Combats

Comme chaque soir en sortant du Ministère après une ennuyeuse journée de travail, Clara éprouva le besoin de faire un tour dehors. La banalité de son quotidien, de son métier qui était devenu d'un ennui mortel, l'opprimaient de plus en plus, la poussant à vouloir faire des folies. Chaque soir elle se promenait dans les rues les plus étroites, les plus mal famées de Londres, comme si inconsciemment elle espérait rencontrer le danger. Clara n'était pas faite pour rester enfermée toute la journée dans le même bureau, à manipuler des papiers sans bouger les fesses de la chaise, à part pour aller consulter un collègue sur un sujet qui de toute façon ne l'intéressait jamais. Elle avait choisi ce métier plutôt qu'un autre parce que soi-disant, on était sans cesse en train de courir çà et là, menant des enquêtes, traquant des Mages Noirs, combattant seul ou en groupe, frôlant la mort trois fois par jour. Tu parles... Depuis que les Mages Noirs avaient en apparence disparu de la circulation, Clara et les autres Aurors passaient leurs journées le nez dans la paperasse. Travailler pour ce Ministère dont elle haïssait les façons de faire n'était déja pas réjouissant, mais travailler pour lui sans même y prendre plaisir était vraiment à la limite du supportable.

En passant devant le cimetière, Clara ralentit légèrement sa marche. Elle se sentait légèrement coupable de n'avoir pas, depuis un bon moment, été déposer des fleurs sur la tombe de sa mère. C'était le moment où jamais. La jeune Auror franchit le portail haut et lugubre qui permettait d'accéder au cimetière, qui était si vaste qu'on n'en voyait pas l'extrémité lorsqu'on y pénétrait. En marchant vers l'endroit où sa mère était enterrée, Clara aperçut de loin des lumières blafardes et un groupe de personnes accumulées au même endroit. Probablement un enterrement. Non... Toutes ces personnes portaient des robes de sorcier. Que faisaient des sorciers à une heure pareille, de façon aussi peu discrète, dans le cimetière de Londres ? Clara, qui n'était pas encore assez près pour être aperçue, se désillusionna à l'aide de sa baguette magique et s'approcha discrètement. Lorsqu'elle fut à quelques mètres de l'aglutinement, elle se cacha derrière un arbre au tronc large et observa quelques instants, avant d'étouffer de justesse une exclamation de surprise en reconnaissant le type de rencontre dont il s'agissait.

Clara avait entendu parler de ces combats macabres, auxquels participaient non seulement la plupart des Mages Noirs du pays, mais également des personnes "respectables", tels des fonctionnaires haut placés du Ministère. Elle avait toujours cru qu'il s'agissait de quelque légende morbide destinée à faire peur aux enfants de sorciers, quand ils ne voulaient pas manger leur soupe à la citrouille. Elle ne pouvait qu'admettre à présent que ces combats existaient. La jeune Auror réfléchit à toute vitesse, comptant mentalement les personnes présentes. Dix, vingt... Une trentaine, à peu près. La plupart des sorciers étaient encagoulés ou masqués, mais Clara était sûre qu'au moins la moitié d'entre eux étaient des Mages Noirs. C'était une occasion merveilleuse, absolument incontournable. Un nid de frelons, comme disaient les Aurors dans leur jargon professionnel. En d'autres termes, un repère ou un rendez-vous régulier de Mages Noirs. Le coeur de Clara se mit à battre plus vite, et un frisson d'excitation parcourut son échine. Oh, bien sûr... Le plus sage serait d'envoyer un hibou express à David. Mais à coup sûr, il lui dirait de s'éloigner immédiatement, et le temps que toute la Brigade Magique et les Aurors au complet arrivent, il serait déja trop tard. Sans compter que... seule, elle pourrait procéder de la manière qu'elle voulait. L'indépendance des Aurors, leur émancipation du Ministère était son rêve. Clara sourit mentalement. Elle allait simplement se déguiser un peu, faire semblant de parier sur un Inferus tout en glanant des informations, et puis elle s'en irait sans une écorchure. Les Aurors recherchaient les Mages Noirs disparus depuis des mois. Si elle parvenait à entendre ne serait-ce qu'un ou deux noms, cela suffirait à la promouvoir. Le pouvoir étincela dans l'esprit de Clara, tellement tentant...

La jeune Auror fouilla dans son sac. Elle avait toujours sur elle quelques potions indispensables dans son métier : Veritaserum, antidotes, et... Polynectar, avec une poignée de cheveux de moldus. Evidemment, il ne lui faudrait pas rester plus d'une heure, sinon elle serait bien mal lotie. Pour plus de précautions, elle mettrait également une cagoule, au cas où. Clara choisit un cheveu noir et le jeta dans la potion, avant de boire le tout avec une grimace. Quelques instants après, elle était devenue une jeune femme d'origine asiatique, cheveux noirs, yeux perçants, tout l'opposé d'elle-même. Même sa voix était différente, personne ne la reconnaîtrait jamais. Clara sortit de sa cachette après avoir mis sa cagoule, et se dirigea vers l'endroit où, visiblement, ceux qui voulaient participer ou parier s'inscrivaient. En traversant le groupe de personnes, elle saisissait des bribes de conversation qui confirmaient ce qu'elle avait pensé, à savoir qu'elle était entrée en pleine réunion ennemie.

"...Je te dis que le 11 va gagner, il a failli la dernière fois. Il était juste..."
"...Le 19 ne participe pas aujourd'hui ?..."
"...Il parait que quand on torture une femme enceinte, son bébé meurt sur le coup..."
"...Si tu oses retourner dans le lit de ma femme, je m'en vais assassiner la tienne et..."
"...6 et 11, il va y avoir du feu..."

Clara fit de son mieux pour ne pas afficher une moue écoeurée, et se dirigea vers l'endroit où l'on s'inscrivait. Un homme encagoulé comme elle semblait hésiter à s'inscrire sur la liste des participants. Clara, quant à elle, paria sur le 11, au hasard, avant de se tourner vers l'homme pour engager la conversation.

"6 et 11, il va y avoir du feu..." dit-elle avec un sourire en coin, répétant ce qu'elle avait entendu tout à l'heure.

Clara avait fourré une main gantée dans le nid de frelons. Il ne restait plus qu'à espérer que le gant ne se déchire pas, ou la main serait exposée à toutes les piqûres...

[ J'ai supposé que Sissie avait une cagoule, je peux toujours éditer (: ]

Clara écouta attentivement le récit du sorcier avec qui elle avait engagé la conversation. Elle avait au départ tenté de saisir le ton de sa voix, car il n'était pas impossible qu'elle le connaisse, vu le nombre de personnes du Ministère qui fréquentaient en cachette ce genre de lieu. Mais il n'y avait aucune chance pour qu'un employé du Ministère vienne dans un endroit pareil sans masquer le ton habituel de sa voix. Ce serait d'une imprudence et d'une naïveté surprenantes, même pour quelqu'un du Ministère... La mémoire de Clara imprimait machinalement les informations importantes. A force de prendre des notes lors des inlassables réunions de David (sauf son respect), elle avait pris l'habitude de sélectionner l'essentiel et d'oublier momentanément le reste. Meurtres de moldus nbreux. (Londres ?). Clara se demanda, avec plus de curiosité que de révolte, il fallait bien l'avouer, combien de moldus avaient été tués par 6. Elle se demanda également combien de cadavres avaient bien pu être déterrés, sans que les familles des victimes en sachent jamais rien. Juste comme ça, pour le plaisir de la violence d'un combat hors du commun. Clara avait beau trouver cela écoeurant, elle ne pouvait s'empêcher d'envier un peu l'indifférence des Mages Noirs, leur absence de conscience qui leur permettait de faire ce dont ils avaient envie sans en éprouver le moindre remords. C'était peut-être la liberté, la vraie. La loi était ignorée par beaucoup de gens, même les Aurors, mais la conscience, elle, était toujours là, sévère et intraitable, pire que la plus étroite des prisons.

Clara fut tirée de ses pensées par la voix rauque et givrée de son interlocuteur.

"C'est mon premier ici, en Grande-Bretagne..." répondit-elle, improvisant. "On m'a parlé des combats mémorables de 11 et 6, on m'a dit que les combats de Londres étaient les plus... violents. Je crois rarement sur parole, alors je suis venue me rendre compte moi-même." dit-elle dans la lancée, en composant sur son visage une expression mauvaise, pas trop, juste le peu qu'il fallait pour appuyer ses propos.

Les combats semblaient sur le point de commencer. Les deux Mages Noirs qui allaient s'affronter se préparaient, et le stand des paris avait été fermé. Un sorcier encagoulé, portant un badge sur sa robe de sorcier, marmonnait des formules incompréhensibles en faisant des gestes avec sa baguette magique. Quelques instants plus tard, un filet argenté s'était déployé en un large cercle, autour duquel les "spectateurs" s'étaient rassemblés. Probablement une question de sécurité, quelque sortilège de protection simple pour que les débris de cadavre n'aillent pas tacher les robes de sorcier impeccables des spectateurs. Ne serait-ce qu'en pensant à tous les collègues du Ministère qui devaient se trouver ici, heureux d'avance d'assister à un spectacle "divertissant", Clara avait envie de vomir. Les Mages Noirs, c'était une chose. Ils étaient mauvais par volonté. Mais l'hypocrisie était une chose que Clara supportait mille fois moins que la méchanceté foncière. En cela, les Mages Noirs avaient bien plus d'honneur que la plupart des employés du Ministère. Si quelqu'un arrive à lire dans mes pensées un jour, je suis renvoyée et surrenvoyée...

Clara se tourna de nouveau vers son interlocuteur. Tous deux avaient réussi, à force de coups de coude et d'agilité, à se faufiler entre les rangs de spectateurs rassemblés autour du cercle argenté, et à se mettre au premier rang. Ils allaient être aux premières loges...

"Vous avez déja participé ?" demanda-t-elle en se donnant un ton dégagé, comme si elle posait la question en l'air, sans souci d'indiscrétion - alors que c'était exactement le contraire. "Moi j'ai toujours voulu, mais je ne connais pas le moyen..." dit-elle, d'un ton exaspéré. "Il se trouve que mon mari est aussi l'un des Gardiens du Secret de la formule dans mon pays, et il se trouve aussi qu'il ne me fait plus assez confiance pour m'en faire part..." ajouta-t-elle, cette fois avec un certain amusement.

Et ce n'était qu'à peine feint. Depuis qu'elle avait fini ses études, Clara avait considérablement ralenti sur le mensonge, car cela lui avait ôté la confiance de quelques amis chers, donnant ainsi une bonne leçon à sa petite mythomanie. Mentir était à l'époque son péché mignon. Elle ne mentait pas pour cacher des vérités gênantes, même si cela lui était arrivé parfois, comme à tout le monde ; elle mentait pour le simple plaisir de mentir. C'était sa façon à elle d'exprimer sa créativité, comme certains dessinaient, d'autres jouaient de la musique. Clara ne l'aurait probablement jamais avoué, pas même à elle-même, mais elle avait souvent rêvé d'écrire pour le Chicaneur. Ce soir-là, elle avait une occasion d'exercer son hobby et ne la ratait pas. Bien sûr, elle savait se fixer des limites, surtout en des circonstances pareilles, où une simple petite distraction pouvait détruire toute la concordance de ses propos aux yeux de son interlocuteur, réduisant ainsi ses beaux plans à néant.