Rencontre inattendue

Juliet s'était réveillée en sueur tôt ce matin-là. C'était un cauchemar qui l'avait bouleversé. Elle était complètement affolée et paniquée. Cela faisait quelques jours qu'elle faisait des cauchemars récurrents et cela l'inquiétait. Elle ne savait que faire pour s'en débarrasser. La jeune femme n'était pas étonnée de faire des mauvais rêves au vu des derniers événements qui la tracassait encore. Néanmoins, elle commençait à être réellement épuisée et avait du mal à suivre les cours avec la fatigue physique et mentale qu'elle accumulait. De vrais vacances seraient les bienvenues. Malheureusement les dernières venaient à peine de se terminer. Elles n'avaient pas été de tout repos pour l'Abraxan. La vie lui paraissait bien cruelle.

C'est les larmes aux yeux, le cœur battant la chamade qu'elle sortit de son lit. Le château était encore silencieux. Il était bien trop tôt pour que les élèves se réveillent. Le soleil n'était même pas encore levé, même si il n'allait pas tarder. Elle jeta un coup d’œil à son horloge et vit qu'il était 5 heures passé. Juliet avait encore une peu de temps pour profiter du calme du château et aller boire un café à la cafétéria pour se remettre de ses émotions. Vu l'heure, il était bien trop tard pour essayer de se rendormir et elle avait besoin de se changer les idées. Pour une fois qu'elle pouvait se promener dans l'université en étant sur de ne rencontrer personne, autant en profiter.

La jeune femme s'habilla à la hâte, et sortit de sa chambre. Les couloirs étaient vides, et aucun son ne se faisait entendre hormis les quelques ronflements de ses camarades. Ce calme était apaisant. D'ailleurs en arrivant au niveau de la cafétéria, elle sentit son stresse diminuer. Le simple fait de marcher l'avait remise d'aplomb. Maintenant, un bon café lui permettrait de mieux se réveiller et d'oublier tout ceci.

Alors qu'elle venait d'attraper un café, elle entendit des bruits de pas s'approcher. L'ancienne Serpentard se demanda qui cela pouvait bien être. Elle aurait apprécié de passer un peu plus de temps seule, mais visiblement quelqu'un avait eu la même idée qu'elle. Cela ne tarda pas à se confirmer quand elle vit une silhouette masculine approcher.

Et ce son, entêtant, incessant, dont le volume ne cessait de croitre. L'onde lancinante, douloureuse, déchirait le tympan, alors que le cauchemar se répétait. Il le connaissait par coeur à présent. La même impression floue, d'une signification insaisissable le laissait dans un état d'apathie, le regard vide. Une sécheresse en irritait les coins. Ses glandes lacrymales s'étaient une nouvelle fois vidées. Ses paupières frottaient douloureusement contre les globes rougis, alors qu'un dernier sanglot le secouait, finissant par le réveiller.
Le regard vague, bleuté, irisé de vert par contraste avec les capillaires éclatées, finit par se poser sur la silhouette au pied du lit. Une plainte inquiète répondait au souffle affolé.

A nouveau, il était baigné de sueur, ses joues collaient et ses lèvres avaient un goût d'iode. Rupert s'était redressé d'un bond, et le bourdonnement s'était suspendu. N'en restait que le sentiment de ne pas vraiment être soi-même. Que l'enveloppe charnelle laiteuse ne lui appartenait pas. Son esprit qui s'agitait, vivait cent fois le même rêve, la même fantasmagorie outrageante, excitant ses peurs les plus profondes, n'existait-il pas dans une autre réalité ? Quelle était la tangibilité de cette scène ? Dans la pénombre, le décor de sa vie lui semblait être de papier. Froissé. Abîmé. Les limbes saisissaient autrement mieux la vérité. Leurs dimensions imbriquées révélaient ce que le réveil ne pourrait jamais que frôler.

A ces pensées, le murmure sinistre réapparaissait. Et comme tous les matins, dans un élan désespéré, il projetait sa main vers le chien qui dormait à ses pieds. Une chaleur douce rétablissait le lien qui s'effilochait ; cette caresse l'empêcher de sombrer dans le labyrinthe de ses réflexions nerveuses, insolubles.

Il se levait alors, allait prendre sa douche. Dans la buée de la cabine, il se purgeait des reliquats du tourment nocturne. La sueur. Les pleurs. La peur.
Mais il restait un malaise indicible, dont il savait que tous les efforts de sa bonhomie ne pourraient plus totalement annihiler. Il avait l'orteil, sinon le pied, pris au piège de la géhenne.

Kaïros cherchait à l'en détourner. Il jappait joyeusement. Attendait son repas. Attendait de sortir de cette pièce oppressante, où le relent de sueur crasse persistait, silhouette du cauchemar se tapissant dans l'ombre.
Rupert attrapa un t-shirt blanc, un pull de laine et un jean, glissant sa baguette dans la poche arrière. Il enfila ses chaussons et d'un pas lourd, quitta sa chambre. Le chien le devançait. Il faisait nuit noire. A peine plus de cinq heures du matin. Il lui fallait un bol de thé. Sa gorge grattait. S'époumonait-il dans son sommeil ? Il y mettrait une belle cuillérée de miel.

Alors qu'il allait vers la théière, il fut surpris par la silhouette d'une jeune femme brune, qu'il ne pouvait reconnaître. Un frôlement sur le bois de sa baguette et les bougies s'allumèrent. Il dût s'éclaircir la voix avant de s'adresser à l'étudiante.

- Bonjour ou bonsoir ? Vous êtes bien matinale, à moins que vous ne rentriez seulement d'Avalon ?

Ses mots se voulaient légers et il lui souriait. Quelque chose dans les traits de la brune l'inquiétait. Elle paraissait bien pâle. Ou était-ce une illusion, un rapprochement hâtif entre les raisons de sa présence et la sienne ? Au fond, il espérait peut-être ne pas être le seul à vivre ces nuits terribles d'angoisse.

Kaïros gémissait. Son maître consentit à lui servir un steak haché dans une petite assiette. Il n'irait pas à l'écurie ce matin, ni ne retournerait dans sa chambre. La fidélité de son comparse était récompensée d'un repas royal. Puis il s'enfonça dans un fauteuil, épuisé. Le breuvage brûlant fumait, la tasse cuisant ses paumes gelées.

Un homme d'une trentaine d'année s'approcha de Juliet. Cela devait être un professeur. Elle ne savait pas quelle matière il enseignait. Surement pas une de son cursus puisqu'elle ne se souvenait pas avoir déjà suivi l'un des ses cours. Seul son apparence lui était familière, elle devait l'avoir déjà croisé au détour d'un couloir. La jeune femme espérait que ce dernier ne se montrerait pas trop curieux. Alors qu'elle dévisageait l'inconnu elle aperçut un petit chien qui traînait sans ses jambes. Elle n'aimait pas beaucoup les animaux, mais il était tout de même adorable.

Le professeur chercha à savoir ce qu'elle faisait ici après l'avoir salué. L'Abraxan ne savait pas si elle devait lui mentir ou lui avouer la raison de sa venue. Après tout ce dernier semblait lui aussi en bien mauvais état. Il avait l'air d'être fatigué. Et puis, si il venait ici à une heure pareille c'est qu'il cachait quelque chose lui aussi. Peut-être lui aussi était-il en proie à ses cauchemars à répétition.

- Bonjour. Non, je ne rentre pas d'Avalon. Et vous ? Qu'est-ce qui vous amène ici ?

Juliet avait peur de se montrer un peu trop sournoise et impolie avec un professeur. Elle essayait toujours de rester polie avec eux, et de ne pas trop jouer avec le feu. Tester un autre étudiant était une chose, mais se mesurer à un professeur en était une autre. Elle n'avait pas envie de s'attirer des ennuis et souhaitait rester discrète. Elle avait suffisamment de problèmes comme cela, et mieux valait ne pas s'en rajouter.

L'étudiante ne tarda pas à plonger dans ses pensées et se rappeler la principale raison de sa venue à la cafétéria. Elle savait très bien pourquoi elle faisait autant de cauchemars. Elle avait bien trop de choses qui la préoccupait depuis un mois et quelques. Elle n'avait cessé de s'enfoncer dans la mélancolie et se voyait mal en sortir. Pourtant rire aux éclats lui manquait, mais elle savait que la guérison serait longue.

Elle sortit de ses pensées quand elle sentit une buée chaude caresser son visage. C'était son café qu'elle avait oublié et qui commençait à se refroidir. L'ancienne Serpentard avala tout d'une trait. Elle se sentit plus réveiller et plus à même d'affronter la journée qui avait commencé bien tôt ce matin.

Tandis que la grosse bébête qui l’accompagnait dévorait son steak haché, Rupert s’affaissait dans un sofa, noyant de miel son sachet de thé. Il espérait que la nouvelle arrivée n’avait pas peur des chiens, parce que le braque de Weimar avait de quoi impressionner avec ses muscles saillants sous son pelage gris perle. Mais c’était un gentil chien, de noble race, certes, et hautain, mais un gentil chien. Surtout quand il avait le ventre plein.

Bref, Rupert saluait d’un air narquois la jeune femme. Bien qu’il n’en menait pas large lui-même, ses traits tirés l’indiquaient. Il aurait largement préféré que ce soit dû à une nuit de folie dans un club animé. Mais non, c’était juste son sommeil qui était devenu une épreuve quotidienne. Quelle joie. Il avait peur de s’assoupir, à présent.

- Ah… Vous avez l’air.. fatigué. C’est très matinal ! Vous avez un devoir en retard à rendre à la première heure ou quoi ?

Oui, il n’était pas spécialement fin. Ni subtil. Et n’avait que peu de tact. Au point qu’il ne remarqua même pas la manière de répliquer discourtoise. Comme si ça lui importait. Il était mal luné, et tout ce qu’il voulait, c’était mettre de côté les cauchemars qui ruinaient ses nuits.
Cinq heures du matin, quoi. Y’avait clairement de l’abus. Et puis c’était pas comme s’il s’était réveillé tout pimpant, quoi. Il allait travailler avec la lenteur d’un Musard… Et au moins, le Musard était efficace, la traînée de bave discontinue tuait toutes les mauvaises herbes. Rien n’était moins sûr concernant sa propre tâche.

Ce qu’il faisait là ? Oh bah. Il était super matinal, allait ensuite se changer pour faire son jogging quotidien, être un mec bien, propre, sain. Ça ne se voyait pas ?
Comment ça, c’est pas crédible ? Non mais, à la réflexion, ce n’était pas idiot. Il pourrait en profiter pour faire du sport. Et au pire, s’il s’effondrait d’épuisement, avec un peu de chance, il tomberait dans un coma sans rêve. Le bonheur.
Mais bon, la flemme.

- Nuit agitée… Au fait. On ne se connaît pas, je crois. J’suis Rupert Larkin, le prof de science po. Et vous ?

N’empêche qu’à y regarder de plus près, il jurerait que les cernes de l’étudiantes étaient le reflet des siennes. Faisait-elle des insomnies ? Des mauvais rêves, comme lui ?

L'inconnu fit remarquer à la jeune femme qu'elle avait l'air fatigué et lui demanda si la raison de sa présence si matinale était qu'elle avait un devoir à rendre. Il était observateur, puisqu'il avait vu que les traits de son interlocutrice traduisaient son accablement. Juliet ne voyait pas pourquoi elle devrait mentir sur le fait qu'elle n'était pas là pour travailler. D'ailleurs, elle remarqua que lui aussi avait l'air épuisé. Elle ne serait donc pas la seule à avoir du mal à dormir. Elle était plutôt contente d'être tombé sur quelqu'un avec qui elle allait pouvoir discuter. Non pas, qu'elle soit très bavarde, mais elle commençait à avoir de plus en plus de mal à rester renfermé seule dans son coin. La solitude n'avait pas que du bon et les effets négatifs commençaient à se faire ressentir. Mais après tout, cela était attendu puisque l'être humain n'est pas fait pour vivre seule et l'ancienne Serpentard malgré sa réticence à aller vers les autres se plaisait à avoir quelques conversations agréables de temps à autre.

- Effectivement, je n'ai pas très bien dormi. Non, pas le moindre du monde.

Juliet ne pouvait lui retourner la question puisqu'il semblait être trop âgé pour être un étudiant et devait surement être un professeur. Elle lui donnait entre 35 et 40 ans à peu près.

L'inconnu répondit à la question de l'étudiante en deux mots "nuit agitée". Cela voulait-il dire qu'il dormait mal lui aussi ? Était-il également victime d'insomnies chroniques et de cauchemars à répétition ? Cela eut été fort étrange qu'il soit dans le même cas qu'elle. Pourtant, visiblement d'après ses quelques paroles c'était son cas. L'Abraxan hésita à demander plus d'information à ce sujet.

L'étranger avait prit les devants et s'était présenté sous le nom de Rupert Larkin. Elle avait vu juste, il était professeur et plus exactement de science politique. Le château était grand, et cela expliquait pourquoi elle ne l'avait jamais croisé avant ce jour.

- C'est donc votre cas à vous aussi. Moi c'est Juliet Ivy, je suis étudiante en métamorphose.

La jeune femme observa l'animal qui traînait dans les pattes du professeur. Il était assez imposant et avait un pelage gris. Elle le trouvait attachant, pourtant elle n'était pas particulièrement attaché aux animaux. Ce matin là, c'était différent, elle avait besoin d'un peu de réconfort, et le trouvait où elle ne pensait pas le trouver.

Kairos engloutit son repas et alla s’asseoir à côté de son maître, posant sa tête sur l’accoudoir du fauteuil. Il n’allait de toute manière pas tenir en place très longtemps et irait certainement chercher des miettes ou des objets intéressants dans la cafétéria - genre, un bout de ficelle particulièrement étrange. Qui serait à tout hasard l’extrémité du tissu décousu d’un fauteuil. Ou le marque page d’un livre entraînant dans sa chute la pile de grimoires qu’il soutenait. Ou toute autre chose qui ferait suffisamment de bruit.
Non pas qu’il ait un caractère félin, mais le grand chien s’ennuyait particulièrement vite.

La jeune femme n’était pas sortie, et ne s’était pas levée aux aurores pour pondre un devoir en retard. Avachi sur son fauteuil, Rupert buvait à petites gorgées son thé encore trop chaud. La jeune fille restait encore et toujours debout. Raide, elle semblait perdue dans ses pensées, certainement confuse alors que le point du jour était encore loin. Elle ajouta qu’elle avait mal dormi.
Ah ? Etait-ce pour la même raison que lui ? A la réflexion, elle lui avait paru bien pâle et le café bu d’un trait n’avait pas été d’une aide flagrante.
Rupert se présenta après une explication laconique de sa présence ici. En retour, la dénommée Juliet indiquait qu’elle étudiait la métamorphose. Ce qui justifiait que Larkin ne la connaisse pas, le seul étudiant en métamorphose qu’il avait en cours étant Clemens Neubach. Un sacré énergumène, d’ailleurs. Fichtrement sympathique.

L’expression utilisée par Juliet fit tiquer le professeur. C’est donc votre cas à vous aussi. Dans cette phrase pointait un espoir las, peu approprié pour la remarque anodine qu’il venait de faire. Comme si elle n’était venue dans cette pièce que dans l’attente de croiser quelqu’un pour s’épancher. Pour autant, elle ne disait pas grand chose.
Posant sa tasse sur la table basse, Rupert s’avança au bord du fauteuil. Son regard, devenu sérieux, accompagnait une question dont il appréhendait qu’elle ne soit trop intrusive.

- Vous faites des cauchemars, vous aussi ?

Une forme d’inquiétude commençait à se mouvoir au creux de sa gorge, enrobant la crainte de ce que le phénomène répété n’était pas purement psychologique. Le fantastique était au coeur de la vie d’un sorcier. D’où le caractère d’autant plus perturbant d’une telle irruption, répétée, tristement cadencée, monotone et foudroyante, dans ses nuits. Car dès lors que la magie était suspectée, il fallait y trouver un sens.
On ne pouvait se contenter, comme un Moldu, de balayer l’évidence en la qualifiant de superstition stupide. Non, c’était rationnel - dans un tout autre mode de pensée.

La nuit avait été courte et cela se ressentait. La fatigue accablait Juliet. Elle aurait voulu s'allonger dans un lit et s'endormir sans faire de cauchemars. Elle avait tellement besoin de repos. Finalement, la compagnie d'une autre personne n'était pas trop mal, elle était d'ailleurs bienvenue. Se sociabiliser ne lui faisait pas de mal de temps en temps. Et puis, un professeur ne pouvait pas être méchant.

La jeune femme trouvait son chien adorable. Pourtant, d'habitude elle n'avait aucune affinité avec les animaux, mais celui-ci avec quelque chose de réconfortant. Peut-être arrivait-il aussi à un moment où elle avait besoin de réconfort. Alors qu'elle était en pleine observation de la bestiole, Rupert la tira de ses contemplations en lui demanda si elle aussi faisait des cauchemars. "Aussi" voulait dire que c'était également son cas. Elle n'était donc pas la seule à en faire, et visiblement de manière récurrente. Enfin du moins c'est ce qu'il lui semblait avoir compris des quelques paroles de son interlocuteur.

- Oui, en effet. Depuis quelques temps toutes les nuits pratiquement. Cela serait donc votre cas ?

Juliet n'avait pas spécialement envie de s'attarder sur ce sujet de conversation, mais tant qu'elle ne rentrait pas dans les détails elle pouvait se permettre d'en parler. Elle décida tout de même d'orienter la conversation sur autre chose.

- Votre chien est adorable. Comment s'appelle t-il ?

L'étudiante se rendit compte qu'elle n'avait pas grand chose d'autre à dire, sans quoi elle devait rentrer dans les détails de sa vie personnelle et de ses activités secrètes. Effectivement, sa vie gravitait autour de cela et elle ne faisait rien de ses journées à part ses missions. Même pour les cours elle ressentait un certain désintérêt. Il n'y avait que son rêve fou d'exceller en métamorphose et de devenir Animagus qui la poussait à continuer et à fournir des efforts.

Le thé faisait du bien. Ses vapeurs douces, sa saveur légère, suivie de la marque corsée du miel chaud apaisaient Rupert. Il se sentait déjà plus éveillé, moins tendu. Pas encore serein, cependant.
Et les mots de la jeune fille n’aidaient guère. Elle semblait dire que ses nuits étaient mauvaises. Peut-être étaient-elles, comme les siennes, rythmées d’incessants cauchemars. Tout de suite plus sérieux, intrigué même, Rupert s’avança sur le bord du fauteuil et lui demanda si, par hasard, elle faisait des cauchemars, elle aussi.

Elle lui répondit de sa voix fatiguée que c’était le cas. Et lui demandait confirmation.
Rupert ne savait pas quoi faire de cette information. Une semaine plus tôt, Amaranthe lui avait demandé s’il avait vécu des choses étranges dans ce château. Il n’avait pas fait le lien avec ses rêves qui le laissaient épuisé au petit matin, le visage plein de sueur et de larmes. Mais depuis, la répétition du phénomène aurait pu éveiller des soupçons. Ce n’était qu’avec la rencontre d’une étudiante qui disait vivre la même chose que Rupert faisait le lien avec la remarque d’Amaranthe.
Il était logique qu’une académie magique ait ses mystères mais toutefois, il n’avait pas le souvenir de ce que Poudlard avait tenté de lui nuire directement et sans raison.
Malgré ses escapades, ses bravades, il n’avait subi que des punitions rébarbatives, au pire effrayantes. Mais jamais vraiment malsaines, dangereuses. Et puis, surtout c’étaient des sanctions motivées.
Quelle force magique agissait sur les résidents de ce château pour leur provoquer des pensées aussi nauséabondes ? Et surtout, dans quel but ? L’administration de l’école n’avait aucun intérêt à ce que le personnel et les élèves dorment mal. Ce serait contre-productif, vis-à-vis des objectifs de réputation et d’avancée dans la recherche d’une nouvelle école.
Alors, pourquoi ces cauchemars ? Car ils avaient forcément une origine magique. La chose soulevait des dizaines de questions. Peut-être que certains éléments du passé de l’académie continuaient d’agir sans que le Comte n’arrive à les empêcher. C’était très étrange.

Alors qu’il réfléchissait, la jeune fille s’intéressait au Braque de Weimar. Elle le trouvait adorable. Peut-être y cherchait elle un réconfort. D’une voix distraite, car concentré sur le problème qui les réunissait, Rupert répondit qu’il se nommait Kaïros.

- Oui, oui je fais des cauchemars. C’est pénible, je suis épuisé en permanence. Avec ce que vous me dites, je doute que ce ne soit un phénomène naturel. C’est certainement provoqué par quelque chose.

Posant sa tasse sur la table basse, il réfléchit. Frottant sa lèvre inférieure d’un doigt nerveux, il la questionne.

- Dites, est-ce que vous avez entendu parler d’autres choses de ce type ? Des choses surnaturelles qui ne correspondent pas à ce qu’on attendrait d’un tel établissement ? Vos amis ont-ils aussi vécu des choses malheureuses de ce type ?

Son front s’échauffait à mesure que les conjectures se faisaient et se défaisaient. Il avait besoin de réponses. De réfléchir, de mettre les choses en lien. De savoir si leur expérience était isolée. Son intuition lui disait que non. Toutefois, en toute cohérence, il pouvait bien s’agir d’un mal qui ne les concernait que tous les deux, sans autre incidence. Il devait se renseigner.

Juliet n'était donc pas la seule à faire des cauchemars récurrents. Cependant, elle ne trouva pas cela étrange et cela n'attira pas son attention, contrairement à Rupert qui émit l'hypothèse que cela n'était pas un phénomène naturel. Elle ne voyait pas où il voulait en venir et ne le suivait pas dans son raisonnement. Elle ne comprenait pas l'enthousiasme que prenait les étudiants à tenter de découvrir les mystères de ce château. Pour la jeune femme c'était un endroit comme un autre et le Comte n'avait rien à cacher. Ces histoires la laissait indifférente. Peut-être les sorciers n'avaient pas tord, mais cela l'importait peu. Elle avait autre chose à faire qu'à chercher à découvrir l'identité d'une personne et ses secrets.

- Je ne te suis pas dans ton raisonnement.

Le professeur demanda à l'Abraxan si elle avait entendu parler d'autres histoires de ce type qui avaient eu lieu. Elle était bien trop indifférente à ces choses et bien trop dans son monde pour s'en soucier.

- Pas que je sache. Toutes ces histoires me dépassent. Je ne m'y suis jamais réellement intéressée. Et vous ?

Juliet était curieuse de savoir ce qu'il se disait à ce propos. Elle n'en savait rien, mais peut-être que son interlocuteur en savait plus qu'elle.

S’il se sentait enfin éveillé, Rupert redoutait le coup de chaudron qu’il allait se prendre en pleine face en milieu de matinée. Heureusement, il programmait toujours ses cours l’après-midi. Autant pour lui que pour ses étudiants. Il savait bien qu’à cet âge - et au sien également, s’entend - le rythme classique métro-boulot-dodo de 9h à 18h n’avait que peu de sens.

Enfin, il réfléchissait moins à ce à quoi il pourrait bien occuper sa matinée qu’à l’étrangeté de la coïncidence relevée dans les propos de la jeune femme. Ils cauchemardaient tous les deux et cela lui rappelait les questions d’Amaranthe. Lorsqu’ils étaient à la piscine, il n’avait pas compris les réserves émises par l’Irlandaise à l’idée de s’entraîner dans le château. Il faisait déjà des mauvais rêves, mais n’avait pas du tout fait le lien. A l’époque, il se croyait seul, et cela ne faisait que quelques jours qu’il dormait mal.

Aujourd’hui, il y posait un nouveau regard. Ce n’était pas normal. Il le suggérait à la jeune femme qui ne comprenait pas bien où il voulait en venir. Il lui demandait alors si un bruit courait, dans les salles communes, au sujet d’autres phénomènes bizarres. A nouveau, elle montrait une réaction peu engageante. Mais elle lui demandait tout de même ce que lui en pensait.
Il aurait de toute manière donné son avis si elle ne le lui avait pas demandé.

- Eh bien je ne me rendais pas compte qu’il se passait des choses étranges. Je veux dire, c’est une académie magique, ce n’est pas spécialement étonnant qu’il y ait des sortilèges entourant les murs de l’académie et la protégeant. Pareil pour les tableaux animés ou d’autres choses. Mais je dois dire que la violence de ces mauvais rêves et leur survenance impromptue m’interroge. Je n’ai aucune idée de ce qui a bien pu les provoquer et je me demande à présent si nous sommes les seuls. Ça me semble un peu gros pour être une coïncidence, n’est-ce pas ? En tant que professeur, je ne me rends pas forcément compte de tout ce qui se passe ici. Mais j’imagine qu’il y a des bruits de couloir entre les étudiants, non ? Personne n’a vécu quelque chose de similaire ?

Il ne lui demandait pas si ses questions l’ennuyaient. Ce n’était pas le genre de chose qui embarrasserait Rupert Wenlock.