Le corps et l'Esprit

Décembre avançait — il n’allait pas reculer — et viendraient bientôt les vacances. Quinlan n’avait pas eu l’occasion de faire de nombreux cours en ce début d’année, mais estimait qu’avec un peu de travail personnel, ses étudiants seraient capables de passer des examens dès la fin janvier. Rien de bien difficile selon le point de vue de Quinlan, et de toute façon cela consisterait sûrement en un exposé, seul ou en binôme.

Il n’avait pas eu beaucoup de contacts avec les autres professeurs d’Haveirson durant les deux mois qu’il venait d’y passer — hormis bien sûr avec son propre frère qui enseignait la botanique et était parti en vadrouille depuis déjà quelques temps — et en tant que médicomage, il s’était dit que ce serait une excellente idée d’inviter le Pr. Woodsky dans son bureau pour discuter un peu de leur filière. Étant psychomage, Camille pouvait aider Quinlan sur pas mal de points, notamment un projet un peu particulier mais qui lui tenait beaucoup à cœur.

Ne connaissant pas les habitudes du Pr. Woodsky, Quinlan avait prévu quelques petits biscuits, du thé et du café, chose très rare dans ce bureau où il ne passait presque jamais. Délaissant son fauteuil, il préféra s’installer dans le petit sofa qui faisait l’angle de son bureau, et à côté duquel il y avait une petite table basse. Ce serait déjà beaucoup plus agréable et moins formel, même s’ils discuteraient travail avant tout.

Il lui avait donné rendez-vous à 13h, mais comme les étudiants de Quinlan le savaient déjà, ce dernier n’attachait pas particulièrement d’importance à la ponctualité. En tout cas, pas quand il s’agissait du travail et qu’il n’y avait pas d’urgence.

♔ Chime ♔

Allongé à même le sol froid, les jambes légèrement relevées puisque mes pieds étaient posés sur un banc, je reproduisais régulièrement le même mouvement. Lancer une balle, en l'air, puis la rattraper. Ca faisait quelques minutes que je répétais le même exercice stupide pour me vider l'esprit, l'aube approchant. Ca pouvait paraître étrange, je n'en doute pas une seconde, et ne mettrai la parole de personne en doute quand à la logique de mes actions.

Cela dit. Parce qu'il faut bien des transitions, aussi mal soient elles tournées. Mes yeux se tournaient doucement vers l'une des fenêtres du château. Je suis content d'être l'un de seuls à y déambuler la nuit, hormis quelques autres rares personnes, et un fantôme, par ci par là. Mes pensées assez basiques, le décor de mes desseins se fixait sur le début de la journée, et sur le fait de rattraper la balle qui était toujours lancée à peu prêt avec la même force. Cependant, une ombre vint un instant me déconcentrer, la petite balle de mousse s'écrasant sur mon minois avant de rebondir plus loin.

Une chouette, venue me poser une lettre qui annonçait les rendez-vous du jour. J'ai un cours en milieu d'après-midi, et un rendez-vous avec un professeur à treize heures... Tiens ? Je ne le connais pas. Remarque, je ne retiens pas vraiment les noms des gens ici, j'ai peut-être déjà échangé quelques mots avec lui? Lui, ou elle, d'ailleurs? Quinlan était certes, élégant, et me paraissait plus masculin que féminin, mais je préfère éviter les jugements hâtifs, ce n'est jamais bien concluant. Enfin, pourquoi pas! Je suppose que c'est pour parler de travail, dans tout les cas, et comme je suis encore un peu paumé dans l'établissement, ça ne pourrait que m'être bénéfique.

La préparation fut brève, mais la plus efficace possible. Une douche rapide, durant laquelle je m'étais permis quelques évasions dans mes pensées, plus floues les unes que les autres. Pour faire une coupure sèche, je dirais qu'après m'être séché -transition de qualité-, je me suis habillé en vitesse. La partie visible de l'iceberg donnait une chemise blanche, une veste en tweed marron foncée, un pantalon gris et une paire de chaussures de villes basses assez simple. Un coup de cire rapide dans ma tignasse, ma baguette nichée à ma ceinture. Un temps de grignotage, de brossage de dents et de parfumerie, et j'étais fin prêt. Face à mon miroir, le visage blême, je riais de superficialité, malgré un ou deux petits points noirs qui subsistaient sur mon nez, la fleur de l'âge surement loin d'être à terme.

Enfin. J'étais en route, mes yeux gris détaillant judicieusement les lieux pour que j'évite de me perdre, avant de pénétrer dans le bureau du professeur... Ah. Merde. C'est un nom assez complexe, mais ça va me revenir. Ah oui ! Le professeur Fitzsimmons. J'avais poliment toqué, évidemment. Treize heures moins une minute. Il faut croire que ma ponctualité ne m'a pas trahie. Tant mieux pour ma crédibilité, je suppose. Je détaillais les lieux, comme pour les paysages que j'ai vu pour venir ici, en balayant doucement l'endroit du regard, avant qu'il ne se plonge vers le professeur. Je refermais la porte pour m'approcher de quelques pas mesurés de l'homme qui était en train de se prélasser dans son sofa. Au moins, l'atmosphère semblait plus détendu. En tout cas, il me rappelait effectivement quelqu'un, à l'observer de prêt. On à peut-être déjà du s'adresser la parole.

« Professeur. » Fis-je en faisant un pas supplémentaire pour lui tendre doucement la main, un petit sourire naissant à mon visage pour montrer la volonté de ne pas alourdir l'atmosphère. La nuit à été courte, et j'avoue que je n'ai pas particulièrement envie de me mêler à une quelconque tension. Enfin, j'ai l'habitude des insomnies, évidemment, mais les liens se font plus vers l'hypersensibilité qui en découle.

Le professeur Woodsky était apparemment quelqu’un de ponctuel, beaucoup plus que les étudiants de Quinlan en tout cas. Il arriva pile à l’heure dite, peut-être même un peu en avance et salua poliment son confrère. Lui rendant son sourire, Quinlan lui serra la main, sans mollesse ni fermeté excessive.

— Bonjour professeur… Ou dois-je vous appeler ‘docteur’?

D’un geste de la main, il fit signe à Camille de prendre place sur le sofa, lui s’installant dans un fauteuil juste en face.

— Je suis ravi que vous ayez accepté de venir, il me tardait vraiment de connaître l’autre médecin d’Haveirson.

Bien évidemment, les étudiants ne comptaient pas, même ceux qui exerçaient déjà en tant que stagiaires. Quinlan se lassait parfois de leur inexpérience et de leur manque de professionnalisme, même si c’était une chose qui viendrait avec le temps. S’entretenir avec un praticien confirmé était un vrai bol d’air. Du moins, c’était ce qu’il espérait.

— Du thé ? Servez-vous, n’hésitez pas.

Par contre, ça commençait à lui faire bizarre. La plupart du temps, quand il se mettait à parler avec quelqu’un, c’était pour l’envoyer bouler ou pour les recherches… Quinlan avait perdu l’habitude de ces quelques mots banals qu’on échange fatalement au début de toute conversation, même intéressante. Le réaliser le rendit un peu plus hésitant quant à la suite.

— Mon invitation vous a peut-être paru étrange, mais je me disais qu’on pourrait travailler ensemble. Nos deux spécialités sont étroitement liées, et ce serait dommage qu’on ne communique pas plus à propos des cours, des étudiants, des examens…

Prenant une gorgée de son propre thé, Quinlan laissa son regard se perdre sur le mur. Devait-il aborder directement le vif du sujet ? Hmm peut-être pas. Pas tout de suite. Si ça se trouve, le Pr. Woodsky ne voudrait pas ou rechignerait à travailler avec lui, ou même à lui donner des conseils. C’était peut-être un solitaire, et habitué à l’être. Quinn se rendit compte qu’il ne savait vraiment pas grand-chose de ce psychomage, si ce n’est son nom et sa fonction. Pas de quoi le résumer, en somme. Le personnage était mystérieux, et ça ne le rendait que plus intéressant encore. Quinlan n’aimait pas les gens ennuyeux, de toute façon.