[Panic!] Trop bizarre pour vivre, trop rare pour mourir

Ambiance:

Les notes piquantes du piano les cueillirent dès leur entrée. Après avoir été délestés de leurs billets et avoir abandonné leur manteau aux vestiaires, Quinlan et Rupert avaient pénétré cet antre de tous les vices. Le Panic! était bien plus qu’un club discret londonien, c’était un endroit raffiné dans toute sa lubricité, richement décoré en bois précieux et en lourdes tentures de velours. Les deux hommes n’auraient pas pu s’habiller mieux avec leurs trois pièces noirs, leurs nœuds papillons et leurs chaussures cirées. Quinn avait même poussé le vice jusqu’à porter un haut-de-forme, qui fit sensation sur la gente féminine du Panic!. Et pourtant, ils étaient loin d’être les mieux mis ce soir là. Le pire, c’était que ce n’était même pas une nuit à thème.

Quinlan se tourna vers son partenaire de sauterie : le costume lui allait ravir même s’il crevait d’envie de le lui arracher. Chaque chose en son temps. Le barman salua Quinlan comme l’habitué qu’il était, avec un petit sourire, avant de lui indiquer du regard une alcôve encore inoccupée.

Le club était organisé de façon circulaire, avec le bar formant l’îlot central. Tout autour se trouvaient des tabourets côté zinc, et des alcôves plus ou moins grandes de l’autre côté de l’allée, pouvant être fermées par des rideaux. Une scène était disposée à l’opposé de l’entrée, flanquée de deux grands escaliers grimpant à l’étage. Mais encore une fois, chaque chose en son temps.

Quinlan entraîna Rupert jusqu’à une alcôve pouvant accueillir six personnes, autour d’une table ronde, la surface de la table étant non incluse dans le décompte. C’était un peu la tradition au Panic! que les clients finissent par danser sur les tables. Se calant au fond de la banquette, Quinn retira son chapeau et lança un grand sourire à Rupert.

— Alors, tu ne regrettes pas d’avoir suivi le lapin blanc, Alice ?

Il fit un signe au barman qui sortit de derrière son zinc. Ce n’était pas encore l’heure de pointe, il pouvait encore se le permettre.

— M. Chesshire ?
— Comme d’habitude, mon cher.
— Et Monsieur…

Quinlan hésita un instant à l’appeler Alice, mais esquissa seulement un sourire avant de se souvenir de son véritable pseudonyme.

— Larkin. M. Larkin.

Au passage, il fit les présentations.

— Je te présente Stephen.
— Ravi de faire votre connaissance, M. Larkin.

Ce cher Stephen prit avec diligence la commande de Rupert, avant de repartir derrière le bar. Les deux hommes étaient arrivés juste avant que le bar ne soit bondé. En quelques minutes, il se remplit, et Stephen n’eut même pas le loisir de revenir avec leurs boissons. Il laissa cette tâche à l’une des serveuses en sous-vêtements de dentelle noire et aux plumes dans les cheveux. L’important était que le tequila sunrise de M. Chesshire et le cocktail de son acolyte du jour arrivent à temps.

Ce dernier cherchait un sujet de conversation plaisant en attendant que la soirée ne commence véritablement, mais il fut coupé dans son élan par deux femmes et un homme qui, visiblement, ne trouvaient pas de banc pour leurs précieuses fesses. Et d’après l’aperçu qu’avait pu en avoir Quinn, elles étaient parées de leur plus belle soie, sous leurs serre-taille de brocart et leurs jarretelles apparentes.

L’une des femmes prit la parole.

— Je suis Mary, et voici Jackson et Isabelle.

Encore une fois, Quinlan fit les présentations.

— Larkin, et vous pouvez m’appeler Chess.
— Chess… Ça me dit quelque chose. Aurons-nous le plaisir de vous croiser dans les salons privés cette nuit ? demanda Isabelle.

Quinn esquissa un sourire carnassier : il était encore trop tôt pour prendre ce genre de décisions.

— Nous verrons. Vos noms ne me sont pas inconnus non plus, bien que je doute de vous avoir croisé un jour. Dans tous les cas, ne soyons pas trop hâtifs.

Ils ne portaient pas de masques, du moins, pas physiquement. Mais chacun ici jouait son rôle et c’était ça qui excitait réellement Quinlan. Oublier un temps qui il était pour revêtir une autre identité et jouer avec comme il jouait avec les autres… De quoi presque faire passer le sexe pour du bonus. Presque.

18/08/2015

Lors de l'une ou l'autre soirée de beuverie dans un coin poussiéreux du Dark Night, le professeur de médicomagie avait évoqué un club londonien prestigieux où il avait ses entrées. Chiche ? lui avait répondu son acolyte. La plaisanterie s'était bien vite mue en projet tangible. Projet, oui, car on n'y rentrait pas si facilement. Autant dire que la mèche mal peignée et les chemises au col fatigué de Rupert resteraient sur le carreau.

L'Irlandais avait bien tenté de montrer qu'il pouvait tout autant être classe que son collègue. Il lui avait présenté ses quelques costumes, certain de le convaincre avec son préféré, un ensemble de laine de Donegal de belle qualité, taillé droit. Il adorait sa couleur bleu nuit et ne cachait pas son ravissement. Mais ce n'était pas suffisant pour Quinlan. Kaïros, qui avait observé la scène avec le même enthousiasme que son maître, montra une déception similaire. Comment ça, pas assez moderne ? Il était beau son costume !

Finalement, lorsqu'ils arrivèrent à Londres, il était fier comme un coq de porter la tenue recommandée par Quinn. C'est vrai qu'ils puaient la classe comme ça. Ah, si Ismérie pouvait le voir comme ça !
Ouais nan... A la vue de son sourire béat, elle exploserait plutôt de rire. A cette pensée, il adoptait un sourire en coin plus charmeur que son expression de labrador à noeud papillon. Le guérisseur, lui, avec son haut de forme, rayonnait d'une aura éclatante. Il tâcherait de l'imiter et de ne pas lui faire honte.

Au moment de payer et de laisser son manteau au vestiaire, Rupert sentit l'embarras monter. Le club semblait relativement fermé, un cercle restreint devait pouvoir y rentrer. Il doutait qu'il rentre parfaitement dans le moule. Quoique. Sa belle mèche blonde, irisée d'argent, avait quelque chose de flamboyant également. Et puis, il avait soûpé de la mondanité ! Autant que ce soir, ça lui serve à quelque chose !

Rupert suivait consciencieusement son hôte en ces lieux, détaillant la décoration baroque, luxuriante des lieux. Les noctambules qui l'habitaient paraissaient appartenir à ce monde décadent. Sans arriver parfaitement à maîtriser sa curiosité et son enjouement, il essayait toutefois de ne pas poser de regard trop appuyé sur les éléments de décor ou les personnes croisées.
Les deux hommes s'assirent à une table dans une alcôve agréable. Quinn lui demandait alors ses premières impressions. Il rit à la référence au conte de Lewis Caroll.

- Non, c'est... incroyable Quinn ! Je sens qu'on va passer une soirée mémorable !

Bien qu'il n'ait pas connaissance de tous les usages de cette maison, Rupert se sentait à l'aise. Rares étaient les moments où la gêne prenait le dessus de toute manière. La priorité, c'était de paraître détendu et tout à fait naturel. Le reste suivrait. Et puis, la musique était agréable.
Le barman accourut au signe de main de Quinlan, l'appelant par un pseudonyme. Chesshire ? Il menait la métaphore jusque au bout, c'était donc bien son Wonderland ! Du moment que lui ne devait pas se coltiner l'Alice toute la soirée. Heureusement, Quinn se souvint de son surnom officiel. Bien ! Bel effort. Rupert le gratifia d'un sourire avant de répondre à son tour au barman.

- Moi de même, Stephen. Je prendrais un Manhattan je vous prie.

Quitte à être dans un lieu aussi fantasque, autant prendre un breuvage à la hauteur ! Et puis Fitz verrait bien qu'il était capable de jouer un rôle différent de celui de paysan mal débourré.
Très vite, la salle s'était emplie et avant que Quinn n'ait pu lui en dire plus sur le déroulement de la soirée, par exemple, ils furent abordées par un charmant trio. Les tenues des femmes étaient particulièrement affriolantes. Jackson, donc, n'était pas en reste.
Rupert laissa Quinlan faire la conversation, restant en retrait, un petit sourire ancré au coin des lèvres. Il avait hâte de voir la suite. Et de boire.

Les rideaux devaient-ils se fermer à un moment de la soirée ? Voilà qui était intéressant ! Il attendrait d'avoir son verre à la main et qu'ils soient seuls pour poser à Quinn les questions qui lui brûlaient les lèvres. Mince. Il devrait se tenir, plus tard dans la soirée, pour ne pas ergoter ou bavasser sans fin. Ce ne serait certainement pas toléré en cette maison.

Larkin était-il soudain trop intimidé pour oser parler ? Cela ne sembla pas échapper à Mary, qui lui lança un grand sourire tout en venant lui faire du pied sous la table.

— Votre ami est-il toujours aussi timide, Chess ?

Quinlan partit d’un grand rire. Rupert, timide ? C’était assez drôle à imaginer oui… Sirotant son cocktail, il balaya la table du regard, gardant un sourire sur le visage.

— Non, rassurez-vous. En tout cas, avec moi il est loin de l’être.

Il ne put s’empêcher de leur adresser un petit sourire en coin. Sur la scène qu’ils devinaient depuis leur petite alcôve, le pianiste passa à un morceau un peu plus enjoué, invitant les clients et les clientes à venir danser à ses côtés. Pris dans l’ivresse du lieu plutôt que de leur verre, quelques habitués ne se firent pas prier et allèrent animer un peu le club en agitant leurs plumes et leurs rubans.

— Oh ! Enfin un peu de danse !

Le sous-entendu était trop peu subtil pour être loupé, mais Quinlan se laissa envahir par une certaine flemme qu’il trouvait délicieuse. Avec une moue légèrement amusée, il secoua la tête.

— Peut-être pas tout de suite, Isabelle… Mais je suis sûr que Larkin sera ravi de vous accompagner. Après tout, il est venu là pour en profiter, moi je suis un habitué, avec tout ce que ça compte d’attitude blasée. Allez-y, je vous regarde.

Sans attendre, les deux jeunes femmes surexcitées emportèrent avec elle Rupert et Jackson jusqu’à la piste de danse qui faisait office de scène.

En réalité, il était rare que Quinn n’aille pas danser et reste à siroter son cocktail avec un sourire énigmatique sur le visage. Il fallait aussi dire que d’habitude, il n’était pas accompagné. Ce qui l’amusait le plus, là et maintenant, c’était d’observer comment Rupert allait se comporter, s’il allait faire des faux-pas ou non — compte tenu de son éducation, c’était peu probable — et surtout s’il allait se laisser tenter et à quelle vitesse. Avec qui, pour faire quoi, à combien, où. S’il participait, ce ne serait pas avant une heure bien avancée de la nuit… En attendant, il s’amusait bien assez de regarder Rupert se débrouiller tout en savourant son Tequila Sunrise.

C’était assez grisant en fait. Rester passif, en retrait, à simplement observer en se délectant de la sensation sûrement illusoire d’avoir le contrôle non pas sur soi, mais sur quelqu’un d’autre. Un sourire carnassier apparut sur le visage de Quinlan, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte.

18/08/2015

Les cocktails arrivaient et avec eux, le début de le fête, à proprement parler. Rupert saisit le sien avec une délectation visible, projetant déjà la douce euphorie que ces quelques gorgées annonçaient. Les douces effluves de whiskey et de vermouth faisaient naître un sourire gourmand sur ses lèvres. Alors qu’il croquait la cerise, l’une des femmes s’enquit sur sa timidité supposée, auprès de Quinlan. Lequel rit aux éclats.

Effectivement, on pouvait difficilement le qualifier ainsi. Bon vivant, rigolant de tout, même des blagues crasses et des bassesses de ce monde, bavard au point, parfois, d’en devenir assommant ; l’homme muet jusqu’à présent n’avait rien d’un introverti.
Cependant, il sentait que cette nuit serait l’occasion de jeux subtils. Toute la volupté de l’atmosphère l’invitait à revoir sa stratégie de séduction. Il semblait qu’ici, la prédisposition aux relations intimes était acquise. C’est-à-dire que tous repartiraient en ayant eu leur lot de plaisir. Le jeu se situait à un autre niveau. Il ne s’agissait pas, comme dans un banal pub, de rendre licencieuse une conversation anodine, afin d’insinuer même l’idée d’une relation éphémère ailleurs. Ici, toute parole était grivoise et l’enjeu était clair dans l’esprit de chacun. Restait à constituer les paires, les groupes.
Tant de liberté incitait à l’audace, l’expérience d’une nouvelle attitude.

Il conservait donc le silence, plongeant ses iris bleutées dans celles de la charmante courtisane. Intérieurement, l’adolescent bravache qui peuplait son esprit se marrait bien fort - du moment qu’il ne passait pas pour ridicule ! - il tenterait d’être sensuel.

Alors qu’il goûtait enfin le délicieux mélange - il y distinguer la note épicée, puissante du whiskey de seigle, preuve s’il en fallait, du sérieux de l’établissement en matière de qualité des festivités - la musique se fit plus présente. Déjà, des danseurs et danseuses, dans un nuage de plumes, s’agitaient en rythme.
Isabelle semblait ravie.
Quinlan se cala dans son fauteuil, et avec la moue blasée de l’habitué, refusa l’invitation sous-entendue. Dans le même mouvement, il suggérait la participation de son acolyte à la danse. Lequel ne se fit pas prier et suivit sans protester les deux femmes et leur ami.

Sur la piste, la mélodie malicieuse les accueillit. Le rythme, syncopé, les invitait aux pas précis, enjoués, galants. L’orchestre était de qualité, mené par un pianiste inspiré. Des interludes à l’accordéon créaient des accents de bal musette, dont leur groupe de bourgeois encanaillés se délectaient.

Rupert s’en donnait à coeur joie. S’il était avant tout musicien, sa maîtrise du rythme et de l’improvisation faisait de lui un plutôt bon danseur. Il enchaînait les pas maîtrisés, riant aux pirouettes de ses compagnons d’un soir. D’une main, il faisait virevolter Mary, puis Isabelle. L’Irlandais se retournait parfois vers Quinlan, resté confortablement installé dans une pose lascive, son cocktail à la main. Avec son haut de forme, il était magnifique. Sa pose lui donnait des airs de maître des lieux. Par ses oeillades, Rupert cherchait à le faire les rejoindre. Il le savait bon danseur mais ne l’avait jamais vu à l’oeuvre.

Jackson semblait être un habitué, lui aussi. Les deux hommes restaient plus ou moins silencieux. La scène était à la fois cocasse et charmante dans son anachronisme. Les couples libertins semblaient être retournés aux règles, contemporaines de l’air joué, assignées à leur personne. Dans un cadre où la liberté et la volupté primaient, c’était un joli paradoxe. Bien sûr, ils en étaient conscients, ce n’était qu’un jeu, dont le but était précisément de reproduire les normes pour mieux s’en défaire.

Un large sourire entailla le visage de Quinlan, qui pour une autre soirée, n’était plus lui-même mais un autre. Chess, un homme à la grâce féline et aux crocs carnassiers. De son fauteuil, son cocktail à la main, il observait en silence Larkin danser avec leurs acolytes de la soirée, se sentant étrangement et délicieusement puissant. Ce haut-de-forme était sa couronne, alors qu’il caressait doucement l’idée de jouer les rois.

Larkin savait danser, et ses partenaires s’en rendaient bien compte. Il passait indifféremment de l’une à l’autre, échangeant avec Jackson des regards entendus. De son pulvinar, Chess se laissait aller à imaginer la suite de la soirée. Il avait bien quelques idées, restait à savoir s’il arriverait à les mettre en pratique. C’était un petit défi personnel qu’il se lançait parfois… Cela dit, il avait été rarement aussi jouissif.

Les yeux fixés sur Larkin, Chess ne put manquer son œillade l’invitant à les rejoindre. Avec un petit sourire en coin, il posa son haut-de-forme et se leva lentement, dans un contrecœur surjoué. Le héros n’apparaît jamais dans le premier acte et c’est en personnage principal que Chess entra sur la piste de danse, ravissant Mary à Jackson qui en profita pour faire tournoyer une autre femme qui passait par là.

Se laissant porter par la musique, son corps ondulait presque sans qu’il ait besoin d’y réfléchir. Tout n’était plus que réflexe et instinct animal. Isabelle succéda à Mary, que Chess ne lâcha pas sans un baise-main agrémenté d’un regard brûlant. Grisé par la ronde des visages et des corps qui venaient se frotter à lui, Chess se sentait partir de plus en plus loin. Ses mains glissèrent sur la soie et la dentelle jusqu’à ramper sur la peau de ses partenaires de danse. Il croisa presque par hasard le regard de Larkin, à qui il envoya des signaux si électriques qu’ils pourraient embraser tout le Panic! jusqu’à ne rien laisser derrière eux.

Se reculant imperceptiblement vers l’un des escaliers, Chess emporta avec lui une Isabelle visiblement ravie. D’un index suggestif, il fit signe à Larkin de le suivre alors qu’il grimpait déjà à l’étage. Chess ne s’en faisait pas pour ses affaires laissées dans l’alcôve. Ce cher Stephen était quelqu’un de très prévenant.

Prenant la main d’Isabelle et refusant poliment de l’embrasser au passage, Chess la mena jusqu’à un des salons privés, son préféré. Décoré de façon sobre dans une palette avinée allant du bordeaux au champagne, il offrait une ambiance luxueuse sans verser dans le totalement ridicule ou le baroque vomitif d’autres salons du Panic!. Au milieu de la pièce trônait un immense lit rond dans lequel on avait terriblement envie de plonger, ce qu’Isabelle ne manqua pas de faire, le temps que Chess marque le salon comme déjà occupé. Pas qu’il soit contre une visite surprise, mais on ne savait jamais.

18/08/2015

Emballé par le rythme joyeux, empreint de luxure, des mélodies burlesques, Larkin se déhanchait, faisant tournoyer Mary, une main délicatement posée sur ses hanches. Le tissus de son corset était d’une douceur sans pareille. Ses boucles chatoyaient son visage ambré, accordant à son sourire un air d’autant plus mutin. Joueur.
Entre deux passades, Larkin interpellait son acolyte. Ce n’était pas drôle s’il ne venait pas s’amuser avec eux. Autrement, ce n’aurait été qu’un jeu de façade entre inconnus. Rupert aimait l’idée de déconner avec son ami. Il avait toujours bien aimé l’idée des wingmen.
Dans une ambiance certes très différente, il espérait ce soir retrouver l’excitation que ses virées berlinoises avec Antoine lui avaient procurées. Le Français était à présent de moins en moins disponible pour ce genre de soirées, sa carrière pesant sur son temps libre.

Alors il était excessivement heureux d’avoir rencontré Quinlan. Pour le coup, le coup d’envoi de leur amitié avait pris une teinte plus sensuelle. Ce soir encore, peut-être, ils trouveraient à se rapprocher. Mais le Chess de ce soir ne lui avait-il pas indiqué être plus ou moins en couple ? Selon ce que devenait cette relation, le terrain de jeu se restreindrait certainement. Rupert s’en foutait bien. Demain, Fitzsimmons serait son collègue et ami, et c’était très bien comme ça.

Finalement, ce dernier se décida à les rejoindre. Il les éblouit de son talent, enchantant Isabelle. Puis il piquait Mary à la main lâche de Larkin. Ce dernier se retournait vers Jackson, et les deux hommes échangèrent un regard entendu, approuvant la prestance de Chess. Une certaine lueur brillait au fond de leurs yeux et il dansèrent de concert, jusqu’à ce que Chess les entraîne tous vers l’escalier.
Il avait bel et bien pris en charge la soirée. Tacitement, les deux couples avaient agréé. Ils le suivirent donc de bonne grâce.

Chess les menait vers un des salons privés. Un léger frisson électrisa la nuque de Rupert. Alors, les choses sérieux commençaient. Il observait ses comparses. Isabelle avait l’air particulièrement motivée. Il fallait dire que son cavalier avait de quoi l’affrioler. Un sourire narquois se dessinait sur les lèvres de l’Irlandais. Avec les deux autres, il n’était pas en reste.

À vrai dire, Chess lui-même ne savait pas bien où il en était. L’ambiance était grisante, le salon privé ne manquait pas de lui rappeler des scènes particulièrement marquantes de bizarrerie et d’intensité, mais maintenant qu’il était monté avec Rupert et leurs trois comparses d’une nuit, quelque chose en lui hésitait. Il ignorait s’il avait réellement envie de participer. C’était un peu dommage vu le prix exorbitant demandé à l’entrée de rester sagement à ne rien faire ou presque, mais il n’allait pas non plus se forcer. Ce n’était plus dans ses habitudes.

Les coudes sur ses cuisses, Quinlan croisa les mains sous son menton. Ça les empêcherait de trembler.

18/08/2015

L’attitude de Quinlan était intrigante. Il n’avait pas semblé, lors de leurs discussion, et de leur nuit agitée à l’académie, qu’il avait l’habitude de se mettre en retrait, une fois que les choses devenaient sérieuses.
Pour Rupert, le guérisseur était un homme flamboyant, qui aimait à se montrer dans ses plus beaux atours, qui impressionnait d’emblée son auditoire. Il ne s’agissait pas que d’une image qu’il voulait renvoyer, mais de la personne qu’il était, non ? Bien sûr, ça ne voulait pas dire que sa personnalité avait l’épaisseur d’une feuille de parchemin et qu’on pouvait s’arrêter au satin de ses chemises pour l’avoir compris. Autrement, Rupert ne prendrait pas plaisir à l’appeler son ami. C’était quelqu’un de très intelligent, de drôle et à la conversation vraiment agréable.

Mais là, quelque chose d’autre se donnait à voir. Il avait vraiment l’air troublé.
Pour autant, son sourire en coin laissait deviner qu’il n’en dirait pas plus. Bien. Ce n’était ni le lieu, ni le moment. Et Larkin n’avait pas l’habitude de chercher de midi à quatorze heures ce qui pouvait bien tracasser les gens. S’ils ne disaient rien, ils avaient leurs raisons. S’ils disaient quelque chose, là, il écouterait.

Est-ce qu’on négocie vraiment avec quelque chose dont le but principal était de nous faire perdre totalement le contrôle ? L’idée était si alien pour lui, si absurde qu’avant même de se rendre compte de ce qu’il faisait, il se leva, et fit un pas vers la porte.

— Amusez-vous bien.

Il sourit, pour préserver les apparences. Se dire que finalement, c’était seulement sa volonté de ne pas participer, que cette soirée n’était pas la bonne, que les étoiles n’étaient pas alignées… Bref, se chercher une excuse à la con. La vérité, c’était qu’il détesterait blesser davantage Clemens en se vautrant dans le stupre et la luxure, aussi classes et distingués soient-ils. Plus que de ne rien avoir à cacher, Quinlan aimerait ne plus rien avoir à dire, seulement pour ne plus avoir à soutenir le regard à la fois furieux et meurtri de son amant. Pour qu’il ne se sente plus le besoin de le câliner dix fois plus et de prendre soin de lui les quelques heures suivant une telle annonce. Il ne voulait pas que Clemens doute au point de finir par claquer la porte. Toujours calquer son rythme sur le plus lent, celui qui supporte le moins. Quinn pouvait gérer sa libido, il n’était pas un animal. Il pouvait gérer et il le ferait.

Sans un regard en arrière, il passa la porte du petit salon, et alla rejoindre Stephen au bar pour récupérer son chapeau. Même le barman n’était pas dupe.

— Vous partez déjà ? Un problème ?

Devait-il lui dire ? Quinlan soupira en remettant son haut-de-forme.

— Les choses ont changées. De mon côté, pas du vôtre… Cet endroit est toujours aussi parfait mais…

Un mince sourire étira les lèvres du jeune homme qui nettoyait les verres.

— Mais votre nouvelle relation ne voit pas les choses ainsi ?

Quinlan fronça les sourcils avec un petit sourire face à la perspicacité de Stephen.

— Exact.
— Montrez-lui alors.
— Hmm… Il ne comprendrait pas. Mais je vais y penser. À la prochaine, Stephen.
— Et que je ne vous revois plus, Mister Chesshire !

Cette fois et malgré le poids qui lui pesait sur le cœur, Quinn ne put s’empêcher de rire. Il souriait encore quand il déambulait dans les rues de Londres, à la recherche d’un endroit tranquille où transplaner jusqu’à Haveirson.

18/08/2015

Ce ne fut qu’après l’extase que Rupert remarqua l’absence de Quinlan. Finalement, le spectacle avait dû réveiller son désir et, ne se sentant pas d’intervenir à ce moment, il devait être allé chercher d’autres prétendant.e.s. C’était ce que Rupert pensait.
Après quelques minutes de repos et un rafraichissement dans la salle de bains attenante au salon privé - c’était si bien organisé ! -, Rupert salua ses acolytes d’une nuit pour tenter de retrouver son collègue. Après avoir scruté la scène, la piste de danse et erré dans les méandres du club, il finit, au bout d’une dizaine de minutes, par se rappeler de Stephen.

Aussi, il se dirigea vers le barman. Ce dernier, extrêmement consciencieux, avait prédit sa question. C’était assez impressionnant. On comprenait alors le prix de l’entrée - cela n’avait rien à voir avec les clubs miteux fréquentés par Larkin, où il valait mieux garder sa veste avec soi plutôt qu’au vestiaire.
Bref, Stephen lui expliqua avec courtoisie que son ami avait quitté les lieux et ne voulait pas le perturber au milieu de son amusement. L’euphémisme était si joli.

Larkin le remercia et fit quelques commentaires laudateurs sur l’établissement, qu’il avait été ravi de découvrir. Stephen, avec un hochement de tête, lui assura qu’il était satisfait de savoir qu’il avait passé une bonne soirée, et qu’il espérait, bien sûr, le revoir en ces lieux.
Une fois son manteau du dimanche récupéré - un vrai manteau en laine irlandaise doublée, long, droit, qu’il ne portait qu’aux fêtes de familles hivernales et qui avait déjà quelques années au compteur, Rupert s’en retourna dans la fraîcheur de la nuit. Les rires tintaient accompagnés du bruit d’une bouteille de verre qui roulait au sol.

Il n’avait bu qu’un cocktail - parfaitement exécuté - et était encore en état de transplaner. Il chercha un endroit isolé où il pourrait disparaître pour arriver devant la porte d’Haveirson. Quoique, vu l’état des badauds, ils ne comprendraient pas et ne chercheraient pas à comprendre. Mais on ne savait jamais, et Rupert avait encore un semblant de conscience professionnelle.

Arrivé au château, il se remémorait la soirée. Quinlan était parti. Il avait mentionné un début de relation, au Dark Night. Peut-être que cette histoire était plus sérieuse qu’il ne l’avait imaginé. Enfin. C’était une bonne soirée. Mais, si Quinn ne se rendait plus au club, Rupert n’y irait pas de son plein gré. Ce n’était pas vraiment son milieu naturel.