Entrainement et discussion [PV CLEMENS]

Cela faisait deux jours que les cours avaient repris à Haveirson. Depuis les vacances de noël et la tragédie qui s’était déroulé à Poudlard tout le monde semblait méfiant envers tout le monde. Un climat pesant d’anxiété et de soupçons flottait sur l’académie et il devait en être de même à Poudlard. Bentley n’aurait pas été étonné de voir apparaitre sur les panneaux d’affichages du château des mots de dénonciations anonymes concernant les supposés agissements de tel ou tel étudiant. C’était fou comme les choses avaient changées en seulement un trimestre. Il se souvenait encore du jour où il avait débarqué à l’académie avec Nathanaël. L’endroit lui avait paru si calme et apaisant. Il s’était dit qu’il ferait une excellente scolarité dans un endroit pareil. D’une certaine manière cela lui rappelait Poudlard et la sécurité des épais murs de pierre. Mais aujourd’hui…aujourd’hui tout était différent. Les doutes et les questions étaient plus que de mises. Personne ne savait encore qui était ce fameux comte, ni même pourquoi l’académie avait été réellement crée. L’abraxan doutait de plus en plus que cela ne soit qu’un geste altruiste envers les nouvelles générations et il commençait à craindre que tout ceci ne soit que dans un but plus sombre.

Bentley devait également gérer la distorsion de sa propre famille. Malgré le meurtre de son oncle sa mère refusait de penser que les moldus étaient tous des salauds comme le suggérais allégrement sa grand-mère paternel depuis la découverte du corps dans la Tamise. De ce fait les tensions étaient plus que palpable chez les Cricklewood et Bentley avait été plus qu’heureux de quitter cette ambiance électrique même si laisser sa mère dans l’état où elle se trouvait lui pinçait le cœur. En plus de tout cela il ne savait plus où il en était avec Amaranthe ni même ce qu’il voulait vraiment d’elle.

La tête pleine il décida qu’il était temps de trouver un moyen de canaliser ses frustrations et ses pensées. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas entrainé à lancé de sort. D’ordinaire il s’enfermait dans la salle de potion et travaillait jusqu’à ce que ses yeux voient flous mais là ce ne lui était plus d’aucun secours. C’est pourquoi il s’était dit qu’un petit entraînement lui ferait surement du bien. Il était aux alentours de 18 heures lorsqu’il arriva dans la salle de duel vide. Il posa sa besace, qui ne le quittait jamais, et sa cape sur une des chaises de la salle avant de faire venir jusqu’au centre de la pièce un des mannequins destiné à l’entrainement d’un coup de baguette. Ce dernier étant magique était programmé pour lancer une multitude de sort, pour la plupart inoffensifs mais pas forcément indolore.

Bentley se plaça devant lui commença l’entrainement. Il n’eut pas le temps de répliquer assez vite au premier sort que lança automatiquement le mannequin et la décharge qu’il reçut le propulsa en arrière. Il chuta lourdement mais ne se fit aucune blessure hormis la douleur lancinante qu’il ressentait au niveau du fessier. Il se releva un éclair de colère dans le regard. Etait-il si rouillé qu’un simple mannequin parvenait à la mettre à terre ? Ou peut-être avait-il passé trop de temps terrer dans le labo comme un rat.
Il se remit en position bien déterminé à ne pas en rester là.

- Impedimenta !

Cette fois ci son sort fit mouche et le mannequin se renversa en arrière avant de reprendre sa place initiale. Ne prenant même plus la peine de se remettre en position Bentley relança un sort une nouvelle fois. Puis encore. Et encore... Les sorts fusaient de sa baguette à une vitesse folle. Il les enchainait avec la rage au ventre comme si ce mannequin était la cause de toutes ses angoisses. Soudain son adverse éclata en mille morceaux s’éparpillant dans la salle. Le souffle court Bentley regarda les conséquences de sa « crise » de colère avec un certain étonnement. Son regard se releva et se posa alors sur un des miroirs de la salle où se reflétait son image. Il avait l’air d’un fou furieux, sa baguette à la main, les cheveux en pagaille et cette expression de dureté dans le visage.

- Punaise faut que je me calme…se murmura-t-il à lui-même.

Clemens n’avait pas appréhendé la reprise des cours. Au contraire, même. La visite chez Isolde et le nouvel an passé en bonne compagnie lui avait rappelé pourquoi il aimait tant êre un sorcier. Ses connaissances moldues n’avaient jamais pu prendre le titre d’amis. Ils ne se voyaient pas assez souvent, n’étaient pas vraiment du même monde. Il restait toujours une part de secret qu’il devait préserver, sans pour autant savoir si c’était pour se protéger lui, ou veiller à leur pérennité. Le silence et les non-dits qui régnaient comme une hypocrisie rampante dans sa famille lui pesaient assez pour qu’il les refuse dans des relations plus quotidiennes.

Haveirson l’avait à nouveau englobé dans son ombre familière, à défaut d’être rassurante. Une certaine routine se mettait en place, ses expérimentations avec Isolde s’étaient déroulées à merveille et la fin de vacances en tête à tête avec Quinlan lui avait mis du baume au cœur. Son âme de Serdaigle repartait ainsi à la chasse aux énigmes. L’Allemand était décidé à faire payer au Comte chacune des souffrances qu’il avait infligé ou infligerait à son entourage. Il était si remonté et déterminé dans son entreprise qu’il avait choisi de passer ses soirées libres à s’entraîner au duel.

Les activités offensives ne l’avaient jamais particulièrement intéressé. A Poudlard, il n’avait pas pris part au Club de Duel, les cognards et leur maîtrise avait comblé les désirs d’agression qu’il aurait pu développer. La défense contre les forces du mal ne lui avait pas non plus paru être la matière la plus centrale dans la vie d’un jeune élève. Les menaces n’avaient-elles pas toutes été éliminées ? Le monde était en paix, la vie se coulait douce et belle, à l’écart des inquiétudes. Le Quidditch et la métamorphose avait ainsi régné sur toute son adolescence, faisant de lui un apprenti sorcier accompli, mais pas prêt à affronter le vaste monde.

Ces pensées amères emplissaient son esprit alors qu’il poussait la salle de duel, seul endroit de l’académie adapté à un entraînement sérieux. Ses quelques exercices dans la salle des travaux pratiques en compagnie de Megan s’étaient certes révélés fructueux, mais il n’aurait pas osé la solliciter comme partenaire. Encore une fois, Clemens cherchait à assumer seul ses faiblesses.

Il avait déjà la main posée sur la poignée de la porte, quand il interpréta enfin les bruits de sorts venant de l’intérieur. Un autre étudiant travaillait déjà son adresse, mais il n’hésita que quelques secondes avant d’entrer. Malgré son manque de pratique, le duel, ses codes et ses réflexes… C’était aussi son domaine. Clemens dégaina sa baguette, la laissant néanmoins pointée vers le sol, et s’avança dans la pièce, le regard posé sur une silhouette familière.

“Bonsoir Bentley. Je vois que je ne suis pas le seul à avoir eu envie de me défouler, ce soir.”

L’Abraxan et lui se connaissait de Poudlard, où ils avaient développé une relation distante, mais empreinte de respect. L’ancien Serpentard lui avait paru comme mature et réfléchi, peu attaché aux critiques et traditions de sa maison. Ainsi, le statut du sang de sa mère ne lui avait pas valu les mêmes attaques de Bentley que ce qu’il avait du subir de son propre cousin. Clemens était quelque part heureux d’être tombé sur un visage connu, qui ne faisant néanmoins pas partie de son entourage. Un sourire se dessina sur son visage, alors que son regard détaillait la pièce et découvrait ce pauvre mannequin explosé.

“Tu as l’air d’en vouloir à quelqu’un, ou à quelque chose.”

En entendant la voix de Clemens, Bentley se retourna quelque peu surpris. Il ne s’attendait pas à être dérangé par d’autres étudiants, encore que Clemens ne fût pas celui qui aurait pu le déranger le plus. Cela faisait une éternité que les deux jeunes hommes ne s’étaient pas vus par ailleurs. Depuis Poudlard en fait. Bentley et lui n’avaient jamais été des amis au sens littéral du terme, ils venaient de maisons différentes et avaient des styles de vies assez opposés. Pour le serpentard l’ancien serdaigle n’était au début qu’un athlète sans cervelle comme beaucoup de ses congénères que l’on pouvait apercevoir dans les couloirs du château se congratulant pour leur exploits sportifs et faisant rouler leur muscles devant des filles aussi stupide qu’eux. Il avait néanmoins revu sa copie en prenant la peine de discuter avec le jeune homme et s’était rendu compte que malgré certains airs superficiels Clemens était assurément plus ambitieux et réfléchis que d’autres ne pouvaient l’être au sein même de Serpentard. De plus Bentley n’avait que faire des histoires de sang qui avait toujours  court au sein de la population sorcière.

- Bonsoir Clemens. Cela faisait bien longtemps que nous ne nous étions pas vus tous les deux.

Les paroles de Clemens le ramenèrent à l’instant présent et ses questions étaient plus que censées. Il ne pouvait nier le ressenti qu’il éprouvait en ce moment et même si il avait tenté de le faire le mannequin était là pour prouver qu’il n’était pas dans de très bonnes dispositions.

- Ouais…on va dire ça comme ça. Marmonna-t-il vaguement avant d’agiter sa baguette vers le mannequin explosé.

Aussitôt les morceaux du pantin se mirent à rouler sur le sol, convergeant tous dans la même direction. En quelques secondes l’instrument d’entraînement se reforma aussi neuf que si il ne s’était rien passé. Bentley se tourna alors vers Clemens et le regarda. Il avait un peu changé depuis leur scolarité à Poudlard mais n’était-ce pas leur cas à tous ? Les années avaient passés et ils étaient devenus des adultes…enfin plus ou moins.

Il se dirigea vers le jeune homme et lui offrit une poignée de main respectueuse avant de se diriger vers sa besace. Il fouilla rapidement à l’intérieur avant dans sortir une petite bouteille d’eau minérale.

- Comment vas-tu ? demanda-t-il avant de prendre une gorgée du liquide.

Il évitait sciemment de répondre directement aux affirmations de l’étudiant quant aux raisons qui l’avait poussé à agir ainsi et à détruire le matériel commun. Heureusement pour lui, les déboires en potions qu’il avait pu rencontrer tout au long de sa jeune vie lui avait permis d’intégrer plusieurs sorts de réparations en tout genre et le Comte ne pourrait pas lui reprocher d’avoir détruit quoi que ce soit. Prendre le temps de discuter quelques minutes avec Clemens devrait en outre lui permettre de reprendre le contrôle de ses émotions et de poursuivre plus sereinement ce qui à la base était un entraînement des plus classiques.

Son regard se posa alors sur la baguette que Clemens tenait toujours à la main et un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

- Dis moi, tu était pressé de t'entraîner ou c'est moi qui t'ai fait peur ?  

Malgré son air un peu bougon, sans doute due à la vindicte qui l’avait menée à la destruction de ce pauvre mannequin, Bentley l’accueillit avec une certaine chaleur. Bien sur, il ne s’agissait pas des retrouvailles longuement attendues de vieux amis, mais de l’accueil courtois que se doivent deux hommes qui se respectent. Clemens s’avança un peu plus dans la pièce, comprenant l’attitude détendue de son camarade comme pour une invitation à rester. Avec une certaine nonchalance, celui-ci rassembla les pièces éparpillées de sa cible précédente. L’Allemand hocha vaguement la tête en le regardant.

“Ouais. J’ai l’impression qu’aucun de nous n’a vu personne depuis notre sortie de Poudlard. On se perd tous de vue, pour tous se retrouver sous un même toit à nouveau.”

Il ne se sentait pas assez proche de l’ancien Serpentard pour lui confier verbalement le reste de son sentiment… Mais le sous-entendu pesait avec assez de clartés dans ses mots. Depuis qu’il s’intéressait au Comte et à ses mystères, l’étudiant butait toujours contre cette énigme qui ne semblait tracasser personne, mais lui semblait complètement invraisemblable. Dans tous les étudiants que comptaient ses académies, la majorité sortait de la même promotion. Pendant deux longues années, ils s’étaient cassés les dents dans le monde réel, avant de revenir se réfugier dans le cocon sécure et confortable que représentait Haveirson. C’était insensé.

Clemens n’était encore jamais venu dans la salle de duel, bien qu’il en ait déjà entendu parler à plusieurs occasions. Il laissa alors à Bentley l’opportunité de revenir au calme et de souffler quelques minutes avant de lui suggérer une idée. La pièce était grande et bien agencée, incontestablement conçue pour héberger plusieurs duels simultanément, tout en permettant l’entraînement intensif pour les sorciers expérimentés. Pour lui, dont le passé avec les duels se trouvaient plutôt dans des pièces sombres, exiguës et enfumées, le contraste était frappant. Il ne l’en appréciait que d’autant plus. La question le fit sourire, tandis qu’il se retournait vers son camarade avec un haussement d’épaules.

“Comme ça. Je te dirais bien que tout va pour le mieux, mais ayant déjà débarqué dans cet endroit, alors que le duel n’a rien à faire dans mon cursus…”

Il afficha l’air dépité de celui qui venait de se prendre sur le fait, mais une lueur amusée dansant dans ses yeux bleus dénonçait son sérieux affiché. La réflexion sur laquelle l’Abraxan enchaîna directement lui fit, lui aussi, détourner le regard sur sa main, tenant toujours sa baguette avec ferveur. L’Allemand roula des épaules pour se détendre. Son expression se transforma en un sourire en coin.

“ J’étais tendu et je venais pour m’entraîner, donc les conditions étaient déjà propices. Mais quand j’ai entendu du bruit derrière la porte, sans savoir à quoi ressemblait la salle et si cette agitation était bien justifiée… Je me suis dit qu’il valait mieux être prudent.”

Clemens l’avait été bien trop peu ces dernières semaines. Il avait fini par apprendre sa leçon, mais à la dure était encore un euphémisme pour caractériser son apprentissage.

“Contrairement aux apparences, l’académie est pleine d’embûches.”

Il adressa à Bentley un regard éloquent, curieux de savoir si son condisciple avait été lui-aussi victime des tendances retorses du Comte. Plus belle perche que celle-là, on ne faisait pas. Il aurait pu être encore plus direct, mais l’interrogation aurait sans doute été trop personnelle, et il aurait pris le risque de voir son interlocuteur se refermer, voire devenir méfiant. Après avoir rassemblé un bon échantillonnage de ce à quoi leur bienfaiteur anonyme était capable, Clemens avait à présent besoin de savoir qui était visé. La question suivante serait : et pourquoi ?

Les paroles de Clemens n’étaient pas dénuées de sens et de vérités. Après avoir passé leurs années d’enfance ensemble, la plupart des étudiants d’Haveirson avaient choisis de revenir vivre tous ensemble comme par le passé. A croire qu’aucun d’entre eux n’avaient vraiment trouvés sa voie en dehors des murs sécurisants de Poudlard pour revenir aussi vite dans ceux de l’académie. L’école de magie provoquait un impact important sur les sorciers et Bentley se demanda si les générations au-dessus d’eux avaient eu la même difficulté à quitter le cocon douillet de Poudlard. Auraient-ils comme leurs enfants sautés sur l’occasion de se rendre à Haveirson si cela avait existé à cette époque ?

Clemens lui expliqua la raison de sa présence dans la salle de duel. De toute évidence il n’était pas le seul à être tendu ces derniers temps. L’ambiance actuelle n’aidait pas vraiment non plus il fallait dire... L’ancien serpentard reboucha sa bouteille avant de la déposer sur la chaise et de se retourner vers Clemens. Les dernières paroles du jeune homme lui arrachèrent un sourire.

- C’est le moins que l’on puisse dire en effet…se contenta-t-il de répondre.

Il ignorait si Clemens avait déjà eu à faire aux curieux phénomènes du château. Il avait entendu comme tout à chacun les rumeurs sur les choses étranges qui s’étaient déroulés dans l’enceinte de l’académie : le labyrinthe, les rappels à l’ordre ect… mais n’avait retenu aucun prénom concernant les élèves impliqués si ces derniers lui avait été donné. Depuis ce qui lui était arrivé avec le professeur Xi, Bentley était sur ses gardes à l’intérieur de l’académie. C’était un sentiment étrange de se sentir à la fois en sécurité et en même temps en danger par intermittence. Mais peut être que la sensation de sécurité était illusoire ? L’académie leur donnait la fausse impression d’être comme à Poudlard, bien protégé des malversations extérieures mais si ce n’était pas le cas au final ? A Poudlard tout le monde savait que Dumbledore était le protecteur. Qui les protégeait à l’académie ? Le Comte ? Il ne se montrait même pas. Même les professeurs ignoraient qui il était.

C’était sans doute l’une des raisons qui poussait Bentley à s’entrainer aujourd’hui, en dehors du fait que cela lui faisait du bien d’envoyer quelques sorts. Il ne savait pas pourquoi mais il avait la forte impression qu’il devait se préparer. A quoi, ça il n’en avait aucune idée ou plutôt si mais il y avait des dizaines de scénarios possible dans son esprit et il ignorait lequel était le plus glaçant et le plus probable. En tout cas une force intérieur le poussait à améliorer ses aptitudes à ses défendre aussi bien à la baguette qu’avec les potions.

- Il se passe des évènements…bien étranges diront nous.

C’était un doux euphémisme face à ce qu’il se tramait. Le regard de Clemens laissait entendre que lui aussi avait remarqué que des choses plus que troublantes se déroulaient à Haveirson. De plus pourquoi venir ici sinon puisque de son propre aveu le duel ne faisait nullement parti de son cursus ? Pas plus que celui de Bentley d’ailleurs. Ni l’un ni l’autre n’avait pour ambition de finir auror, encore qu’avec les années Ben ne savait pas si Clemens avait finalement changé d’avis entre la carrière sportive qu’il espérait atteindre pendant leur enfance contre une carrière de justicier gouvernemental.

Alors qu’il regardait toujours son condisciple, Bentley décida de lui poser franchement la question. Ils étaient seuls dans la salle et même si ils n’avaient jamais été des amis c’était peut-être l’occasion d’échanger leur ressentis sur ce qu’il se passait ces derniers mois. Après tout l’ancien serpentard cherchait à comprendre ce qu’il se tramait. Si Clemens avait la même envie ils pourraient peut-être s’entraider ? Ce n’était surement pas tout seul qu’ils pourraient trouver des réponses.

- As-tu remarqué que nous sommes tous surveillés ? D’une certaine manière je veux dire…

Il ignorait encore comment mais chacun de leur geste semblait être épier et rapporté au Comte. Amaranthe lui avait dit qu’elle avait reçu une missive du Comte l’informant qu’il était au courant de sa présence dans les cuisines un soir. Comment avait il fait pour l’apprendre ? Qui le lui avait dit ? A Haveirson il n’y avait pas de Rusard pour les prendre sur le fait. Il ne semblait n’y avoir aucune « autorité » d’ailleurs hormis celle des professeurs et Bentley doutait que ces derniers soient les mouchards du Comte. Ils n’avaient pas l’air d’en savoir plus que leurs étudiants de toute manière. Ou alors l’un d’eux jouait habilement son rôle…

Une lueur flamboyante traversa son regard et ses traits se durcirent le temps d’une seconde. Bentley avouait à demi-mots qu’il avait lui aussi été victime — ou témoin — de l’imagination du Comte. Par crainte de le voir reprendre ses confidences et changer de sujet, Clemens resta parfaitement silencieux, néanmoins, ses yeux ne quittaient pas son camarade. Il attendait. Il attendait des informations et des détails, chaque infime bribe d’anecdotes pouvait devenir une source utile pour comprendre la raison qui les avait tous réunis là. Le Sinistros en était arrivé à penser que ce n’était pas par hasard, mais qu’ils avaient été choisis. Semaine après semaine, de nouveaux étudiants continuaient à arriver, méprisants toute notion d’année ou de semestre. Il ne voulait plus croire que tout cela n’avait pas une raison.

Le silence s’éternisa. Plantés l’un en face de l’autre, sans savoir quelle confiance ils pouvaient s’accorder après toutes ces années, ils se trouvaient peut-être au bon endroit, au bon moment. Les circonstances jouaient en leur faveur ; ils se trouvaient tous deux à un endroit où personne ne les attendait, dans une situation qui les poussaient à s’ouvrir, voire à s’expliquer. Bien sur, ils auraient pu fermer la porte de l’échange et fuir vers un lieu plus désert ou s’entraîner seuls et à l’abri des regards humains. Néanmoins, la tension et le besoin de savoir devenaient trop forts. Bentley céda enfin, et Clemens ne put retenir un soupir de soulagement. Avec un hochement de tête et laissa son regard se balader sur les murs décorés. D’un coup de baguette nonchalant, il utilisa un simple sort de Transfert pour les transformer en épaisses planches de bois. Il hésita quelques secondes face aux armures et aux tableaux, puis rangea sa baguette dans sa manche.

“Oui. Au travers des miroirs. Peut-être même des fenêtres ou de n’importe quel reflet, pour ce que j’en sais. Je ne sais pas comment c’est possible mais…”

Il s’interrompit avec une grimace. Leur conversation était déjà suffisamment importante pour attirer l’attention d’un observateur discret. Clemens était tiraillé entre l’envie de continuer à parler et celle de fuir ce château maudit qui ne faisait que lui chercher misère. Il avait conscience que chaque mot prononcé dans cette salle pourrait être réutilisé contre eux à l’avenir. L’Allemand se passa une main dans les cheveux avant de hausser une nouvelle fois les épaules, en signe d’impuissance. Il devait parler, et tanpis si le Comte ou un de ses sbires venaient les écouter. Ses intentions étaient claires de toute façon, il était trop tard pour jouer le rôle de l’étudiant sage.

“On est même probablement écoutés, là, maintenant. Je ne me fais plus d’illusion en ce qui concerne la sécurité ou l’intimité tant que nous sommes sur le territoire de l’académie. J’ai été sermonné, attaqué plusieurs fois, épié par le reflet de mon colocataire. Je ne sais pas pourquoi, ni pourquoi moi. Enfin…”

Le Sinistros retint un petit éclat de rire amer.

“J’avoue que la dernière fois, j’ai été un peu loin dans la provocation. Mais le Comte est prêt à tout, Bentley.”

Alors que les paroles coulaient telles une rivière en crue hors de sa bouche, Clemens faisait les cent pas dans la salle, à mi-chemin entre l’excitation et l’énervement. En un sens, c’était rassurant de pouvoir en parler avec quelqu’un dont il n’était pas proche. Cela signifiait que les victimes s’étendaient en dehors de son groupe d’amis, et donc, que leurs déboires à Avalon ne faisaient pas d’eux les cibles désignées. D’autre part, personne ne semblait avoir rassemblé assez d’informations pour dessiner une véritable piste à remonter.

Finalement, l’étudiant s’immobilisa entre deux mannequins, une main sur le menton et prit quelques secondes pour observer son camarade. Il ne semblait pas avoir été blessé récemment, ni aviser une crainte particulière suite à une attaque soudaine et inattendue. Pourtant, il savait des choses. Plus que la plupart des étudiants de l’académie, encore persuadés pour la plupart qu’ils vivaient entre quatre murs sécurisés et choyés par un anonyme qui ne leur valait que du bien. Au fond de son esprit, Clemens se remémora les paroles de Alexandra Zschocke sur l’altruisme en ce bas monde. Un nouveau sourire amer fendit son visage… Si elle savait.

“Tu as vu quelque chose de précis ? Ou été visé ?”