Temps mort

A 7h30 du matin, le parc était encore plongé dans une nuit compacte et glacée, similaire, semblait-il, à l’eau atone et noire du lac; depuis l’étendue de pelouse sur laquelle Blaise se trouvait, il ne parvenait d’ailleurs pas à discerner l’un de l’autre. Contemplant, l’air absent, la propriété, il mordit dans la chair froide et sucrée de la pomme pourpre qu’il tenait entre les mains. Il l’avait extirpé au buffet du petit-déjeuner, avant de promptement s’éloigner.  Il était calme; fatigué, même; et affronter les bavardages/querelles/déclarations fiévreuses de ses camarades de maison représentait beaucoup trop d’effort, même pour lui qui ne s’était jamais montré exactement « réservé ». Le lourd silence qui régnait alors dans le parc, occasionnellement déchiré par le bruissement vaporeux des ailes de hiboux qui, lestés de lettres, se dirigeaient vers la Grande Salle, était confortable et bienvenu.

La journée qui l’attendait, il le savait, était chargée - il avait obtenu de bons résultats, lors de ses BUSES; aussi, il suivait encore de nombreux cours, qui s’amoncelaient dans sa semaine en des journées denses, entrecoupées par d’éventuelles pauses déjeuners, où il retrouvait Drago et sa cour pour feuler quelques féroces rumeurs. Sauf ce matin. Ce matin, il avait traversé la grande salle, y avait subtilisé un petit pain aux noix granuleux, une pomme rouge dont la peau lisse brillait dans la lumière des lustres alambiqués, puis s’était détourné vers les couloirs, vêtu de sa lourde robe noire, la nuque enfouie par dessous l’épaisse écharpe estampillée Serpentard. Il avait croisé, à cette occasion, un des préfets de Gryffondor, qui lui avait adressé un regard soupçonneux, le suivant du regard sans même interrompre sa discussion avec une première année à l’air égaré.  Blaise lui avait offert le sourire de l’innocence même.

Maintenant, dix minutes après son arrivée, alors qu’il se tenait sur l’herbe gelée, craquante comme du verre sous la semelle de ses mocassins de cuir, le soleil commençait à se lever - l’horizon s’était détrempé de rose pâle; et l’air absorbé avec lequel il l’admirait aurait pu faire ricaner. Blaise Zabini n’avait jamais revendiqué sa passion pour le grand air.

Il était très tôt encore, pourtant Angel était déjà debout et prête à sortir. Dehors il faisait encore nuit, et elle n’eut pas besoin de sortir pour savoir qu’il devait aussi faire très froid. C’était le genre de temps où l’on préférait rester à l’intérieur, au chaud, près d’un bon feu de cheminée. En même temps, on était en décembre. C’était donc tout à faire normal d’avoir un temps comme celui-ci. Noel approchait et Angel ne savait toujours pas ce qu’elle allait faire, à savoir si elle restait à Poudlard ou rentrait chez elle.

D’ailleurs en parlant de cela, elle devait aller faire un tour au pré au lard pour faire ses achats de Noël. Elle devait aussi voir pour une nouvelle robe de soirée. Bref, perdue dans ses pensées, elle sorti de son dortoir puis de la salle commune des Verts et Argents et se dirigea vers la Grande Salle. La table des Serpentards était encore vide, elle se prit un bon chocolat chaud. Elle devait aller à la volière, avant le début de ces cours et très franchement le temps ne lui donnait pas vraiment envie. Pourtant il fallait le faire et puis le vent glacial la réveillerait un peu.

Emmitouflée dans sa cape d’hiver et sa grosse écharpe en laine aux couleurs de sa maison. Elle enfoui sa tête sous un chapeau en laine aussi et ses mains dans des gants. Elle sorti enfin, accélérant le pas sous la couche de glace qui se brisait. Traversant le parc, elle aperçut non loin de là, Blaise. Que faisait-il dehors à cette heure si matinale et sous un temps aussi pourri ? Elle s’approcha de lui

- Hey ! Fais gaffe tu vas finir par te transformer en bonhomme de neige là…

Elle lui fit un joli sourire charmeur, une fois arrivée près de lui. Elle s’entendait plutôt bien avec lui, même si c’était un pote à Malefoy. Ils avaient une passion en commun qu’était la mode, et ils avaient passé des temps à parler de ça. Pourtant elle avait entendu des rumeurs dernièrement comme quoi Blaise s’amuserait à la critiquer par derrière notamment pour le fait qu’elle soit la préfète de la maison alors que c’est une sang mêlée.. Elle espérait vraiment que ceci n’était qu’un rumeur infondé, parce que les hypocrites, elle ne pouvait pas les blairer. Et quand elle n’aimait pas une personne, elle pouvait très vite devenir une petite peste !

- Qu’est ce que tu fous là !

Sa venue semblait avoir sorti le jeune homme de ses pensées matinales. En tous les cas, il ne semblait pas vraiment ravi de la voir. Cela confirmait-il les rumeurs qu’elle avait entendues à son sujet ? Après tout il trainait avec Malefoy… Lui laissant le bénéfice du doute, elle ne fit pas attendit à ce bonjour peu enchanté. Il lui demanda si sa question était anodine ou pas précisant que ça réponse dépendait de ce qu’elle allait lui dire

- Pourquoi ? Tu as des choses à te reprocher ?

Demanda-t-elle avec un sourire espiègle. Après tout s’il n’avait rien à cacher, il se ficherait bien de savoir dans quel but elle lui demande ce qu’il faisait ici non ? Elle savait que sa nomination en tant que Préfète n’avait pas plus à certains camarades, Malefoy en premier lieu. Il lui avait clairement balancé à la figure qu’une sang mêlée de son espèce ne devrait pas avoir ce rôle. Il pensait surement se retrouver avec sa Pansy à ces cotés ! Mais malheureusement pour lui, le sort en avait été autrement. Et la belle sang mêlé avait été nommée Préfète. Et beaucoup trouvaient qu’elle remplissait bien mieux ce rôle que son condisciple. Bref, Blaise faisait-il parti de ce groupe qui l’a jugeait indigne pour ce poste ?

- Je voulais profiter de ce beau temps avant le début des cours ! Alors tu as fait tes achats pour Noël ?

Dit-elle avec un clin d’œil. Elle lui accordait sa confiance, mais le jour où elle apprendrait qu’il s’est juste foutu de sa gueule jusqu’à présent, il risquerait de le regrette amèrement ! Sang-melée ou pas, elle avait le caractère de chien des Serpentards.

« Jamais. Pas moi. » réfuta-t-il ; excessivement innocent; amusé, en réalité; « tu me connais. »

L’enthousiasme de la jeune fille était attendrissant. Portant à sa bouche ourlée sa pomme pourpre & lisse & brillante comme un organe dans la lumière, Blaise Zabini contemplait Angel, les yeux plissés dans le miroitement rose du crépuscule avec le regard concentré / intrigué d'un fauve sur une proie alors qu’elle s’émerveillait au sujet du temps. Paternaliste comme s’il s’adressait à une enfant un peu candide. Une enfant malade & condamnée, à qui il était important de faire plaisir - car comment oublier qu’Angel Jonhson n’était pas une sang-pûr ? Il fallait parfois se montrer « tolérant » envers ces gens là. Faire preuve de clémence et de pitié.

« "profiter de ce beau temps" », répéta-t-il, songeur, comme s'il eut été nécessaire d'analyser longuement cette information; comme si elle eut été prononcée dans une langue qu'il ne maitrisait pas tout-à-fait. L’hiver les avait rendus bien optimistes; malgré la froideur matinale, Blaise consentait à acquiescer - la matinée était belle, comparée aux longs matins sombres et noirs, battus de pluie glacée, qui semblait si caractéristique des hivers à Poudlard. Mais les serpents sont des reptiles de sang-froid; et il leur suffit de faire luire au soleil leurs écailles scintillantes pour trouver satisfaction.
Parce qu’elle le connaissait bien - Blaise s’appliquait à ce qu’on le « connaisse bien » et Angel, en bonne préfète, détenait sur chacun d’entre eux, appliqués élèves de sa maison, une connaissance que Blaise, qui admettait à peine de prendre l’effort d’apprendre le prénom des promotions les plus récentes, jugeait, il est vrai, plutôt impressionnante - la jeune fille l’interrogea sur ses achats potentiels.  Ses « achats de Noël ». Et Dieu sait comme Blaise avait pour l'habitude de dépenser de manière extravagante lors de la période de Noël ! Pour lui, bien sûr; pour sa mère, aussi, quoique Diane Zabini ne manquait de rien - & pour ses amis, car couvrir ses amis de présents, plus que signifier qu'il tenait à eux, et bien qu'il tenait à eux, permettait également, permettait surtout, d'exhiber les richesses de famille.  Une occasion qu'il ne se permetterait pas de manquer.

« A vrai dire...» Il haussa les sourcils; comme lui même un peu surpris; « A vrai dire, pas encore. Je n'ai pas eu le temps. Tu sais ce que c'est - les responsabilités.» Il éluda la question d'un vague mouvement de la main. Les cours l’inquiétaient plus qu’il ne le laissait jamais supposer — en l’occurence, il n’avait pas pris le temps de sortir dernièrement ; avec cynisme, dans un sourire, il l’interrogea; « Mais toi, Angel? Quelques chocogrenouilles pour gâter une quelconque cousine éloignée ? Un nouveau balai pour ta mère, peut-être ?» Comme s’il eut fait accidentellement commis une erreur d’inattention, il se corrigea ;  « suis-je bête. Pas d’objet magique pour ta mère.  N’est-ce pas ? Ce serait absurde. » C’était, sous ses airs charmants, distraits, de la malveillance; un reproche, même; une manière de souligner leur différence; mais il enchaîna avec nonchalance, le ton complice;
« En tout cas, parce que je suis manifestement en réclusion ici à Poudlard,  je compte sur toi pour me renseigner au sujet de la dernière collection de Tissard & Brodette. Je n’ai pas vu de pull en cachemire depuis au moins 3 semaines - je suis sérieux, c’est terrible. »

- Mais bien sur … surtout pas toi !

Répliqua-t-elle, amusée elle aussi. Elle s’entendait bien avec ce jeune homme, mais elle savait ou du moins, elle se doutait fortement qu’il n’était pas sincère avec elle. Après tout il trainait avec Malefoy !

Evidemment elle avait dit « beau temps », d’un ton ironique. C’était tout le contraire de ce qu’elle pensait réellement. Même si le ciel était plutôt dégagé et qu’il ne pleuvait pas des cordes, le froid glacial, suffisait pour rendre ce temps pourri ! Et Blaise l’avait bien remarqué puisqu’il venait de le répété comme s’il allait analyser chaque syllabe de cette phrase. Il était bien mystérieux parfois. Elle aurait aimé pouvoir lire en lui et connaitre chacune de ces pensées. Mais malheureusement, elle n’avait pas ce pouvoir-là.

Parlant ensuite des courses de Noel, il lui expliqua qu’il n’avait pas encore eu le temps de se pencher la dessus. Il lui retourna ensuite la question, profitant de cette occasion pour lui rappeler, intentionnellement ou non, le fait qu’elle était une sang melée.

- Détrompes toi Blaize, ma mère adore collectionner des objets magiques !

Entre ce que disait les rumeurs et les remarques de ce genre, la jeune fille finirait vraiment par croire qu’il était comme l’autre imbécile de Malefoy, et qu’il jouait les hypocrites.

- Tu sais, elle est très ouverte d’esprit, elle !

Répondit-elle insistant sur le « elle ». Il changea aussitôt de sujet, revenant sur un point en commun qu’ils avaient tous les deux, malgré leur différence de sang : la mode. Il lui demanda des infos sur la dernière collection de Tissard & Brodette.

- Et bien pour tout te dire, je n’ai pas eu l’occasion d’aller sur le chemin de traverse ces derniers temps, mais j’ai entendu dire que la collection d’hiver est juste magique ! La couleur prédominante est le blanc bleuté type glace, et des tons plus foncés genre azur. J’ai hâte d’aller voir tout cela je te ferais un compte rendu oui. On pourrait même y aller ensemble si ça te dit ! Enfin si tu n’es pas trop occupés avec tes... Responsabilités ?

Elle lui rendit un regard plein de sous-entendus.

- En parlant de responsabilités, tu sais ce que fais Malefoy c’est temps-ci ? Il n’a pas assisté à la dernière réunion des Préfets ? Et maintenant que j’y pense, ça fait un moment que je ne l’ai pas vu…

Elle est très ouverte d’esprit, elle !…La remarque ne l’atteignait pas; il leva brièvement les yeux au ciel, sceptique.

« Une brave femme, assurément. » répondit-il dans un haussement d’épaules. Angel assumait absolument son métissage; c’était un peu trop révoltant pour lui; il agréa à changer de sujet, non sans que son visage ne se pince d’une moue un peu écoeurée.

Un bon compromis : elle s’affaira à lui rapporter ce qu’elle savait des dernières collections de prêt-à-porter de la saison, et, achevant sa pomme, il l’écouta respectueusement, comme si elle eut rapporté une information de premier ordre. C’était, dans la hiérarchie douteuse des centres d’intérêts de Blaise, effectivement le cas.  

« Le bleu…? » un parti-pris esthétique qui, assurément, méritait réflexion ; il étudia la question avec l’intensité que lui permettait l’heure matinale. « le bleu clair, oui. le bleu marine, oui. Le bleu azur? je suis dubitatif. » trancha-t-il, secouant la tête avec intransigeance. « Pas suffisamment convaincu, pour l’instant, pour sacrifier mes responsabilités. » Répondit-il d’un ton égal. Il était tout-à-fait souriant. Courtois, comme il avait appris à l’être tout-au-long de son enfance par quelques enseignants particuliers, des professeurs chargés de veiller à ce qu’il pénètre dans le monde avec « aisance », « élégance » & « diplomatie ».   Et n’avait-il pas été un élève merveilleusement appliqué ? « studieux ? »

A la mention de Malefoy, Blaise haussa un sourcil. Drago n’est pas suffisamment désolant pour prendre cette histoire de préfet au sérieux : c'était l'avis du jeune homme. Un peu sec, légèrement agacé, peut-être, il feula, doucereux :  « cela fait beaucoup de questions, n’est-ce pas? » il s’en référait à ses interrogations précédentes; lorsqu’elle s’était permis, quelques minutes plus tôt, de s’enquérir sur les raisons de sa présence ici. Blaise savait pertinemment que la jeune fille détestait Drago Malefoy - son meilleur ami ; aussi, il trouvait peu judicieux de sa part d’aborder le sujet; d’autant plus qu’elle l’observait à présent avec les yeux brillants d’ironie; et parce qu’elle jouait le jeu, s’enhardissait, facétieuse, il se permis d’être un peu plus abrupt, quoiqu’il conservait son ton badin et son accalmie dans la froideur de la matinée ;

« Et bien, excuse-moi, Johnson, mais tu admettras que Drago a probablement mieux à faire que de perdre deux heures en compagnie de Ron Weasley & d’Hermione Granger pour débattre au sujet de la nécessité de racheter ou non du shampooing pour la salle de bain des préfets ce mois-ci.»  Pour atténuer le venin de cette phrase, prononcée comme une raillerie complice,  une taquinerie un peu sévère, il lui demanda dans un clin d’oeil : « je veux dire, ne t’offense pas, mais avouons-le : vous ne faites rien de capital lors de ces réunions. » Essayait-il, par jalousie/malveillance, de minimiser son rôle au sein de la maison ? Probablement. Moquant, au passage, la ferveur de son investissement dans son rôle...Mais avec le sourire, évidemment.

Elle avait bien vu sa façon de lever ses yeux au ciel. Elle savait au fond qu’il n’aimait pas les sangs mêlés tout comme son meilleur ami. Après tout qui se ressemble s’assemble non ? Mais contrairement à Drago qui le criait bien haut et fort, lui, il jouait sur l’hypocrisie. Et ça c’était bien pire. Il ajouta que Madame Johnson devait être une brave femme. Puis changea de sujet avant que tout cela s’envenime. Quant à Angel, elle dû se faire violence pour ne pas répliquer. Elle décida de faire comme lui : changer de sujet. Elle n’avait pas envie de se prendre la tête dès le matin et d’être ensuite de sale humeur toute la journée. Elle ne lui donnerait pas cette satisfaction.

Parlant de mode, le seul sujet qui les rapprochait, en réalité, elle lui avait donné les infos qu’elle avait sur la dernière collection de Tissard et Brodette. Elle se demandait pourquoi elle continuait d’avoir un semblant d’empathie pour cet être qui se disait pur mais qui en réalité était entaché de méchanceté et hypocrisie. La vraie pureté, selon Angel, n’était pas dans le sang, mais dans le cœur et lui, tout comme son acolyte Malefoy, était tout sauf pur ! Bref elle savait qu’elle ne tiendrait pas longtemps avant de lui dire ses quatre vérités. Mais encore une fois, elle s’en retient.

Apparemment il n’était pas convaincu que la collection soit bonne, vu les tons de couleurs choisis. Il avait le don de rester souriant et courtois en toute situation et Angel ne supportait pas cela.

- Le seul moyen d’en être sûr, est encore d’aller le vérifier par soi-même. Après tout, tout le monde sait que les gouts et les couleurs, ça ne se discute pas.

Cela faisait déjà quelques minutes qu’elle était restée en position stand by dans ce froid hivernal. Et elle sentait déjà les bouts de ses pieds se geler petit à petit. Si elle restait ainsi sans bouger, elle risquait de se transformer très rapidement en bonhomme de neige vivant. Elle se mit donc à bouger ses pieds, sautillant presque, sur place tout en écoutant Blaise défendre Malefoy sur son absence aux réunions des préfets. Entre temps il lui avait bien fait remarquer qu’elle était un peu trop curieuse

- Je suis de nature curieuse, tu devrais le savoir !

Elle lui fit un sourire, comme il en avait l’habitude, c’est-à-dire remplir d’ironie avant de répliquer sur sa vision des choses sur le rôle des préfets. Et là, elle ne put s’empêcher de lui dire clairement les choses. Elle était ainsi, elle ne savait pas faire semblant comme il le faisait si bien

- S’il a mieux à faire, pourquoi ne pas laisser sa place à quelqu’un qui prendrait ce rôle plus à cœur ?

Entre le froid et la haine qui montait en elle, elle ne savait pas lequel des deux la rongeait à cet instant.

- Cela dit, excuse-moi de te le faire remarquer, mais tu n’y a jamais assister à l’une de ses réunions, donc je pense que c’est Malefoy qui t’as parlé des sujets évoqués lors de ces réunions qui, pour reprendre tes dires, serait la commande des shampoings pour la salle de bain des préfets… Et si le pauvre enfant, n’a retenu que cela de ces réunions de deux heures, faut croire qu’il n’y a que ça qui l’intéresse au fond…

Elle avait dit cela avec le sourire aussi. Finalement elle y arriverait à le faire !

« Personne ne prendrait ce rôle plus à coeur que Drago. Il est irréprochable.»

Etait-il sincère ? Blaise ne s’était pas départi de son rictus amusé. Drago Malefoy s’investissait effectivement dans son rôle de préfet - s’absentant régulièrement de la salle commune des Serpentards pour faire des rondes parmi les vastes étendues que comptait Poudlard ! Rapportant éventuellement à Blaise, d’un air complice, les quelques remontrances qu’il avait eu l’occasion de proférer à l’encontre d’un Gryffondor étourdi ou d’un élève de première année un peu agité. Les deux jeunes hommes partageaient un sens de l’humour un peu corrosif, et une insupportable suffisance : aussi, ils s’entendaient à merveille.

Transie par le froid, s’efforçant avec grande peine de se réchauffer, Angel, elle, perdait patience face à l’insolence du jeune homme;  il l’observait s’irriter d’un air distrait; s’efforçant de singer la terrible arrogance de Blaise, sans parvenir à tout-à-fait dissimuler son agacement. Le furieux réquisitoire de sa camarade le fit toutefois s’esclaffer d’un rire franc et tout-à-fait cordial; agréablement surpris par l’humour acerbe de la jeune fille, qui le prit de court, il la considérait à présent avec un intérêt enchanté, comme si elle avait subitement gagné son estime et simultanément égayé sa matinée en faisant preuve d’ironie.

« Et bien, Johnson - qui peut le blâmer si c’est effectivement le cas? » Avec bonhomie, il enfouit ses mains dans les poches de son épaisse cape; elles étaient gantées de cuir noir — comme souvent, elles avaient couté une fortune. Haussant les épaules, sa bouche étirée en un sourire carnassier, il s’amusa; « Des pulls de cachemire, une chevelure irréprochable - personnellement, je ne suis pas suffisamment ambitieux pour désirer davantage. »

S’il était effectivement vaniteux, cette déclaration ne reflétait toutefois pas la vérité : évidemment. La rivalité qui les opposait tous les deux sur le plan scolaire était une preuve suffisante de la hauteur des ambitions du jeune homme, qui s’accommodait difficilement à la rude compétition qu’il menait avec Angel, une élève appliquée. Sans parler de cette maudite Hermione Granger qui, en plus d’avoir un sang impur, était affiliée à la maison Gryffondor -  à croire que certaines personnes faisaient preuve de mauvaise volonté !
Jetant un regard machinal à sa montre - une montre mécanique dont le bracelet, en alligator vernis, brillait dans la lumière rose du crépuscule - il jugea avoir suffisamment de temps devant lui pour s’attarder auprès d’Angel;  à présent mieux disposé à écouter la jeune fille, qui lui avait prouvé sa pugnacité, son affabilité avait perdu en condescendance.  

« Mais ce n’est peut-être pas ton cas. Quelles sont tes aspirations, Johnson ? Comme toi, je suis de nature curieuse.» Il lui offrit un sourire. « "tu devrais le savoir."»

Il est irréprochable, venait-il de dire ? C’était une blague ! Malefoy était tout sauf irréprochable. C’était même loin d’être le cas. Mais venant de son meilleur ami, ça n’étonnait pas la belle brune. Elle ne put alors s’empêcher d’émettre un rictus avant d’ajouter

- ça c’est le moins qu’on puisse dire…

Le froid les gagnait petit à petit. Il fallait vite qu’elle rentre au chaud, elle ne tiendrait pas longtemps ainsi. Il semblait surpris de la répartie de la Préfete. En tous les cas, il ne s’attendait certainement pas à cette réponse-là. Lui aussi semblait commencer à avoir froid. D’ailleurs il venait d’enfouir ses mains dans sa poche. Il observa sa montre, qui fallait bien l’avouer, devait être une montre très couteuse, il reporta son attention sur la belle Vert et Argent, lui demandant qu’elles étaient ses aspirations, ajoutant que lui aussi était quelqu’un de curieux.

- Moi ? Et bien à vrai dire je me concentre sur mes études pour le moment. Je vis au jour le jour, me mettant des petits objectifs à atteindre. Et pour le moment c’est réussir mes ASPICS avec de très bonnes notes, puis intégrer Haveirson.

Elle lui avait dit tout cela, pour bien lui faire comprendre, qu’elle avait autant sa place que lui ici, à Poudlard ainsi qu’à l’université d’Haveirson. Certes, elle aimait la mode et s’amuser, mais elle accordait aussi beaucoup d’importance à ses études. Elle avait deux fois plus à prouver surtout à ces personnes comme lui ou Malefoy, qui jugeaient les personnes comme elle. Les sous estimant. Cela dit, les meilleurs n’étaient pas forcément les sangs purs et ça, ils le savaient ! D’où leur haine envers les sangs mêles et les enfants nés moldus.

- Enfin, je ne m’en inquiète pas trop à ce sujet, faut dire que je m’en sors bien non ?

Lui demanda-t-elle, histoire de bien enfoncer encore plus le couteau dans la plaie. Il savait qu’elle était une élève sérieuse et très studieuse, alors le faire dire de sa propre bouche venimeuse, était un vrai régal pour la jeune fille.

Blaise écoutait la jeune fille avec attention; amusement; la tête légèrement penchée, comme pour mieux la comprendre; les ambitions d’Angel, et il n’en était pas surpris, étaient les mêmes que les siennes. Poudlard, puis Haveirson; « la voie de l’excellence » tant encensée, quoique la famille Zabini aurait préféré voir son héritier étudier à Durmstrang, qui n’acceptait pas les nés-moldus et où l’enseignement était « moins laxiste ».
Parce que sa camarade avait bravement répondu à ses questions malgré l’ironie un peu décourageante dont il avait fait preuve, Blaise renonça une nouvelle fois à faire preuve de sarcasme; et même quand elle le provoqua, espiègle, il lui offrit un rire bref; admit dans un haussement d’épaules désinvolte, le sourire railleur :

« Tu ne t’en sors pas trop mal, Johnson, pas trop mal. » Pour atténuer l’intensité de son compliment, il ajouta tout de même :

« Bon, je reste le meilleur en Runes », trancha-t-il, « Et Daphné et moi te battons probablement à plate couture en potions.» Daphné Greengrass était la partenaire de Blaise lors des cours de potions, l'enseignement pour lequel il avait reçu, avec l'étude des Runes, sa note la plus haute lors des Buses; l'optimal; il se gardait toutefos de mentionner ses performances en botanique et en arithmancie, des matières qu'il avait promptement arrêté de suivre. « Mais ça passe. Quoique tu admettras que prendre une option en études de Moldus n’est pas exactement perspicace de ta part.» Quelle curieuse matière ! Les quelques coups d’oeil qu’il avait jeté au manuel, « Vie domestique et habitudes sociales des Moldus britanniques » l’avait laissé tout-à-fait perplexe et il jugeait la matière avec peu d'égards.

Malgré l’âpreté de son jugement, le ton de sa voix n’était pas agressif mais plutôt désinvolte;  leur échange l’avait ragaillardit.  Puis comme il jetait un nouveau regard à sa montre, au visage pâli par le froid de sa camarade, il lui proposa, gentiment moqueur, en désignant d’un mouvement machinal du menton le château qui se dressait non loin d’eux, au travers de l'étendue opaline de la pelouse gelée;

« Je te raccompagne ? Je suppose que nous avons l’un comme l’autre une journée chargée. »

Elle lui offrit son plus beau sourire lorsqu’il admit qu’elle n’était pas si mauvaise, qu’elle était même plutôt bonne élève. Et ce qui lui avait fait le plus plaisir, c’était de savoir que dire cela lui arrachait le cœur. Même s’il ne le lui avouerait jamais. Mais ça lui suffisait. Aussi elle leva les bras en l’air signe qu’elle s’avouait vaincue, en ce qui concerne les Runes et les Potions. Surtout les Potions.

- Je n’oserais pas dire le contraire pour ces deux matières.

Dit-elle en souriant. Evidemment cela n’empêcha pas Blaise de cracher encore une fois son venin, en parlant des cours d’Etudes des Moldus. Forcement qu’il trouvait cette matière inintéressante et surtout inutile. Comme la pluparts des Sangs Purs. Mais bon Angel se contenta de dire

- Tu dis cela car tu ne connais pas cette matière, mais je peux t’assurer que c’est très intéressant ! Je te monterais quelques cours, un de ces quatre

Dit-elle avec un petit clin d’œil. Elle savait très bien que ce jour n’arriverait jamais mais c’était marrant de le taquiner. Entre eux c’était ainsi, il n’y avait pas de méchanceté pur et dur, c’était plutôt des tacles comme cela. C’était bon enfant, même si les messages passés n’étaient pas forcement sympathiques.

Enfin il finit par lui proposer de rentrer et vaquer chacun à son occupation. C’était une excellente idée. Pour une fois, elle accepta.

- Excellente idée… et pour commencer cette journée, je commencerais par un bon chocolat chaud à la Grande Salle. En tout cas, ravie de t’avoir croisé !