ombre, observant les agissements de son apprenti. Même s'il avait confiance en lui et qu'il n'était clairement pas déçu par ses compétences, il se devait tout de même de veiller sur son commerce. Rowan avait encore des choses à apprendre et il n'était pas à l'abri, comme tout être humain, de commettre une erreur. Mais son attention fut très vite capturée par un autre détail. Il se déplaça, toujours dans l'ombre, afin de mieux observer la cliente qui était entrée en cette heure assez tardive dans sa boutique.

Il se souvenait parfaitement d'elle. Il ne connaissait que son prénom - Mary. Il ne savait pas grand chose d'elle si ce n'était qu'elle était née-moldue. Si cela l'avait encore choqué de côtoyer de cette manière une telle sorcière, ce n'était plus le cas à présent. Il avait changé, il avait évolué. Il prêtait beaucoup moins attention à cette information du sang. Ce n'était finalement pas un détail important. La société évoluait et ils devaient en faire autant, sous peine de violemment disparaître. La dernière guerre sorcière a montré que les valeurs défendues par les Mangemorts appartenaient au passé. Il n'était ainsi plus choqué par ce qu'il avait pu faire avec la jeune femme. Elle lui rappelait beaucoup sa femme, décédée depuis bientôt deux décennies. C'était cela qui l'avait fait tomber sous son charme la première fois, malgré ses manières particulières pour l'aristocrate.

Il resta ainsi dans l'ombre, observant la situation, attendant de voir comment elle allait évoluer.

La cliente à la chevelure d’un auburn flamboyant se tourna vers lui. Vive, égayée et presque impérieuse dans ce ton très familier. Cette approche bien trop indélicate pour qu’il ne le nota guère en un coin de son esprit – il y avait là quelque chose d’inhabituel, après tout. Une proximité dans les mots qui ne pouvait que l’étonner, lui, si distant.

J’aimerais savoir ce que contient cette fiole. Une interrogation somme toute commerciale. Aisée à répondre, maintenant qu’il commençait à assimiler les ordonnances et les applications enseignées par messire Beurk. Autant que les produits coûteux et rarissimes qui parsemaient les étagères principales de la boutique. « Et bien, il s’agit de ce que nous nommons la Goutte du Mort-Vivant, demoiselle. »

Et il était singulier d’appréhender la chose ainsi : le regard de l’aventurière déconcertante s’éloigna de sa proximité pour voguer vers d’autres préoccupations. L’écoutait-elle seulement ? Rowan en douta sincèrement, mais il préféra noyer cette pensée dans les tréfonds de sa nonchalance coutumière. « Selon vos usages, elle pourrait vous être très adaptée. » Au moins, il savait se concentrer sur sa tâche et remédier aux égarements passagers par quelques appréciations nécessaires.

Quoi qu’il lui arrivait, parfois, au détour d’un moment de silence, de songer aux innombrables écueils qui menaçaient désormais Novenka. Et cela, en dépit de toute l’ardeur qu’il mettait à ses occupations nouvelles chez son aîné.

Es-tu étudiant à Haveirson ? L’ancien Serpentard s’interpella intérieurement sur l’indécence de cette invective imprévue ; mais, ceint de son maintien aristocratique, il s’y plia de bonne grâce. Mieux valait faire montre d’obligeance ici bas. « En effet, je le suis. » Haveirson. Haute demeure des tourments et des espoirs d’une jeunesse fracassée par le désintérêt d’un monde changeant.

S’en suivait, alors, une autre question. Définitivement intime. Personnelle. « Messire Beurk est sans nul doute dans la bâtisse. Avez-vous besoin de le rencontrer ? »

Phineas restait toujours dans l'ombre qui occupait l'arrière-boutique. Il observait la réaction de Rowan et ses connaissances sur les marchandises qu'il devait présenter. Il fallait avouer qu'il était très impressionné par les résultats qu'il démontrait. Le patriarche de la famille Beurk n'en aurait jamais douté pour un sous, mais il appréciait vraiment les capacités, que disait-il, les talents dont faisait preuve l'héritier Westminbrook en tant que vendeur. A croire qu'il était né pour cela. Pas vraiment en fait, il se serait probablement montré bien plus à l'aise dans les couloirs du Ministère de la Magie mais les circonstances faisaient qu'il ne pouvait plus vraiment compter sur cette option. Mais il n'y avait aucun mal en soi à tenir un commerce. Certes, les familles aristocratiques sorcières jugeaient mais elles le faisaient sans arrêt, non ? Ce n'était peut-être pas très prestigieux que de tenir un commerce mais, avec du recul, Phineas comprenait maintenant parfaitement la décision de feu son père lorsqu'il avait décidé de fonder cette boutique. Les rentes familiales, les retours sur investissements et le succès de la boutique avaient amené une forte expansion du business familiale dans de nombreuses villes du Royaume-Uni sorcier. Ce fut ce succès économique qui fit virer de bords certaines pensées de l'aristocratie quant au fait de tenir son affaire et pas seulement vivre des rentes et des réserves faites par les ancêtres.

Mais là où Phineas comprenait vraiment la décision de son père, c'était l'éloignement vis-à-vis du Ministère. La politique était un milieu des plus dangereux et les revirements se faisaient trop rapidement. Du jour au lendemain, un scandale pouvait éclater et, parce que l'on est alors sur le devant de la scène, tous les journalistes sorciers couvrent votre affaire. Caractacus Beurk avait réussi à éloigner toute cette attention néfaste de son nom et sa famille et c'était pour le meilleur. Oui, Phineas avait souhaité se lancer dans une politique des plus féroces pour défendre les siens. Cependant, il remerciait tous les jours Merlin d'avoir été lâché par ses alliés étrangers. Jamais n'aurait-il été tranquille s'il avait emprunté ce chemin et cela aurait même probablement été à l'inverse de ses plans. Les revirements politiques de ce pays étaient tels qu'il aurait pu un jour avoir le pouvoir et le lendemain se retrouver sans rien, au beau milieu d'un scandale. Les affaires étaient définitivement un milieu moins risqué, de son point de vue tout du moins. La conjoncture économique n'était pas mauvaise et la concurrence n'était pas trop rude dans le domaine de la vente d'artefacts magiques donc tout allait pour le mieux.

Pour en revenir à la situation présente, Rowan tentait de répondre aux réponses de la cliente mais elle semblait presque sourde à ses réponses. Elle opérait à un interrogatoire et Phineas commençait à comprendre la raison de sa présence dans la boutique. C'était bien pour lui qu'elle était venu. Cette escapade écossaise n'était donc pas sans conséquence pour le futur. Elle revenait vers lui et il allait devoir réagir à cela. Il ne savait même pas vraiment pourquoi elle revenait. Il ne comprenait pas l'acte de la jeune femme. Il ne savait pas quoi penser. Mais, une chose était certaine, c'était qu'il ne pouvait pas laisser Rowan dans cette indélicate position. Il s'avança et sortit de l'ombre pour s'approcher des deux jeunes gens. Il prit la parole :

- Bonsoir mademoiselle. Que puis-je pour vous ?

Et derrière les ornements sobres et guindés de sa contenance, l’ancien Serpentard commença à s’interroger singulièrement sur l’identité de sa cliente. Cette jeune femme au langage abrupte – dénudé de toute civilité ordinairement usitée – et à la chevelure aussi flamboyante que son vocabulaire.

Une curiosité. Une intrusion déconcertante dans les quelques séances qui constituaient, aux heures libres de son temps, son quotidien de vendeur. D’apprenti – parce qu’il ne pouvait guère se targuer d’un titre aussi fastidieux au bout de quelques jours. Tant bien même que tout son talent d’orateur s’y déployait avec sérieux.

Charisme ?

Après tout, ses aînés l’avaient préparé à être diplomate. À confronter les dragons colossaux et déloyaux de la politique – sans toutefois s’en mêler réellement. Une enseigne méticuleusement tenue par quelques jeux d’équilibristes entre des sphères venimeuses et incertaines. Le plus souvent internationales. Complexes.

Ses armes n’étaient pas, naturellement, celles d’un commerçant. Quoi que les lames employées se ressemblaient.

À la réponse pour le moins narquoise de son interlocutrice, Rowan se contenta d’incliner le menton. Il n’évoluait pas en ce lieu pour émettre quelques jugements que ce soit : il s’agissait, au contraire, d’aller dans le sens attendu par les visiteurs. Le contraire serait une intervention déplacée et malvenue.

Peut-être que j’aurais la chance de t’y croiser. Une nouvelle fois, il la sentit se pencher vers une existence qui ne la concernait aucunement. Un intérêt dont il se méfiait – en toute logique – cruellement depuis l’avènement du procès. Étouffant les troubles lointains de sa conscience d’une main de maître, il compléta la formule de la jeune femme en toute sérénité. « Peut être. »

C’était une affirmation suffisante à ses yeux.

Messire Phineas Beurk profita alors de l’instant pour s’extraire des ombres et rejoindre leur échange. « Messire. »  Dès cet instant, les choses semblèrent s’enliser dans un malaise trop aisément identifiable. Il y avait, dans la bouche de l’inconnue, une proximité évidente. Une intimité qui lui piqua le sang. C’en était déconcertant, mais sa présence ici bas ne lui paraissait guère adaptée.

Car, de ce qu’il discernait dans les termes soufflés sans âme, rien ne le concernait. Rien.

Les iris pâles de l’aristocrate se portèrent vers son aîné, sans toutefois se permettre de s’en troubler et de le lui confirmer. Mieux valait faire montre de prudence ; et rendre au propriétaire les rênes du jeu qui menaçait présentement d’inquiéter ses locaux. Ses relations.

Bon sang.

L'apparition qu'il venait de faire ne semblait très clairement pas plaire à Mary. Phineas aurait pu le parier. Il n'avait passé que peu de temps auprès de la jeune femme et pourtant il avait bien cerné certaines facettes de sa personnalité. Et elle ne semblait pas avoir changé pour une mornille depuis la dernière fois. Il ne savait pas comment réagir face à cette situation. D'un côté il souhaitait discuter avec la jeune femme pour comprendre ce qu'elle faisait là car - et il en était sûr - elle n'était pas là pour acheter quoi que ce soit. De l'autre côté, il souhaitait éviter une scène embarrassante devant l'héritier Westminbrook. S'il était prêt à renier certains principes qui animaient les aristocrates tels que lui, il ne pouvait pas non plus s'asseoir complètement sur son éducation et sur les valeurs du milieu dont il venait.

Il resta debout quelques instants. Il ne savait toujours quel choix faire. Il avait apprécié les moments passés auprès de la jeune femme malgré ses quelques écarts de comportement vis-à-vis de la bienséance. Il avait fini par comprendre qu'elle ne venait pas du même milieu - plutôt l'opposé même - mais que c'était sa façon d'être. Après tout, pourquoi pas, mais il doutait pouvoir s'habituer un jour à un tel comportement. Il ne comprenait vraiment pas ce qu'elle était venu chercher en cette soirée. Il s'approcha d'elle :

- Miss Mary, que souhaitez-vous ? Ne me dites pas que c'est pour acheter l'un de mes produits, je ne vous croirais pas. Quel est donc l'objet de votre venue ? Que puis-je pour vous ?

Il n'avait aucune idée de la manière dont elle réagirait. C'était le meilleur compromis qu'il avait pu trouver entre ce qu'il devinait comme volonté de l'écossaise et la bienséance à garder dans cette situation. Il aimerait que Rowan n'apprenne pas de la sorte de tels éléments de sa vie privée. Il ne voulait pas non plus lui demander de quitter la pièce. Il était coincé dans une situation un peu compliqué et il allait devoir s'en sortir. Et finalement, si Mary n'aimait pas le vouvoiement dont il faisait preuve, c'était qu'elle n'avait toujours pas compris qui il était. Et si tel était le cas, il ne comprenait définitivement pas ce qu'elle était venue chercher. En tout cas, il saurait vite comment elle allait réagir à ses propos.

Et c’était désormais un fait qu’il n’était plus en mesure de nier. Peu en importe toute l’obligeance prête à être déployée – des ombres sculpturales, semblables à quelques ailes au plumage d’un ébène rutilant. Ou toute la distance soigneusement construite autour de son armature aristocratique, théoriquement élaborée pour le préserver des tourments trop humains.

Des faiblesses propres à sa triste empathie.

Or, présentement, il ne pouvait qu’assister au tissage d’une relation qu’il se trouvait incapable de réfuter sciemment. Les affects paraissaient trop évidents. Trop visibles. Lâchés vulgairement à leur réalité commune par quelques adjonctions véhémentes d’une rouquine audacieuse. À croire que son sang s’en était teinté jusqu’à l’excès.

Violence déraisonnable et indécente. À ses yeux, tout du moins – lui qui se contrôlait tant.

Avec une aisance redoutable, son aîné s’accapara l’attention de leur cliente. Que souhaitez-vous ? Rowan en profita pour s’esquiver lentement hors de la zone immédiate du conflit. Parce qu’il s’en agissait d’un – et qu’il valait mieux se détacher au plus tôt d’une affaire qui ne le concernait aucunement.

Surtout lorsqu’elle raisonnait aussi clairement à ses oreilles attentives. Assurément trop, compte tenu de ses liens avec messire Beurk. De partager un dîner.

Lui-même éprouverait quelques indélicatesses à partager ainsi ses accointances personnelles. Brièvement, ses pensées glissèrent vers le visage de la Slave gracile. Fragile. Blessée. Ses doigts se crispèrent contre les étoffes de sa tenue, marque indicible de ce qui courrait dans ses veines. La culpabilité. L’inquiétude.

Il s’était promis de ne pas songer à Novenka – dans l’espoir de les préserver tous deux. Toutefois, la situation troublée s’y prêtait ; lui rappelait les écueils de sa tendresse. Où étaient-ce ceux de sa fierté impitoyable ? D’une main implacable, l’ancien Serpentard s’efforça de quitter les incertitudes pour s’occuper à quelques rangements, en des coins camouflés par quelques étagères bondées d’artefacts.

Loin des propos enflammés de leur interlocutrice.

La tournure que prenait cette rencontre ne lui plaisait guère. Il savait désormais la raison de la venue de l'écossaise en cette soirée d'octobre alors que le compte d'Haveirson leur imposait toujours un couvre-feu. Il avait dû se montrer garant auprès de ce dernier afin que Rowan puisse venir travailler dans sa boutique en soirée. Beaucoup de mystères tournaient autour de ce fameux comte et il semblait que même le Ministère de la Magie n'en sache pas plus. Le comte avait réussi, par sa manœuvre de cet été, de surcroît à jeter à la face du monde l'incapacité du Ministère à comprendre de quoi il retournait. Décidément, on n'avait pas fini d'entendre parler de cette nouvelle académie magique.

La proposition de la jeune femme était assez osée. Il appréciait qu'elle ait su mettre de côté ses velléités pour respecter la bienséance qui était attendue dans ce genre de situation, lorsqu'on venait du même milieu que les deux autres protagonistes. Il espérait tout de même que Rowan n'ait rien entendu de cette invitation. Le patriarche de la famille Beurk était veuf depuis si longtemps qu'il serait mal venu de le voir accompagné d'une nouvelle femme. Lorsqu'il était jeune, cela serait passé. Maintenant, c'était plus compliqué. Et que penseraient les gens s'il le voyait accompagné d'une femme si jeune ? Sans parler du statut du sang de la rouquine. Certes ses opinions en la matière avaient bien évolué, mais était-ce vraiment le cas des autres aristocrates ? Il ne le pensait pas. Et, de toute façon, la presse à scandales s'en donnerait à cœur joie quoi qu'il arriverait. Ils ne rataient jamais une occasion de traîner le nom d'un sorcier dans la boue.

Phineas éloigna Mary encore un peu plus de l'héritier Westminbrook. Il avançait près d'elle en direction d'un rayon sur le côté de la boutique. Une fois au milieu dudit rayon, il plongea ses yeux dans les siens. Il essayait de ne pas sombrer dans les voluptés qu'offraient les deux émeraudes de la jeune femme et dit :

- Mary, je ne peux aller dîner avec vous. Pas en public du moins. Je vais fermer la boutique avec mon apprenti et je vous ferai monter dans mes appartements que nous puissions discuter de tout ceci en privé. Je ne suis pas aussi libre que vous et je me dois de suivre certains protocoles sociaux. Jouez le jeu et furetez à votre aise dans les rayons, mais ne touchez à rien. Merlin sait ce que certains de ces artefacts pourraient vous faire subir.

Il sortit du rayon et se dirigea vers Rowan. Il allait lui apprendre comment fermer la boutique. Il commençait de toute façon à se faire tard et il était peu probable que des clients ne viennent dans son magasin. Et, dans le pire des cas, il y avait toujours les sortilèges de surveillance de la boutique qui le réveilleraient si quelqu'un s'approchait véritablement. Lorsqu'il fut suffisamment proche pour être sûr que le jeune aristocrate l'entende et le voit, il expliqua :

- Rowan, il se fait tard. Je vais te montrer comment fermer la boutique et la protéger. Mademoiselle Cunningham souhaite absolument avoir ce dîner en échange des contacts de chaman qu'elle possède. Peux-tu commencer par apporter les recettes du jour et les déposer dans l'assiette en fer sur mon bureau ? Je t'attend ici pour que l'on voit ensemble pour les protections magiques.

Spoiler:

Et il se tenait, entre les étagères sculpturales de la boutique, avec la suffisance coutumière de son rang. Préférant se noyer dans des drapés ombrageux d'une nonchalance maîtrisée au millimètre prés, plutôt que d'offrir un tant soit peu d'obligeance et de fragilité au néant accusateur de la boutique.

Si déployer des ondées affables était un jeu égayant et aisé à mener du bout des lèvres, le faire en permanence finissait par être épuisant. Éprouvant. Par chance, ils arrivaient à l’horaire salutaire de la fermeture – et aujourd'hui, plus que les premiers jours, il espéra que cette dernière ne tarda guère. Que l'esclandre entre leur rousse cliente et son aîné serait abrégée par cette chute inévitable et implacable du rideau.

L'espace d'une infime seconde, une expression lasse et doucereuse vint bercer ses traits ; mieux valait se concentrer sur ces quelques rangements plutôt que de prêter trop attention à cette affaire indélicate. Après tout, l'ancien Serpentard possédait ses propres tourments et il reconnaissait à messire Beurk les siens.

Et, ayant conscience de tous les troubles qui pouvaient s'en extraire à évoquer de pareilles dissidences – il était, sûrement, encore trop tôt – la sécurité de leurs intimités était préférable.

Alors qu'il se concentrait en ce sens, son esprit focalisé sur une tâche à la fois simple et répétitive, le propriétaire de la boutique se présenta inopinément à sa proximité. « En effet. » Rowan acquiesça aux allégations de son interlocuteur, avant de le suivre et de s'occuper des requêtes mandées. Il prit tout le temps qui lui était nécessaire pour aborder la chose et la réaliser au mieux.

Pourtant, lorsque le jeune aristocrate revint du bureau de son aîné pour s'atteler aux protections de la bâtisse, il y eut un trouble dans l'atmosphère. Un frémissement qu'il ne repéra que par le hasard de sa position – et le bruit, pour le moins évident, de la chute d'un objet. Autant que le souffle geignant de leur invitée. « Phineas. »

Et, si il savait faire preuve de mesure malgré les pressions et les désaveux du monde, une sorte d'urgence teinta néanmoins les tonalités de sa voix.

Par habitude – désuète et risible – Rowan tira sa baguette bridée d'une poche interne de son veston. Restait à savoir ce qui les guettait dans cette incertitude nouvelle ; ce qui les y attendait.