Sunday Bloody Sunday

Quelque chose en elle avait irrémédiablement changé. Quelque chose en elle était détraqué. Pour toujours, c'est évidemment ce que l'on pouvait imaginer, mais c'était sans compter les nombreuses ressources de la jeune femme. Elle marchait d'un pas lent et mesuré, ses longs cheveux sombres cachés par une capuche, sa main refermé sur celle d'une adorable petite fille. Son regard était perdu dans les méandres inquiétantes de la brume qui s'était répandue dans le cimetière désert.
Une larme glissait lentement le long de la joue glacée de l'enfant. Ses merveilleux cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules, ses grands yeux bleus étaient glacés d'effroi. Elle ne disait rien, se contentait d'observer, tremblante. La définition la plus adaptée au monde pour cette elle aurait été celle d'un ange, mais les anges ne pleurent jamais.
Shin s'arrêta. Elle s'accroupit sur le sol, et prit l'enfant dans ses bras.

"Tu ne comprendras sans doute jamais mon geste. Tes parents sont morts si tôt que tu n'en a plus le souvenir, tu es seule, complètement seule, mais moi, j'ai besoin de toi. J'aurai espérer qu'il te soit donné un jour d'aimer au point de pouvoir commettre un acte tel que le mien. Je suis désolée."
Elle caressa sa joue du bout des doigts, son regard bleu électrique perdu dans la profondeur de celui de l'enfant, et se crispa. Une lame apparut dans sa main. L'enfant était toujours désèsperement immobile, comme figée.
"Au revoir, Louise."
Shin baisa chacune de ses paupières afin qu'elle ferme les yeux, puis sa joue, et enfonça lentement la lame au plus profond de son cœur. Pas un cri, pas un geste si ce n'est un léger spasme, définitif et mortel.
Shin serrait le petit corps glacé contre le sien, de toutes ses forces, tandis qu'elle murmurait tout bas les divers formules destinées à la suite des évènements. Au bout d'un moment, elle recula, regarda Louise tomber au ralenti sur le sol, paupières closes, un air d'apaisement sur le visage, ruisselante d'un sang rouge vif et abondant. Shin tendit le bout de son doigts, et effleura le corps inerte de la petite fille. Elle le porta à ses lèvres et lécha lentement le sang qui gouttait.

Elle ferma alors les yeux, et la voix ne tarda pas à se faire entendre.

Il était là.

Peut-on faire revenir les morts ? Si on le veut réellement, les personnes que nous aimons peuvent-elles prendre vie à nouveau ?
Cette question phare étaient souvent au cours des débats. Pire. C'était même, sans aucun doute, la question la plus posée, celle qui revenait le plus souvent. Evidement, les sages répondait que non, ce n'était que trop impossible, tandis que d'autres, aux idées plus futuristes, et parfois mystificateurs de nature, prétendaient qu'à la suite de manipulations étranges et souvent atroces, il arrivait parfois que...
La verité était tout autre. Très étrange, elle ne donnait raison ni à la première, ni à la deuxième des hypothèses.

Tandis qu'il ouvrait les yeux, le jeune homme se dit que cela ne finirait jamais. Combie de fois... Cette fois pourtant, il l'avait réellement cru. Il avait réellement agi comme si tout avait été finit. En vain, encore une fois. Se redressant lentement, il contracta violement ses muscles pour ne pas tomber. Il avait perdu l'habitude de la sensation d'être vivant, c'était étrange, bien trop étrange. Lorsque l'on revenait du pays des morts, on était deux fois plus puissant. En sachant qu'il était mort deux fois, il était à présent quatre fois plus puissant qu'aurait dû l'être le Brandon originel. Mais l'âme, elle, ne réssucitait jamais totalement. Jamais. La première fois, alors qu'il avait sept ans, son âme avait été coupée en deux. Et à présent, c'était la même chose. Si sa puissance avait monstrueusement grandi, il ne possédait plus qu'un quart de son âme veritable.
Et elle le savait. Il n'avait pas besoin de se retourner pour le savoir. Pour qu'elle ait commis un acte aussi énorme, elle n'était pas amoureuse. Non, à ce niveau là, c'était de l'addiction, la plus froide et la plus meurtrière. Il osait simplement espérer qu'elle ait gagné assez de maturité pour avoir pris conscience des risques et des dommages que cet acte provoquerait. Car pour cela, il y avait toujours un prix à payer...

Il consentit enfin à se retourner. Devant lui, elle. Entre temps, elle était redevenue si jeune... mais ceci n'était qu'un détail sans importance, il avait la pouvoir de la faire redevenir comme avant. Et derrière, la tombe, qu'il reboucha d'un geste sec de la baguette, comme si de rien n'était. Personne ne devrait jamais savoir dorénavant...
Il s'avança vers elle et brusquement, sans aucune délicatesse, il la saisit à la taille et la serra à lui en briser les côtes, avant de s'emparer de ses lèvres, et ce avec une telle force qu'un passant, de loin, aurait pû croire qu'il comptait la violer. Une jeune fille de 15 ans avec un homme de 25, c'était forcément louche. A voix basse, dans un soufle glacé, il murmura enfin :

- Il faut croire que j'aurais tout connu. Le paradis à sept ans, l'enfer à vingt-cinq, et pourtant je serais revenu de l'un comme de l'autre.

Qui y avait il à dire. Rien n'aurait sû décrire un tel moment. Le regard de la jeune femme était figé, la présence du cadavre de l'enfant à ses pieds oubliée. Elle se perdit dans une contemplation silencieuse et durable, durant laquelle elle se rappela à quel point, à chaque seconde, il lui avait manqué. Cliché, certes, mais son amour était d'une intensité telle, qu'il ne pouvait plus s'appeler autrement que dépendance. Une dépendance éternelle qui n'avait rien de poétique ou de romantique, car on devait plutôt l'assimiler à une drogue, une drogue dure, une spirale infernale dont elle n'aurait jamais pu se défaire.
Elle se releva brusquement et se précipita vers lui. Le serra à s'en étouffer, suffocante.

"La prochaine fois, prends moi avec toi."

Rien n'aurait su être plus vrai. Les paroles en l'air connaissaient rarement Shin et encore moins dans cette situation. Elle avait fait le point. Le besoin qu'elle avait de lui était irrémédiable, il lui fallait arrêter de prétendre, de jouer.

- Il n'y aura pas de prochaine fois.

Ce disant, il deserra légèrement son étreinte sur la taille de la jeune femme pour porter une attention plus particulière sur le corps de l'enfant. Louise. Elle devait avoir environ sept ans, et semblait aussi innocente qu'il l'avait été au même âge. S'approchant, il s'accroupit auprès d'elle, avant de murmurer, sans ironie cette fois, avec un certain regret qui toutefois, on le savait, ne persisterait pas bien longtemps chez Brandon :

- Il est fort regrettable que toi, tu n'aies pas eu de loup pour échanger son âme contre la tienne...

Ce disant, il plissa les yeux, avant d'éfleurer d'une main légères ses cheveux soyeux, illuminés d'or par la clarté lunaire. Il avait eu exactement la même mort, au même âge, il savait ce que c'était, et pour la première fois de sa vie, il aurait aimé qu'une personne ne périsse pas. Cette gamine. Ce pensant, il porta la main à son coeur, exactement là où Theon avait plongé la najava, puis là où Shin avait planté la sienne, dans le coeur de la petite. Au moins n'avait-elle pas eu le temps de souffrir. Il leva les yeux au ciel, avant de reprendre, pensivement :

- Enfin, sans doute est-ce mieux ainsi...

Il lui ferma les yeux lui-même, avant de refermer la plaie d'un coup de baguette précis, doux même. Sûrement pour la dernière fois de sa vie, Bran avait l'air affecté. Il souleva délicatement le corps de la petite, et la fit disparaître, petit à petit, rejoindre le pays des morts. Attendit qu'elle ne fut plus qu'un halo de paillettes luminescentes pour se tourner à nouveau vers Shin.