Réunion au chevet (PV Harmony)

Elles étaient arrivées ensemble au chevet de leur sœur, les deux jumelles dissemblables. Assise chacune d’un côté du couchage aux draps défaits, cachant mal les bandages qui recouvraient le corps de la jeune Sara. Elle n’avait pas été blessée à la suite de l’explosion, leur disait-on : la blessure était magique, elle était le résultat d’un sort perdu. Il était plus difficile de récupérer d’une blessure magique, leur disait-on encore. Les médicomages faisaient tout leur possible, leur assurait-on, mais il fallait bien s’attendre à ce que leur petite sœur ne récupère jamais complètement.

Cette image tournait sans fin dans l’esprit d’Harmony. Sara, infirme. Une enfant créative, intelligente et douée, rêveuse. Ne lui resterait-il que le rêve pour se consoler, depuis un fauteuil duquel elle ne saurait s’extraire ? Ce rêve serait-il facilité par l’administration de potions pour apaiser sa douleur, qui la laisseraient planante, dans un état de conscience altérée ?

Elle ne pouvait pas la regarder.
Elle ne pouvait pas confronter le regard d’Abby, en face d’elle. Abby lui en voulait, c’était certain : elle n’avait jamais été présente pour leur petite sœur et s’était même souvent disputée avec elle – alors qu’elle voulait seulement bien faire.

Elle se remémorait notamment ce jour de novembre, où Sara l’avait une fois de plus invitée à s’ouvrir à la discussion avec William, à cesser de les rejeter. Harmony s’était précipitée dehors et sa colère avait éclaté sur cette pauvre Serdaigle tête en l’air, dont elle n’avait d’ailleurs jamais su le nom. C’était là qu’elle avait d’ailleurs rencontré… Non. Pas lui. Elle ne pouvait pas penser à lui.
Pourtant c’était bien grâce à lui qu’elle avait compris. A force de discuter avec Lucy Evans, elle avait saisi la délicatesse de sa position et le problème que posait son attitude au sein de sa fratrie, alors qu’elle prônait l’union de tous les sorciers.

Quel gâchis. Elle n’avait commencé à se rabibocher avec son frère qu’au mois d’avril, et avait pu parler à Sara durant ces vacances en famille. Elle avait fait un pas vers eux. Ne restait plus qu’Abby, à convaincre. Mais la rouge et or s’était montrée plus réticente, plus méfiante quant à la rémission de sa jumelle. Peut-être parce que, malgré les années d’absence, elle la connaissait bien mieux.

Comme ces pensées formaient des tourbillons chaotiques en son esprit épuisé, la jeune fille, vêtue de noir, d’une tenue de deuil triste, que seule perturbait une broche en pacotille verte, entendit la voix de sa sœur. La chair de sa chair.
Elle restait impassible, relevait les yeux. La teneur de cette question, elle s’y attendait. Elle s’y était préparée. Elle ne devait pas s’énerver, ni s’effondrer. Elle se l’était répété des heures durant.

« Abby. Tu as certainement entendu de quel côté de la bataille était Yvain, avant qu’il… Avant qu’il ne nous quitte. Oui, oui, il m’a prévenue. Je savais que quelque chose devait se passer, et il m’a dit que ce serait ce soir. Mais je n’ai pas pu aller chercher Sara… »
Sa voix trahissait une émotion sincère. La culpabilité. Sa poitrine semblait comprimée, comme si elle devait imploser, soumise à un poids qu’elle ne supportait plus. D’abord son père. Puis Alicia. Et enfin, le cataclysme.

Elle n’avait servi à rien. Son entrainement ? De la fadaise. Elle avait dû fuir comme l’enfant qu’elle était. Elle n’avait protégé personne. Elle n’avait pu rien dire, rien faire. Aurait-elle dû courir aider son petit ami ? Aurait-elle dû déroger à ses ordres de se tenir sage, dans l’ombre, avec les autres enfants ? Aurait-elle pu rejoindre le parc et éloigner de Cyril son destin funeste ? Aurait-elle dû refuser de se satisfaire des paroles rassurantes d’Hestia Carrow, et partir à la recherche de sa petite sœur ?

Les assaillants étaient ses alliés – et les alliés de Dumbledore n’auraient pas attaqué une fillette blonde échappée. Et quand bien même, peut-être son sacrifice les aurait ramenés ici-bas. C’était idiot, stupide, et son raisonnement tordait le cou à son esprit cartésien. Elle n’aurait été qu’une victime de plus. Le sort avait été inéluctable.

Pourtant, elle ne pouvait regarder sa sœur en face sans sentir ses poumons s'affaisser. Pourtant, l'aiguille de sa boussole ne parvenait plus à se stabiliser.
Et pourtant, sa baguette se refusait à s'animer.

Bien sûr, Abby la fougueuse, Rose écarlate aux paroles tranchantes, à l’énergie irradiante, ne manquait pas d’être en colère. Et cette rage n’était qu’un coup de plus porté à sa pâle copie, sa sœur aux cheveux lissés, au ton calme, paisible ; sa sœur qui comme une anguille glissait, sans jamais attirer à elle les regards. Elle éclatait rarement. Elle maîtrisait la bête qui de son tourment se nourrissait.

Pourtant, face à la dureté des propos gémellaires, elle aurait pu se lever d’un bond. Hurler. Crier des excuses – elle n’avait pas agi autrement que les quelques centaines d’élèves qui n’avaient pas pris part au combat : pourquoi, elle, en particulier, devait-elle s’excuser ? Qu’aurait-elle pu faire de plus, sinon allonger la liste des cadavres à identifier ? Fadaises.

Elle était entraînée. Elle savait ce qui se tramait. Elle aurait dû agir. Elle aurait dû désobéir. Elle aurait dû renoncer à se fondre dans la masse. Il aurait fallu qu’elle protège Yvain. Il aurait fallu qu’elle retrouve William et qu’ensemble, ils s’assurent que Sara soit en sécurité. Il aurait fallu qu’elle trouve Cyril.

Alors, quoi ? La peur au ventre, car si le Seigneur avait vaincu, le sort des traîtres aurait été évident.
Elle choisit donc la mauvaise foi.

« C’est ridicule. » cracha-t-elle. « Mme Pomfresh et le professeur Chourave ont organisé l’évacuation, tu crois qu’elles ont senti dans le fond de l’air que c’était une bonne idée de faire sortir les élèves à Pré-au-lard en pleine quarantaine ? Tu ne crois pas que le mage le plus puissant de Grande-Bretagne était au courant ? Les autorités ont déclaré être au courant des plans de tu-sais-qui. »

Elle la fixait, l’air dégoûté. Son arrogance était insupportable. Qu’avait-elle fait de plus qu’elle ? « J’ai voulu chercher Sara et j’ai demandé où était Will aux Pouffsouffle que je connaissais. Hestia et Hope m’ont persuadée de quitter le château avec elle. Crois-moi bien que je regrette de les avoir écoutées… » Lâche. Elle était lâche.
Harmony frissonna à l’énonciation du nom du Seigneur des Ténèbres. Elle aussi avait entendu la rumeur de sa mort. Et elle y croyait.

Les accusations pleuvaient et elle devait tenir bon. Croisant les bras, elle lâcha, pleine de suffisance. « Je pense que tu es sous le choc, Abby, et que tu ne réfléchis pas clairement. Comment peux-tu m’accuser de choses pareilles alors que Sara est inconsciente à côté de nous ? » Elle finit par trouver le moyen d’observer le visage, d’apparence paisible, de sa jeune sœur. Elle poursuivit en détaillant ses traits fins, évitant d’observer les blessures et écorchures. « Bien sûr que je vais rentrer à la maison. Et je vais travailler avec Maman et Will, comme chaque année. Je suis rentrée en avril justement pour tenter de faire un pas vers vous, parce qu’on a besoin d’être uni, quand on est en guerre. Je n’ai pas changé d’avis. Au contraire. »

Mais Abby reprenait, d’une voix haineuse. Lentement, Harmony tourna la tête vers elle et plongea son regard pâle dans celui, furieux, de sa sœur. Stoïque, elle lui répliqua, avec froideur, en détachant bien trop les syllabes. « J’aurais protégé mes amis, Abby. J’aurais refusé d’attaquer des enfants, des sorciers qui oeuvrent pour le bien. »
J’aurais désobéi, Abby.

Harmony avait suivi de près les informations – elle l'avait toujours fait, en tâchant de distinguer la réalité des palabres idiotes ajoutées par les journalistes peu scrupuleux de la rédaction de la Gazette – elle avait donc tout lu sur l'ascension de Jonathan Carwood, les initiatives pour la Concorde, les massacres perpétrés par des extrêmistes et d'ignorants Moldus, auxquels les Mangemorts avaient répondu. Elle avait été surprise de la déclaration de Carwood concernant les plans du Seigneur des Ténèbres. Mais il y avait eu des arrestations, il y avait peut-être des traîtres – elle le savait à présent, se dit-elle, songeant à Parvati, par exemple – ce n'était pas si[/ï] étonnant.
Ce qui était étonnant était que les autorités aient tardé à ce point à intervenir... Elle se remémorait le mantra de son amie, Ana : [i]Ne crois pas ces vieux fous, dont la lubie est leur puissance personnelle, pour cela les entrainant tous à leur suite, les utilisant sans vergogne. Ce qu'elle avait été stupide de croire que, parce que leurs intentions étaient bonnes, que le fond de leur cœur était animé de la seule volonté de protéger leur espèce, qu'ils étaient des jeunes gens intelligents, amicaux, gentils, ils arriveraient à faire de la Cause quelque chose qui dépasserait le seul égoïsme de Voldemort... Les brebis étaient mortes à la suite d'un berger sans considération pour elles.

Abby continuait son persiflage et Harmony commençait à en avoir assez. Certes, les remords rongeaient ses entrailles comme l'acide, mais elle ne se laisserait pas insulter de la sorte, d'autant plus de la part de sa sœur. Elle répondait avec bonne volonté à ses questions, mais force était de constater que la Gryffondor n'écoutait rien. Elle ne faisait que jeter des accusations de plus en plus invraisemblables.

« Arrête tout de suite. Je viens de te dire que j'ai demandé à des amis où était William et j'ai été embarquée trop vite près de la Sorcière borgne pour chercher Sara. Quant à toi, tu étais juste deux mètres plus loin que moi, je t'ai vue immédiatement. Jamais de la vie je ne pourrais espérer que tu meures, ce que tu dis est horrible. » La colère sourdait au creux de sa voix.
En l'accusant ainsi, la traitant presque de monstre sans cœur, Abby était effroyablement intolérante. Ne comprenait-elle pas qu'ainsi elle reproduisait l'idéologie de ceux qu'elle conspuait ?

« Yvain m'a prévenue juste avant le début de la bataille. Il m'a dit de m'échapper. Je ne pouvais pas aller des cachots jusqu'à la volière pour envoyer Minerva ! C'est insensé ! Et puis... Mince, Abby, je vois vraiment pas pourquoi je me justifierais comme ça. J'ai rien de plus à me reprocher que toi. »

Abby cependant pensait tout autrement. Selon elle, Harmony aurait voulu rejoindre le Seigneur Noir après ses ASPICs, et se retrouvait bien désoeuvrée, à présent. Elle lui demanda ce qu'elle comptait faire. Outrée, Harmony lui reprochait une fois de plus ses accusations, dans un moment aussi grave que celui où elles veillaient leur petite sœur.
La tension s'accroissait à nouveau, alors qu'Abby mentionnait à nouveau son « maître ». Elle lui intimait de ne pas faire comme si de rien n'était et lui expliquait clairement qu'elle ne serait pas la bienvenue à la maison. Qu'importe ce que sa sœur venait de lui dire : Harmony venait de lui confirmer qu'elle aurait défendu le château.

« Arrête de dire de Voldemort qu'il était mon maître. Et puis de quel droit tu me dis ça ? Cette maison n'est pas la tienne, pas plus qu'à moi ! Maman m'accueille évidemment, la question ne se pose même pas. Quant à Will, tu pourras en discuter directement avec lui lorsqu'il se réveillera mais je pense pas qu'il ait l'esprit aussi obtus que toi. » Elle contenait sa rage, parlant d'une élocution détachée, ses mots parfaitement prononcés, froids. Placide. Impassible.

Elle observa Abby se lever et se pencher sur leur petite sœur. Dans un geste tendre, elle caressait la joue de Sara et l'émotion était visible à ses yeux embués lorsqu'une fois de plus, elle donna un ordre à sa jumelle. Harmony planta son regard pâle dans les yeux de sa sœur et laissa passer un instant avant de répondre, toujours assise sur sa chaise d'hôpital. « Je resterai là, Abby. Que tu le veuilles ou non, ça m'est égal. J'irai voir Will quand tu seras auprès de Sara, comme ça tu n'auras pas à supporter ma vue et tu éviteras de m'insulter devant notre sœur. Mais je continuerai de venir voir Sara. »

Elle soupira et sourit. « Lorsqu'elle aura repris conscience, Sara pourra me dire elle-même qu'elle ne veut pas de moi à ses côtés. Dans ce cas, je respecterai sa décision. » Elle s'installa confortablement contre le dossier de sa chaise et poursuivit. « Mais ce n'est pas à toi de choisir pour elle. »