A l'abri de la pluie

Suite de :Remise en Forme

Accompagné de Amaranthe, rencontré quelques dizaines de minutes plus tôt sur la digue, Clemens poussa la porte du Parker's Coffee. Le Sinistros, encore vêtu de ses habits de jogging était transi de froid. Un sourire bienheureux s'afficha sur son visage lorsque la chaleur accueillante du café enveloppa son être. L'humidité qui s'était introduite jusqu'à ses membres aurait entamé sa bonne humeur légendaire si sa camarade n'avait pas accepté la proposition de se réfugier dans ce coin douillet. Le jeune homme se dirigea spontanément vers la première table libre sur son chemin. Un coup d'oeil vers le bar lui révéla que Isolde ne semblait pas de service ce jour-là. D'un côté, il était un peu déçu, de l'autre, cela lui permettrait de faire connaissance plus avant que la jeune Abraxan. En dehors de son cursus et de son cercle d'amis, il n'avait pas trop l'occasion de faire de nouvelles rencontres.

Enfin installé, il reprit le fil de leur conversation, abandonnée sur le pas de la porte.

" Je ne connaissais même pas l'existence d'une telle forme de magie ! Je pensais que les pratiques étaient plus ou moins universelles à un niveau international. Cela doit se rapprocher un peu de notre divination, non ? Ou est plus... cartésien que cela ? "

Les yeux de Clemens trahissaient une lueur d'enthousiasme. Il avait toujours été fasciné par les perspectives nouvelles, les chemins inconnus. Son esprit curieux et impatient se trouvait ravi face aux connaissances que Amaranthe pouvait lui décrire. Néanmoins, il choisit de faire l'impasse sur les stéréotypes dont les média moldus l'avaient abreuvé. Bien qu'il n'ait pas honte de son ascendance, d'ailleurs elle était connue de beaucoup de ses camarades, il préférait dresser un mur entre sa vie dans le monde magique, et celle dans le monde moldu. Il enchaîna donc sur les voyages qu'il avait entreprit.

" Je ne me suis pas beaucoup déplacé... J'ai grandi à Londres, donc j'ai voyagé en Angleterre et au Pays de Galles. Bien sur, je me suis souvent rendu en Allemagne et un peu dans les pays avoisinants, quand je jouais au Quidditch. Danemark, Norvège, Autriche... mais pas vraiment pour le tourisme. Je n'ai pas souvent été au contact des locaux, au final. "

Pensif, il se dit que c'était une activité qu'il devrait mettre à son programme, maintenant qu'il avait plus de temps. D'autant que d'autres peuples aux racines magiques ancestrales, comme les Scandinaves, avaient très probablement des connaissances dans d'autres arts qui leur étaient inconnus, au Royaume-Uni. Tant humainement, que magiquement, cela pouvait devenir une expérience intéressante.

Un serveur s'approcha alors d'eux, l'air enthousiaste et lui aussi ravi d'être à l'intérieur, à l'abri du déluge qui s'abattait soudainement sur les fenêtres. Clemens adressa un sourire à Amaranthe tout en désignant l'extérieur.

" Eh ben, on a bien fait de rentrer... Qu'est ce qui te fait envie ? C'est moi qui invite !" fit-il avec un clin d'oeil.

Après tout, la jeune femme revenait dans ce café quitté il y a moins d'une heure parce qu'elle avait eu la malchance de tomber sur un ancien camarade qui faisait son jogging. Il lui devait bien ça !

Son menton appuyé dans la paume de sa main gauche, Clemens buvait les paroles de sa camarade avec avidité. Il avait en effet entendu ces rumeurs à propos de Durmstrang, mais il n'était pas sur de leur véracité. Le directeur de cet institut avait mauvaise réputation, mais de la à penser que la formation basique des sorciers scandinaves étaient la magie noire... ? Il en doutait un peu. Néanmoins, il n'avait jamais rencontré personne qui y avait étudié.

Sa description de la méthode amérindienne se révélait, quant à elle, fascinante. Isolde serait probablement intéressée par une telle anecdote, elle qui était passionnée de botanique. Les plantes européennes tendaient à être essentiellement utilisées pour créer divers potions et médicaments, mais il était assez logique qu'elles aient également d'autres utilisations. Après tout, même les moldus travaillaient les herbes a un niveau avancé et développaient des modifications de toutes sortes. Peut-être même était-il courant ici de fumer les végétaux, mais Clemens s'était bien trop peu intéressé à la botanique pour en avoir la moindre idée.

Amaranthe interrompit brutalement sa tirade avec des excuses soudaines. L'Allemand lui jeta un regard étonné, puis éclata de rire.

" Oh non, c'est passionnant ce que vous racontez ! Je n'avais jamais entendu parler de ces formes de magie, et je suis un grand curieux... Qui plus est, ma meilleure amie est passionnée de botanique. Vous me donnez un nouveau sujet de conversation à exploiter avec elle. "

Il comprenait néanmoins son sentiment. La passion était un sentiment bien difficile à transmettre avec de simples mots. Lui-même en avait souvent fait l'expérience quand il essayait d'expliquer sa fascination pour la métamorphose. L'expérience ne remplaçait jamais un témoignage, peu importait son degré de fidélité. D'ailleurs, la difficulté se tournait vers lui, à présent. Comment parler de l'Allemagne ? C'était aussi une partie importante de son essence, car il ne s'était jamais vraiment considéré comme Anglais.

Son attention se tourna d'abord vers le serveur qui attendait patiemment à côté d'eux. L'étudiant jeta un coup d'oeil rapide à la carte, puis adressa un sourire à Amaranthe. Il aurait été terriblement impoli de retirer sa proposition, et puis, cela lui faisait plaisir. Néanmoins, il prit les devants pour la mettre à l'aise. Après tout, elle était peut-être gênée d'accepter une telle offre de la part d'un camarade certes, mais qu'elle ne connaissait que depuis une heure.

" Disons un cappuccino, un chocolat chaud, une part de gâteau au chocolat et une part de tarte aux pommes, s'il vous plait. " adressa-t-il poliment au serveur. Quand celui-ci se fut éloigné, il dit à sa camarade. " Vous choisirez ce qui vous plait, ainsi. "

Clemens prit ensuite quelques instants pour réfléchir à ce qu'il pourrait dire sur son pays et choisit ses mots avec soin.

" Hmm... C'est un pays très complexe, de part son histoire très riche. Les Allemands sont des gens délicats, d'une générosité sans pareille, bien qu'ils soient un peu difficiles d'accès, de prime abord. On se heurte souvent à leur froideur, mais simplement parce qu'ils ont encore des traditions très formelles. Mon grand-père, par exemple, se lève toujours quand une femme parle à table. A son époque, il était terriblement irrespectueux de rester assis pour écouter parler une dame. Il est aussi impensable d'arriver quelque part sans apporter des fleurs pour la maîtresse de maison. La famille est une valeur qui reste également très importante. Dans beaucoup de familles, Noël se fête selon des traditions et des rites très précis qui sont répétés d'années en années. "

Clemens s'arrêta dans son enthousiasme. Il aurait pu parler pendant très longtemps de ce pays qui lui était cher, mais il ne voulait pas s'étendre trop en longueur sur sa famille. De plus, il ne savait pas vraiment comme parler de ses racines sans se mettre à décrire et décrire pendant des heures.

" Avez-vous un intérêt plus particulier ? C'est compliqué pour moi, de parler de ma culture sans savoir ce qui pourrait vraiment éveiller votre curiosité. "

Clemens adressa un sourire éclatant à sa camarade, une lueur espiègle dans les yeux. Il était assez spontané et détestait les longues hésitations. Depuis son plus jeune âge, il cultivait l'art de prendre des décisions vite et bien, quitte à réfléchir ensuite et à changer d'avis. La réaction de Amaranthe l'amusait néanmoins, car malgré ses bonnes intentions, il était évident qu'imposer la commande était à la limite de l'effronterie. Cela lui permettait cependant de jauger la jeune femme en face de lui. Il fut ravi de constater que sa légère objection tenait plus de la malice que de la surprise. Visiblement, derrière ses manières polies, elle avait un certain humour et savait jouer avec les sous-entendus, elle aussi. Appréciable.

" Je restreins votre choix pour vous le faciliter... Ce n'est pas pareil " murmura-t-il en réponse, avec un nouveau clin d'oeil.

Ses pensées voletaient encore sur le sujet de la magie onirique, et il se promit d'écrire à Isolde prochainement, si ils ne se croisaient pas par hasard dans un couloir. Étant donné qu'elle ne lui avait jamais parlé de ce type d'utilisation des plantes, il était possible qu'elle ne connaisse pas. Peut-être aussi n'avait-elle jamais jugé intéressant d'en parler, car elle savait son manque de passion pour la botanique. Néanmoins, cela valait toujours le coup d'essayer. Il intégra donc le mot "sauge" dans son esprit afin de s'en souvenir plus tard.

Le serveur revint rapidement et disposa la commande entre les deux étudiants, l'air un peu perplexe face à cette commande groupée et presque péremptoire. Avec une hésitation, il disposa le chocolat chaud devant elle et lui servit le café. Clemens remercia le jeune homme d'un signe de tête, légèrement amusé par sa répartition des boissons, alors qu'il avait laissé les deux parts de gâteau au milieu de la table. Cet espèce de stéréotype latent sur les préférences de la gent masculine et de la gent féminine restait vérifiable partout où il allait. Pour lui qui avait grandi derrière un comptoir de bar, cela restait toujours une réalité plutôt amusante à observer.

" Le cappuccino me convient, mais nous pouvons volontiers échanger, si vous le voulez. " répondit-il avec un sourire.

Le Sinistros poussa légèrement la tasse vers elle pour l'inciter à la prendre si elle le souhaitait, puis réfléchit à sa question. Amaranthe était parvenue - bien qu'inconsciemment - à le mettre dans une situation délicate. Tout ce qu'il connaissait de l'Allemagne c'était le monde moldu. Il avait certes joué au Quidditch à Heidelberg, mais il y était en contact avec des joueurs de tous horizons et cela ne l'avait pas vraiment instruit sur les traditions de la jeunesse magique allemande. Clemens fit la moue, il avait envie de fournir une réponse satisfaisante à sa camarade, sans vouloir admettre que toute sa parenté germanique n'avait aucune idée de leurs vies de sorciers. Il rassembla donc ses maigres connaissances et lui répondit tout en choisissant ses mots avec soin, lui laissant encore le temps de réfléchir.

" Beaucoup d'élèves se rendent à l'Institut Durmstrang. Géographiquement, c'est le plus accessible pour la plupart d'entre eux. Ceux qui ont reçu de bonnes bases d'anglais peuvent également se rendre à Poudlard, comme moi ou ma meilleure amie par exemple. J'imagine que les familles qui vivent à la frontière française envoient leurs enfants à Beauxbâtons. "

Il fit une pause et se gratta un instant la barbe, songeur. Les créatures...

" Ah, les Chaporouges sont assez fréquents dans le nord du pays. L'Erkling se trouve uniquement en Forêt Noire, même si certaines personnes prétendent qu'il ne s'agit que d'une légende. Le Verlieu est aussi assez courant au large de la côte nord. Cependant, la plupart des créatures que nous connaissons ici sont aussi assez courantes en Allemagne... Je crains ne pas pouvoir en dire plus. J'ai été élevé à Londres vous savez, et j'ai fait mes études à Poudlard. Mon éducation germanique ne remplace malheureusement la vie dans le pays même. " dit-il avec un sourire un peu désolé.

Clemens ne put retenir un éclat de rire, à nouveau. Amaranthe avait cette délicieuse habitude des remarques à la fois pince-sans-rire et espiègle qui lui plaisait beaucoup. Entre deux morceaux de conversation toute à fait sérieux et intéressants, elle plaçait une pique l'air de ne pas y toucher. Il réagit à sa remarque en se saisissant d'une cuillère avec laquelle il entama la tarte aux pommes. Ses yeux bleus fixés sur sa camarade, espiègle comme toujours, il engloutit un morceau de la délicieuse pâtisserie avant de répondre.

" C'est moi qui la mangerai, ainsi. "

Amusé, il laissa néanmoins l'assiette au milieu de la table. Il se doutait bien que l'objection était teintée d'humour. Ils pouvaient tout aussi bien partager les deux morceaux de gâteau et ainsi, se délecter des deux. A vrai dire, Clemens n'était pas spécialement gourmand, mais il s'amusait beaucoup de la gourmandise de sa camarade. Son commentaire sur son addiction au chocolat était touchant de franchise. Le jeune homme récupéra donc sa tasse de cappuccino et s'y réchauffa les mains. Il commençait à se sentir mieux maintenant qu'ils étaient confortablement installés à l'intérieur. Il porta ensuite la boisson à ses lèvres alors que l'Abraxan le questionnait à propos de Isolde. Il était vrai qu'il ne l'avait même pas nommée depuis le début de leur conversation. Il reposa sa tasse et sourit.

" C'est vrai, ce n'est pas très correct de ma part. Elle s'appelle Isolde Mayer. Elle est à Phoenix et suit le cursus de spécialiste de la flore magique. Vous comprendrez donc pourquoi ce que vous m'avez raconté à propos de l'utilisation des plantes dans la magie onirique pourrait l'intéresser. C'est une véritable passionnée de botanique depuis qu'elle est toute petite. Elle était à Serdaigle également d'ailleurs, et jouait au poste de poursuiveuse dans l'équipe. Elle est plus jeune, mais vous la connaissez sans doute de vue ?"

Pendant un moment, il avait complètement oublié que Amaranthe était également une ancienne de la maison bleu et bronze. Il était fort probable que les deux jeunes femmes se connaissent un peu et il aurait été bien plus simple dès le début de nommer son amie par son nom.

Clemens avait toujours considéré l'Erkling comme une créature qui existait véritablement, mais cela tenait peut-être de son éducation. Il ne croyait évidemment pas qu'elle se limitait à dévorer les enfants, cette information là était de toute évidence une fable, mais chaque légende reposait sur une part de vérité. Il se contenta donc de hocher la tête avec politesse. Il ne voulait pas contrarier la jeune femme, d'autant qu'il n'avait aucune preuve pour la contredire. Il se contenta donc de répondre à sa nouvelle question.

" Je suis à Sinistros. Je n'ai retrouvé aucun membre de notre maison, mais beaucoup de gens que je connaissais déjà auparavant. Notamment Luuna Greenleaf de Gryffondor ou Rowan Westminbrook, de Serpentard. Les deux étaient des amis proches à Poudlard, c'est donc très agréable de partager leur confrérie maintenant, alors que nous étions toujours séparés durant notre adolescence. Et vous ? Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de fréquenter les Abraxans depuis mon arrivée... "

C'était une demi-vérité. Il avait passé pas mal de temps avec Megan, mais leur relation était assez... houleuse encore et même s'il appréciait la jeune femme, il ne savait pas trop comment se positionner face à elle. Il y avait Heath, également, son cher cousin, avec qui les choses n'étaient pas au beau fixe non plus. Autant dire qu'il avait passé des moments plus agréables avec les Phoenix depuis son arrivée à l'académie... Plongé dans ses réflexions, il fut surpris par le changement de musique soudain plus entraînant que l’atmosphère jazzy habituelle du Parker's. Sans parler du fait que Amaranthe l'invita spontanément à danser, au mépris des conventions de politesse et de distance qu'elle semblait observer depuis leur rencontre. Clemens se laissa néanmoins gagner par l'enthousiasme.

" Avec plaisir ! "

Le Sinistros se leva et observa un instant le petit espace dont ils disposaient. Le café était plein et il ne serait pas évident de trouver assez de place pour laisser libre cours à leurs talents. Il attendit donc que sa cavalière se lève, puis il poussa délicatement leur table afin de gagner quelques précieux centimètres. Ensuite de quoi, il se plaça devant la jeune femme et lui tendit une main, dans une invitation polie.

Sans aucune hésitation, la jeune femme accepta sa main et les deux jeunes gens se laissèrent entraîner par la musique. Clemens, les yeux fermés pendant un instant, chercha la symbiose avec la musique avant de poser à nouveau le regard sur sa cavalière. Décontractée et visiblement heureuse, Amaranthe se déhanchait au rythme de ce rock endiablé sans tenir compte des jugements qui pourraient être portés sur eux. Au fur et à mesure que l'enthousiasme le gagnait, le Sinistros commença à prendre la danse en main, assumant pleinement son rôle de meneur. Le rock n'était pas la danse qu'il préférait, ni celle qu'il maîtrisait le mieux, les pas étaient néanmoins suffisamment simple pour se faire plaisir de manière honorable. Sans plus prendre garde aux convenances, il posa la main droite sur la hanche de sa partenaire et l’entraîna à sa suite dans un enchaînement endiablé. Les notes rapides et le chant plein de force réchauffaient son enthousiasme, rendant le moment si différent de toutes les danses qu'il avait partagé depuis son arrivée à Haveirson. Étonnement, les étudiantes de l'académie semblaient toutes être fan de danse.

Cependant, cet instant qu'il partageait avec Amaranthe était tout différent. Il avait dansé avec Isolde, moment chaleureux et plein de complicité, sans intentions dérivées du fait de leur amitié. Avec Luuna, une salsa sanguine et passionnée, qui leur avait tout deux apportés de nombreux doutes et interrogations. Et puis ces quelques pas grotesques partagés ou subits avec Megan, entre blague et vengeance. La danse que lui offrait la rousse Abraxan était toute différente, de celles que l'on ne peut partagé que lors d'un moment volé avec une presque inconnue. Un sourire ravi s'étirait sur le visage du jeune homme alors qu'il gardait ses yeux bleus plantés dans ceux de sa cavalière. Non sans une légère déception, il la laissa néanmoins s'écarter de lui lorsqu'elle voulut retrouver une certaine liberté de mouvement et se déhancher à son aise.

" Non, jamais. Ce n'est pas vraiment mon style de musique, à vrai dire. "

Clemens avait répondu d'une voix amusée. C'était inhabituel pour un jeune homme de 20 ans de ne pas être fan de rock, il en était conscient. Il avait été éduqué dans l'atmosphère de jazz et de swing si chère à son père et cette musique restait donc sa favorite. Bien sur, il n'avait rien contre le rock, mais il le connaissait mal, sans parler des groupes sorciers... Sa culture musicale se limitait presque exclusivement à l'atmosphère moldue.

La dernière note du morceau résonna dans le café et il arrêta de danser. D'une inclinaison de la tête il remercia Amaranthe d'avoir partagé ce moment avec lui, puis il retourna s'asseoir. Les clients autour d'eux les regardaient avec des regards interloqués ou amusés. Clemens n'y prêta pas attention et prit une gorgée de son cappuccino, savourant à nouveau la chaleur de la boisson.

" Un peu de mouvement, ça réchauffe ! C'était une bonne idée. Il est rare de trouver des gens qui acceptent si spontanément de danser. Où avez-vous appris ?"

Le Sinistros constata avec plaisir que Amaranthe semblait elle aussi avoir apprécié la danse. Elle se rassit en face de lui les joues rosies de bonheur. Visiblement, elle ne lui tenait pas rigueur de la proximité qu'il lui avait gentiment imposée durant leur danse. Elle s'était probablement rendue compte que cela ne tenait que de l'enthousiasme et pas d'une quelconque intention de la toucher ou d'avoir les mains baladeuses.

Grappillant encore un morceau de tarte aux pommes, Clemens hocha la tête en signe d'approbation. Il trouvait que c'était une excellente chose que des parents 'imposent' des cours de danse à leurs enfants. Cette activité paraissait souvent désuète pour les jeunes de leur génération, voire même honteuse pour les garçons. Néanmoins, la pratique faisait naître la passion et l'âge permettait la maîtrise. Alors que les adultes qui développaient un goût pour cette activité ne parvenaient jamais à une parfaite aisance en la matière.

" C'est une très bonne initiative que votre mère a eu. Les jeunes adultes qui ont appris quelques pas de danse se font bien rares. C'est malheureux, c'est une superbe activité à partager... même entre deux inconnus. "

Souffla-t-il avec un sourire. Il avait délibérément choisi de laisser glisser le sujet du bal de Halloween pendant un instant, histoire de choisir avec précision comment répondre à la question. La soirée s'était annoncée excellente, mais quelques points négatifs étaient venus entacher la soirée. Finalement, après une nouvelle gorgée de cappuccino, il se lança dans sa narration.

" Oui, j'y étais ! C'était une excellente soirée, on doit reconnaître le talent de Heath et de Rowan pour organiser ce genre de fêtes. Malheureusement, la liste des invitées était beaucoup plus... variée que ce qu'elle n'a pu être à Poudlard et ce n'était pas du goût de tout le monde. Se retrouver soudainement tous ensemble après plusieurs années de séparation a donné lieu à quelques rebondissements. Ils en organiseront probablement une nouvelle pour Noël ou le nouvel an. Je vous conseille de vous y rendre, si vous le pouvez ! Par contre, j'ai été assez étonné car la plupart des invités se sont montrés sur la piste de danse... et dans des styles très variés ! Malheureusement, cette fois encore, personne n'a dansé le swing... je crois bien en être le seul adepte dans notre tranche d'âge ! " finit-il, l'air amusé.

Clemens savait que ses goûts étaient plutôt inhabituels en la matière. Il appréciait généralement tous les types de musique, à quelques exceptions près, et il considérait tous les genres passables pour l'amusement... Mais rien ne le passionnait plus qu'un bon swing des années 50.

La question le fit sourire.

" Oh, vous savez... je ne faisais que mon jogging ! Je dois avouer que je commence à me sentir un peu mal à l'aise dans ces vêtements-là " dit-il en désignant ses atours d'un signe de la main désabusé. " Mais tant que cela ne vous dérange pas... nous pouvons au moins finir nos boissons et gourmandises. "


L'étudiant joignit le geste à la parole et piqua une cuillerée de gâteau au chocolat, une expression espiègle sur le visage.

" Pourquoi n'étiez-vous pas au bal, d'ailleurs ? Si la question n'est pas indiscrète, bien entendu.. " se rattrapa-t-il, débordé par sa curiosité.

Clemens secoua doucement la tête en souriant. Pendant un instant, il se remémora son enfance. Entre le travail de sa mère et celui de son père, il avait évolué en roue libre à Londres. Espèce d'enfant sauvage qui s'était découvert par l'expérience et la curiosité. Plus tard, il avait réalisé que cette liberté n'était qu'une illusion, car ses parents avaient toujours gardé un œil sur lui. Néanmoins, ils ne lui avait jamais imposé de limites strictes, et encore moins d'obligations particulières. Après tout, sa mère avait fuit le dictat des sang-purs pour se marier avec Anton... Son but n'était pas vraiment de reconstruire une fermeté familiale empreinte de règles et de conventions.

" Non, ce n'était pas vraiment le style de ma famille. Mon père était très fan de jazz et de swing, ces deux musiques et les danses qui y sont associées m'ont donc bercé dès ma plus tendre enfance. J'ai ensuite appris la salsa par plaisir et j'ai quelques bases raisonnables dans d'autres styles... Simplement parce que je suis touche-à-tout. "

Le Sinistros dissimula son amusement en se servant d'une nouvelle bouchée de tarte. Rares étaient leurs camarades qui décriraient Rowan comme "un hôte chaleureux" mais les manières de Amaranthe se mariaient assurément bien à l'attitude de son ami. Les deux jeunes gens avaient reçu la même éducation, les mêmes valeurs et étaient plus à même de se comprendre que beaucoup d'autres. Heath, par contre, était définitivement quelqu'un qu'on pouvait qualifier d'excellent hôte. Il avait ce côté sociable et plaisant qui charmait quiconque ne le connaissait pas encore. Lui aussi, cependant, avait été dressé dans un moule. En un sens, Clemens n'était pas fâché de son éducation dans un monde socialement plus moyen, mais infiniment plus libertaire.

" Heath est un des plus proches amis de Rowan, un ancien Serpentard lui aussi. Ils organisent souvent ce genre de soirées ensemble. " L'étudiant fit ensuite une pause, ses yeux bleus plongés dans le regard de sa camarade. Il se demandait pourquoi elle posait une telle question sur l'origine de la musique. " Le rock'n'roll, la pop et les danses qui en découlent ne sont-elles pas également issues du monde moldu ? Par leur position gâchée de la majorité, les sorciers n'ont contribué que d'une manière très modeste à la culture mondiale. "

L'Allemand s'était légèrement refermé sur lui-même après cette remarque. Il ne savait pas s'il devait sentir flotter des préjugés de sang-purs quelque part. Même si, au fond, il ne savait rien de l'ascendance de la jeune femme. Leurs temps troublés étaient de plus en plus propice à des prises de positions fermes et sans nuances, et ce de la part de sang-mêlés également. Clemens portait haut dans son coeur son éducation et ses traditions moldues, bien qu'ils les gardent généralement pour lui. Il fut soulagée d'entendre la réflexion légère et amusée de l'Abraxan.

" Certes ! Mais j'avoue me réjouir de plus en plus à l'idée d'une douche chaude. La combinaison jogging plus averse indésirée est assez désagréable dans la longueur. "

Il avait parlé d'une voix douce, et une lueur amusée dans le regard, afin de ne pas laisser croire à Amaranthe qu'il voulait fuir sa compagnie. Il avait passé un vrai bon moment avec elle, mais l'après-midi commençait à traîner en longueur et il ne se sentait plus vraiment à l'aise dans ce café. Clemens finit son cappucinno.

" Ca ne doit pas être évident de gérer les turbulences familiales, en effet... Mais il faut que jeunesse se fasse, particulièrement chez les Gryffondor. J'ai été un ado très turbulent à mon époque, cela ne m'a pas empêché de réussir brillamment ses examens. "

Certes, il avait joui de l'aide et du soutien de plusieurs personnes sans quoi, cela aurait été plus difficile. Heureusement que Rowan et Jessica s'étaient préoccupés de le remettre dans le droit chemin de temps en temps.

" C'était une rencontre inattendue, mais qui m'a fait grand plaisir, Amaranthe. C'est agréable de retrouver d'anciens camarades de Serdaigle dans les environs " souffla-t-il avec sincérité.

L'expression de Clemens s'adoucit peu à peu lorsqu'il remarqua la gêne de Amaranthe. Il avait de toute évidence jugé ses intentions avec trop de hâte. Une nouvelle fois, son caractère sanguin et impulsif avait pris le pas sur sa réflexion et son jugement. Il avait pensé que ce trait de sa personnalité prendrait du recul avec le temps, mais la maturité semblait ne pas tout régler... Il sourit doucement et hocha la tête pour signifier qu'il comprenait. Sa réaction brusque avait du blesser sa camarade et c'était loin d'être son but. L'Abraxan s'était révélée être d'une très agréable compagnie, il aurait été dommage de terminer cette rencontre sur des sensibilités froissées et un quiproquo.

" Nous nous sommes mal compris, on dirait. Le swing est une forme de jazz qui est était très populaire dans les années 30... Il est rare d'en entendre de nos jours. J'imagine que comme beaucoup de style, cette musique reviendra à la mode un jour. Il n'est donc pas vraiment étonnant que vous n'en ayez jamais entendu. "

Le Sinistros dut retenir un rire à sa remarque. L'innocence dont elle faisait preuve, ainsi qu'un certain détachement face aux réalités du passé moldu était presque touchant. Il avait maintenant compris que ses réflexions un peu indélicates n'étaient pas mal pensées. En effet, louer Wagner face au fils d'un immigré allemand était potentiellement une manœuvre très osée, si ce n'est carrément déplacée. Clemens choisit néanmoins de laisser couler et de rebondir sur le sujet des avions. Inutile de lancer une discussion politique à présent.

" La science moldue se rapproche de plus en plus des possibilités magiques ! Je reste convaincu que les deux sont plutôt liées, mais c'est un débat sans vainqueur. " commenta-t-il avec un haussement d'épaules.

Le sujet l'intéressait en réalité, mais il savait que débattre à ce sujet ne pouvait se faire qu'à coup de spéculations... et c'était rarement productif. Le serveur passa à côté d'eux et l'étudiant lui fit un signe afin de payer leurs consommations. Comme promis, il prit tout à sa charge.

" Moi aussi, je l'espère ! " répondit-il d'une voix d'où perçait la sincérité.

Il se leva ensuite, attendit que Amaranthe fasse de même pour la saluer une dernière fois, avant de rentrer se réfugier dans la chaleur de l'académie et surtout... d'une bonne douche.