Radio, Quidditch et Cheminée [Luuna]

L'après-midi était déjà bien avancé lorsque Clemens remonta dans la salle commune de Sinistros, s'attendant à y trouver si pas beaucoup d'activité, du moins une présence humaine. L'endroit était néanmoins vide, gardant encore quelques traces de la soirée précédente. Un verre de cocktail trainait sur le minibar, à moitié rempli d'un liquide rose saumon qu'il ne put - et ne voulut - identifier. Au fond, sur une table la reine noire d'un jeu d'échec lui faisait des signes du bras pour tenter de le faire approcher. Le jeune homme observa la disposition des pièces pendant un instant, perplexe, avant de réaliser que la partie avait été abandonnée en court de route, ce qui laissait aux pièces un incontrôlable sentiment de frustration. Il haussa les épaules et se détourna, ce jeu nécessitait trop de temps de réflexion pour son caractère sanguin.

Après ses cours du matin, l'Allemand s'était rendu à la bibliothèque afin de finir la rédaction d'un devoir. Cela lui avait pris deux heures et à présent, il avait besoin de se changer les idées. Peu importait à quel point il appréciait les études qu'il avait entreprises, un irrémédiable besoin d'action et de changement persistait à nuire à sa concentration. Il s'effondra donc dans un gros fauteuil en cuir près de la cheminée, à côté duquel il abandonna négligemment son sac de cours après en avoir sorti sa baguette magique. Il fixa ensuite les yeux sur la radio qui trônait sur la table, devant lui. Le vieil objet de bois ne semblait, de prime abord, pas capable d'émettre le moindre soin. Cette espèce d'anachronie entres les objets sorciers et leurs capacités véritables avaient toujours plus au Sinistros. L'idée qui lui courait dans la tête était, cette fois, cependant tout autre.

Le matin même, il avait reçu une publicité d'abonnement pour un magazine de Quidditch. Clemens avait feuilleté le prospectus d'une manière distraite, un café à la main et s'apprêtait à le jeter lorsqu'un titre d'article avait attiré son attention. Choc Tornades de Tutshill contre Busards de Heidelberg : Décryptage. Il avait laissé échapper sa tasse et s'était brulé; une espèce d'adrénaline l'avait envahi quand il avait vu la date du match: Aujourd'hui. Dix-sept heures.

D'une main hésitante, le jeune homme finit par tapoter la radio de sa baguette, plusieurs fois, jusqu'à tomber sur la station qui diffusait les matches de Quidditch. La voix du commentateur lui était si familière et à la fois, si lointaine. Déjà 20 à 10 pour les Tornades alors qu'il n'y avait que 10 minutes de jeu. Il sourit doucement, puis sursauta brutalement quand il attendit un bruit de porte, à l'autre extrémité de la salle.

Clemens fixa le vide pendant un instant, comme si il avait rêvé le bruit de porte qui l'avait fait sursauter. Il allait détourner les yeux quand une silhouette apparut en haut des marches qui menaient à la salle commune. Il dévisagea la jeune fille un instant, son esprit refusant de la reconnaître jusqu'à ce que sa voix parvienne à ses oreilles. Luuna. Cela avait été si étrange de la revoir à Haveirson alors qu'ils n'avaient plus eu aucuns contacts pendant les deux années qui les séparaient de l'époque Poudlardienne. Il ne s'était pas attendu à la revoir ici, comme une apparition qui recréeait le lien rompu entre son présent et son passé. Les deux jeunes gens semblaient aussi étonnés l'un que l'autre, immobile, les yeux dans les yeux sans savoir comment réagir. Ils s'étaient à peine croisés depuis la rentrée et n'avaient pas encore pu rattraper le temps perdu.

" Luuna. " Un déferlement de souvenirs encombra soudainement son esprit, qu'il essaya de refouler. " Oui, il a commencé depuis dix minutes ! Déjà 20 à 10 pour les Tornades." D'une main, l'étudiant désigna un fauteuil à côté de lui. " Tu te joins à moi ? "

L'ancienne Gryffondor avait été à la fois sa rivale et sa partenaire d'entraînement. Pour cette raison, les moments passés ensembles sur le terrain de Quidditch avaient toujours particuliers pour lui. Ils avaient construits une amitié singulière, sur les bases solides de leur passion commune, mais toujours un peu ambivalente à cause de leur appartenance à des maisons différentes. De nombreuses personnes n'avaient jamais compris qu'ils pouvaient s'entraider alors qu'ils étaient contraints de jouer l'un contre l'autre. Tous ces souvenirs mêlés et un peu confus provoquèrent chez lui un sentiment étrange.

Depuis son accident, Clemens avait fui comme la peste tout ce qui avait eu trait à son sport. L'annonce d'un match de "son" équipe avait réveillé une sorte de loyauté qu'il croyait oubliée. Ses anciens coéquipiers prenaient régulièrement de ses nouvelles et ils lui avaient souvent rendus visite lors de sa rééducation, cependant, ils prenaient soin d'éviter le sujet du Quidditch... Trop sensible. Le retour dans une école, revoir Isolde qui parlait de s'acheter un nouveau balai, les piques et le renouveau de sa rivalité avec Flutis l'avaient amené à considérer un vol. De préférence seul, sans témoin. L'étudiant n'avait cependant pas encore osé sortir son balais, calfeutré dans un coffre depuis deux ans.

Ses yeux clairs se posèrent à nouveau sur Luuna. Quel étrange hasard que leur première opportunité de passer du temps ensemble coïncide avec sa première tentative de renouer avec le monde du Quidditch. Il sourit doucement à la jeune fille, il devait avouer que ce hasard lui faisait plaisir.

Son sourire s'élargit un peu plus lorsque Luuna accepta sa proposition et traversa la salle commune d'un air enjoué. Ses yeux clairs suivirent ses mouvements jusqu'à ce qu'elle se laisse tomber à ses côtés et il hocha simplement la tête quand elle commenta le jeu des Tornades. Il devait en effet reconnaître que leur escouade de poursuiveurs étaient une des meilleurs de la ligue, néanmoins, son coeur ne pouvait vibrer qu'avec les Busards. La subjectivité ne souffrait aucun argument. Clemens détourna le regard lorsque son amie retira sa veste, pris soudainement par un accès de pudeur. Il se souvenait d'elle comme une grande enfant, une adolescente joyeuse et bout-en-train. Si l'enthousiasme ne l'avait pas quittée elle était cependant, indéniablement devenue une femme.

L'étudiant se redressa, s'apprêtant à rompre le silence qui commençait à s'installer, lorsque son amie reprit la parole. Ses yeux clairs se rivèrent à nouveau sur son visage et son esprit s'emballa lorsque leurs regards se croisèrent. Chacun de ses mots faisait échos à un souvenir qui traversait sa mémoire à mille kilomètres à l'heure. Son passé s'imposait à nouveau à lui, brutalement, inattendu, mais pour la première fois depuis longtemps cela l'apaisa. Luuna était pour lui comme un symbole d'une époque encore joyeuse et pleine d'espoir. Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres et il se passa une main dans ses cheveux décoiffés.

" Auf jeden Fall". Comme à chaque fois que le jeune homme se trouvait aux prises avec lui-même, sa langue maternelle jouait des tours à son anglais, sans même qu'il ne s'en rende compte. " Je suis content qu'on soit dans la même confrérie, cela nous donnera plus d'opportunités pour passer du temps ensemble."

Pendant un court instant, Clemens reporta son attention sur la radio. La voix du commentateur décrivait une attaque des Busards et il ne put s'empêcher de fermer un instant les yeux, puis de faire un signe de la tête en signe d'approbation lorsque l'égalisation fut annoncée. Il se tourna à nouveau vers Luuna et ne se priva pas, cette fois, de détailler son visage, la couleur intense de ses yeux, la brillance de son sourire.

" Comment es-tu arrivée ici, à Haveirson ? J'ai l'impression que nous avons tous été séparés puis ramenés ici comme par une sorte de destin supérieur... " Il rit, se moquant un peu de lui-même. " J'ai entendu dire que tu étais partie un temps en Italie ? Ca m'a beaucoup surpris de te voir ici. "
Sa voix trahissait sa curiosité habituelle, bien qu'il n'osait pas en demander trop, d'un coup. Un tas de questions lui brûlaient encore la langue, avide qu'il était de savoir ce qui s'était passé dans sa vie, ces deux dernières années.

Le sous-entendu n'échappa pas à Clemens. Il s'était, comme beaucoup d'entre eux, posé la même question. Comme un Comte, qui jusqu'à alors était inconnu de tous, avait réussi à tous les joindre, tous ces étudiants d'une même année à Poudlard, ayant vécu leur vie depuis deux ans ? D'autres étaient certes plus jeunes ou venaient d'autres endroits mais cela n'enlevait rien au mystère. Quelques temps auparavant il avait rencontré une Française toute juste arrivée en Angleterre. Pourquoi était-elle venue ici et comment elle avait reçu le même courrier alors qu'elle parlait à peine anglais était une énigme. Il chasse cependant ces pensées conspirationnistes de son esprit. Ils avaient des tas de sujets de discussion plus agréables à épuiser avant d'en arriver aux théories du complot.

Le jeune homme hocha la tête lorsqu'elle évoqua l'Italie évasivement... Changer d'air, oui, ils en avaient tous eu besoin à la fin de leur sept années à Poudlard. Il tenta cependant de sonder son visage et les émotions qui agitaient la jeune fille. Il avait la sensation qu'une histoire plus compliquée se cachait derrière ce besoin dont elle n'avait parlé que d'une manière vague. Qu'importe, ils auraient probablement l'occasion d'aller plus loin dans les confidences lorsque leur amitié aurait repris ses droits sur leur relation. Il se laissa soudain contaminer par son rire, profitant de cette conversation légère et spontanée comme il n'en avait pas eu beaucoup ces derniers jours.

" Oh, un peu déçu quand même... " la taquina-t-il, faisant soudainement semblant d'être sérieux. " Je veux dire qui aurait envie de retomber, par hasard et sans prévenir, sur une amie qu'on n'avait plus pu voir depuis deux ans ?" ajouta-t-il d'une voix où perçait une ironie amusée.

Les yeux de Luuna semblait empleint d'une émotion un peu triste, elle s'en voulait probablement d'avoir laissé leur amitié s'affaiblir depuis leurs départs de Poudlard. Clemens posa une main sur la sienne, dans un geste amical, évocateur de confiance. Il n'avait jamais été rancunier et était de toute façon aussi coupable qu'elle. Après tout, être en rééducation ne l'avait pas empêché d'écrire des courriers non plus.

" Moi aussi j'aurais du t'écrire Luuna... Il s'est passé tant de choses en deux ans. On a tous pris des chemins particuliers et isolés. " D'après ce qu'il en savait, aucun de ses anciens camarades n'était restés en très proches contact. " Quelque part, je ne suis pas fâché. On profite deux fois plus de nous retrouvailles comme cela !"

L'Allemand sourit à sa camarade mais s'écarta un peu d'elle, rompant le contact qu'il avait sur sa main. Il s'était apprêté à lui dire que son regard à elle ne lui rappelait pas constamment son échec, cette compassion de ceux qui l'avaient vu détruit, au plus bas, à l'hôpital. Cependant, il se retint, il voulait laisser cette négativité, profiter entièrement de la présence de son amie.

" Dans quoi t'es-tu lancée alors ? Les possibilités d'études sont incroyables ici. Même des cursus dont je n'avais jamais entendu parler ! "

Une pique le traversa quand Luuna évoqua le nom de Heath. Visiblement, le sous-entendu a peine voilé faisait référence à un flirt à une période indéterminée. Clemens se remémora l'époque de Poudlard, la Gryffondor dans les bras de Sirius et les autres garçons qui lui tournait autour. Il en avait parfois été jaloux mais avait souvent relativisé; après tout, elle avait beaucoup de qualités et il était normal qu'elle soit souvent le centre de l'attention. Il l'avait souvent admirée, lui aussi, mais leur amitié était bien établie et il n'avait jamais tenté un quelconque flirt avec elle, conscient que cela ne pourrait mener à rien. Le jeune homme se rappela ensuite Heath, l'homme à femmes, l'ami de Rowan. Il grimaça légèrement, il n'avait jamais vraiment apprécié tous ces collectionneurs pour qui une femme ne semblait rien être de plus qu'une médaille accrochée sur un tableau de chasse.

Intrigué tant par la pointe de jalousie qu'il ressentait que par la rougeur qui montait aux joues de Luuna, il se demanda si une histoire était en train de se construire entre ces deux-là. Après tout, se retrouver à Haveirson dans une nouvelle atmosphère, avec deux ans de plus pouvait rebattre de nombreuses cartes et il n'avait aucune idée où la jeune fille se trouvait dans sa vie amoureuse. Peut-être n'était-ce pas ses affaires, après tout, malgré leur bonne entente, ils n'avait été que des partenaires d'entrainement qui appréciaient de passer du temps ensemble lors des soirées après-matches. Rien d'autre. Clemens se laissa donc un instant pour clarifier ses idées et son esprit et répondre, l'air de rien, entrant dans le jeu de la jeune femme.

" Heath... C'est vrai, en deux ans, il n'a probablement pas changé ! Il n'y a aucune raison qu'il parvienne à te résister ! "

Il rendit à Luuna son timide sourire, content qu'elle enchaîne rapidement sur le sujet des études. Après s'être écartée d'elle, il l'écouta parler avec intérêt avant de se laisser retomber contre le dossier du fauteuil. Il se demandait soudainement si elle n'avait pas accepté son offre de se joindre à lui uniquement par politesse. Après tout, elle était arrivée dans la salle commune plutôt essoufflée, l'air de vouloir courir pour se rendre quelque part sans être en retard. Sa voix trahissait cependant nettement la bonne humeur et l'enthousiasme. Le jeune homme l'observa un instant, perplexe, ne sachant plus trop comment agir vis-à-vis d'elle. Elle ne voulait plus d'obstacles entre eux... Une courte montée d'adrénaline l'avait traversé à cette phrase. A nouveau, il fit un effort pour se clarifier l'esprit. Il se posait probablement bien trop de questions à essayer d'analyser son attitude, ses mots et de comprendre pourquoi, soudainement, elle lui avait parlé de Heath.

" Je ne trouve pas cela tellement étonnant de ta part ! Tu as toujours aimé voler et tu sais très bien te défendre. Tu dois avoir cela dans le sang... et ça explique ton talent en tant que poursuiveuse. " finit-il d'une voix douce.
Le compliment lui avait échappé. Il le pensait honnêtement cependant. Durant leur cinq années à Poudlard, elle était une des joueuses qui avait échappé le plus souvent à ses envois de cognards. Il changea rapidement le sujet.
" Je fais dans la métamorphose... Le sujet me passionnait déjà à Poudlard, mais plus j'en apprends ici, plus je me dis que c'est le bon chemin, pour moi. D'ailleurs, je commence bientôt mon stage chez McGonagall... " L'étudiant avait appuyé ses derniers mots, le sous-entendu était clair, surtout pour une ancienne Gryffondor. Pas évident, après tout ce temps de revenir chez sous les ordres d'une professeur si exigeante.

Une bouffée de soulagement envahit le jeune homme lorsque Luuna chassa vivement l'idée même, la perspective simple d'une histoire avec Heath. Un sourire apparut naturellement sur son visage, son expression était calme, rassurée. A nouveau il profitait de la simplicité de cette conversation et de la douceur que son amie irradiait. Clemens sentit ses muscles se détendre à nouveau, conscient de la tension qui avait régné en lui pendant quelques minutes. Il avait un peu de mal à cerner la succession d'émotion qui le traversait à chaque nouvelle parole, mais il décida finalement de chasser à plus tard ses réflexions. Il se sentait bien, apaisé, et pour le moment, c'était tout ce qui importait.

" Tu as bien raison, il faut se laisser le temps... Ne pas se jeter dans les bras de n'importe qui."

L'adage était un peu fané, mais l'étudiant l'avait salué d'un signe de tête approbateur. Contrairement à la réputation qu'on lui avait souvent fait, et bien qu'il se laisse souvent emporter dans des flirts sans lendemain, il était un adepte des relations sérieuses et posées. Il avait bien volé quelques bisous durant sa scolarité, l'alcool ou la complicité aidant parfois, mais il avait toujours mis un point d'honneur à ne jamais commencer une histoire avec une fille pour laquelle il n'avait pas de sentiments. Certes, il était sanguin et impatient, mais cela ne l'avait jamais empêché d'être un type honnête.

Encore une fois, un sourire spontané brilla sur son visage en réponse à la voix de Luuna. Son commentaire l'avait touchée et cela fit plaisir au jeune homme. Il avait spontanément senti le besoin de la protéger et de l'encourager, sentiment qui le vrilla soudainement, alors qu'il se rappelait une conversation tenue quelques jours auparavant, dans ce même donjon. Il dut se forcer pour se re-concentrer sur son amie, chassant à nouveau une réflexion trop complexe et trop prenante pour la situation. Heureusement, le sujet lui permit de se raccrocher facilement à la réalité et de partager le rire de Luuna.

" McGonagall aurait été surement bien trop heureuse d'avoir un successeur issu de sa propre maison, on ne l'aurait plus reconnue ! " L'évocation d'un passé irréaliste le ramena à un peu de sérieux, il plongea ses yeux bleus dans les yeux de la jeune femme. Il lui répondit d'une voix douce, calme, alors qu'elle posait une main sur son épaule. " C'est vrai, les choses auraient été bien différentes... Mais on ne changera pas le passé, alors attelons-nous au futur !"

L'enthousiasme qui l'avait emporté sur la fin de sa phrase retomba. Ses yeux vrillés sur Luuna, il eut soudainement envie de poser sa tête contre cette main, négligemment laissée sur son épaule. Cependant, avant qu'il ait pu déterminer si cette action était acceptable, la jeune fille se pencha sur la table vers la radio grésillante. Ce contact léger, inattendu éveilla un brasier dans le torse du jeune homme, terrassé par une sensation qu'il n'avait plus connue depuis... longtemps. Clemens lutta pour éclaircir son esprit alors que son amie se redressait, l'effleurant à nouveau, d'une manière si douce que ç'aurait pu en être calculé, et se réinstalla dans le canapé.

L'Allemand dut détourner le regard pour retrouver un semblant de contenance. A quoi Luuna jouait-elle ? Il avait été absolument ravi de la revoir, se rappeler ces souvenirs, se laisser bercer par sa joie et son enthousiasme. Conscient que s'il restait détourné plus longtemps cela ne semblerait plus être un mouvement naturel, il affronta le regard dévorant de la jeune femme, ses yeux noisettes brillants d'un sentiment qu'il ne parvenait pas à déchiffrer. Clemens se passa une main dans les cheveux, et posa un pied sur le bord de la table, tentant de se donner une contenance détachée et détendue, alors que la tension vrillait ses épaules. A quoi jouait-elle donc ? Évoquer Heath, puis chasser ses sous-entendus, jouer avec le contact et la proximité, comme si de rien était ? Son esprit était comme fou furieux, comme un lion en cage, désarçonné par le nombre d'évènements inattendus en si peu de minutes.

Une soudaine exclamation du commentateur annonçant la chute d'un poursuiveur des Tornades fit sursauter les deux étudiants, donnant à l'ancien Serdaigle un regain de maîtrise de lui-même.

" Quel match... Tu sais s'ils vont faire des équipes, ici ? J'ai vu qu'il y avait un terrain, mais je n'y ai pas mis les pieds. Il y a tellement de choses à découvrir ici, entre le château et le village d'Avalon... Je ne sais plus où donner de la tête !"

Vraiment plus, songea-t-il pour lui même.

Clemens sourit doucement à Luuna, l'excitation se sentait dans sa voix quand elle parlait de Quidditch et il fut touché à la manière dont elle s'interrompit elle-même. Elle avait évidemment conscience que le sujet était délicat pour lui, mais étonnement, en parler avec elle ne lui posait pas de problèmes. Quand il avait cette conversation avec des inconnus, c'était toujours en faisant référence à l'abandon d'une carrière professionnelle qui s'annonçait pourtant brillante. Avec ses amis très proches, le sous-entendu d'amertume revenait toujours à la surface alors que, dans leurs yeux, il voyait le Clemens blessé qu'ils avaient découvert à l'hôpital. Les deux cas lui renvoyait son échec en plein visage, comme un miroir qui le jugeait. Son ancienne partenaire, par contre... Leurs seuls souvenirs communs étaient les matchs endiablés à Poudlard, suivis de soirée où coulait la Bièraubeurre, la joie et l'insouciance.

Sa voix était un peu tendue, presque tremblante. Les évènements du cimetière lui avait fait relativiser beaucoup de choses sur son passé et ses échecs. Il avait la chance d'être en vie et en bonne santé, même si un peu diminué. Il était probablement temps qu'il se reprenne, aille de l'avant et ne se laisse plus retenir par ses fautes.

" A vrai dire, depuis quelques jours, je me demande si j'ai envie de rejouer, moi aussi... J'avais complètement chassé cette possibilité en arrivant ici, mais Isolde veut recommencer, toi aussi, Flutis se laissera probablement embarquer dans l'aventure. " Il fit une pause, songeur, réfléchissant aux autres étudiants qui avaient fait partie des équipes à Poudlard. " Je pensais ne plus jamais remonter sur un balai, mais je dois avouer que la perspective vous voir former une équipe et rester dans les gradins ne me plais pas des masses. "

Son sourire était à nouveau espiègle, une légère lueur d'excitation dansait dans ses yeux. Les mêmes joueurs, mais dans des constellations différentes, coéquipiers d'hier devenus adversaires... C'était une idée vraiment tentante. La promesse d'adrénaline pourrait bien être suffisante pour le convaincre de ressortir son Nimbus. Il espérait en quelque sorte qu'un de ses anciens partenaires le mettent au défi. Il avait parfois du mal à se convaincre lui-même, mais refuser un challenge ? Ca, jamais.
L'expression de Luuna semblait toujours embêtée, comme une enfant qui venait de faire une gaffe et restait plantée devant sa mère dans l'attente de sa punition. Il s'apprêtait à tendre la main pour la rassurer, tant avec un contact amical que quelques paroles, qu'elle reprit la parole. Visiter Avalon... Clemens éclata de rire.

" J'espère que tu as eu l'occasion de visiter l'église avant qu'il ne soit trop tard. " Il n'avait toujours pas évoqué la destruction du bâtiment avec Isolde, qui devait probablement lui en vouloir à mort. Il reprit rapidement son sérieux, les évènements auxquels il faisait référence n'ayant au final pas grand chose de rôle. " Plus sérieusement, je suis un peu vacciné du village. Tu n'as pas entendu ce qui s'y était passé ? Il y a une semaine, j'étais parti visiter l'église avec Isolde. D'autres étudiants nous ont rejoint et ça a dérivé en petite bataille amicale... Jusqu'à ce que des mangemorts n'arrivent. "

L'étudiant décida de passer sur les détails, il avait toujours un peu de mal à accepter ce qu'il avait fait, ce jour-là, même si sa discussion avec Megan lui avait permis de faire la part des choses. A présent, il appréhendait un peu la réaction de Luuna... Cette révélation était pour le moins inattendue. Beaucoup de rumeurs circulaient, mais les principaux intéressés avaient plutôt éviter d'apporter le sujet, même entre eux. Clemens tenta de rattraper la situation.

" Mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller sur le bord de mer. J'ai entendu dire que ça valait le coup, pourtant... "

L'enthousiasme qui brillait dans les yeux de Luuna lui donnait envie de s'y perdre. Son regard bleu plongés dans ses yeux noisettes, il avait envie de se laisser porter par sa gaieté. Son insouciance de grande enfant, le contact spontané qu'elle créa à nouveau entre eux le firent frémir. Quand elle se calma à nouveau soudainement, c'est lui qui laissa son imagination s'emballer. Une nouvelle école, une nouvelle équipe, c'était presque s'il ne les voyaient pas déjà avec les vareuses de Sinistros en plein match endiablé.

" Imagine l'équipe qu'on formerait ! Avec mes cognards pour couvrir tes montées au but, on serait invincibles ! " Il lui fit un clin d'oeil, espiègle, détendu, complètement happé par son regard. Machinalement, il se massa cependant l'épaule droite, celle qui avait encaissé toute sa chute. Le muscle et l'articulation le tiraillait encore régulièrement, et au final, il n'avait aucune idée s'il serait capable de rejouer. " Enfin, ça me plairait bien, en tout cas... " ajouta-t-il en se renfrognant légèrement.

Avant de se poser la question, il devrait même simplement commencer par ressortir son balai, le remettre en ordre et se rendre au terrain de Quidditch. Il avait évité ce lieu comme la peste depuis son arrivée à l'académie, ne l'apercevant que de loin. Retrouver ses habitudes de vol, se retaper une condition physique... Il se laissait aller depuis un moment et même si ses années d'entrainement intensif ne s'effaçait pas complètement, il n'était pas sur de tenir le choc d'un match. La conversation repris son cours sur le sujet d'Avalon et il chassa ces réflexions de son esprit. Il n'aurait qu'à se mettre au jogging.

Clemens détailla un moment le visage et l'attitude de Luuna, intrigué par son inquiétude puis son changement de comportement soudain. Il était vrai que les évènements dataient à présent de quelques jours et aucun étudiant n'étant revenu visiblement blessé à Haveirson, chacun pouvait se douter que rien de grave ne leur était arrivé. Le jeune homme aurait cependant apprécié que son amie s'inquiète un peu de son état d'esprit et pas seulement du bien-être d'Isolde. Il se contenta donc de hausser les épaules et de répondre un peu évasivement.

" On a tous été un peu secoués, mais pas de casse... Ou presque. " fit-il un peu amusé, se rappelant comment le coup de tête de Megan lui avait explosé le nez.

Il regretta soudainement de ne pas s'être rendu à la mer quand le temps était encore au beau fixe. Il avait pris son temps pour visiter les alentours et n'avait pas poussé jusqu'à la plage, se ravissant à lui-même le plaisir d'une baignade. De plus, après son temps passé en Allemagne, il n'avait plus vu la mer depuis longtemps et cela lui manquait un peu. L'automne avec son vent glacial et sa pluie intermittente n'était pas franchement la meilleure saison pour une balade près des vagues... L'hiver par contre, avec son impression de temps qui s'arrête et quelques flocons de neige... Il sourit doucement à Luuna.

" Tu pourras me montrer ça, alors... Tu t'es déjà retrouvée à la plage sous la neige ? C'est une atmosphère incroyable, contradictoire, on se sent hors du temps. J'ai souvent vu ça, en Allemagne... "

Ce moment de douceur fut à nouveau interrompu par la radio qui annonçait le retour en jeu du poursuiveur Tornades et la prise d'avantage des Busards. Il sourit, content pour son équipe, content surtout de passer un moment avec son amie. Elle proposa ensuite quelque chose à boire, c'est vrai que la salle commune était toujours vide et ils approchaient petit à petit du début de soirée. 17h30, c'était une bonne heure pour un petit apéro ! Clemens sauta sur ses pieds, se planta face à Luuna.

" C'est vrai qu'on a notre propre bar, ici ! " Il fit un pas vers elle et prit un air de conspirateur " Tu crois que c'est déjà l'heure pour l'apéro ? " Il lui tendit la main, l'invitant à se joindre à lui pour aller explorer les profondeurs de leur bar, qu'il n'avait à vrai dire encore jamais ouvert.

Le match continuait à un rythme endiablé, les commentaires se fondaient dans l'arrière plan, alors que face à son amie, il lui semblait que le temps s'était arrêté. Quelque part au fond de sa tête, une petite voix suppliait les attrapeurs des deux équipes de se laisser le temps avant de trouver le vif d'or, que ce moment de grâce ne s'arrête pas trop vite...