[Etudes des Runes] Initiation au Fuþark

HRP:

Comme à son habitude, Zschoke s’était levée tôt ce matin-là. Pointilleuse, elle avait besoin de passer en revue plusieurs fois son cours avant d’oser le présenter à ses étudiants. Enfin, ses élèves. Elle avait déjà enseigné auparavant, mais toujours à des spécialistes qui commençaient déjà à être capables de saisir les subtiles nuances des runes. Avoir un public débutant lui paraissait infiniment plus difficile, car l’esprit d’un adolescent est une chose étrange et retorse : des recoins sombres de ces cerveaux pas tout à fait mûrs pouvaient naître ou la passion ou l’ennui profond de celui qui réalise soudain qu’il a fait un mauvais choix dans sa vie. Elle avisera.

À 8h50, elle se rendit à l’évidence. Il n’y avait rien de plus qu’elle pouvait faire, le reste dépendait uniquement de la personnalité de ses élèves. Elle passa une robe de sorcière blanche brodée de noir, et enfila ses escarpins. Elle était toujours élégante, même quand il s’agissait de faire cours à des pré-ados qui n’en avaient peut-être rien à faire. D’ailleurs, aurait-elle voulu paraître négligée qu’elle en aurait été incapable. Le contenu de sa garde-robe l’en aurait empêché. Elle quitta ses appartements et se dirigea vers sa salle de cours. Oh, et ne pas oublier le nemeton.

Mademoiselle Zschoke arriva donc dans la classe pile à l’heure, transportant dans ses bras un chêne bonsaï qu’elle posa sur son bureau. Faisant face à la classe, elle prit la parole d’une voix ferme et forte :

― Les runes, au sens large, sont le domaine des druides. Pour enseigner la pratique du druidisme, leur forme de magie, ils se regroupent autour d’un arbre qui devient alors le nœud central de leur pouvoir et de celui de leur groupe. Cet arbre est appelé un nemeton. Dans ce cours consacré aux runes, nous serons tous un peu druides, alors voici notre nemeton.

Elle désigna d’un geste un peu théâtrale le bonsaï qu’elle avait apporté avec elle. Sur son tronc, une rune avait été gravée.

― Bien qu’il soit loin d’être aussi imposant que ses homologues millénaires, le nôtre est tout à fait digne. Il tire et transmet sa puissance grâce aux runes qu’on y grave.

Du bout de sa baguette, elle fit apparaître la rune qu’elle avait inscrite dans l’écorce du chêne.

― Ceci est Ansuz, la rune qui symbolise la parole, et par extension, la transmission et la communication. Voyez ceci comme un encouragement.

Elle eut alors le sourire crispé que peuvent avoir les gens stressés quand ils s’attendent au pire.

― Pour ceux qui l’ignorent encore, je m’appelle Alexandra Zschoke-Travis, mais Mademoiselle Zschoke suffira. Avant de rentrer dans le vif du sujet et d'aborder le Fuþark, l'alphabet runique, j’aimerais vous poser quelques questions. Voici un parchemin à remplir : les informations que vous noterez ne dépasseront pas les portes de mon bureau, alors s’il-vous-plaît, soyez honnêtes.

Des parchemins volèrent jusqu’à atterrir devant chacun des élèves, tandis que son nom s'affichait sur le tableau derrière elle. Zschoke y demandait des choses tout à fait pertinentes, même s’il était parfois difficile de répondre à ses questions.

Code:

[b]Nom & Prénom  : [/b]
[b]Année  :[/b]
[b]Maison  :[/b]
[b]Autre option  :[/b]
[b]Pourquoi avoir choisi le cours d’études des runes  ? [/b]
[b]Qu’attendez-vous du cours  ? [/b]
[b]Parcours professionnel / métier envisagé  :  [/b]

HRP:

Mademoiselle Zschoke attendit une bonne quinzaine de minutes, désespérant à mesure que l’aiguille avançait d’avoir davantage d’élèves. Trois adolescents, deux Gryffondors qu’Alexandra connaissait de réputation ainsi qu’un Serpentard. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la professeure n’avait aucun a priori en ce qui concernait les maisons de Poudlard. On trouvait des élèves travailleurs partout, et il en allait de même avec les fénéants.

Elle ramassa les feuilles qu’elle avait distribué aux élèves. Enfin, ramasser… Elle les fit virevolter jusque dans ses mains, les parcourant rapidement de son regard aiguisé. Ce qu’elle y vit la fit sourire intérieurement. Les deux Gryffondors avaient choisi les runes pour s’en servir comme arme, alors que le Serpentard était simplement curieux. C’était assez drôle, non ? Après, les Serpentards ont la réputation d’avoir le mensonge aisé, mais Alexandra avait vécu trop longtemps pour se fier à ce genre d’idées reçues.

Ce qui lui plut surtout dans ces réponses, c’était que les trois élèves étaient tous en sixième année. Parfait ! Ce cours ne devrait être que des révisions pour eux, à moins qu’elle ne s’aventure par mégarde au-delà de ce qu’ils savaient déjà du fuþark. C’était aussi un peu le but : s’attaquer enfin aux choses sérieuses.

— Bien, alors commençons ! Vous connaissez le nom de l’alphabet runique, puisque c’est l’intitulé du cours.

D’un geste de la main, elle désigna le tableau où était écrit ‘fuþark’ en alphabet latin et runique.

— Le fuþark compte 24 runes, divisées en trois groupes de huit. Nous n’allons pas les voir les unes à la suite des autres, puisque je suis sûre que vous en mourrez d’ennui.

Un léger sourire étira ses lèvres. Sans laisser le temps à ses étudiants de l’interrompre, elle s’expliqua :

— De ce que j’ai pu lire sur vos fiches, ce qui vous intéresse plus particulièrement, au-delà de l’alphabet et de la signification particulière de chaque rune, ce sont leurs applications pratiques, en contexte exceptionnel ou quotidien. Alors, selon vous, à quoi peuvent servir les runes ?

C’était là un agréable changement de programme : elle n’y était pas spécialement habituée, mais elle avait toujours conçu qu’un cours pouvait être très différent de l’idée qu’elle en avait eu. Ce cours allait sûrement être l’un d’eux : elle avait prévu de travailler en détail sur Fehu, la première des runes, mais compte tenu des attentes de ses élèves, leur tenir la jambe avec une rune symbolisant la richesse et l’abondance quand ils cherchaient — au moins au deux tiers — des runes de combat… ce serait se tirer une balle dans le pied.

Des retardataires, il y en avait toujours. C’était une constante à laquelle Zschoke s’était attendue, même si ça avait tendance à la mettre d’assez mauvaise humeur. Le premier d’entre eux remplit rapidement sa fiche d’élève qu’Alexandra parcourut du regard en attendant que l’on réponde à sa question. Hmm… Cet Evans était moins manichéen que ses autres camarades rouge et or, mais les soins aux créatures magiques ? Sérieusement ? Il aimait tant que ça les licornes ? Enfin… La professeure de Runes laissa le parchemin sur le bureau, et permit à Neville de répondre à la question qu’elle avait posé.

La tirade de l’élève, même si elle n’était pas inexacte, était tellement empreinte de naïveté que Mademoiselle Zschoke leva les yeux au plafond de façon bien peu discrète.

— Ce sont moins des symboles que des lettres, même si effectivement, chacune d’entre elles représentent quelque chose. Je crains fort qu’il n’y ait pas de rune associée au vent ou à l’eau, cela dit. Nous allons voir ça plus tard.

D’un coup de baguette magique s’affichèrent sur le tableau quelques indications. On pouvait y lire désormais premier alphabet fuþark : IIe après J.C.

— C’est une magie ancienne, mais c’est loin d’être la plus ancienne. En réalité, les runes ne sont que la partie émergée de l’iceberg des magies anté-baguette, c’est-à-dire les magies avant l’apparition du catalyseur de bois que je tiens actuellement dans ma main.

Un sourire élargit alors le visage d’Alexandra, mauvais signe s’il en est.

— Quant à faire le ‘bien’ ou le ‘mal’, mon cher Londubat, c’est simplement une question de point de vue et ce n’est pas l’objet de mon cours. Sans oublier que ce que vous dites là est un lieu commun vide de sens. N’importe quelle magie se base sur la nature, si on y réfléchit bien, et comme n’importe quoi, elle n’est que ce que l’on veut bien en faire.

En résumé, Neville en avait sûrement trop dit, et avait enfoncé des portes ouvertes, chose que Mademoiselle Zschoke méprisait ouvertement. Pendant ce temps, une nouvelle retardataire avait fait son apparition, et remplissait elle aussi sa fiche d’élève. Une fois terminée, Alexandra la scanna aussi attentivement que celle des autres :

— Bien. Je pense qu’on va tout de suite partir sur du pratique.

D’un nouveau coup de baguette s’affichèrent deux runes sur le tableau.

Runes:

— Il s’agit de Kenaz et d’Ingwaz. La première symbolise la récupération des forces et la magie, tandis que la seconde symbolise plutôt la fécondité et l’idée d’une énergie en devenir. À votre avis, dans quelle situation pourriez-vous utiliser ces runes en combinaison ? Imaginez le contexte, et dites-moi comment vous procéderiez.

Elle espérait sincèrement que derrière leur façade candide et désespérément binaire, ils auraient un cerveau assez fonctionnel pour additionner 2+2. C’est pas comme si elle leur demandait d’inventer l’eau tiède, n’est-ce pas ?  

La question de Cyril, sous ses airs un peu stupides et surtout assez peu pratiques, appelait à des précisions qui dépassaient de loin le niveau d’études des runes qu’ils avaient ici, à Poudlard. Cela eut donc le mérite de faire hausser un sourcil à Mademoiselle Zschoke, qui hésita un temps avant de lui répondre. Version longue, ou version courte ?

— Votre question est à la fois très idiote et très intéressante, M. Evans. Est-ce que c’est la nature qui donne son pouvoir aux runes ? À votre avis, qu’est-ce que ça peut être d’autre ? À quoi opposez-vous la nature, dans votre question ? Quand vous faites glisser votre pouvoir, votre magie dans vos runes, vos symboles, ou votre baguette, ne peut-on pas dire que c’est votre nature magique qui imprègne vos actions ?

Avec un léger sourire qui pour une fois n’était pas totalement narquois, elle revint vers le tableau et s’adressa à la classe tout en réfléchissant à la manière de rendre sa réflexion plus visuelle.

— Les runes tirent leur pouvoir de la magie environnante, mais pour cela il faut qu’elles aient été créées de façon ‘magique’. Comme le fait remarquer M. Evans, ce ne sont ‘que’ des lettres : mais les mots ont du pouvoir. Quand vous lancez un sort, vous avez d’abord besoin de prononcer une incantation, ou de penser à certaines choses. Lorsque vous tracez des runes, ou n’importe quel autre symbole magique, c’est la même chose. Vous n’avez pas de baguette, mais vous avez votre esprit, votre magie, et le réceptacle de votre ‘sort’ : une pierre, un arbre, le sol, etc.

Ah voilà. Elle avait enfin trouvé un schéma qui pourrait peut-être les aider : elle fit apparaître la silhouette d’un sorcier stylisé qui utilisait sa baguette sur un objet quelconque. En dessous de lui, la même silhouette d’un sorcier, qui traçait une rune sur une pierre. Tout autour d’eux, une brume bleutée apparut, avec la mention ‘magie / flux magique’; les sorciers furent nommés les ‘sources’; la baguette et la pierre, les ‘catalyseurs’. Quant à la chose sur laquelle le sorcier lançait un sort avec sa baguette, Mademoiselle Zschoke ajouta une mention ‘objet’.

— La magie runique peut avoir un objet elle aussi, mais le plus souvent son effet est assez diffus. Les baguettes furent inventées principalement pour leur précision.

Elle se racla la gorge et joignit ses mains tout en souriant.

— J’espère que ça aura satisfait votre curiosité, et si ce n’est pas le cas, vous êtes cordialement invités à en parler dans mon bureau ou par hibou. Ce sont des choses qui sont plutôt avancés pour votre niveau, et si je continue dans cette parenthèse certes passionnante, j’ai bien peur que vous ressortiez de cette salle en étant passés à côté de l’essentiel.
Revenons donc à ces deux runes que je vous ai présentées !

Là aussi, il n’y eut qu’un élève pour participer, au grand damn de Mademoiselle Zschoke, et toujours le même. Ce Cyril n’était pas aussi stupide qu’il en avait l’air. Avec une petite moue agréablement surprise, Zschoke hocha la tête.

— Excellente réponse, M. Evans. 10 points à Gryffondor !

Elle fit quelques pas sonores dans la salle, histoire de faire réapparaître les runes. Elle laissa le schéma sur le tableau, et se contenta de faire voler Kenaz et Ingwaz dans les airs.

— Chaque rune symbolise plusieurs choses. La grande difficulté quand on les traces est de sélectionner ce pourquoi on fait appel à elles : Kenaz pour la récupération des énergies, et Ingwaz pour la création de ces énergies. La plupart du temps, quand on veut aider une jeune mère à se remettre d’un accouchement difficile — ou le prévenir, d’ailleurs — on utilise ces deux runes avec cette signification.

Curieuse de savoir ce que pouvait bien gratter Neville sur son parchemin, Mademoiselle Zschoke se dirigea vers lui, et se pencha par-dessus son épaule sans aucune gêne.

— Il y a de l’idée, M. Londubat, quoique je vous déconseillerai de graver quoi que ce soit sur une baguette sans être un expert. Renforcer un catalyseur est une chose dangereuse, explosive même. Quant à l’idée d’utiliser Kenaz pour renforcer la magie d’un enfant à naître…

Le sourire d’Alexandra se déforma pour devenir profondément… dérangeant.

— Je ne sais pas si c’est du génie, ou de la maltraitance. Renforcer de la magie déjà instable avec de la magie… Avez-vous pensé aux conséquences que pourraient avoir de telles expériences ? Ce n’est pas pour rien que la magie blanche se contente souvent de s’occuper de la mère, et d’attendre que l’enfant naisse pour s’occuper ensuite de lui. Essayer d’avoir un effet, de modifier un enfant à naître d’une manière ou d’une autre…

Son sourire s’élargit.

— …N’est-ce pas flirter avec la magie noire ?