[Voilà, c'est un tite histoire que j'ai inventé, j'espère qu'elle vous plaira!]
Le pommier de la reine
Autrefois, dans le lointain royaume d’Aspousie, Melwenn, la reine mourut mystérieusement : un beau jour d’automne, alors qu’elle dégustait une pomme dans son jardin, elle avala un morceau de travers et tomba à la renverse.
On crut d’abord à un évanouissement. On essaya de la ranimer, mais rien à faire. Melwenn était bel et bien morte.
Le roi Pandro voulut mourir de chagrin. Mais le soir des funérailles, il changea d’avis : au lieu de se lamenter, il décida de se venger. Si son épouse ne régnait plus, c’était à cause d’une pomme. Or, cette pomme venait d’un certain pommier du beau jardin de la reine. Pandro se coucha en grande agitation : il se demandait quelle pouvait être la plus terrible façon de faire souffrir un pommier.
Il se tournait et se retournait tout seul dans son grand lit, sans trouver le sommeil, car il avait trop d’idées en tête. Soudain, il se redressa subitement et dit :
« Je vais rassembler une armée gigantesque ! Ce sera une armée pleine de cavaliers, de capitaines, de généraux, de maréchaux, d’engins de guerre, de civils et de militaires ! Et cette armée splendide, je la lancerai à l’assaut du vieil arbre. »
Le roi réfléchit un instant :
« Mais non ! ce serait une vengeance trop rapide ! Je ferai plutôt allumer des incendies minuscules au pied du pommier. Ils grilleront ses branches à petit feu. Ils cuiront les joues de ses pommes. Ils grignoteront lentement son écorce… Et puis non ! J’ai une autre idée. Je vais faire planter l’arbre la tête en bas. Ses racines se dessécheront lentement au soleil. Son feuillage sera dévoré par les vers. Ce sera une terrible, une épouvantable vengeance ! »
Le roi d’Aspousie se démenait tellement qu’il crut tout à coup que sa cervelle fumait. D’ailleurs une sorte de nuage blanc apparut au pied de son lit. Pandro se pinça pour être sûr qu’il ne rêvait pas. En effet, cette forme se précisait, se dessinait et se mettait à vivre. Le roi n’en croyait pas ses yeux : au pied de son lit, il y avait la reine Melwenn elle-même, son épouse !
Elle se mit à parler d’une voix douce de fantôme :
« Mon cher époux, je n’ai qu’une minute pour te conseiller. Ce n’est pas en te vengeant d’un pommier que tu seras plus heureux. Ecoute ce message qui peut t’aider, déchiffre-le !
Vivra la reine,
Si de la pomme
Qui l’empoisonne
La sauve un jeune homme
La sauve un poème. »
La tête de Pandro s’arrêta de produire des vapeurs, et le fantôme de Melwenn disparut. Aussitôt, le roi s’endormit d’un sommeil profond.
Il dormait encore lorsque son valet de pied, Mance, introduisit dans la chambre, sur un large plateau d’argent, son petit déjeuner. Il était bien dix heures du matin.
Le roi bailla, se frotta les yeux, s’étira et dit :
« Qu’est-ce qui ne va pas, déjà, dans ma vie ? »
« Hier, votre femme est morte, Sire » répondit Mance d’un air désolé.
« Ah, malheur ! »
Le roi s’effondra en versant une pluie de larmes qui tombèrent tout droit dans son bol de café au lait.
Mais un instant après, il bondit de son lit comme un ressort. Le plateau tomba par terre sous la secousse. Pandro venait de se rappeler l’apparition de Melwenn dans la nuit.
« Rassemblement ! rassemblement !, cria le roi, faites venir les ministres et les maréchaux. Convoquez le grand conseil ! Mance, passe-moi mes habits. »
Mais le valet de pied restait planté là, devant l’affreux spectacle de la vaisselle toute cassée.
« Ma chemise, mon pantalon ! Mance, bouge-toi ! La reine m’a rendu visite ! Attends que je me rappelle son message… »
Le roi essayait de se le remettre en mémoire. Il bredouillait des mots incompréhensibles. Enfin, il s’écria :
« Mance, je crois que j’ai trouvé ! La reine a dit :
Vivra la pomme
Quand un jeune homme
Qui l’empoisonne
Sauve la reine… »
Pandro mit sa couronne sur sa tête et se laissa tomber sur son trône.
« Non, ce n’est pas ça, Mance ! Je recommence. Il y avait aussi : poème.
Vive un poème
Qui m’empoisonne
Quand un jeune homme
Sauve la reine…Catastrophe ! ce n’est pas ça non plus, j’ai oublié le message ! Il faut dire que Melwenn parlait tout doucement. Je me suis endormi. C’est affreux, Mance, je ne me souviens plus que de quelques mots. C’était une sorte de comptine. »
Cependant, Mance laçait les chaussures du roi aussi vite qu’il le pouvait, ce qui n’était pas tâche aisée parce que ce dernier gesticulait dans tout les sens, en marmonnant sans fin les mêmes mots.
« Dépêche-toi, Mance. Appelle tout le monde, mais surtout des savants. Il me faut des gens qui m’aident à retrouver le message de mon épouse. »
En un clin d’œil, tous les grands personnages de la cour se retrouvèrent autour de Pandro. La salle du Conseil n’avait pas connu une telle fièvre depuis des années. Le roi dit :
« Je vous ai réunis pour une affaire de la plus extrême importance. Il s’agit du pommier qui a donné la pomme qui a tué la reine ! Cette nuit, j’ai vu en songe mon épouse bien-aimée, et elle m’a dit ces mots :… »
Le roi avait espéré que le poème allait lui revenir d’un coup, mais non ! Il avoua simplement :
« A vrai dire, je ne me souviens plus exactement. Nous allons donc chercher ce message ensemble. Qui de vous est le plus intelligent ? »
Toutes les mains se levèrent en même temps, et le roi reprit :
« Bon, au travail ! Il y a : pomme, jeune homme, empoisonne, reine et poème. Avec ces mots, vous devrez faire un couplet de cinq vers, une sorte de comptine. Que chacun retourne à son poste et m’apporte sa réponse avant la nuit. Je suis sûr que je reconnaîtrai la phrase à l’entendre. Cent louis d’or à qui la trouve ! Naturellement, si elle me revient avant que vous ne la trouviez, je garde la récompense. La séance est levée. »
Les grands personnages du royaume firent une révérence, et disparurent aussi vite qu’ils étaient arrivés.
Le roi retourna dans ses appartements. Les mots du message ne cessaient de le troubler. Tantôt il se jetait sur un parchemin pour essayer des combinaisons différentes, tantôt il s’efforçait de dormir en espérant que la reine lui apparaîtrait de nouveau.
Et tout l’après-midi, ce fut un défilé sans fin de savants, de maréchaux et de ministres. Chacun pensait avoir trouvé la solution. Le premier, Alexandre de la Roche, récita ceci :
«
O grand roi d’Aspousie !
Je suis toujours la reine.
Je te fais don, ici,
De mon meilleur poème.
Tu resteras pour moi
L’invincible jeune homme.
Ecoute mon conseil,
Ne mange plus de pommes
Car les traîtresses pommes
Parfois vous empoisonnent ! »
Le roi se fâcha :
« Non ! c’est bien trop long, j’ai demandé une comptine ! Allez-vous-en ! »
Le second, Gaëtan du Beffroi, qui avait tout entendu, fut très content de proposer un poème plus court :
«
Il ne faut pas qu’un jeune homme
Offre à la reine des poèmes
Tandis qu’elle mange une pomme,
Sinon la pomme l’empoisonne. »
« Animal stupide !, rugit le roi, Ce n’est pas un poème que tu me récites là, c’est une ânerie ! Au suivant ! »
Le suivant, c’était Agénor du Rubicon. Il toussa un peu avant d’ouvrir la bouche et dit :
«
O roi, beau jeune homme !
Il faut que tu manges une pomme
Et qu’elle t’empoisonne,
Par amour pour ta reine
Qui te fait ce poème. »
Pandro s’écria :
« Tu souhaites donc ma mort ! Tu iras au cachot, pour ton audace ! »
Le quatrième, Ludovic de Pirandole, dit d’une voix timide :
«
Jeunes filles et jeunes hommes,
Lorsque vous mangerez des pommes,
Faites de jolis poèmes
En l’honneur de votre reine. »
Le roi se fâcha encore :
« Il manque le mot : empoisonne ! Au suivant ! »
Ainsi, toute la journée, Pandro eut les oreilles farcies de quatre-vingt-huit comptines différentes. Mais aucune ne lui rappelait le poème de la nuit, il en était sûr. Et plus le temps passait, plus il perdait espoir de le retrouver un jour.
Les mots valsaient dans sa tête comme des diables. Quand l’heure du coucher revint, Pandro se mit au lit sans dîner. Il était encore plus malheureux qu’avant.