[Libre] Sinistre découverte au fond des bois...

Clemens hocha lentement la tête à chaque des paroles de Lanalia, car elle décrivait exactement chacune de ses sensations. La scène l’avait fasciné au point qu’il ait l’impression de perdre le contrôle sur sa propre raison. Il était resté planté là à observer, à partager peut-être même alors que ce qu’ils observaient ne pouvoir pas les voir. C’était étrange, effrayant, mais un peu poétique, aussi. Soudainement, l’étudiant se demanda s’il ne s’agissait pas d’une scène anniversaire. Fruit d’un amour tellement profond entre la personne qui déposait les fleurs et celui qui était parti trop tôt qu’elle continuait à se jouer, année après année, jusqu’à la fin du monde.

“C’est vrai… Tu as déjà entendu parler des images résiduelles ? C’est un truc de moldu, je crois, mais ils font la différence entre les fantômes. Les images ne sont pas conscients, c’est juste une personne qui a laissé une empreinte tellement forte sur le monde que dans certaines circonstances, ses actes se rejouent, encore et encore. C’est peut-être ça ? Et si c’était un sorcier, ça explique peut-être qu’une partie de cette image continue à avoir une influence sur le présent.”

L’idée avait sonnée plus crédible dans sa tête, mais sur le moment, il n’avait pas d’autre explication à fournir. D’autant qu’elle n’éclairait pas plus cette paralysie dont ils avaient tous les deux été victimes. Le Sinistros acquiesça simplement d’un signe de tête, pour faire comprendre à sa camarade qu’il avait vécu la même expérience. Clemens n’avait pas de mots à mettre dessus, pas de justification rationnelle, alors en dépit d’autre chose, il s’approcha du caveau. Le même nom y était encore inscrit et une nouvelle fois, Lanalia exprima tout haut l’idée qu’ils partageaient.

“Oui, ça me parait cohérent… Même si je crois que maintenant, on a vraiment besoin de savoir ce qu’était ce château avant d’être une université magique.”

Un château, d’innombrables tombes portant le même nom et quelques autres, un caveau qui témoignait d’une richesse oubliée… Il y avait assez d’indices qui pointaient vers la demeure d’une famille noble, aujourd’hui éteinte, peut-être. Néanmoins, d’autres détails contredisaient cette théorie sans en rendre une autre plus cohérente. Clemens se sentit soudainement frustré, comme tout bon Serdaigle qui se respecte devant une énigme dont la solution se refuse à lui. Sans briser le silence, il laissa sa camarade ouvrir la grille, inutilisée depuis bien longtemps, avant de s’engager dans l’escalier. Une légère crainte lui tortillait les entrailles, mais elle excitait en parallèle son insatiable curiosité. Toute cette aventure paraissait si surréaliste !

La lueur de leurs baguettes peinait à vraiment éclairer l’endroit où il se trouvait, mais l’écho de leurs pas était assez important pour leur faire réaliser la taille de la pièce. Un tas de questions lui venait à l’esprit, mais il rechignait à briser le silence. Il se sentait comme dans une église, un lieu de recueillement si chargés en signification que le moindre mot aurait été un blasphème. Pourtant, une découverte changea la donne. Clemens se rapprocha de Lana quand il réalisa qu’elle avait découvert une tombe. Il découvrit le nom dégagé de sa poussière au moment même où elle le prononçait. Un échange de regard leur suffit, ils pensaient tous deux à la même chose.

“Cadmus Peverell… Le Conte des Trois Frères. Je ne me souviens pas qu’ils aient été d’une famille noble, mais je n’aurais même jamais cru qu’ils existaient vraiment. C’est… Tu crois que c’est possible que ce soit le même ?”

L’Allemand n’était pas parvenu à faire plus que murmurer ces mots. La révélation lui tombait si lourdement sur les épaules qu’il en était presque réduit au silence, et ce n’était pas peu dire. Il avait souvent entendu les histoires de Beedle le Barde quand il était enfant, mais personne n’avait jamais semblé leur donner une quelconque crédibilité. Ce n’était que des histoires pour enfant, à moins que… Clemens se détourna de son amie et longea les murs, la baguette levée vers les pierres.

“Je suis en train de chercher, mais qu’est ce qu’on fait si on trouve le symbole des Reliques ? Je veux dire… Je sais qu’on est deux anciens Serdaigle, mais je me demande aussi si c’est bien sage de déterrer un secret pareil. A moins que ce ne soit qu’un canular.”

Il en doutait, il essayait juste de se rassurer. Le mystère était trop énorme pour le laisser filer. Le danger planait sur eux, si palpable et si excitant qu’il semblait impossible de ne pas s’y jeter.

Quand Clemens avait parlé des images résiduelles, c'était pour moi du véritable charabia. Je connaissais peu le monde moldu en dehors de ce qui nous avait été enseigné à Poudlard et bien que je tentais de l'étudier davantage depuis qu'ils avaient découvert l'existence des sorciers, il me restait encore beaucoup à apprendre. Son explication fut donc bienvenue. Plus il parlait, plus j'avais l'impression qu'il mettait des mots sur la réflexion que j'avais eue. Une image résiduelle. Oui, c'était peut-être bien ça ! Que quelque chose ait eu lieu tout en étant empreint d'une telle intensité émotive, d'une telle énergie ou qu'en savais-je encore, que cette énergie continuait d'exister longtemps après que le moment fut passé... J'ai trouvé ça tout à fait fascinant. À la fois dramatique, effrayant, curieusement beau et... fascinant.

- Tu crois que ça pourrait être le cas? Avais-je demandé. Ça expliquerait en effet pourquoi l'interaction avec la dame était impossible... Puisqu'elle n'était pas vraiment avec nous et que seule son image était projetée dans le présent. Ça me parait logique.

Et je m'étais demandé quel genre d'énergie aurait pu, si c'était bien le cas, figer cette scène dans le temps pour toujours. Maintenant que j'avais découvert cette inscription sur la tombe à l'intérieur du caveau, le petit hamster de mes pensées courait à toute vitesse dans sa roue. Les hypothèses, les questions, les images et les souvenirs fusaient de toute part alors que j'essayais de le ralentir un peu pour pouvoir formuler une pensée cohérente par rapport à tout ce mystère que je sentais s'éclaircir petit à petit. Heureusement, Clemens avait l'air de me ressembler sur ce point. Après tout, nous étions tous les deux d'anciens Serdaigle et la fascination pour le mystère et surtout, pour sa clé, nous distinguait des autres maisons. Son processus de pensée semblait se rapprocher du mien et c'est avec un sentiment de complétion, de satisfaction et d'excitation que j'ai accueilli ses paroles.

- Aucune idée... Mais si c'est le cas, Haveirson nous cache décidément bien des secrets! Peut-être qu'il s'agit tout simplement de quelqu'un qui aurait été nommé en l'honneur de l'un des frères du conte... mais ça n'expliquerait pas pourquoi il partagerait le même nom de famille. J'ai déjà lu quelque part des théories disant que le conte des trois frères était basé sur des faits réels concernant trois frères très intelligents et puissants qui auraient créé les reliques de la mort par eux-mêmes, la mort n'ayant donc jamais rien eu à voir là-dedans. Mais j'ai toujours pensé que c'était des fabulations d'enfants qui ne voulaient pas grandir...

J'ai baissé les yeux, un peu honteuse d'avoir porté un jugement aussi hâtif. Finalement, ces idées étaient peut-être vraies... Les frères Peverell avaient peut-être bel et bien existé. Et si c'était le cas, oh... si c'était le cas... Les reliques...

Clemens enchaîna en suivant à nouveau le cours de mes pensées. J'arrivais pas à croire à la manière dont nos raisonnements se complétaient l'un l'autre et se suivaient pour se diriger dans la même voie. C'était étonnant. Ses mots eurent donc pour effet de me surprendre tant ils collaient à ma réflexion, mais aussi de me ramener les pieds sur terre en me rappelant le danger qu'on courrait à déterrer de trop grands secrets. Peut-être qu'on n'avait rien à faire ici. Peut-être que le cimetière était au fond des bois justement pour éviter d'être visité. Peut-être que le Comte serait furieux de savoir qu'on avait en quelque sorte violé sa propriété. Mais on courrait peut-être aussi un danger bien plus grave... Après tout, les reliques de la mort étaient les artéfacts les plus puissants ayant jamais appartenu au monde des sorciers et deux jeunes étudiants à peine sortis de l'adolescence n'avaient probablement rien à voir là-dedans. Il valait sans doute mieux ne pas s'approcher d'un tel pouvoir...

Malheureusement, l'excitation que je ressentais à présent a supplanté ma raison et je me suis approchée moi aussi des parois suintantes du caveau pour les examiner.

- Je ne pense pas qu'on se serait donné toute cette peine pour un canular. Après tout, c'est le hasard qui nous a conduits ici...

J'ai dit ça d'un ton distrait, en me perdant rapidement dans mes pensées et dans mes recherches. Rien sur les murs. Je marchais lentement en suivant la paroi et en l'éclairant avec ma baguette, mais ce n'était que pierres froides et à moitié couvertes de mousse. Plus je regardais autour de moi à la recherche du symbole des reliques de la mort, plus je me disais que si on le trouvait ce serait vraiment un indice majeur prouvant qu'il s'agissait bien de l'un des frères du conte... et que la femme qu'on avait vue déposer des fleurs sur sa tombe était l'image résiduelle de sa bien aimée, ou un truc dans le genre. Mais plus je regardais et surtout, moins je trouvais, plus une idée macabre germait dans mon esprit. Ça me faisait frissonner et la frayeur que j'avais ressentie un peu plus tôt menaçait de reprendre le dessus si on mettait cette idée à exécution, mais pour le moment, la fascination l'emportait et c'est pourquoi j'ai fini par le proposer.

- Il y aurait peut-être plus d'indices... dans la tombe.

J'avais lâché ça avec gravité, mais il y avait peu de choses qu'un Serdaigle dans l'âme n'était pas prêt à faire pour résoudre un mystère. Je me suis retournée vers lui et je l'ai regardé en baissant le bras qui tenait ma baguette le long de mon corps, dans l'attente de sa réaction. Quand même, profaner une tombe... et surtout une sépulture d'autant d'envergure et d'importance! Ce n'était pas une mince affaire et il était certain qu'on s'attirerait des ennuis en le faisant. Des ennuis sans doute beaucoup plus graves qu'une simple retenue. J'avais mentionné la chose, mais ma volonté était très fragile et il aurait suffit d'un seul coup d'oeil réprobateur de la part de Clemens pour que j'oublie cette possibilité à jamais.

Alors que Clemens faisait le tour du caveau, examinant les pierres à la lueur de sa baguette, il portait une oreille attentive à Lana. Ils avaient - encore une fois - eu le même cheminement d’idée sur la quantité de vérité cachée derrière le conte. Après tout, rares étaient les légendes entièrement inventées pour le plaisir d’un public : elles avaient presque toutes une source véritable et une morale particulière. Dans le cas des Trois Frères, l’une et l’autre étaient plutôt complexe à trouver, mais en d’autres temps, il aurait plutôt privilégié cette piste-là plutôt qu’une vérité pure et unique. Difficile.

Pourtant, il devait admettre qu’un plaisantin se serait donné beaucoup de mal avec cette tombe. Non seulement la blague ne datait pas d’hier, mais en plus, elle aurait demandé des moyens moldus importants… Ou un sorcier puissant. Dans les deux cas, l’Allemand ne pouvait pas s’imaginer qui aurait pu lever des ressources aussi importantes sans en avoir une bonne raison. La seule justification cohérente qu’il puisse encore trouver soit celle d’une vieille famille aristocratique qui cherchait à montrer sa puissance. Il n’avait aucune idée de quand datait l’histoire de Cadmus, mais si elle était assez ancienne, elle aurait pu traîner suffisamment longtemps dans la famille pour que sa mémoire soit encore honorée. Finalement, il se tourna vers Lanalia et acquiesça à ses paroles. En effet, le canular était l’explication la moins plausible.

“Tu as raison. Peut-être y avait-il plusieurs Cadmus Peverell dans la famille ? Dans certaines coutumes, on reprendre le nom d’un grand-parent ou d’un cousin illustre pour nommer les enfants… On est peut-être dans la tombe de l’arrière-petit-cousin du Cadmus du Conte.”

Il n’avait pas encore fini d’énoncer son hypothèse qu’elle ne lui paraissait déjà plus valable. Certes, c’était le hasard qui avait conduit les deux Serdaigle jusque dans cette tombe - enfin, le hasard et une overdose de curiosité - mais les détails se répondaient trop bien. Un tel mausolée, avec un nom si connu, dans une académie de magie… Si encore il l’avait découvert dans un lieu jusque là exclusivement fréquenté par des moldus ! Clemens n’était pas tranquille de croire à l’évidence, mais même les rouages les plus torturés de son esprit ne parvenaient pas à lui fournir une autre solution. Parfois, la voie la plus naturelle était aussi la meilleure.

Encore une fois, ce fut sa camarade qui rompit le silence. Sa suggestion flottait au fond de son esprit depuis quelques minutes, mais l’étudiant se refusait un peu à l’envisager. Profaner une tombe n’était ni très moral, ni très légal, et il aurait du s’y refuser d’emblée. Pourtant, l’entendre prononcé à haute voix, même avec une certaine hésitation, rendait le procédé soudainement plus proche. Plus commun. Ouvrir une tombe, ce n’était jamais qu’ouvrir une porte, non ? Alors même si on n’y est pas autorisé, ce sont des choses qui arrivent… Sans compter sur le fait que si on tenait à lui reprocher quelque chose, ce serait plus tôt la destruction du clocher d’Avalon. Clemens dut retenir un grognement agacé. Ses pensées s’entremêlaient et il ne parvenait pas à se décider.

Personne, outre ses amis, ne savait vraiment qui avait endommagé l’église.

A cette occasion, il avait sans doute profané pas mal de tombes, même si ça n’avait pas été volontaire.

Et aucun dieu n’était venu le foudroyer.

L’Allemand leva un regard plein de doutes, mais également brillant d’excitation vers Lana. Il posa une main sur la pierre, pointa sa baguette sur la tombe et tenta de raffermir ses muscles frémissants.

“Ensemble ?”

Il avait beau être grand prince et ne pas se gêner pour courir au devant du danger et protéger une damoiselle en détresse… Il n’était pas con au point de se lancer seul dans la profanation d’une tombe. Clemens avait suffisamment confiance en sa camarade, mais quitte à braver un interdit, autant le braver à deux. Si ils se retrouvaient à affronter quelque conséquence, ils pourraient continuer à se serrer les coudes dans cette épreuve là. Et puis bon, intérieurement, il devait aussi s’avouer qu’il ne faisait pas le fier. En théorie, dans une tombe, on trouvait un squelette. Ca, ça n’était pas dramatique. Mais que pouvait-on y trouver d’autre ?

J'arrivais toujours pas à croire que j'avais proposé cette idée. Je me sentais coupable rien que de l'envisager, alors la nommer à voix haute, c'était encore pire. J'attendais que Clemens me lance un regard indigné ou qu'il me fasse sentir combien j'étais immorale, mais il n'en a rien fait. Et même, quand ses yeux se sont levés vers moi, j'ai senti l'excitation et la curiosité. Ma culpabilité s'est envolée d'un coup quand j'ai compris qu'il était d'accord avec la proposition. Après tout, si le fameux Cadmus souhaitait que nul ne touche à sa tombe, il aurait dû l'enterrer pour de bon, non? Ok, piètre argument en ma faveur je l'avoue, mais bon. Tous les moyens étaient bons pour excuser un geste immoral et nier la culpabilité qu'on devait en ressentir.

Le mystère, de toute façon, était trop grand. Insupportablement trop grand. Il fallait y remédier.

J'ai donc vu mon confrère s'approcher de la tombe et poser sa main sur le couvercle, baguette tendue et prête. J'ai esquissé un sourire, à la fois effrayée et excitée à mon tour. Était-il possible que j'aie pu trouver mon égal en matière de curiosité? Il m'attendait pour qu'on ouvre la tombe ensemble et mes pieds ont donc couvert la distance qui m'en séparait. J'ai posé ma main sur le couvercle et ai levé ma baguette, copiant les gestes de Clemens, ne lâchant pas son regard. Maintenant qu'on était sur le point de le faire, je me sentais un peu moins confiante. Qu'est-ce qu'on allait trouver? Tout probablement un cadavre. Ou un squelette. L'odeur ne serait pas très agréable... Mais si on y trouvait autre chose? Si l'ouverture du cercueil de pierre donnait lieu à une autre forme de malédiction ou d'enchantement, comme celui dont on avait été témoins à la surface ? Et si on avait à regretter pour le restant de nos jours le geste qu'on s'apprêtait à poser? Et si... Et s'il ne se passait rien de spécial?

Il fallait que j'agisse avant de me mettre à trop penser. Avant de me convaincre de manière définitive que le geste que j'allais poser allait me hanter jusqu'à ma mort. Exagération, bonjour!

- Ensemble, alors. Ai-je dit, mais ça n'a été qu'un murmure.

J'ai poussé le couvercle avec la main qui était posée dessus et me suis aidée d'un sortilège de légèreté. En pointant ma baguette sur la pierre, des étincelles dorées ont jailli et une simple petite poussée nous a suffit pour la déplacer suffisamment pour voir à l'intérieur.

J'avais retenu mon souffle durant toute l'opération et j'aurais préféré pouvoir le retenir encore après. L'odeur, tel qu'imaginé, était atroce. Une odeur d'humidité, de décrépitude et de putréfaction.

- Oh, par Merlin... ai-je gémi avant de remonter ma cape sur mon nez et de me retourner un peu le temps de reprendre mon souffle.

Quand j'ai senti que j'étais prête à supporter l'odeur, j'ai fait volte-face et je me suis penchée sur l'intérieur de la tombe. Il y avait un squelette brun, vieux, poussiéreux, mais intact. Des cheveux blancs flottaient autour du crâne en lui donnant un air macabre et éthéré. Le fait que toutes les dents soient présentes laissait une impression de sourire morbide qui m'a fait frissonner. Un objet a attiré mon attention, pendant autour de ce qui avait dû être le cou de la personne inhumée là. Un petit sablier incrusté dans un cercle doré et entouré de deux autres cercles en or, suspendu à une chaîne. J'avais déjà vu ça dans les livres... c'était un retourneur de temps. Et en baissant les yeux, j'ai aussi vu que le squelette serrait sur son coeur entre ses mains un très vieux livres à la couverture en cuir. En me penchant un peu, retenant de peu mon envie de vomir tellement l'odeur me prenait à la gorge, j'ai pu lire "Charmes de protection pour les châteaux". À quoi cela rimait-il?

Le yeux dans les yeux dans un mimétisme parfait, les deux anciens Serdaigle semblaient sceller un pacte autour d’un même geste. Pour leurs esprits curieux et jamais rassasiés de mystère, résoudre les énigmes devenaient presque plus important que la morale. A Poudlard, on charriait souvent la maison bleu et bronze à propos de leurs limites, tout ce qu’ils se vantaient de faire pour lever le voile irisé posé sur le monde. Clemens et Lana venait de trouver où leur frontière ne s’arrêtait pas : à la morale. Il en eut un frisson. Quelque part au fond de lui, il savait que ses actes étaient répréhensibles, mais il refusait d’entendre cette voix-là. L’excitation brûlait dans ses veines, lui donnant l’impression d’entrer en fusion.

Il acquiesça doucement de la tête pour répondre à son murmure. Cet acte les lierait sans doute pour toujours. Ce moment unique, rendu possible par un passé ou une vision commune du monde, des cœurs qui battaient ensemble. Peu importait ce qui allait suivre, les conséquences les marqueraient ensemble. De la main posée sur la pierre, il accompagna son geste pour l’aider à ouvrir la tombe. De l’autre, il murmura un sort et étendit un Charme du Bouclier entre eux et la tombe. On ne savait quels maléfices avaient été enfermés là, peut-être même fils d’une magie qu’ils ne connaissaient, ni ne maîtrisaient. Son sort ne serait probablement pas assez efficace pour repousser une attaque puissante, mais il ne voulait pas tenter le diable par paresse.

Et rien.

Le silence resta silence, la poussière resta poussière. Seule l’odeur infâme et âcre qui monta du cercueil lui assécha la gorge, le faisant tousser plusieurs fois. Il eut même un haut-le-cœur qu’il dissimula tant bien que mal derrière un grognement dégoûté. Finalement, à la suite de sa camarade et en retenant sa respiration, il découvrit le squelette aux cheveux filasses. Il ressemblait à tout ce que Clemens s’était jamais imaginé à propos d’un mort, pourtant, un frisson lui courut le long de l’échine. Derrière cette apparence de simplicité, son intuition lui criait qu’il se tramait quelque chose de pas net. Comment en avoir le cœur net, si ce n’était en enquêtant plus avant encore ? L’Allemand pointa sa baguette droit dans la tombe, et perdit une exclamation de surprise quand la flammèche magique accrocha un reflet doré.

“Dis-moi que je rêve ! C’est un retourneur de temps, non ?”

Sa mère lui avait parlé de ces étranges petits sabliers et de la collection du Ministère. En tant qu’Oubliator, elle avait quelques fois été amenée à en utiliser, mais leur simple évocation la faisait frémir. Elle insistait lourdement sur les implications d’un tel geste avant de daigner raconter ses interventions, qui fascinaient Clemens depuis toujours. Comme ensorcelé, il tendit la main vers le collier et ne revint à lui qu’une seconde avant de le toucher. Prudence ? Ou simplement son attention détournée par un vieux livre au cuir élimé, dont la baguette de Lanalia éclairait le titre.

“Un retourneur de temps et un livre pour protéger les châteaux. Tu penses qu’il pourrait s’agir d’un ancien employé de l’académie, charger de faire régner l’ordre ou d’éloigner des ennemis ? Ça parait beaucoup pour une demeure perdue au fin fond du Pays de Galles mais… On ne sait toujours pas à quoi elle servait avant de devenir une université. D’ailleurs, je peux comprendre qu’on l’enterre avec le retourneur, mais pourquoi avec un livre ? Ce n’est pas un objet si précieux…”

Il avait parfois entendu parler de rites funéraires propres aux Celtes ou aux Égyptiens. La croyance d’une vie après la mort et des divers objets nécessaires pour accéder à l’Autre-Monde ne lui semblait pas entièrement infondée. Néanmoins, s’il pouvait trouver une utilité à un objet magique, l’intérêt du livre dans ce paradigme-là ne cessait de se dérober à lui.

Penché comme il l’était sur le squelette, sa baguette éclairait à présent tout le cercueil de pierre. Aux pieds du mort gisait, renversé sur le côté, un pichet de vin en bronze. Malgré l’âge apparent de la tombe et l’humidité dont témoignait l’odeur de renfermé, le métal brillait encore d’une douce lueur cuivrée, sans aucune trace de vert-de-gris. Juste à côté, trônait une statuette de dragon. Travaillée dans une matière irisée qu’il ne put reconnaître et grande d’environ une main, elle représentait un jeune dragon sur le point de prendre son envol. Clemens, à la fois surpris et fasciné par la découverte ne parvenait pas à déterminé s’il était plus intrigué par la finesse des ailes qu’il aurait cru voir battre dans une seconde. Ou par le reflet envoûtant de deux pierres précieuses verdoyantes, scellées à la place des yeux.

L’Allemand se recula vers sa camarade, l’expression ouvertement interrogatrice. Le mystère ne faisait décidément que s’épaissir.

Le mystère s'épaississait de plus en plus alors que je regardais, silencieuse et interdite, les objets qu'on avait découvert dans la tombe de ce qui avait sans doute autrefois été un très grand sorcier. Le fait que je tente le plus possible de retenir mon souffle pour échapper à l'odeur de putréfaction n'était pas favorable à la parole non plus. Clemens a rompu le silence en découvrant le retourneur de temps accroché à une chaîne qui reposait sur le torse vêtu du squelette.

- Oui je crois bien que c'est ça...

Il me partagea ses réflexions alors que mon cerveau tournait moi aussi à toute vitesse.

- Un employé... Je ne sais pas. Le caveau, la pierre tombale, la majesté qui entoure cette tombe, ça ne me donne pas l'impression qu'il s'agit de quelqu'un d'autre que d'un ancien propriétaire du château. Et en effet, pour ce que j'en sais, les retourneurs de temps sont des objets dangereux placés entre les mains de personnes qui ne savent pas les utiliser alors le fait de le retrouver ici n'est pas si étonnant... On aura simplement voulu éviter que des gens s'en servent mal... Mais le livre, que peut-il bien contenir de si compromettant ou important pour que quelqu'un cherche à ce que son contenu ne soit plus jamais lu, sans toutefois choisir de le détruire ?

J'avais une folle envie de le lire, ce livre. Une FOLLE ENVIE. Évidemment, comme plusieurs des anciens élèves de Serdaigle, j'éprouvais une fascination presque obsessive pour la lecture. Mais lire un livre aussi mystérieux et dont le contenu avait volontairement été mis à l'écart du monde, ce qui donnait la possibilité d'acquérir une connaissance oubliée depuis des siècle, ça rendait mes mains moites d'excitation et ma bouche sèche de désir. Oui. Je sais. C'est bizarre.

Mais mon attention a été déviée vers d'autres objets, maintenant éclairés par la baguette de Clemens. Une cruche en métal et une statuette de dragon. Je la regardais, complètement mystifiée, presque hypnotisée par ses yeux de gemmes.

- Tu crois qu'il y a un lien entre ces quatre objets, ou c'est simplement que ce fameux Peverell y tenait beaucoup et souhaitait les emporter dans la mort? Peut-être qu'il était simplement... un fanatique de dragons... qui cherchait à en abriter dans son château tout en trouvant le moyen de protéger ce dernier contre leurs... comportements sauvages... et que son obsession le rendait... tellement ivrogne qu'il utilisait son retourneur de temps pour boire plusieurs fois la même cruche de vin?...

J'aurais presque saigné du nez après tous ces efforts pour lier les objets ensemble. J'ai gloussé en posant la paume de ma main sur mon front ; tout ceci était complètement ridicule. Ce qui m'apparaissait pourtant comme une certitude, c'était qu'aucun de ces objets n'avait été mis là par hasard. Il y avait fort à parier, selon moi, qu'ils avaient tous une particularité. Cette cruche qui semblait ne pas avoir subi les ravages du temps, ce livre à la couverture élimée renfermant un savoir si précieux qu'il ne devait ni être lu ni être détruit, ce retourneur figé dans le temps semblant lancer un appel à l'utiliser pour avoir enfin réponse à nos questions, et finalement cette statuette de dragon semblant valoir à elle seule le prix de toute une scolarité à Poudlard et qui, pour une raison que j'avais pas encore identifié, attirait sans cesse mon attention dès que je l'avais dans mon champ périphérique... Comme si elle bougeait ou je savais pas quoi, mais redevenait immobile quand je posais directement mon regard sur elle...

Et alors que j'allais ouvrir la bouche pour demander à Clemens ce qu'il pensait qu'on devrait faire, le couvercle de la tombe a bougé, me faisant sursauter et ouvrir des yeux terrifiés. Lentement mais sûrement, dans un raclement de pierre, la tombe se refermait. J'avais l'impression qu'on me disait "voilà les enfants, assez joué, maintenant laissez dormir les morts". Cette phrase se répétait dans ma tête comme si elle y avait été imposée. Légèrement paniquée, j'ai regardé Clemens, puis l'intérieur de la tombe, puis Clemens. C'était le moment ou jamais de prendre précipitamment des objets dans la tombe, avant qu'elle ne se referme définitivement. Car j'avais cette impression, et elle ne me quittait pas, que lorsque le couvercle serait en place, rien ne parviendrait à le faire bouger... du moins pas cette nuit.

Ses conclusions se basaient uniquement sur un lien éventuel entre un retourneur de temps et un livre protecteur dans la tombe du même homme. Au moment où il avait énoncé son idée, elle lui avait parue entièrement justifiée et cohérente. Cependant, quand Lanalia y réagit, il ne put que y reconnaître la logique indétournable d’une ancienne Serdaigle. Précisément celle qui, dans l’enthousiasme de la découverte, lui avait échappé. Muré dans son silence, Clemens grimaça tout en hochant la tête, pour afficher clairement qu’il lui donnait raison. Sa réflexion avait complètement mis de côté le contexte de leur découverte et la magnificence de la tombe. Elle ne sautait certes pas aux yeux, derrière ce tas de poussière et de moisissure mais il fallait reconnaître que personne ne se serait donné tant de mal pour un garde du corps.

“Tu as raison, je me suis un peu emballé. Cela dit, je trouve ça un peu fou qu’on enterre le retourneur de temps pour éviter que quelqu’un s’en serve. Cela signifie que les proches de ce cher Peverell se trouvaient eux-mêmes indignes de l’utiliser. C’est un peu étrange, tu ne trouves pas ? Peu de sorciers se considèrent de la sorte… Malgré le danger, je t’avoue que moi j’en crève de faire l’expérience.”

L’Allemand afficha une moue un peu honteuse après son aveu. Ce n’était pas tant par arrogance — il ne se pensait pas particulièrement digne, ou meilleur qu’un autre — simplement, il trouvait invraisemblable d’avoir un retourneur de temps sous la main, si proche, et de renoncer à l’utiliser. Le pouvoir qu’il apportait pouvait rendre fou, mais il devait être tellement exaltant de remonter dans le temps, de s’observer agir sous un autre angle, même sans chercher à changer les événements ! Brutalement, deux idées vinrent se connecter dans son esprit, et le jeune homme fixa sa camarade avec des yeux ronds.

“C’est peut-être exactement pour ça qu’on l’a enterré avec le retourneur ! Tu crois qu’il a pu devenir fou en revenant dans le passé ? Ou…”

Ou se tuer lui-même ? Il frissonna. Cette perspective, en plus d’être particulièrement atroce, était très difficile à imaginer. La même personne se suicide mais commet en fait un meurtre. Clemens chassa vite cette suite d’idées, tant le simple fait de l’avoir eu le dégouttait de lui-même. C’était crédible, voir même parfaitement faisable avec un retourneur de temps, mais cela ajoutait encore une horreur à l’aura déjà entachée de l’académie. Pour compenser, il a reporté son attention sur les liens que Lanalia tissait difficilement entre les différents objets découverts autour du squelette. Sa réflexion, bien qu’elle soit plus cohérente, n’était pas franchement plus crédible, et il partagea son rire avec une certaine tension.

La main posée sur la tombe, le Sinistros jouait avec leurs indices comme avec un casse-tête. Il en changeait l’ordre, cherchait à établir des liens entre deux objets qui paraissaient de prime abord parfaitement innocents. La noblesse, le château, un cimetière abandonné, le fantôme, un caveau, Peverell, les reliques de la Mort, l’énigme dans la tombe elle-même… Pendant une seconde, il ne remarqua pas le mouvement du couvercle. Lent et inexorable, le raclement de la pierre contre la pierre résonnait pourtant dans le caveau. Clemens réalisa seulement ce qui se passait quand le regard paniqué de Lanalia parvint à atteindre le fond de son cerveau.

“Le livre !”

Pourquoi l’ouvrage plutôt que le retourneur de temps, il en saura jamais vraiment l’expliquer. Peut-être parce que ses conclusions primaires à propos du petit sablier avait suffit à l’effrayer lui-même. Peut-être car le traité pouvait révéler des indices écrits et explicatifs à propos de l’académie, là où les autres objets devraient être analysés, travaillés, pour ne jamais rien livrer au final. Clemens avait agit par réflexe, plongeant les deux bras dans la tombe pour en arracher le volume au cuir miteux, s’éraflant la main contre la pierre rêche au passage. Époustouflé, il regarda ensuite la tombe, comme paralysé, son précieux bien serré contre sa poitrine. Sauver un autre objet semblait encore possible, mais son corps ne lui obéissait plus. Pouvoir ou vouloir ? Difficile de dessiner la limite.

Le couvercle se refermait inexorablement et plus il bougeait, moins j'avais de chance de pouvoir atteindre les objets dans la tombe afin d'en ressortir au moins un. Le dilemme était presque insoutenable mais heureusement, ce sont mes réflexes qui se sont occupés de prendre la décision pour moi. Alors que Clemens s'était jeté sur le livre pour l'arracher au cadavre et le sortir de son repos supposément éternel, ma main s'est ruée sur le retourneur de temps, dont j'ai cassé la chaîne en tirant trop fort pour l'attirer à moi. J'ai eu l'impression que la statuette de dragon me lançait un regard désapprobateur, mais je n'ai pas eu à le soutenir longtemps parce que la tombe a fini par se refermer complètement. Mon coeur battait à toute vitesse alors que je tenais, très (trop) serré dans ma main, le petit sablier entouré de cercles en or, la chaîne cassée pendouillant entre mes doigts.

Mon regard s'est fixé sur Clemens, un regard qui avait sans doute l'air à la fois terrifié et exalté.

- ...Est-ce qu'on vient vraiment de... piller une tombe ? ai-je murmuré, abasourdie par nos gestes.

Et puis, comme si mon corps et mon esprit n'avaient trouvé que cette solution pour faire baisser la tension qui menaçait de faire cramper mes muscles et craquer ma psyché, j'ai été secouée de rires un peu étouffés. J'étais consciente que j'avais probablement l'air complètement folle, comme nous donnent l'air tous les rires qui ne sont pas déclenchés par le plaisir, mais c'était plus fort que moi. Mes rires étouffés se sont changés en un franc fou-rire alors que je me répétais inlassablement que j'étais une pilleuse de tombe. Et pas n'importe quelle tombe, je vous prie ! Celle d'un illustre sorcier, au moins assez important pour avoir été enterré avec des objets d'une valeur potentiellement inestimable... Quelle malédiction allions-nous subir pour ce geste que nous avions posé? Était-ce ainsi que s'était senti Howard Carter au lendemain du viol du tombeau de Toutânkhamon? Mon canari allait-il mourir, moi aussi? Nouvel éclat de rire.

J'ai été secouée ainsi pendant quelques bonnes minutes avant de pouvoir reprendre suffisamment mon souffle pour me calmer. J'avais encore le rire facile et les yeux pleins de larmes, mais j'étais capable d'aligner deux mots.

- Désolée, c'est juste... Trop de... d'émotions ! ai-je articulé en gloussant.

Je me suis raclée la gorge et j'ai baissé les yeux sur ma main, dont les jointures commençaient à blanchir tellement elle était serrée. Je l'ai finalement ouverte pour regarder l'objet qui ressemblait à un bijou. J'arrivais pas à croire que je tenais ça dans le creux de ma main. Pourquoi mon choix s'était porté sur le retourneur de temps? Simplement par envie, je pense. Envie d'avoir un objet aussi précieux et puissant. Qu'est-ce que j'allais en faire? Aucune idée... Mon plan ne s'était pas rendu jusque là. Pour le moment rien du tout en tout cas. J'avais bien trop peur.

Clemens, en vrai bon Serdaigle, avait choisi de s'accaparer le livre. J'avais bien plus hâte de voir ce que renfermait ce bouquin que de mettre en marche le retourneur de temps... préférant la connaissance à l'action. Mais pour le moment, je sentais que j'avais eu trop d'émotions en une seule soirée. Il fallait que je décompresse un peu avant de faire quoi que ce soit d'autre.

- Clemens... Je veux pas rester ici, ai-je fait en levant de grands yeux suppliants vers lui. Tu veux bien me ramener dans notre salle commune? Je pense que je pourrais trouver une très bonne utilité à cette bouteille de téquila derrière le bar.

Ahh oui. Un verre. Il me fallait un verre. J'étais une pilleuse de tombe trop curieuse et pas assez terrifiée par les fantômes et les menaces, et j'avais besoin d'un verre.

HJ:

Clemens serait le livre contre son torse, l’enserrant des deux bras comme une jeune fille effarouchée dans la cour de sa première école. Son cœur battait si fort dans ce moment trop lent pour être normal et à la fois trop rapide pour ne pas le faire paniquer. Quelque part, il s’accrochait plus lui-même au livre comme à une nouvelle qu’ancre qu’il ne le serrait pour le protéger. Sous ses yeux hallucinés, Lana plongea alors telle une danseuse vers le squelette, dérobant le retourneur de temps qu’il n’avait osé substituer. Enfin, la tombe se scella, à tout jamais peut-être, à moins qu’elle ne dévoile ses secrets une nouvelle fois dans un futur proche, pour satisfaire la curiosité déplacée de deux étudiants… Peut-être attiré par le récit de leur mésaventure ? L’Allemand ne savait pas s’il oserait décrire la profanation un jour.

Il détourna lentement son regard de la pierre sculptée pour se tourner vers sa camarade. Dans ses yeux dansait une lueur équivoque, qui faisait très probablement échos à ce qu’elle devait voir dans ses yeux bleus. Clemens commençait seulement à prendre conscience de la gravité de leurs actes, alors qu’il était déjà bien trop tard pour revenir en arrière. Quiconque découvrait leur petite entrevue avec le monde d’en-bas risquait de leur en vouloir à mort… Ce qui pour une fois, n’était même pas un vilain jeu de mot.

Avec un temps de retard, il ouvrit la bouche pour prononcer aussi les mots défendus “pillage de tombe”, mais le soudain fou-rire nerveux de Lanalia le laissa abasourdi. Il ne fallait pas être sorcier pour deviner que la cause de son hilarité n’avait rien à voir avec une bonne blague, néanmoins, il était encore trop paralysé par ses propres actions pour réussir à en rire. Néanmoins, un sourire parvint à faire son chemin du fond de son cœur vers son visage, et quand la jeune femme retrouva enfin un semblant de calme, il détacha même une main du précieux livre pour la poser sur son elle.

“T’inquiètes, je… Heuu… Enfin, voilà. Je sais pas pourquoi on a fait ça, je suppose qu’on a de mauvais ascendants ou que c’est un coup des étoiles un truc comme ça. Parce que c’est pas notre genre, des conneries pareilles.”

Ses mots s’emmêlaient un peu, tant dans sa tête que dans sa bouche d’ailleurs, et il n’était pas convaincu d’avoir été entièrement intelligible pour sa camarade. Cela importait peu. Dans une telle situation où chacun évacuait le stress comme il pouvait, l’important était encore de montrer à l’autre qu’on n’était toujours là, force de soutien ou d’écoute, selon le besoin. En ce qui le concernait, le rire de Lanalia avait suffit à évacuer un peu de sa tension en donnant une touche de terre-à-terre à cette aventure si irréelle.

Son attention fut ensuite attirée vers le retourneur de temps, enfin révélé maintenant que la jeune femme consentait à ouvrir la main. Malgré les années, le métal brillait toujours d’une douce lueur dorée et à première vue, le sablier semblait dans un état impeccable. Clemens laissa son regard voguer entre l’objet et sa nouvelle propriétaire, honteusement curieux de lui demander ce qu’elle comptait en faire. L’interrogation aurait frôlé l’indécence, d’autant qu’après ce vol réflexe, il y avait peu de chances que Lanalia ait déjà tout un plan d’utilisation… Ou du moins, si c’était le cas, ça aurait été plutôt glauque. Le Sinistros s’abstint donc d’être plus curieux qu’il ne l’était d’ordinaire… Ils avaient tous deux déjà dépassés les limites de la curiosité raisonnable depuis au moins une heure.

Le livre appelait lui aussi à un examen plus minutieux, mais — son expérience avec les vieux grimoires le lui avait appris — un vague coup d’œil dans une pièce sombre ne serait pas suffisant pour juger de ses défenses ou de ses secrets. Alors, après un rapide regard sur la couverture, l’étudiant le cala fermement sous son bras et prit doucement la main de sa camarade. Ses paroles frémissantes lui tendaient plein de promesses qu’il ne se voyait vraiment pas refuser.

“Tu sais, je pense que c’est la meilleure idée qu’on ait eu ce soir. Enfin, toi. Moi, comme d’habitude, j’en ai pas eu beaucoup, mais ça n’étonnera personne.”

Avec un éclat de rire un brin tendu et un brin sarcastique, il entraîna la jeune femme derrière lui, en direction de l’escalier qui remontait dans la forêt. Sa baguette fermement pointée devant lui, malgré son accrochage malhabile au livre, il ne marqua aucune hésitation pour ressortir du caveau. Maintenant que la perspective d’une soirée sans réflexion et sans sérieux dans la salle commune avait été évoquée, il se rendait compte à quel point il avait faim, soif, et froid. Mince quoi, la connaissance quand on est un Serdaigle, c’est vraiment une drogue qui faisait oublier tous les besoins primitifs.