Promenons-nous dans les bois tant que le loup n'y est pas

Juliet avait été étonné de recevoir un hibou de Rowan prenant de ses nouvelles. Bien sûr, elle n'avait que pu en être ravi et avait accepté avec la joie la proposition de ce dernier de se rejoindre pour discuter. Elle avait tant de choses à lui raconter. Les deux derniers mois avaient été houleux. La jeune femme avait encore du mal à réaliser tout ce qu'ils s'était passé et s'en remettait difficilement. Heureusement, son nouveau titre de Mangemorts l'avait aidé à ne pas trop s'enfoncer. Elle se sentait soulagée d'avoir un rôle important à jouer et cela lui changeait les idées. Pour certains, cela n'était pas la meilleure solution qui soit, mais pour l'Abraxan cela lui convenait parfaitement. Elle avait enfin le sentiment d'être importante et de ne pas servir à rien. Sa dévotion envers Voldemort était la plus totale. Jamais elle n'oserait le trahir.

D'ailleurs, elle se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir dire à Rowan. Il la connaissait bien trop, et se douterait vite que quelque chose cloche. Elle ne pourrait pas tout lui cacher. Néanmoins, elle n'avait pu refuser l'invitation. Cette double-vie qu'elle menait pouvait parfois se montrer assez embêtante. Malgré le fait qu'elle soit d'un naturel secrète, comme tout être humain, parfois elle peinait à dissimuler ses sentiments. Cependant, l'ancienne Serpentard ne voulait pas risquer les questionnements de ses camarades, même si parfois elle n'avait pas le choix et devait trouver des prétextes. Son isolement s'avérait donc la plupart du temps pratique et moins risqué. C'était dans un moment comme aujourd'hui où elle regrettait d'avoir quelques amis qui s'intéressaient à elle et s'inquiétaient de son sort.

Les deux amis s'étaient donnés rendez-vous en plein milieu de l'après-midi dans les bois. Juliet avait revêtu un pull épais, un manteau et des bottes fourrés pour affronter le froid. Alors qu'elle pointa la bout de son nez dehors il se mit à neiger. Elle soupira intérieurement et se dirigea vers les arbres délimitant l'entrée du bois. Son camarade n'était pas encore arrivé quand elle arriva à la lisière de la forêt, mais il ne tarda pas à se montrer. Un grand sourire se dessina sur son visage à son approche. Cela faisait d'ailleurs bien longtemps qu'elle n'avait pas sourit. Le simple fait de voir son vieil ami lui réchauffait le cœur et la mettait de bonne humeur. Même si à la simple idée de veiller à ne pas révéler quoi que ce soit de sa nouvelle nature l'angoissait. La jeune femme avait peur que l'ancien vert et argent se rende compte de quelque chose. Après tout, il la connaissait que trop bien... Son sourire dissimulait donc également une certaine appréhension. Elle devait faire preuve d'une parfaite maîtrise d'elle-même, chose qu'heureusement elle ne savait que trop bien faire.

- Bien le bonjour Rowan ! s'exclama t-elle pleine d'entrain. Comment vas-tu depuis le temps ?

La sorcière pour le moment réussissait plutôt bien à cacher les sentiments qui la hantait.

Le matin-même, après avoir quitté la protection chaleureuse de ses draps, le jeune homme s’était rendu compte de l’infime malaise qui commençait à s’immiscer dans ses veines. Une contrariété pesante et rampante, qui ne manquerait assurément pas de s’intensifier au fil du temps. Était-ce en lien avec l’infime migraine d’il y a trois jours ? Où... Serait-ce toute autre chose ? Affiliée à une donnée davantage gênante ?

En effet. Il avait pincé les lèvres d’exaspération en y songeant, tant cette potentialité apparaissait de plus en plus tangible. Bon sang. Comme s’il avait besoin de gérer ça par-dessus l’amas de tourments et de désagréments de ces dernières semaines. Cela dit, une promesse ayant été faite, il ne pouvait revenir dessus en un claquement de doigts. Ça ne lui ressemblait pas.

Non sans une énième prise de tête matinale, le Sinistros s’était ensuite occupé en révisions et en cours jusqu’au début de l’après-midi. Les mécanismes implacables de sa conscience s’échinaient à conserver l’acuité de sa perception et la vivacité de ses réflexions, en prévision de ce qu’il devrait jouer dans quelques heures.

***

Tout en se dirigeant vers la lisière de la forêt, Rowan prit l’initiative de vider son esprit. Broyant au passage l’ensemble des pensées parasites, des détails incongrus et des craintes informulées qui risquaient de gêner son masque de sérénité. En l’état, il lui semblait davantage judicieux de se concentrer entièrement sur Juliet plutôt que... De se laisser dominer par d’autres données.

La silhouette de cette dernière se détacha petit à petit des ombres longilignes et torves des arbres. Sur le visage de sa camarade, le jeune homme devina un fin sourire. Un éclat de joie ? Par principe – et par amitié – il le lui rendit avec douceur. « Bonjour Juliet, je suis ravi de te revoir. » Derrière l’armature invisible et guindée, il s’inquiéta. Deux mois sans la croiser. Deux mois de trop ? Dans les tréfonds de son âme, il en éprouva une vive culpabilité. Et si... Le basculement de sa comparse était la faute de son inaction ? De celle de Heath ? « Je me porte bien. Même si les événements n’ont jamais été aussi compliqués à gérer. »

Les iris pâles et inquisitrices de l’aristocrate s’ancrèrent dans leurs jumelles. « Et toi, mon amie ? » Pour le moment, il préférait y venir progressivement. Se refusant à la brusquer. « Comment ce sont déroulés tes examens ? »

Rowan rendit le sourire à son amie et la salua à son tour. Il avoua qu'il allait bien, même si les derniers événements étaient compliqués à gérer. Juliet ne savait pas de quoi il voulait parler. Après tout lui aussi devait avoir des problèmes personnels qui venaient se rajouter au climat de tensions qui régnaient chez les sorciers. Elle décida de prendre les devants et de lui demander ce qu'il lui arrivait. Elle s'inquiétait pour son camarade, il avait tant fait pour elle. Elle ne pouvait que se montrer sympathique à son égard. Et puis, elle tenait à lui tout de même.

La jeune femme était certaine que le Sinistros avait beaucoup de choses à lui raconter. Cela faisait un peu plus de deux mois qu'ils ne s'étaient pas vu et ils s'étaient passés énormément d'événements depuis qui avaient influé sur le cours de la vie des deux étudiants.

- Que s'est-il passé de fâcheux ?

L'ancien Serpentard focalisa son attention sur son amie et planta son regard dans le sien pour lui demander comment elle allait. L'Abraxan ne savait pas si elle pouvait être franche avec lui ou se contenter de mentir. En y réfléchissant elle se dit qu'il valait mieux ne pas cacher son jeu puisqu'il la connaissait très bien et remarquerait qu'elle lui cachait des choses. Et il serait encre plus compliqué de ne pas attirer son attention sur ce qu'il s'était passé dans sa vie ces deux derniers mois.

- Les temps sont durs, je ne vais pas te mentir. Je n'arrive pas à me concentrer sur mes études. J'ai quelques sujets qui me préoccupent et je ne parviens pas à m'en défaire. Mais ce n'est que passager.

Juliet espérait qu'il ne poserait pas trop de questions, dans ce cas là, elle serait obligée d'inventer une excuse qu'il goberait. Son stresse devait se percevoir et il ne tarderait pas à en faire la remarque. Elle savait qu'il était très observateur et savait en venant à ce rendez-vous à quoi elle devait s'attendre. Le risque était grand, mais l'étudiante ne pouvait se permettre de refuser un rendez-vous avec son camarade. Premièrement il risquait de mal le prendre et deuxièmement de s'inquiéter encore plus et de se mettre à trop fouiner. Alors il était plus sage de tenter de calmer son inquiétude pour ne pas qu'il fouille trop là où il ne fallait pas.

Sa cruelle empathie, vive et bien trop observatrice, s’intéressa à l’esquisse d’inquiétude qui s’anima brièvement au fond des iris de l’Abraxan. Était-ce pour lui que sa camarade se faisait du mauvais sang ? Cela ne lui plaisait guère. Compte tenu de ce qu’il savait de la situation, ce genre de faiblesses pouvaient se révéler diablement gênantes. Et dangereuses. Tant bien même que, derrière les apparences, il se trouva rasséréné par une sympathie qui ne prenait pas ombrage de la distance.

Cela dit, mieux valait y revenir plus tard. Encore.

« Et bien, entre l’attaque du festival et le banquet de Noël, j’ai eu la malchance de me retrouver au cœur d’événements pour le moins houleux. » Rowan pinça les lèvres. « En tant que président de confrérie, j’ai dû gérer deux-trois situations désobligeantes concernant des étudiants... Autant que de rassurer les journaux sur l’insécurité potentielle de Haveirson. » En d’autres circonstances, cette phrase lui aurait arraché un sourire narquois.

Comme si l’académie avait plus à craindre de l’extérieur que de l’intérieur. Quelle indicible et délectable ironie.

« Je te le souhaite, Juliet. » Que ce ne soit que passager. Évidemment qu’elle ne lui lâcherait pas le morceau de but en blanc. Ce serait trop surprenant. Inadapté. « Je trouve aussi cette période exécrable. » Maintenant que ses pensées s’effilochaient sur les faits marquants des deux derniers mois, un grand nombre de souvenirs s’agitèrent et piquèrent soudainement sa conscience. Anna. Clemens. Daphné. « Ma position ne me permet guère d’être épargné par l’agitation du monde sorcier. » Les fiançailles. La surveillance. La marque. Bon sang.

Son existence était diablement embourbée dans la mélasse, pour peu qu’on y prêtait attention.

« Hélas, ce sont des choses qui se font de plus en plus pesantes. Surtout avec la peur irrationnelle et omniprésente au sein de notre société. » Le visage du Sinistros exprima une délicate amabilité, loin des rouages acérés de sa pernicieuse conscience. Réellement ? Le doute subsista. « Pardonne-moi, je me perds dans mes propres craintes. » Il ne la lâcha pas du regard. Pas une seule fois. « Veux-tu bien me parler de tes travaux en métamorphose ? Je sais que cette matière a toujours cristallisé toute ton attention. Et, étant donné les temps qui courent, j’imagine qu’elle doit t’apporter un refuge non négligeable ? »

Une autre variable s’ajouta à l’équation initialement tracée. La disparition de Dwight.

Rowan avoua à son amie qu'il avait été victime de fâcheux événements tels que le festival et le banquet de Noel. De plus, comme il était président de confrérie ils avaient eu également des situations délicates à gérer avec quelques étudiants. Il ajouta qu'il avait du rassurer les journaux à propos des rumeurs concernant l'insécurité de Haveirson. Juliet ne pouvait bien évidemment pas se plaindre des derniers événements et notamment de ceux du banquet du Noel qui était l'oeuvre des Mangemorts, enfin du moins de son opinion. Mais elle n'allait par informer son camarade à ce propos. Son nouveau statut devait demeurer secret, ainsi que ses opinions politiques. Quant à l'insécurité de l'académie, elle n'y croyait pas et s'y sentait en sécurité. Encore une fois, c'était un fait qu'elle garderait pour elle.

- Tu étais présent lors du banquet de Noel ? Les événements qui ont eu lieu sont fâcheux.

Son mensonge était grossier, et la jeune femme espérait que le Sinistros ne devinerait rien.

Quant l'étudiante évoqua ses problèmes, son ami témoigna son soutient en lui souhaitant d'aller mieux. Il adjoint à son tour que sa position ne lui permettait pas d'être épargné par les soucis que rencontraient le monde sorcier.

- Personne n'est épargné, répondit-elle en simple constatation.

Rowan conclut en disant que c'était des choses de plus en plus pesantes et que la peur prenait une place très importante de nos jours. Elle trouvait son discours juste et résumant bien la situation. Il avait toujours les bons mots pour exprimer son point de vue. Il se reprit vite, en s'excusant et avouant qu'il s'était perdu dans ses pensées. Juliet n'avait pas envie de parler d'elle et insista donc pour savoir ce qui le tracassait :

- A quoi pensais-tu ?

Le regard de son ami déstabilisait l'Abraxan qui ne savait où placer le sien. C'était surement son but et cela marchait plutôt bien puisqu'elle se sentait mal à l'aise. Pourtant, elle avait un fort caractère et ne se laissait pas faire si facilement. Il lui demanda ensuite ce qu'il advenait de la métamorphose. Le Sinistros venait de toucher un point sensible, puisque l'étudiante n'arrivait plus à se concentrer sur quoi que ce soit, même sa passion. Elle n'avait plus la force de mentir et avoua :

- Je n'ai plus la motivation de m'entraîner en métamorphose.

Elle garda néanmoins pour elle, le fait que les forces du mal étaient son seul refuge.

Le banquet de Noël. Un épisode périlleux à évoquer, tant il impliquait de se remémorer une soirée pour le moins épineuse et tumultueuse. De celles que l’on préfère écarter sereinement de ses pensées pour ne pas devoir y songer de sitôt. Ne serait-ce que par mégarde. À dire vrai, il fuyait précautionneusement ce souvenir pour ne plus ressasser la terrible angoisse vécue, lors de ces infimes instants dans les couloirs. Lorsque lui, tout comme Daphné, entendaient le carnage et les hurlements innocents à travers les murs... Et qu’ils se trouvaient bloqués devant la porte de la grande salle.

« En effet, j’étais là-bas. » Comment était-il possible de nommer un tel accident ? Une attaque si inattendue et sordide qu’elle en avait glacé le sang de tous ? Encore aujourd’hui, le jeune homme éprouvait une singulière difficulté à mettre le mot le plus juste et le plus exacte sur ce tragique événement. « Trois adolescents y ont perdus la vie. » Vraisemblablement, de trois conditions différentes. De trois sangs que l’on n’aurait mélangé sous aucun prétexte.

Au fond de lui, sa cruelle empathie s’agita et se plaignit de la dégénérescence des Hommes. Qu’ils soient sorciers ou non. Le pragmatisme aristocratique lui répondit, sur un ton similaire, que l’on ne menait jamais une guerre avec de la prévenance et de la bonté. Jamais.

Les iris de Rowan quittèrent le visage de sa camarade au profit des alentours, y cherchant un peu de réconfort. Personne n’est épargné. « Nous ne pouvons que le constater, hélas. » L’observation, diablement froide et déshumanisée, le troubla plus qu’il ne voudrait bien l’admettre.

Cette fois-ci, ce fût son interlocutrice qui vint quérir le dialogue. « À bien trop de choses pour mon propre bien, je le crains. » L’espace de quelques instants, les rôles s’inversent. Empreinte narquoise du destin ? Peut-être. « Je ne peux guère y couper. » Sans rien laisser transparaître de ses motivations et de ses doutes, l’ancien Serpentard ne pouvait s’empêcher de douter. De peser précautionneusement le pour et le contre de ce qu’il souhaitait évoquer désormais. « Si je peux me permettre d’être franc, Juliet, le banquet n’a pas été seulement dramatique à cause de décès innocents. » Ses lèves se pincent en une fine ligne inquiète. « Pendant le repas, une jeunesse indocile et acariâtre a accusé mon père d’être un mangemort. » Devant toute l’assemblée.

Comme si ce n’était rien. Comme si cette médisance ne s’apparentait à aucune conséquence. À aucune enquête. À aucun risque. Bon sang. Blaise Zabini. D’un geste lent et maniéré, le Sinistros se pinça brièvement l’arête du nez, avant de porter ses doigts gantés contre son front. En un long soupir. « Par chance, peu de personnes ont eu la présence d’esprit d’y faire attention. » Daphné. Harmony. Yvain – qui s’en doutait pertinemment – et Alexandra. « Toutefois, je ne peux m’empêcher de me faire du mauvais sang. Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose, à tort ou à raison. » Il savait désormais quelle marche à suivre.

La dernière précision apportée par son amie, ne fit que renforcer l’évidente lassitude de ses traits. Le mal être de Juliet devait probablement atteindre des limites inconsidérées et déroutantes, pour qu’elle en oublia même sa passion. « J’en suis profondément navré, Juliet. » Ses yeux vinrent vivement rencontrer les siens, partagés entre la sympathie et l'hésitation. « Veux-tu que nous en parlions ? »

Rowan acquiesça positivement quant à la question de Juliet sur sa présence au banquet. Elle avait de la peine pour lui, il semblait avoir beaucoup de mal à s'en remettre et cela était compréhensible. Il ajouta que trois adolescents y étaient morts. Elle était au courant, elle avait entendu parler de cet événement et ne pouvait être passé à côté. Cela avait beaucoup ébranlé le monde magique et susciter de nombreux débats dans l'académie qu'elle avait entendu. Pour sa part, l'étudiante n'avait émit aucun avis, ni aucune hypothèse, elle les gardait pour elle, sachant que cela ne ferait pas l’unanimité et l’étiquetterait dans la case dans laquelle elle n'avait pas envie que les gens sachent qu'elle y était.  

Il restait une petite once d'empathie à la jeune femme, c'est pourquoi elle ne fit aucun commentaire. Son silence témoignait de sa tristesse. Sentiment minime, mais tout de même présent. C'était surtout le fait d'en parler avec Rowan qui la faisait prendre un peu de recul. Peut-être aurait-elle du l'écouter avant, mais c'était trop tard. Les choses étaient faites et ne pouvait revenir en arrière. La vie était ainsi faite, elle prenait parfois cela comme une fatalité. Était-ce la bonne réaction ? L'ancienne Serpentard ne le savait pas. Elle agissait de façon impulsive, irréfléchie. Non pas qu'elle ne soit pas intelligente, au contraire. La malice et les vices étaient son fort. Cependant, elle avait tendance à se laisser dicter par des pulsions et des instincts qui la poussaient vers la destruction et le désarroi. Juliet était quelqu'un de très torturée intérieurement, mais elle se gardait bien d'en faire part à qui que ce soit.

Son ami répondit à sa question quant au sujet de ses tourmentes. Un élève avait accusé le père de Rowan d'être un Mangemort. Un frisson parcourut le corps de la jeune femme à l'évocation de ce mot. Quelle douleur cela avait dû être pour son camarade de se faire accuser d'une telle chose et de salir par ce fait son nom. Elle comprenait tout à fait sa colère à ce sujet. Heureusement pour lui peu d'apprentis sorciers avaient fait attention au propos de leur camarade. Cela devait quelque peu le rassurer, au moins, avec de la chance l'affaire ne s'ébruiterait pas trop. Cependant, il était tout de même effrayé à l'idée que quelque chose puisse arriver à son père. Juliet comprenait sans comprendre, elle n'avait plus de lien avec sa famille et ne pouvait donc pas s'imaginer dans le même cas.

- Cet élève est d'une cruauté sans nom. J'espère que ses camarades ne parleront pas. Il n'y a rien que tu puisses faire ?

Quant à la confidence de l'Abraxan, elle interpella Rowan qui lui demanda si il voulait qu'ils en parlent. L'étudiante s'attendait bien à ce qu'il lui demande plus de détails, mais ne savait que faire. Lui confier une partie de la vérité ? Ou tout nier en bloc ? Cependant, elle n'en pouvait plus de mentir, de vivre dans les mensonges et les secrets. Elle avait besoin de se livrer à quelqu'un, c'est pourquoi elle prit une grande inspiration et avoua :

- Tu as surement remarquer la mystérieuse disparation de Dwight et son abandon à mon égard. C'est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas en très grande forme. Nous étions très proches à un moment, et il m'a abandonné du jour au lendemain, sans aucunes explications.

La gorge de Juliet se serra pendant qu'elle parlait. Elle détourna son regard et les larmes se mirent à couler le long de ses joues. Toute fierté, tout self-contrôle, toute force l'avait abandonné. Elle ne parvenait pas à se contrôler comme elle le faisait si bien d'habitude. La jeune femme sécha ses larmes avec ses manches et se retourna de nouveau vers son ami pour poursuivre son récit.

- Tu sais également que ma famille m'a abandonné. Mon père m'a envoyé une lettre en novembre pour tenter de renouer des liens avec moi. Je n'ai pas répondu tout de suite. Et puis, quand je me suis décidée à répondre, le hibou que je lui ai envoyé m'est revenu, et je n'ai eu aucunes nouvelles de sa part depuis. Je ne sais pas ce qu'il cherchait, mais tout ce qu'il a réussi à attiser c'est une haine encore plus forte.

Juliet se tue. Elle avait beaucoup trop parlé. Il ne devait pas trop en savoir. Et puis, les émotions commençaient à reprendre le dessus. Cependant, cette fois-ci elle réussit à se contrôler et aucunes larmes ne coula. Sa gorge se serra néanmoins, témoin de sa peine.

Alors qu’il se permettait enfin de verbaliser l’accusation sournoise et piquante d’un adolescent aveuglé par la bonne fortune, Rowan hésita. La question que lui portaient les lèvres de son interlocutrice, soulevait des interrogations et des scénarios lugubres. Que pouvait-il décemment faire à l’encontre de Zabini ? Rien de concret. Assurément qu’il s’inquiétait sans aucune raison tangible, d’ailleurs. Le Serpentard en question n’avait que peu de crédit au sein de l’aristocratie, tant tous se doutaient de l’appétit désavoué de sa génitrice pour des mâles purulents et crasseux. Et qu’un infime doute persistait quant au lignage du garçon. Après tout, rien ne permettait d’assurer qu’il ne soit pas un énième bâtard dans la conquête lubrique d’une femme exécrée par ses pairs.

Au moins, la famille paternelle relevait le niveau aux yeux inquisiteurs de la haute société.

« Pas que je sache, Juliet. Il ne s’agit que d’un adolescent en manque de sensations, en dépit des terribles impairs qu’il a formulé à voix haute. » Il pinça les lèvres dans un autre soupir contenu. « Je crains qu’il manque de discernement pour appréhender la situation... Certainement, même, qu’il ne se rend pas compte des mots portés à mon encontre. » Cette hypothèse, aussi narquoise que dangereuse, lui faisait réaliser à quel point Blaise était à côté de la plaque. Et à quel point Daphné devait s’arracher les cheveux pour le préserver de la réalité et des erreurs. « Entre nous, je ne suis pas assuré qu’une gifle soit suffisante à lui faire comprendre ses méfaits. Pas plus qu’un sortilège. » Tout du moins, pour le moment, il préférait s’appuyer sur sa maîtrise de la langue et des injonctions plutôt que de s’abaisser à de telles choses.

S’en suivit une confidence, toujours plus détaillée et mélancolique, qui lui serra le cœur. Dwight. En effet, le jeune aristocrate s’attendait à ce que le sujet soit abordé à un moment ou à un autre. « Oui. » Dire qu’il avait été un des derniers à le rencontrer avant sa disparition inopinée. « J’en suis terriblement désolé, Juliet. »

Aux premières larmes de son amie, il comprit à quel point sa conscience avait diablement sous-estimée la relation entre les deux Abraxans. Bon sang. D’un pas lent et précautionneux, Rowan s’approcha d’elle et porta une main compatissante à son épaule.

La suite, il y porta attention avec tristesse. Son indélicate empathie se liant à la douleur de sa comparse. « Je comprends, mon amie... J’aimerais sincèrement pouvoir t’offrir une autre réalité que celle que nous avons. » Qu’une famille abandonne l’un de ses membres lui semblait être une sanction terrible et injuste. « Le comportement de ton père est bien trop trouble pour être honnête. »

La haine.

Avec prudence, il vérifia la quiétude des environs et l’absence d’oreilles indiscrètes. « L’un dans l’autre, je ne peux que te proposer des hypothèses. »  Face à de tels tourments, le monde devait paraître bien sombre et maussade à sa camarade. « En ce qui concerne messire Mortimer, je crains que la piste la plus plausible soit celle d’un enlèvement par les aurors ou par les moldus. » Rowan savait parfaitement qu’il nageait dans l’incertitude la plus totale. « Nous connaissons tous deux ses allégeances politiques. Et je ne vois pas Celui-dont-on-ne-prononce-pas-le-Nom s’en prendre à ses partisans les plus actifs et les plus utiles. » De ce qu’il avait entendu ici et là au Manoir Jedusor, leur ami commun avait plutôt bonne presse. Sa disparition ne pouvait venir que de l’autre côté. « Tout du moins, je n’ai pas entendu de tels échos. »

Rowan expliqua que l'élève qui l'avait insulté et offensé lui et sa famille n'était qu'un adolescent immature. Il avait une façon de rabaisser les personnes qui se mettait en travers de son chemin qui fit rire intérieurement Juliet. Effectivement, le Serpentard qui avait osé lancer de telles injures n'était qu'un imbécile. Encore un qui voulait se montrer important et plus haut que les autres.

- La réflexion aurait été une bonne chose avait de proférer de telles paroles.

La conversation qui s'ensuivit mit la jeune femme mal à l'aise. La crispation se ressentait dans con corps. Le Sinistros sembla touché par les mauvais événements qui avaient marqué les derniers mois de son amie. Elle lui envoya un sourire en signe de remerciement quand il signifia sa compassion et posa la main sur son épaule. Des mots qui la touchèrent et lui firent ravaler ses larmes. La compassion de son camarade de longue date avait suffit à la remettre quelque peu d'aplomb. Le pouvoir des mots.

- Merci, tes mots me vont droit au cœur.

Rowan fit part de ses hypothèses quant à la mystérieuse disparition de Dwight. Il évoqua la possibilité d'un enlèvement par les aurors ou par les moldus. Son dévouement à Voldemort n'était pas inconnu par les sorciers. Juliet quant à elle avait déjà pensé à une mission donné par le Maître et dont il ne saurait pas revenu, par impossibilité ou par choix. Peut-être avait-il décidé de tout quitter pour s'engager plus fervemment au côté des forces du mal. C'était une hypothèse à prendre en compte dont elle fit part à son interlocuteur :

- C'est une hypothèse à prendre en compte. J'en ai une autre. Il se pourrait que le... Brusquement, Juliet marqua une pause. Ses mots n'avaient pas été assez mesuré et elle avait été à deux doigts de laisser échapper des propos qui auraient eu de graves conséquences. Tu-sais-qui l'aurait envoyé en mission et soit il aurait disparu, ce qui rejoindrait ton idée ou bien il aurait décidé de ne pas revenir volontairement. Surement pour se consacrer à ses activités...

La jeune femme avait l'impression d'en avoir trop dit et de s'orienter sur un sujet de conversation délicat qui pourrait vite lui faire avouer sa nouvelle nature. Mais maintenant que le sujet était lancé, elle ne pouvait pas revenir en arrière ou en changer sans attirer l'attention de son ami qui se poserait d'autant plus de questions. Il ne valait mieux pas prendre de risque inutile. Elle avait bien trop de choses à cacher et ne pas les révéler était de la plus haute importance.

« En effet, je suis amplement d'accord avec toi. » Il continuait d'avancer, ne se préoccupant guère des alentours et de la neige qui recouvrait petit à petit leurs pas. Leurs étoffes coûteuses. Leurs chevelures. Toute ses pensées s'échinaient à cerner le comportement du jeune Zabini, jusqu'à éprouver une certaine forme d'empathie pour ce dernier. Lui aussi, d'une certaine manière, portait le poids du monde sur ses épaules. La lourdeur d'une société encombrante et vacillante.

De la même manière que leur présence en ces lieux s'effaçait progressivement face au temps et à son œuvre de glace, ils quittèrent cette conversation pour une autre.

La douleur de son amie, suintante et épineuse, courrait dans ses veines avec une vivacité désagréable. Bon sang. Qu'il haïssait cette situation. Le désœuvrement qu'il ressentait en présence de sa camarade et l'inaction notable dans laquelle il baignait. Ses doigts accentuèrent leur pression en guise de renouvellement de son soutien. De sa sympathie évidente.

« Je t'écoute. » Ses iris pâles guettèrent le silence et l'hésitation. « Autrement dit, une mission ayant tourné court... »  Les lèvres de Rowan se pincèrent brièvement. « Je dois t'avouer que je n'ai eu aucun retour de ce genre. Néanmoins, nombre de choses restent nébuleuses dans cette histoire... Et nous ne pouvons guère deviner les machinations de-celui-dont-on-ne-prononce-pas-le-Nom. »  En vérité, il préférait sincèrement ne pas en être informé. « Juliet, je doute qu'il abandonne ses proches pour... S'occuper des activités dont tu parles. Tant bien même qu'elles aient été baignées d'une aura vengeresse. » Devait-il vraiment détailler les problèmes auxquels souhaitait s'atteler Dwight ?

« Et... » Il hésita. « Compte tenu de la situation du monde magique, les mangemorts ont d'autres priorités que d'assouvir leurs plans personnels. Tu ne crois pas ? »

Les quelques mots de Rowan à propos de l'histoire avec le Serpentard, suffirent à clôturer la conversation à ce sujet. Il n'y avait rien de plus à en dire. Il était certain que le Sinistros prendrait soin de se venger de cet affront.

Le mystère restait entier au sujet de la disparition de Dwight et seules des hypothèses pouvaient être émises. Rowan n'était pas du même avis que Juliet et ne pensait pas que sa disparition était d'ordre personnel. Il n'avait pas tord. Les Mangemorts ne disparaissaient pas pour des affaires personnels. Cela était donc forcément lié à son statut de Mangemort. Un enlèvement était fort plausible.

- Tu n'as pas tord. L'hypothèse de l'enlèvement est donc à soulever.

L'Abraxan n'aimait pas s'éterniser sur ce sujet. Il était bien trop proche de ce qu'elle tentait de cacher. Il était plus sage de dévier la conversation sur un thème moins houleux.

- A part ces biens tristes nouvelles, que deviens-tu ?

Son raisonnement était idiot, puisque le fait de changer de conversation pouvait paraître tout aussi suspect aux yeux de son ami. Il allait très certainement s'intéresser à ce propos et se questionner. Elle maudissait cette rencontre et s'en voulait d'avoir accepté de le voir. Malheureusement, elle n'avait pas eu trop le choix, et puis la jeune femme ne voulait pas vexer son camarade en refusant de le voir. Sa seule solution avait donc été d'accepter et de tenter de se montrer discrète à son propos.

Le silence qui s’insinuait progressivement entre eux le mettait diablement mal à l’aise, derrière l’armature nonchalante qui le caractérisait tant. Les minutes qui s’effilochaient et s’estompaient dans un souffle d’agonie, à peine perceptible à leurs concentrations vigilantes, lui fit prendre conscience de la difficulté de leur entrevue. Non pas en ce qu’elle disait – converser des défaillances du fils Zabini n’avait rien d’une épreuve ; le sujet portant sur Dwight était par contre déjà plus sensible – mais en ce qu’elle se refusait à aborder.

Partagé entre le soulagement et la contrariété, Rowan s’agaça intérieurement du manque de finesse dont il allait devoir faire preuve. Selon toute vraisemblance, sa camarade semblait prête à endurer vents et marées plutôt que de se laisser piéger d’une quelconque façon. Elle n’aborderait pas de sa propre volonté son affiliation aux Ténèbres.

Si ce détail s’avérait être un atout considérable pour la suite des opérations, il n’en restait pas moins que les perches auparavant offertes... Avaient été trop subtiles. À moins que Juliet douta de son positionnement dans les tourments à venir – à dire vrai, entre ce qu’il paraissait être et ce qu’il était réellement, le gouffre se creusait continuellement ; jusqu’à risquer de l’engloutir – et préféra ainsi s’en défier ?

« En vérité, Juliet, plus j’y pense, plus cette théorie me semble être la plus probable. » Bon sang. Le jeune homme sentit ses muscles se raidir sous le poids de ce qu’il devrait donner de lui-même. Au moment où un soupçon de courage – et de fermeté lasse – s’agita au creux de son ventre, son amie embraya sur une tentative presque désespérée. Changer de sujet.

L’espace d’un infime instant, Rowan hésita. Avant de se raviser ; il n’aurait pas d’autre occasion. « Mon amie. Il me faut t’avouer une chose... Je n’en ai pas la certitude absolue, mais il me semble avoir été le dernier à rencontrer messire Mortimer. » Ce moyen était assurément le meilleur pour parvenir à ce qu’il souhaitait. Tout en étant douloureux. Pour lui. Pour elle. « Il venait quérir ma personne pour converser de choses diverses... Dont les convictions du Seigneur des Ténèbres. » Le seul fait d’avoir prononcé le titre du Maître lui brûlait les lèvres. Tant son affiliation aux mangemorts ne tenait que de la survie – jamais d’une appréciation personnelle. Jamais.

Et ce, en dépit des allégations – des suppliques ? – portées cette fameuse nuit de décembre par Dwight ; si jamais il advenait malheur aux fondateurs de leur ordre, il faudrait quelqu’un pour perpétuer cet héritage. Pour le seconder, lui, à la tête du dernier rempart des sorciers face aux moldus.