Animo deliberato.

HRP - Précision:

Missive de janvier 1997, entre Rowan et Anna a écrit:

 Je dois me rendre au chemin de traverse, prochainement. Puis-je espérer ta présence à mes côtés ? Ce serait également une formidable occasion pour moi de te faire découvrir Londres et ses secrets.

Barjow & Beurk. Une boutique au sinistre nom… mais ça lui allait bien. Alexandra n’avait pas pour habitude de fréquenter cette échoppe en particulier, mais elle n’était pas pour autant une novice dans l’Allée des Embrumes. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas arpentée, mais elle y avait gardé ses repères. C’est donc avec un regard d’amatrice avisée qu’elle était entrée dans la boutique, ses yeux ayant accroché un artefact intéressant à travers la vitrine poisseuse.

Quelle déception en s’en approchant de constater que ce n’était pas une antiquité comme elle l’avait d’abord pensé, mais une reproduction. Ancienne, certes, mais pas assez. Les sorciers Vikings n’avaient pas pour habitude de travailler cette pierre, ce qui faisait de cette tablette de runes soit un faux, soit un objet bien trop rare pour finir dans ce dépôtoir.

Rapidement, l’attention d’Alexandra se porta sur tout autre chose que le petit morceau de pierre gravé qu’elle avait devant elle. Un homme était présent dans la boutique : elle n’y avait d’abord pas fait attention. C’était la norme dans l’Allée des Embrumes : ne pas trop regarder le visage de ceux qu’on y croise. Une simple règle, mais qui jouait énormément sur votre espérance de vie dans le quartier. Dommage cependant : Alexandra n’avait que faire de son espérance de vie.

— Bonjour.

Elle s’était tournée vers le jeune homme avec un grand sourire en lui tendant la main. Habillée d’une robe blanche toute simple sous une cape noire, elle était bien loin de paraître aussi pimpante qu’à ce désastreux réveillon de Noël à Poudlard. Son visage en avait même gardé quelques traces : son front était encore égratigné.

— J’espère que vous allez mieux après ce dîner catastrophique.

Allusion voilée au banquet qui avait tourné au massacre, sous les yeux impuissants d’Albus Dumbledore. Mais même sans cela, le repas aurait été un supplice pour l’héritier Westminbrook, Alexandra l’avait bien compris. Elle se souvenait de l’attitude de Daphné et de Blaise, et surtout, des mots inconsidérés qu’il avait eus. D’un autre côté, ça lui avait permis d’avoir enfin une piste sérieuse.

— Certains ne savent pas tenir leur langue, et d’autres ne peuvent s’empêcher de chercher à distinguer le vrai du faux.

Alexandra parlait par énigmes, ce qui était compréhensible compte tenu de la situation, mais ça n’allait sûrement pas améliorer la fluidité de la conversation. Qu’à cela ne tienne !

Alexandra avait beau avoir du mal avec les aristocrates, il fallait reconnaître qu’ils avaient la classe et étaient généralement polis au point de n’en plus paraître honnêtes. Rowan était fait de ce bois, et c’est avec un sourire qu’elle accueillit ses salutations.

— Les choses sont complexes depuis un petit moment déjà. Ce qu’il s’est passé n’avait pas beaucoup de sens, mais n’était pas non plus une totale surprise.

C’était un peu fort de café de sa part de parler d’un événement quasi-prévisible alors qu’elle avait totalement cédé à la panique. Elle en voulait toujours un peu aux assaillants d’avoir pourri une de ses plus belles robes, mais elle s’était bien vite calmée. Les morts des enfants l’avaient secoué sur le moment, mais son analgésie généralisée semblait avoir repris le dessus. Blasée. Ou plus précisément, désespérée au point d’en être insensibilisée.

Elle se demandait si l’homme en face de lui était aussi hermétique à ce genre de choses, ou s’il cachait seulement très bien ses impressions. L’attaque avait été tout de même assez violente… Alexandra était la première à affirmer que sa façon de gérer le trauma était plutôt inquiétante. Elle savait qu’elle n’était pas comme tout le monde, qu’elle avait une capacité émotionnelle à géométrie variable. Quelques jours, quelques petites heures après même, elle avait simplement fermé les vannes. À quoi cela lui servirait-il de se lamenter sur le corps d’élèves qu’elle ne connaissait même pas !? Ses petits protégés étaient toujours en vie, et pour le reste… Les morts ne revenaient pas à la vie, quoi qu’on veuille en penser.

Alexandra faisant face à l’héritier Westminbrook n’avait pu s’empêcher de faire plus ou moins discrètement allusion à son père et à ce qu’en avait dit Blaise au repas de Noël. Évidemment, sa réponse était prévisible : Mademoiselle Zschoke n’avait aucun moyen de savoir si ce qu’avait craché Zabini était vrai. C’était aussi un peu pour ça qu’elle fut si prompte à engager la conversation avec Rowan. D’autant plus qu’elle promettait d’être passionnante.

— Oh, vous pensez réellement que l’instabilité émotionnelle est propre à la jeunesse ?

C’était une contre-attaque un peu à l’aveuglette, juste pour secouer le pauvre Westminbrook sur ses propres préjugés. Une vieille habitude pour la professeure de runes qui avait la réputation de ne rien laisser passer.

— Quant à croire ce genre de révélations… Il faut bien dire que ce ne serait pas beaucoup plus étonnant que ce qui nous est tombé dessus récemment. Sans mauvais jeux de mots.

Le choix de mots était bien sûr très conscient, comme le prouvait la mine amusée d’Alexandra. Qui sait ce qu’elle pourrait obtenir de ce jeune homme, et surtout, jusqu’où elle pourrait le pousser. Elle était prête pour une nouvelle partie de son jeu préféré.

La réaction de l’héritier Westminbrook ne fut pas tout à fait celle qu’attendait Alexandra. Elle ne cacha pas sa surprise devant son assurance aux allures inébranlables… Et d’une certaine manière, la bêtise et l’arrogance dont il pouvait faire preuve.

— Hé bien, n’êtes-vous pas jeune vous aussi !

Évidemment, Blaise en était un exemple frappant. De bêtise et d’arrogance, non pas d’instabilité émotionnelle infantile. Le jeune homme avait été plutôt percutant au repas de Noël, en effet, mais par simple esprit de contradiction, Alexandra préférait mettre cela sur le compte de son égo plutôt que de son âge. Quelqu’un comme M. Zabini, même à trente, quarante ou cinquante ans, pouvait être frappé de la même ‘instabilité émotionnelle’.

— Effectivement, concéda-t-elle, mais de là à irresponsabiliser ce pauvre garçon tout en l’infantilisant au passage… N’est-ce pas sous-estimer les dégâts que peut causer l’orgueil et la vanité ?

Elle marqua une courte pause, juste le temps d’esquisser un nouveau sourire.

— À moins qu’il ne s’agisse tout simplement du fiel de la jalousie ?

Blaise avait eu l’air d’en vouloir particulièrement au couple Westminbrook-Greengrass lors de ce repas, et peut-être était-ce bien plus que de l’amitié qu’il éprouvait envers cette chère Daphné.

— Et, vous en conviendrez, on n’arrête malheureusement pas d’être jaloux ou orgueilleux à dix-huit ans. Ou même à vingt-cinq.

Enfin, tout cela n’était qu’un futile préambule au réel sujet de discussion, que Rowan balaya d’une réplique qu’Alexandra perçut comme légèrement dédaigneuse. Elle aurait pu se sentir piquée au vif, si seulement elle n’était pas si douée pour jouer sur les mots au point d’avoir rendu plusieurs de ses interlocuteurs complètement chèvre.

— Courantes ? Non. Anodines ? Sûrement pas. Vraisemblables, par contre… Ce n’est pas parce qu’une chose est rare ou grave qu’elle ne peut se produire. Et force est de constater que vous et votre famille avez le profil de l’emploi.

C’était peut-être une provocation de trop, mais si elle restait trop sage, elle n’obtiendrait rien de cet homme. Pour une fois, elle avait en face d’elle quelqu’un qui lui donnait vraiment du fil à retordre.

Hé bien, voilà qu’il se prenait pour quoi… Un vampire ? Sincèrement amusée, Alexandra esquissa un sourire et laissa Rowan se mouvoir autour d’elle comme si elle était l’attraction du jour. Ce qui n’était peut-être pas loin d’être le cas d’ailleurs. Mais ces jeux sur la jeunesse et la vieillesse rappelaient aussi un douloureux souvenir à la professeure de Runes, la raison même pour laquelle elle avait tant chercher à s’entretenir avec l’héritier Westminbrook. Une douleur naquit dans sa poitrine, faisant vaciller son sempiternel sourire.

Elle se concentra pour continuer d’écouter Rowan, même si l’élancement dans sa poitrine devenait de plus en plus omniprésent. C’était une douleur sourde, pas forcément très forte, mais dont Alexandra savait qu’elle se prolongerait sur plusieurs heures, sûrement plusieurs jours.

Il attaquait Zabini plutôt que ses paroles, le tournant en dérision, cherchant à le discréditer pour que ses mots n’aient soudainement plus aucune valeur. C’était facile. Trop facile, indigne de quelqu’un comme Westminbrook.

— Attaquer la personne plutôt que sa parole est quelque chose de particulièrement bas, Monsieur Westminbrook.

Cela dit, il était vrai aussi que Blaise n’avait aucun argument ni aucune preuve. Alexandra ne s’accrochait à l’information qu’elle avait que par désespoir, par peur de ce qui lui grondait dans le corps en ce moment-même.

Rowan se rapprocha d’elle, lui donnant un frisson. Elle ne souriait plus, paralysée par la douleur. Elle ferma les yeux, tentant de la contrôler, en vain. Quand elle les rouvrit, il s’était éloigné. Elle n’avait pas entendu ce qu’il avait dit : son cerveau refusait de traiter l’information, trop submergé de stimuli nerveux.

Elle devait se contrôler, elle devait ne rien laisser paraître. Pas ici, pas maintenant. Mais il est des choses qu’on ne peut contrôler, malheureusement.

Perdant conscience, elle s’effondra soudain.