Un retour feutré [LIBRE]

Isolde sait qu’elle n’est pas un danger pour sa famille, mais ses proches, eux le savent-ils ? La réaction de sa tante a été si violente qu’elle a du mal à y croire. Elle peut difficilement la blâmer pour avoir eu peur de la magie ; mais s’entendre traiter de monstre est un choc rude à encaisser.

Elle se sent un peu gênée de garder Neal ici, dans le froid, alors qu’il serait beaucoup mieux dans son lit. La fatigue se lit sur ses traits, et les ascenseurs émotionnels qu’ils viennent de vivre n’arrangent rien. Elle se sent soudainement plus lasse à son tour, et ne peut réprimer un long bâillement. Le sourire fatigué de Neal et ses mouvements pour se garder éveillé alors qu’elle le remercie insistent encore sur sa fatigue, mais il ne semble pas décidé à partir. Elle non plus n’a pas envie de mettre un terme à cette conversation un peu hors du temps. La propre lassitude d’Isolde se rappelle à elle mais, étrangement, son esprit se fait un peu plus clair, maintenant qu’elle a mis des mots sur la culpabilité qui l’accable. Elle lui sourit en retour.

- Tu viens de faire pour moi bien plus que ce que ton rôle de professeur exige.

Il a le tact de regarder ailleurs pendant qu’elle essuie ses larmes. Un court silence s’installe, encore. La voix de la jeune femme retrouve un peu de fermeté et de force, et elle acquiesce à sa proposition.

- Je veux bien que tu m’en apprennes, je ne pense pas en connaître d’assez puissants. On pourra faire ça à la rentrée ?

Elle écoute avec un léger sourire Neal parler de sa famille. Il ne s’offusque pas de la question peut-être trop personnelle, à la satisfaction d’Isolde. Elle a du mal à imaginer une maison où objets moldus et sorciers cohabitent. Sa vie a toujours été partagée entre Poudlard et la maison de ses parents totalement dépourvue de la moindre once de magie ; les informations de Neal captent donc toute son attention. Une curiosité presque enfantine s’empare d’elle.

- Les objets sont animés ? Ou vous leur avez rajouté des fonctions grâce à la magie ? Tes parents utilisent quand même l’électricité ? Tu m’avais dit que tes parents habitent dans un village moldu, non ? Vous ne vous êtes jamais fait repérés ?

L’évocation des serres ramène un peu de sérieux.

- En parlant des serres… J’en viens justement. Avec d’autres élèves, on s’est occupé des plantes en ton absence. On a fait du mieux qu’on a pu, je ne sais pas si tu y es passé…

Elle aurait dû s’en douter, Neal n’a pas reçu l’invitation. Cette dernière doit sûrement l’attendre bien au chaud dans son appartement. Il ne répond pas à sa question cependant. Viendra-t-il ? L’idée de passer la soirée avec des étudiants le met peut-être mal à l’aise, et elle le comprend. Elle se souvient qu’il n’avait pas tout à fait l’air dans son élément lorsqu’ils s’étaient croisés aux Trois Balais. Elle prend une voix douce pour continuer.

- Alors je t’annonce officiellement que tu es invité aussi. C’est à Londres. Je te donnerai l’adresse de vive voix, Clemens n’a pas voulu l’écrire dans ses invitations. Ou alors, on pourrait y aller ensemble ? Si tu n’es pas trop fatigué pour venir, bien sûr.

Un autre point qui pourrait dissuader Neal de venir frappe soudain l’esprit d’Isolde. Il lui a dit ne pas avoir écrit à Quinlan pendant ses mois d’absence… donc ce dernier n’est pas au courant de son retour ? Neal n’a sûrement pas envie d’avoir une discussion privée en face de tous les autres invités, et elle est bien la dernière à pouvoir le lui reprocher. Mais l’imaginer seul à Haveirson alors qu’ils sont tous réunis à Londres lui fait un petit pincement au coeur. Elle n’ose cependant rien ajouter, par peur qu’il se sente forcé.

Son regard se pose à nouveau sur les fleurs de Neal, et son cerveau fait spontanément une association d’idées avec les serres, Quinlan et Clemens. Un immense sourire vient barrer son visage alors qu’elle réprime de son mieux un fou-rire naissant. Maintenant qu’elle a un peu chassé ses pensées négatives, elle se souvient de ce qui s’est passé depuis le départ de Neal. Il va se demander pourquoi elle passe si facilement des larmes au rire, mais tant pis. L’anecdote est trop belle pour qu’il ne soit pas au courant.

- Tu m’as demandé ce qui s’était passé pendant ton absence, il y a quelque chose qu’il faut que je te raconte. Je pense que Quinlan t’en parlera aussi de toute façon.

Elle reprend sa respiration, luttant contre son rire qui la démange de plus en plus.

- Ton frère nous a donné un cours de médicomagie dans les serres, il y a 2 ou 3 semaines. Clemens n’est pas venu, mais il voulu faire partie du cours quand même. Alors il a envoyé un bonhomme de neige à sa place, qu’il a enchanté pour qu’il vienne s’asseoir en cours avec les étudiants. Tu l’aurais vu, et tu aurais vu la tête désabusée de Quinlan quand il est entré ! En plus, Clemens avait déniché un vieux stéthoscope bizarre qu’il avait fixé sur ses oreilles. Le bonhomme est entré, tout tranquillement, il s’est assis dans un coin et a fondu lentement pendant tout le reste du cours. Clemens a de ces idées des fois, franchement… C’était tellement drôle. Surtout qu’à part Rowan, Quinlan et moi, personne n’a dû comprendre d’où il venait. Je suis même surprise que Megan ne l’ai pas tout de suite attaqué.

Cette fois, elle ne peut se retenir de pouffer. Des larmes reviennent poindre dans ses yeux, mais de rire cette fois, et cela lui fait un bien fou.

La pression a un peu disparue, en effet. Isolde se sent le coeur plus léger qu’il ne l’a été depuis presque une semaine. Elle se rend compte que la tension lui a beaucoup pesé. Ses problèmes ne sont pas résolus, mais Neal lui a montré une nouvelle voie de sortie, et un avis extérieur dans ce genre de cas ne fait jamais de mal. Un sourire chaleureux s’étend sur son visage.

- Il y a des humains plus capables d’empathie que les autres.

Elle rit légèrement à la remarque suivante.

- Un canari, non, ça ne me serait pas très utile. Un chat par contre, pour Carnaval, ça pourrait être plus drôle, n’est-ce pas Endymion ?

Le félin susnommé lui lance un regard offusqué, qui semble dire : “Essaie, humain, à tes risques et périls.”. Bon, pas pour le Carnaval alors, et de toute façon, elle n’a pas vraiment envie de faire subir ça à son compagnon. Elle se penche en avant pour lui gratouiller les oreilles.

- Je plaisante, tu sais bien que je ne te ferais jamais ça.

Endymion semble soudain très intéressé par la figurine de Neal, toujours posée sur les genoux d’Isolde, sur laquelle il lorgne, avec l’air innocent du chat qui va faire une grosse bêti…

- NON !

Isolde a juste le temps d’attraper la sculpture et de lui épargner un coup de griffe malencontreux. Plissant les yeux en direction de son chat d’un air qui se veut menaçant, elle range soigneusement la figurine dans son sac.

Neal continue à lui parler de sa famille, sans paraître gêné par les questions un peu intrusives de la jeune fille. Elle écoute avec attention toutes les petites améliorations apportées par la magie à leur confort moldu. A l’écouter, sa maison lui apparaît comme un mélange ecléctique d’objets plus ou moins animés. Elle ne peut s’empêcher de sourire à nouveau.

- On dirait les maisons du futur dans les séries télé moldues, avec les d’objets ultra perfectionnés qui savent absolument tout faire. Sauf que là, pas besoin d’électricité ou de piles. C’est peut-être ça la solution pour le futur finalement, ajoute-t-elle d’un air un peu espiègle, en référence à leur première discussion sur l’intérêt de combiner la technologie moldue et la magie.

Il ne répond rien à sa remarque sur les serres. Ont-il mal fait ? Son absence de réaction la rend perplexe, bien qu’elle soit sûre qu’aucune plante n’a été abimée ou délaissé par les étudiants.

Isolde peut lire l’hésitation sur le visage de Neal alors qu’elle lui confirme qu’il est le bienvenu à la soirée de Clemens. Elle se doute que l’invitation doit le surprendre, lui qui n’est vraiment proche d’aucun des invités. A son grand plaisir, il accepte tout de même de venir.

- On pourrait se retrouver à 18h30 devant les serres ? Comme ça on transplanera ensemble. Je ne suis jamais allée là où Clemens nous invite, je ne sais pas trop combien de temps il nous faudra pour trouver.

De toute évidence, l’anecdote du bonhomme de neige amuse Neal mais le rire a été tellement absent de sa vie ces derniers mois qu’il peine à le retrouver. Isolde se penche à nouveau vers lui, un peu inquiète en l’entendant tousser ainsi. Inquiétude inutile ; seul le froid le gêne encore.

Elle accepte sa proposition avec un sourire chaleureux. Après être restée aussi longtemps assise là, elle ne peut pas refuser un fauteuil moelleux et une tasse de chocolat fumant. Et puis, elle est un peu curieuse de découvrir ses appartements. Les rumeurs des étudiants les disent plutôt fastueux et elle se demande à quoi ressemble son intérieur après ce qu’il lui a dit de la maison de ses parents. A-t-il lui aussi des objets moldus améliorés ? Et puis, son appartement doit regorger de livres sur la botanique ; il la laissera sûrement jeter un coup d’œil.

- Je veux bien oui. On va finir aussi gelé que le bonhomme de neige de Clemens si on reste ici. Je crains de t’avoir gardé dehors un peu trop longtemps…

Elle remet son sac sur ses épaules et suit Neal à l’intérieur de l’académie, qui lui semble à nouveau tout à fait accueillante. La chaleur du hall contraste agréablement avec le froid du dehors. Le bruit des étudiants fêtards se fait encore entendre mais s’estompe progressivement à mesure que leurs pas les amènent vers la tour céleste où se trouvent les appartements professoraux. Monter les escaliers achève de les réchauffer et ils entrent enfin dans le salon de Neal, Endymion et le Maître (ce nom fait toujours sourire Isolde) sur leurs talons.