Lettre...

Selene avait parfaitement bien dormi pendant quatre heures d'affilé. Ensuite, elle avait fait des cauchemars, s'était tournée et retournée dans son lit, la tête dans l'oreiller... Mais en vain. A 6h du matin elle s'était levée et avait été prendre une bonne douche revigorante avant de revenir dans son dortoir où un hibou venait de se poser sur le rebord de la fenêtre. Délicatement elle l'entrouvrit et se sait de la lettre dans son bec.

Citation :

Il y a tout ce que j'aurai aimé te dire et que je ne te dirais jamais. La quintessence d'un sentiment qui me hante, ce besoin maladif de ta présence. Ce que je voyais en toi comme étant un alter-ego bourré d'imperfections. Parce qu'on se ressemble sans se ressembler. Parce que tu es bourrée de valeurs que je ne partage pas. Parce que nos avis divergent sur tout et finissent toujours par se rejoindre.

C'pas de l'amour, c'est pas de l'affection, c'est encore moins du respect. C'est ce putain de besoin dont je donnerai n'importe quoi pour me débarrasser. C'est tout ce que j'aurai pu faire pour toi. C'est tout ce que j'ai donné de moi. C'est le battement de mon cœur qui ne s'arrête pas.

C'est tes mots de réconforts au hasard, le silence de tes yeux, parce que ça ne va pas, parce que rien ne va. Parce qu'il a toujours fallu être fort, et que les remords ne changeront rien.

C'est ton agressivité à côté de la plaque, ma méchanceté d'enfant, et ton sourire, ton sourire, ton sourire...

C'est des mois de silence et d'oubli.

Tu n'es pas faite pour moi. Je ne te rendrais jamais heureuse. Il faudra bien finir par s'y faire.

Et pourtant.

La jeune femme resta quelques instants sans bouger, lisant la lettre sans vraiment la lire. Ses yeux se posèrent sur le hibou. Elle prit une plume et parchemin et griffonna une réponse :

Citation :

Retrouve moi près du Lac. Dans 15 minutes.
S.

Et la jeune femme descendit les marches du dortoir, celles du grand escalier avant de marcher dans l'air frais du matin, l'estomac noué.

En toute sincérité, lorsqu'Aaron avait envoyé cette lettre à Selene, il n'aurait jamais pensé avoir de réponse. C'était plus en désespoir de cause qu'autre chose. Lorsqu'il reçu la réponse, son cœur manqua de s'arrêter de battre, histoire de changer un peu de l'habitude. Il jeta un regard dans le miroir à ses cernes et ses cheveux emmêlés et songea qu'au point où il en était, il ne pouvait pas faire pire. Il descendit donc les marches quatre à quatre, traversa le hall d'entrée et atterrit dans le parc. Selene était déjà elle, sa silhouette fluide se fondant dans les contours du lac.

"Hey..."

Souffla t'il une fois arrivé à sa hauteur, le cœur au bord des lèvres.

Observant la jeune fille qui lui paraissait si fragile à cet instant, la rancœur qui l'avait tourmenté tout ce temps remonta en échelons en lui. Son regard se durcit tandis qu'il plaçait à son tour ses mains dans ses poches. Le manque lui avait fait oublié que Selene s'en sortait décidément toujours bien. Quoi qu'il arrive. Coincée entre Frank et lui, c'étaient toujours à eux de payer les pots cassés. Et il se demanda s'il était vraiment amoureux de cette femme enfant qui préférait que l'on se batte pour elle plutôt que de se battre pour quoi que ce soit.

"J'aurai pas du t'envoyer cette lettre."

Non, il n'aurait pas du. Mais ca avait été plus fort que lui. Et tandis qu'il replongeait les yeux dans le regard embué de la jeune fille, il comprenait tout à coup pourquoi il l'avait fait, et pourquoi si ça avait été à refaire, il l'aurait refait. L'attitude égoïste et puérile de Selene avait beau le rebuter, à cet instant précis, il n'avait pas envie d'autre chose que de la prendre dans ses bras. Mais il tourna les yeux, éloignant de son regard d'ébène la moue d'enfant de Selene.

"J'ai pas envie de te regarder."
Siffla le jeune homme en retour. Les mains toujours enfoncés dans les poches, il finit néanmoins par tourner les yeux vers la jeune fille. Il la regarda longuement, d'un regard proprement neutre, qui semblait méconnaître cette fille à qui il avait pourtant écrit une longue lettre mélodramatique à souhait.

"Qu'est ce que tu attends de moi Selene? Tu sais très bien que je ne pourrais me résoudre à une amitié factice. Parce que tu te mens. En permanence. Autant dire les choses comme elles sont, je ne tarderai pas à t'oublier de toute façon."

Et il tourna les yeux à nouveau. Il n'était vraiment pas sur de sa dernière phrase, mais voila encore une fois son orgueil mal placé qui le reprenait.

"Donc quoi que je fasse, je serai toujours en tort c'est ça?"
Demanda le jeune homme, le regard vidé, fatigué.

"Tout ça parce que tu ne peux admettre que tu n'aimes plus l'homme pour lequel tu t'es battu pendant tant de temps. Parce que tu ne peux admettre que nous sommes liés. Que je suis ce dont tu as vraiment besoin. En attendant tu me fais souffrir, tu le fais souffrir, nous sommes tous deux à la merci de ton indécision chronique. Mais que feras tu quand nous serons tous deux partis?"

Souffla t'il, en se rapprochant d'elle. Il lui fit relever la tête vers lui d'une pression des doigts, plongeant son regard dans le sien.

"Si tu ne veux pas de moi dans ta vie, dis le moi tout de suite. Ne me sors plus de fausses excuses. Je partirai et te laisserai tranquille, pour toujours. Si tu doutes ne serait ce qu'un instant, c'est que j'ai raison."

Les bras croisés sur la poitrine, Aaron écoutait Selene déblatérer les mêmes conneries, tout cela n'avait rien de très étonnant, et le jeune homme trouva la situation d'un pathétique tel qu'il n'arriva même pas à en souffrir. Lorsqu'elle commença à s'éloigner de lui pour retourner vers le hall d'entrée, il fronça les sourcils avec ostentation.

"Mais qui penses tu être? Retrouver une vie normale? Qui prétends qu'elle ne l'est pas actuellement? Ça serait plutôt à toi de retrouver une vie tout court."

Siffla t'il, beaucoup plus pour lui même que pour elle. Il tourna les talons dans l'autre sens, s'élançant vers l'orée de la foret.