Je rêvais d'un autre monde.

HRP:

Le 20 février 1997.

Captivée par la chute incessante des flocons, elle s’était perdue en pensées quant à son passé et son avenir. Elle en vint à une conclusion qui tomba sur elle comme un couperet : il lui manquait quelque chose ou plutôt quelqu’un dans sa vie. Sans cet être, elle était loin d’être complète. Amputée. On lui avait arraché une partie de son coeur pour le donner aux chiens. Non, c’était indécent de qualifier les moldus ainsi et elle n’était pas son père. Son coeur était entre les mains des sans pouvoirs, ces êtres qu’elle ne connaissait que très peu, qui lui étaient étrangers mais si proches puisqu’ils détenaient un bien inestimable.

N’ayant pas de carte au trésor pour retrouver ce qui lui manquait, elle avait pris un carnet et un crayon de bois pour noter ses découvertes, autant d’indices dans sa quête. Vêtue d’une cape noire en laine, elle s’était vêtue sobrement pour ne pas attirer l’attention des moldus, étant donné l’atmosphère ambiante plutôt dangereuse pour les gens de son espèce. Pour se protéger, Isia avait glissé sa fidèle baguette dans l’une de ses poches. La prise de celle-ci se révélerait tout aussi rapide qu’efficiente. Mais elle chassa cette possibilité en secouant la tête, il ne fallait pas qu’elle réfléchisse ainsi.

L’Ecossaisie usa des moyens mis à sa disposition pour arriver dans le centre de Cardiff, ville qu’elle ne connaissait que très peu. Si ses gestes étaient calculés dans son monde, ils l’étaient d’autant plus ici, en pays hostile. Elle observa les personnes autour d’elle, notamment pour tout ce qui concernait les transports en commun. Isia avait bien pensé au détail monétaire et avait ainsi échangé quelques galions contre la monnaie courante en ces lieux. Pour se déplacer, il fallait d'abord introduire des pièces dans une sorte de machine pour recevoir un ticket que l’on.. elle ne savait pas. Ce dernier était étrange, avec cette bande marron qui scindait le papier en deux compartiments. Il y avait des inscriptions également, qu’elle imaginait être les indications quant à l’entreprise qui produisait ces petits laisser-passer. Quand un bus s’arrêta pour avaler un passant, elle se mit sur la pointe des pieds pour examiner son attitude et fut surprise par la marche à suivre. Intrépide et téméraire, elle monta dans l’un des bus amenant jusqu’au centre, non sans oublier de saluer le chauffeur avec une politesse peut-être un peu trop marquée au vu de son regard baigné d’incompréhension. Elle mima ensuite une personne devant elle en insérant son ticket dans une boite qui émit un son désagréable avant de clignoter, ce qui la fit sursauter. Le conducteur repartit ensuite dans une accélération qui fit chanceler la sorcière sur un moldu. Elle s’emmêla en excuses bredouillantes et partit s’asseoir dans un coin pour le reste du trajet.

Le coeur battant, elle quitta sa première expérience moldue et retrouva avec bonheur la liberté des rues du centre-ville. La main crispée sur sa baguette, elle déambula dans le centre, tantôt attentive aux devantures, tantôt happée par une personne qu’elle jugeait étrange. Isia suivit l’une d’elle dans un café au nom intéressant « Le Rendez-vous » qui se trouvait non loin d’un centre commercial, sa prochaine cible. Il lui fallait absolument un remontant avant d’affronter la foule d'étrangers. C’était donc armée de son plus beau sourire qu’elle se plaça contre le comptoir pour passer sa commande.

« Bonjour. J’aimerais, s’il vous plait, un jus d’oeillet. » Etrangement, elle articulait à outrance ses mots, comme si les non-sorciers ne comprenaient pas l’anglais ou qu’ils étaient amoindris intellectuellement. Ce n’était pas réellement ce qu’elle pensait, sans doute était-ce plutôt un réflexe dû aux nombreux sermons de son père. Le serveur, quant à lui, resta pantois devant une telle demande.

L'étonnement du serveur mis à part, l'ambiance du café était chaleureuse, faite d'un brouhaha agréable et de délicieuses odeurs où se mêlaient l'arôme du café et le parfum des pâtisseries juste sorties du four.

Le serveur, interloqué, commençait à darder sur Isia ses billes inquisitrices jusqu’à.. jusqu’à ce que se fasse entendre la voix d’un jeune homme qui le détourna totalement de son objet de curiosité. En comprenant que celui-ci parlait à sa place, les sourcils de la sorcière se froncèrent. Comment osait-il, le bougre ? Le changement dans son attitude fut subtil mais néanmoins voyant pour l’oeil curieux. Son corps s’était raidi tandis que sa mâchoire s’était contractée. L’équivalent ? Mais de quoi parlait-il donc ? Isia n’était pas folle et savait pertinemment ce qu’elle voulait. Un jus d’oeillet. La requête était pourtant simple. Joli minois. Ce serin de jeune moldu voulait-il concrétiser l’adage « sois belle et tais-toi » ? Oui, parce qu'elle l'avait pensé non sorcier, en premier lieu. Tout cela bien réfléchi, elle pouvait au moins lui attribuer une certaine audace d’oser s’imposer ainsi en la ridiculisant.

Ses paroles n’étaient cependant rien face à ses gestes oppressants. Sa chair se transforma en marbre quand il se risqua à mettre son bras sur ses épaules. Si son corps pouvait transmettre ses émotions, le givre viendrait engloutir l’inconvenant et lui brûler la peau. Mais elle n’en était pas capable, il pouvait en remercier le ciel. Impassible à l’extérieur, il n’y avait que ses yeux électriques qui tentaient de neutraliser son vis-à-vis sans y parvenir. Cependant, elle put noter que ce petit manège avait, en quelque sorte, rassuré le serveur qui, comme l’imbécile heureux, vaquait maintenant à ses occupations l’esprit léger. Enfin, les mots salvateurs vinrent rompre la glace et Isia se détendit.

« Très bien, tout ceci est noté. J’imaginais simplement cette boisson comme commune. » lui répondit-elle, sur le même ton de confidence. Il commanda ensuite et proposa de régler leurs deux commandes. Elle apprécia sa politesse qu’elle récompensa d’un sourire et ne se permit pas de le contredire sur ce dernier point. Même s’il avait été impertinent, il lui avait sans doute évité quelques échanges plus houleux avec le moldu. Par conséquent, elle ne pouvait rabaisser son égo en proposant de partager l’addition.

Puis, par un geste lent mais précis, elle se dégagea de son contact, sans se départir de son sourire. « Pouvons-nous parler de notre Université ou est-ce également un secret ? » A sa question, son sourire se logea au coin de ses lèvres, pour parachever des paroles soufflées sur un ton mutin. « Ne devrions-nous pas plutôt utiliser notre verbe pour quelques logogriphes ? Afin d’égarer les oreilles indiscrètes et nuisibles. » Elle fit une pause, le temps d’examiner avec plus de précision son interlocuteur. « Pour parachever les présentations, voici la mienne. Je suis Isia. Isia Neige O’Hara, de la confrérie Abraxan de notre si belle et mystérieuse Université Haveirson. » Ses yeux pétillaient de malice tandis que son regard s’ancrait avec plus de force dans celui qu’elle connaissait à présent sous le prénom de Skyler.

« Dis-moi, Skyler, connais-tu d’autres secrets sur ce monde.. ? Des convenances, des attitudes, des codes.. que je n’ai pas le loisir de connaitre. » Son maintient, ses gestes calculés, sa façon de s’exprimer, tout cela semblait venir d’un autre siècle tant est si bien qu’elle ne semblait pas à sa place dans ce Starbucks-like. Un autre espace, plus guindé, moins libre, plus austère, moins joyeux. Personne n'écoutait autour d'eux, ils étaient pour l'instant seuls.  

Au.. quoi ? Taboo ? Sans doute avait-il aperçu son haussement de sourcil puisqu’il s’expliqua peu de temps après. En réponse à sa question, qui n’en était peut-être pas une, elle hocha légèrement la tête. Ne pas parler trop fort, ne pas se faire remarquer, c’était dans ses cordes même si en venant ici, elle aspirait à un peu de liberté.

Sa boisson prête et servie, elle fut agréablement surprise de constater que ce jeune homme avaient d’agréables manières. Elle joua alors son ombre en suivant ses pas jusqu’à une table à l’écart. Une nouvelle fois, il fit preuve de son éducation en lui offrant sa chaise sans qu’elle ne soit obligée de faire le moindre effort. Un sourire sincère naquit sur ses lèvres face à une telle attitude. « Je te remercie » fit-elle en recueillant son verre. Isia écouta ensuite attentivement, sans lui couper la parole, riant avec maîtrise à ses plaisanteries sans savoir qu’elle était l’origine de ses moqueries. Si elle avait su, sans doute aurait-il senti ce gouffre qu’il n’appréciait pas avec les Serpentards.

Une nouvelle question fusa, entrant en collision avec le mur qui protégeait sa vie privée. Une seconde, elle tiqua, ses sourcils se fronçant très légèrement alors que sa bouche formait une fine ligne. Et puis, ce qualificatif « fille comme toi » la laissait quelque peu perplexe. Qu’était-ce donc une fille comme elle ? Elle avait bien une idée en tête mais préférait que ce soit à lui de l’éclairer afin de ne pas créer de quiproquos.

« Une fille comme moi ? Qu’entends-tu par là ? » le questionna-t-elle en faisant tourner sa boisson dans son contenant. La suite s’avérait un peu plus complexe à expliquer, si, bien sûr, elle souhaitait la lui révéler. Son histoire était connue de certaines hautes sphères, discutée même, ce qui la chagrinait fortement. Assez pour qu’elle ne souhaite pas que les Sang Mêlé ou les Sang de.. Mh.. que ceux d'ascendance moldue soient au courant. En espérant trouver une réponse dans le bois de la table, elle observa les défauts de celle-ci, passa son doigt sur l’un d’eux avant de relever les yeux sur Skyler. Elle le fixa alors, cherchant à lire en lui, savoir quoi lui dire pour garder son contact tout en n’allumant pas le brasier de sa curiosité.

« J’avoue être victime de ce défaut qu’est la curiosité. Déchiffrer les usages, les coutumes, saisir leur manière de penser, notamment cette haine viscérale que certaines personnes peuvent ressentir à notre égard. Je parle bien évidemment de nous, les sorciers, au regard des derniers événements. Néanmoins, ce n’est pas tout.. » Sans le lâcher des yeux, elle plaqua son dos contre le dossier de sa chaise. « J’ai l’envie extravagante de jouer à la moldue. M’aideras-tu dans cette entreprise ? Cela doit rester secret, indubitablement. Ce serait fâcheux que certaines figures soient averties de mon péché mignon. » De nouveau, la malice prenait possession de son regard et de ses lèvres.

« Par conséquent.. dis-moi.. si je devais me créer une identité, où devrais-je aller afin de valider ma.. mh.. » Isia se mordit les lèvres en réfléchissant au mot adéquat. « .. mon existence chez eux ? »

La gêne devait être la maîtresse de son esprit avec cette avalanche de mots entrecoupés de silences et d’hésitations, le tout recouvert d’une pommade que l’on pouvait juger indigeste. Si ses mimiques l’avaient ravi, qu’en serait-il de son rire ? Parce qu’il vint, libre mais néanmoins mélodieux, sans qu’elle n’eut le temps et l’adresse de le stopper. « Oh, je te prie de m’excuser. J’avais oublié la fraicheur que peut avoir un garçon hâbleur. Continue.. continue.. » parvint-elle à lui souffler.

Isia inspira pour calmer son rire, ce dernier se logeant dans son regard pour le faire briller. Evidemment, elle ne se formalisa pas du discours de Skyler. Au contraire, c’était rafraichissant. Peut-être qu’avec lui, elle arriverait à retrouver son côté enfantin, laissé de côté depuis quelques années. Pour faire passer les reliquats de son hilarité, elle but une première gorgée de sa boisson. Si elle retrouvait un léger goût végétal, ce lait de soja était bien différent de son si apprécié jus d’oeillet. La connaissance venait avec un certain sacrifice..

Une constatation qui resta coincée dans sa gorge quand il lui révéla sa passion. La psychologie. Elle allait donc se faire décrypter, comme un sujet d’étude. La moindre de ses réactions serait notée, gravée quelque part dans son esprit et il y reviendrait sûrement plus tard pour tenter de dresser un portrait d’elle. Très bien. Au moins, il avait eu l’honnêteté de lui révéler ses buts et ses envies, elle n’aurait donc pas la surprise de se découvrir complètement à nue sur une quelconque gazette spécialisée. Quel en serait le titre ? Une Sang Pur pas si pure, non, trop commun. La belle et la bête, plus fin. Ses sourcils se haussèrent et elle se mordit les lèvres pour ne pas rire de nouveau. Vraiment.. ses manières étaient loin d’être celles d’une dame. Il fallait qu’elle se reprenne.

« Je te souhaite du courage pour ne pas te noyer dans les méandres de l’esprit humain ou sorcier. » Y avait-il d’ailleurs une distinction ? Un genre différent ? Sûrement que non. Peut-être que si, si on écoutait les élucubrations de certains mages. Enfin, vint la réponse à sa question. Une carte d’identité. Mairie. La plus proche de sa maison.. Aurait-il commis cette faute ? Aurait-il eu l’outrecuidance de laisser son fils parmi des moldus, si proche de lui ? Elle en doutait. Mais pourquoi pas.. ce serait un commencement. Et puis, l’entremetteur ne devait pas être si éloigné de lui. La mine de la sorcière se fit un brin plus sombre, ce qui n’échappa certainement pas à l’observateur curieux qu’était son vis-à-vis. Forcément, la question attendue ne se fit pas attendre, mais elle l’avait anticipée. Si bien que cette fois, elle put lui offrir un sourire on ne pouvait plus sincère, bien qu’à l’intérieur, les ténèbres enserraient son coeur.

« J’aimerais, oui. J’ai l’impression que c’est une première étape extrêmement importante. Cependant.. cela risquerait d’apporter un peu de lumière sur moi. Pourrais-je en créer une ? Possèdes-tu un modèle ? » Et puis, sentant que cela ne l’amusait guère, elle enchaina. « Mais, dis-moi Skyler, si tu voulais faire découvrir le monde moldu à une sorcière comme moi, que ferais-tu ? Attention, j’aspire à de l’inattendu, à de l’extraordinaire ! »