Il est 22h, et tout va bien [Libre !]

Le 22 février 1997

Le troisième aller-et-retour fut le bon. La raison avait enfin chassé les étudiants les plus appliqués vers leurs chambrées, laissant planer une atmosphère plus intimiste dans la salle commune. Le feu crépitait toujours joyeusement dans son âtre de pierre, témoin intangible que la soirée n’était pas encore bien avancée. Pour Clemens, elle commençait même tout juste. Il avait impatiemment attendu que le salon se vide. Si il n’était pas dérangé par une présence lorsqu’il travaillait, le sujet sur lequel il désirait se concentrer était cependant… délicat. La rumeur de l’existence d’un caveau de la famille Peverell dans la forêt entourant Haveirson ne courrait pas encore les couloirs de l’académie. Or, il tenait que ça ne change pas.

Vers vingt-deux heures, il se laissa donc tomber dans un fauteuil, installé un peu à l’écart. Son grimorie sous le bras, il avait hésité pendant un instant à frapper à la porte de Lanalia, pour l’exhorter à le rejoindre. Mais, planté devant le panneau de chêne, il s’était ravisé. Lana était une demoiselle de parole, elle viendrait. Rowan n’était pas encore remonté de la bibliothèque — ou de l’endroit où il jugeait bon de passer ses soirées ces derniers temps, qu’en savait-il, au fond ? Il ne s’y rendait jamais lui-même — mais l’Allemand ne doutait pas que l’esprit vif de son colocataire se laisserait piquer par une telle énigme. À la périphérie de son champ de vision, il devinait même quelques regards intrigués rivés sur lui, et il se surprit à souhaiter les voir s’approcher pour épancher leur curiosité. La cohésion de Serdaigle lui manquait.

La couverture du grimoire laisser encore échapper des relents de pourriture, malgré le bon état du cuir, et quelques semaines passées juste à côté de la fenêtre. Clemens grimaça de dégoût, tandis que l’odeur le ramenait dans la tombe et faisait défiler devant ses yeux le souvenir de leurs sinistres découvertes. Sinistres, mais terriblement excitantes. L’étudiant fit glisser une main hésitante sur la couverture aux lettres incrustées d’or. Il n’y avait certes pas encore consacré beaucoup de temps, mais ses maigres réflexions l’avaient laissé dans des impasses quant à ce titre étrange. Charmes de protection pour les châteaux. Ses pérégrinations dans Haveirson lui avait plus donné l’impression de se faire attaquer arbitrairement, que de déclencher des défenses.

Le Comte connaissait-il seulement l’existence de cet ouvrage ? Dissimulé dans sa tombe de granit, ni l’état du caveau, ni celui du livre ne donnait quelconque suspicion d’une manipulation récente. Peut-être était-ce précisément la pièce manquante dans le plan du directeur anonyme ? L’Allemand chassa cette pensée d’un hochement de tête agacé. Le grimoire n’aurait pas manqué de disparaître, ainsi placé en évidence dans un dortoir surveillé. Un bruit de pas, discret sur le parquet bien entretenu lui fit lever les yeux et interrompit ses pérégrinations mentales. Sa bonne amie la curiosité venait de réclamer son dû à un de ses confrères, et poussait de la compagnie dans sa direction.

Il est 21h 47 quand je lève les yeux de mon livre. Quelque part dans mon esprit, une petite cloche tinte et semble vouloir me rappeler quelque chose. Je hausse les épaules, incapable de me rappeler ce que ça peut bien vouloir dire. À 22h 14, l'alarme retentit à nouveau dans ma tête. Je pense que j'ai quelque chose de prévu ce soir. J'essaie de me concentrer, je creuse mes souvenirs à la recherche d'une réponse et....

AH. Clemens!

Il m'a dit qu'il voulait commencer les recherches ce soir concernant le livre que nous avons trouvé tous les deux dans la tombe de Cadmus Peverell. Oups, je suis un peu en retard. C'est pas bien compliqué, je suis toujours en retard. Il le sait, il me connaît. Je sais aussi qu'il sait que je viendrai.

Je ferme donc mon livre après avoir placé mon signet et je le pose sur ma table de chevet avant de me lever et de m'étirer longuement. J'enfile un pull de coton blanc avec des motifs jaune et vert fluo par dessus mon t-shirt pyjama, je noue mes cheveux en une queue de cheval et je sors de ma chambre, non sans emporter le retourneur de temps avec moi ; celui que j'ai trouvé - et pillé - dans la tombe que j'ai trouvée avec Clemens. Je frissonne rien qu'à repenser à cette soirée que nous avons passée tous les deux, au coeur du bois entourant l'Académie, victimes de choses étranges et témoins de découvertes macabres.

Je pense qu'il est temps que nous nous penchions plus sérieusement sur nos découvertes, surtout après tout ce qui s'est passé depuis le retour des vacances de Noël à Haveirson. Le Comte, ce directeur énigmatique que nous n'avons jamais rencontré encore, semble vouloir mener son château avec une main gantée de fer et je n'ai pas été épargnée par les phénomènes étranges qui se déroulent ici... ce qui active encore davantage ma curiosité.

- Bonsoir Clemens ! Tu vas bien?

Mon ton est jovial, je suis contente de le voir. La salle commune est presque déserte. Je me dirige vers le bar et je choisis une bouteille de vin rouge, que je débouche à l'aide du limonadier aux couleurs de la confrérie.

- Tu m'accompagnes ?

Je lui pose la question en désignant la bouteille et il acquiesce. Je souris et je verse le vin dans deux coupes avant de m'avancer vers lui, de lui tendre la sienne et de m'assoir sur un fauteuil moelleux. Je sors de ma poche le retourneur de temps, que je dépose sur la table basse devant nous, comme une pièce à conviction attendant d'être examinée.

- Est-ce que Rowan viendra?

En fin d'après-midi, le jeune aristocrate s'était posé avec nonchalance et détermination dans un coin de la bibliothèque. La quiétude des ouvrages poussiéreux et la concentration silencieuse des autres individus présents, lui laissèrent l'opportunité de se concentrer et d'étayer ses recherches actuelles. Celles mandatées scrupuleusement par son maître de politique, afin qu'il poursuive sans discontinuer les exercices nécessaires à leur travail en commun.

Au fil des heures, les ouvrages glissèrent entre ses doigts fins et tendus. D'une certaine manière, il fuyait l'effroyable vérité des derniers jours et tout ce que les terribles événements endurés impliquaient présentement, en s'échinant à étudier. En permanence. Il se permettait toutefois de fébriles écarts en compagnie de ses proches, dont certains avaient diablement besoin de son intervention. Du pragmatisme et de la dévotion de son esprit.

Au moins, les affres licencieux et piquants s'en trouvaient éloignés. Quoi que la rage, gorgée d'injustice et d'incompréhension, tardait encore à se dissoudre dans des problèmes plus urgents. Devait-il s'effrayer de la persistance de cette colère face au désamour ? Peut-être. En l'occurrence, l'ancien Serpentard referma le manuscrit d'hypnose d'un geste vif et pressé. Sinistros l'attendait, et il ne comptait assurément pas mettre en retard ses compagnons.

Ancré dans une distance froide et ciselée, considérée comme légendaire et définitivement aristocratique, Rowan quitta son repaire d'opuscules. Il estima préférable de se rendre dans la salle commune de sa confrérie. D'autant plus que son colocataire devait l'y attendre. Ainsi que d'autres braves.

D'un pas lent, maîtrisé jusqu'à la perfection, le jeune homme intégra le décor tout désigné de sa confrérie. Ses iris céruléennes se posèrent sur les silhouettes de Clemens et de Lanalia, dont la dernière interrogation perça la tranquillité de l'espace et du temps. Délicate ironie, compte tenu du parallèle tendrement désigné par le retourneur.

« Et bien, à l’évidence, j'en suis. » Sans se presser, il s'était présenté à leurs regards. S'insinuant dans la proximité de ses camarades, non sans une brève esquisse de sourire et une salutation d'usage. Pleine de politesse et de sympathie, en inclinant le visage.

Son regard se posa sur Lanalia, et la vue fit naître sur ses lèvres un discret sourire affectueux. Ils se connaissaient depuis longtemps, assez pour se contempler dans une tenue aussi détendue qu’un pyjama aux couleurs joyeuses sans en éprouver une gêne quelconque. Les rares flirts auxquels ils avaient pu s’adonner n’avaient débouchés que sur des éclats de rire et de bons souvenirs. Clemens appréciait cette relation égale et sans équivoque, à laquelle ils pouvaient revenir après des semaines comme s’ils s’étaient encore parlés hier. Chaque heure passée avec la jeune femme était aussi intéressante que simple, ce qui faisait d’elle une compagne d’une valeur rare.

— Bonsoir Lana !

Il acesquiesça rapidement à la proposition d’un verre de vin, dont il avait déjà éprouvé la qualité offerte à Haveirson. Le Comte, malgré ses nombreux défauts, ne lésinaient en rien sur le luxe et le confort déployé pour les étudiants. Chaque souhait semblait être anticipé, sauf les plus ardents peut-être : la liberté, la connaissance et le brin de folie si nécessaire à de jeunes adultes cherchant à se créer un avenir. L’Allemand se sentait tiraillé entre deux opinions ambivalentes, tant il n’avait rien à reprocher à leur bienfaiteur, en dehors de ses exagérations personnelles. Pourtant, un brin de rancune flottait tout de même pour le directeur et son sens de l’humour passablement déplacé. Or, le sentiment était assez inhabituel pour lui pour qu’il l’intrigue plus que de raisons. Le nez plongé dans son verre de vin afin d’en goûter les fragrances, Clemens ne remarqua l’arrivée de son meilleur ami que quand celui-ci les gratifia de son timbre grave et posé, dans lequel on décelait néanmoins une touche rieuse.

— Je suis heureux que vous ayez tous deux trouvés à vous libérer, même si j’avais espéré que d’autres curieux ne restent pas insensibles à notre petit manège… Il exagéra une moue dépitée en couvant les rares présents du regard. Mais soit, peut-être se laisseront-ils tenter plus tard. Voici donc la source de l’odeur un peu désagréable du fond de notre chambre, Rowan. Je ne sais pas si tu as pris la liberté d’y jeter un œil, en tous cas, je n’ai moi-même pas eu beaucoup de temps à y consacrer. Tout ce que nous savons pour l’heure, c’est qu’on l’a déniché dans le caveau d’un certain Cadmus Peverell et qu’il s’agirait d’un grimoire voué à protéger les châteaux.

Installé en tailleur dans un fauteuil recouvert de velours, il imposa une rotation à l’ouvrage afin de rendre son titre aisément lisible par ses deux confrères. Il jouait distraitement avec son verre, manquant une fois de renverser quelques gouttes de vin sur le vieux pull enfilé pour l’occasion, et affichait une mine perplexe. La raison d’être du livre était une énigme dont il ne se séparait pas vraiment depuis sa découverte, pourtant, aucune solution cohérente ne lui apparaissait. Rien de plus que ce qu’ils avaient déduits durant leur escapade.

— Je ne parviens toujours pas à démêler le mystère qui entoure l’existence de ce livre. Une telle tombe doit forcément camoufler quelque chose de précieux, ou d’important du moins, mais je peine à croire que toutes ces richesses soient restées là durant toutes ces années sans intéresser personne… Et il me semblerait un peu louche qu’on puisse tomber si facilement sur ce caveau si d’autres personnes sont à sa recherche. Sans parler de l’étrange fantôme qu’on a vu y poser des fleurs.

L’étudiant posa ensuite un regard interrogateur à Lanalia, curieux de savoir si elle avait fait d’autres recherches de son côté, ou si un autre détail de leur aventure lui avait livré une quelconque information utile pour la suite. Clemens se tourna ensuite vers Rowan, dont les connaissances encyclopédiques représentaient un atout majeur dans de nombreuses situations. Il ne doutait pas un instant que son ami reconnaisse le nom des Peverell, mais là où Lana et lui s’étaient limités aux contes et aux légendes, peut-être Rowan pourrait-il leur fournir une piste plus factuelle.

Une voix se fait entendre derrière moi et je reconnais immédiatement Rowan, le colocataire et ami de Clemens et notre collègue à Sinistros. Rowan, comme Clemens bien que dans une très moindre mesure, a toujours fait partie de mon entourage. Nous étions tous les trois de la même promotion à Poudlard et nous avons pour ainsi dire grandi ensemble. Rowan... Rowan. Rowan m'a toujours fascinée. Je ne sais pas si c'est la Serdaigle en moi ou la simple femme, mais l'espèce de magnétisme froid qu'il dégage, ses regards perçants et son attitude unique ne m'ont jamais laissée indifférente. Moi, je le laisse indifférent. Du moins, c'est la conclusion que j'ai tirée après le râteau monumental que je me suis pris, à Poudlard, quand j'ai cherché à le séduire. J'en tique encore, rien que de repenser à cet embarrassant moment de ma jeune vie d'adolescente qui vient d'apprendre qu'elle peut charmer. Je déteste me faire dire non. Et Rowan a été le premier, peut-être même le seul à le faire vraiment.

Je chasse ces souvenirs pour essayer de me concentrer sur le moment présent. Nous avons d'autres chats à fouetter et l'occasion de le redécouvrir sous un nouvel angle, quelques années après cet événement, est trop belle pour que je la laisse passer. Je lève donc le regard vers lui et lui souris, sincèrement ravie de le voir.

Je porte ensuite ma coupe à mes lèvres et les y trempe en posant mon regard sur Clemens, l'écoutant attentivement. Quand il fait pivoter l'ouvrage pour nous le montrer, je me penche un peu vers la table et examine les mots gravés sur la couverture de cuir.

- Je suis d'accord, ce qui se trouvait dans cette tombe est forcément précieux. La question est... est-ce que c'est précieux pour nous, pour la communauté magique ou pour le Comté de Haveirson ou était-ce précieux uniquement pour la personne qui était enterrée là?

Les images de la dépouille me reviennent en mémoire et un frisson me traverse l'échine.

- Après tout, c'est assez commun dans plusieurs cultures de vouloir être enterré avec des effets personnels particuliers. Peut-être la personne avait-elle un attachement sentimental pour ce livre ? Bon... Je m'écoute parler et je me dis que c'est pas tellement plausible, mais ça reste une possibilité...

Je médite un instant les paroles de Clemens et lève les yeux vers lui, perplexe.

- Est-ce que tu insinues que quelqu'un aurait pu placer les objets dans la tombe après la mort de ce Cadmus Peverell ? Et... dans le but que quelqu'un comme nous les trouve ?

Cette idée me donne froid dans le dos. L'idée d'être un simple pion manipulé par des esprits plus grands et dont j'ignore l'identité et les motivations frustre grandement ma curiosité et mon orgueil.

- Si c'est le cas, alors ces objets ont une importance certaine... As-tu lu ce que contenait le livre ? Rowan, qu'est-ce que t'en penses ?

Peu de temps après son arrivée auprès de ses deux camarades, la voix de l’Allemand cibla directement leurs prérogatives. Une nécessité bien pensée et impérieuse, compte tenu de ce qu’ils avaient à rattraper sur les détails de cette affaire ; tout du moins, de son côté à lui. Nul doute que son absence lors de l’excursion dans les bois coûterait à l’entière mesure de l’élément présentement étudié. Et que, devant l’immensité de son désarroi avéré, quelques indications bien placées lui sauverait la mise.

Sauf si l’opuscule abordé sous les lueurs du soir, se révélait suffisamment compréhensible à leurs yeux érudits. « Étant donné le fort peuplement de notre confrérie en anciens adeptes de Rowena, je doute que notre petite entrevue reste intimiste. » L’ombre d’un sourire égayé frôla les lèvres de l’ancien Serpentard ; lui qui était devenu une étrange exception dans cette demeure allouée au Sinistros. « Je suis ravi de mettre un nom sur ce qui abîme irrémédiablement la sainte odeur de nos appartements. Toutefois, j’espère que tu pardonneras ma vigilance toute particulière à l’encontre de cet ouvrage... Je n’ai pas encore osé m’aventurer au creux de ses pages. »

Pour une raison qu’il ignorait, sa verve semblait promptement disposée à quelques accents malicieux. Un état rare à constater dans la teneur de ses allégations, autant que dans la maîtrise presque implacable du masque nonchalant qui bordait en permanence les traits acérés de son visage. « Cadmus Peverell. Bien. » À ce nom, pourtant, son regard céruléen s’était passablement assombri. Il évoquait en lui des souvenirs abscons et difficilement identifiables ; plus proches du chaos d’une adolescence tourmentée que d’une paisible après-midi studieuse.

L’autre élément avancé par la bouche de son colocataire le laissa songeur. S’ils essayaient de percevoir la chose sous un angle dispensé de tout contexte, un tel grimoire n’apportait rien de concluant. Or, au vu de ce qu’ils vivaient depuis plusieurs mois et de ce qu’ils connaissaient du lieu, une telle notion ne se révélait pas assez étrangère à leur situation pour passer entre les mailles du filet.

À cette considération impétueuse, s’enchaînèrent plusieurs autres observations ; toutes plus inquiétantes. Se mêler au désœuvrement des fantômes n’était jamais une quête aisée ; surtout s’ils impliquaient des forces anciennes. Celles connues de tous par le biais des légendes. La mort. La vie. L’amour. Des essences aptes à dépasser la seule condition humaine.

En un lent mouvement, le jeune homme se décida à attirer une chaise sur laquelle prendre place, tandis qu’il prêtait précautionneusement attention aux propos de Lanalia. « Et bien, il faudrait pouvoir dater l’ouvrage avant toute réflexion. Ne serait-ce que pour lui donner son âge, et envisager quelle piste suivre. » Ses doigts fins et pâles se portèrent vers la couverture surannée. « Au mieux, nous devrions trouver les indications usuelles en début ou en fin de l’œuvre, si elle en comporte. Au pire, nous pouvons user de méthodes plus... Techniques. » Ses iris pâles et inquisitrices se plantèrent tour à tour dans leurs différentes jumelles. « Si nous n’organisons pas un minimum notre étude, nous risquons de nous focaliser sur des détails impossibles à relier les uns avec les autres. » En silence, il se remercia d’avoir scrupuleusement écouté les enseignements de Binns. « En partant de la datation, nous pouvons envisager l’auteur et le lecteur supposés... Ainsi que les raisons de la présence d’un tel opuscule dans un tombeau de la lignée Peverell. »