Avis de tempête [Drago]

Ouais fin ça faisait un peu chier de s’entraîner avec un temps aussi merdique. Il y a quelques jours, Drago avait pu profiter d’un super temps, mais aussi d’un super cognard — merci Mlle O’Neill. Là, il pouvait voler peinard, mais le ciel ne semblait pas d’accord. Ils auraient pu repousser la séance d’entraînement, mais étrangement Blaise n’y tenait pas plus que ça. Drago avait suivi, en en rajoutant une couche, comme si cette session était son idée propre. On n’allait pas s’afficher en mode soumis à un meilleur ami qui avait des idées à la con, quand même ?

Finalement, même sous la pluie, ça lui faisait du bien de remonter sur son balai. Ils avaient lâché le Vif d’Or, pour qu’il puisse lui aussi s’entraîner à l’attraper. Enfin, d’abord, faudrait pouvoir la voir, cette saloperie ! Drago repositionna ses lunettes anti-pluie, mais il n’y avait rien à faire, il ne voyait rien. Il tournait en rond au-dessus du stade, observant ce qu’il se passait sous lui. Blaise, Crabbe et Goyle se mouvaient comme ils le pouvaient avec cette averse, mais ils avaient l’air de pas trop mal s’en tirer.

Jusqu’à ce que Vincent se pose et descende de son balai. Il n’avait pas été spécialement enthousiasmé par l’idée de s’entraîner d’un temps pareil et Drago pouvait le comprendre. Il poussa un soupir, chercha du regard Blaise et vit… Le Vif. Sans attendre, Drago oublia ses coéquipiers et se jeta sur la balle dorée, essayant de la suivre du mieux qu’il put. Il faillit désarçonner Goyle au passage, mais il finit par réussir à le chopper, ce petit enfoiré. La preuve que même par un temps merdique, Drago n’était pas complètement inutile à son équipe. Après une longue inspiration, il se dirigea vers le sol et les vestiaires, et descendit lui aussi de son balai.

— Hé ! Blaise ! Dépêche j’ai la dalle !!!

Ils n’avaient pas mangé, et franchement, c’était bon là, ils n’allaient pas s’améliorer drastiquement en restant dix minutes de plus sous la tempête. D’autant plus que la nuit tombait, et qu’ils n’allaient bientôt plus rien y voir.

Blaise faisait sa mauvaise tête depuis quelques temps, et Drago n’avait pas spécialement envie de faire des efforts pour arranger les choses. Cet entraînement, c’était un peu la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Pourquoi insister pourvenir voler sous la pluie et finir dans la boue ? C’est bon, ils n’étaient pas à une heure d’entraînement près… Et puis comme venait de le hurler Drago, il avait la dalle.

Les garçons descendirent de leur balai, investirent les vestiaires, et commencèrent à se changer. Drago laissa derrière lui ses lunettes et son long manteau vert couvert de boue. La lassitude revenait maintenant que l’adrénaline du sport s’effaçait. Quand il était dans les airs, il oubliait tout, mais une fois au sol, il se reprenait sa triste réalité dans la face. Un long soupir s’échappa de ses lèvres, alors que Blaise maugréait derrière lui.

— On s’est détendus là, c’est bon, non ? L’étape suivante, c’est le bain de boue et franchement Blaise, très peu pour moi. Le marron te va mieux au teint qu’à moi.

Un rictus railleur étira sa bouche alors qu’il continuait de virer ses fringues. Oh, il ne prendrait sûrement pas sa douche ici puisque de toute façon, ils devraient repasser dehors, sous la pluie, pour rejoindre leur salle commune. C’était stupide de se laver maintenant s’il fallait tout recommencer dans une demi-heure voire moins.

Drago haussa un sourcil face à la mauvaise humeur de Blaise. Là, c’était lui qui était pénible. Le blond rejeta sa tête en arrière, lançant un regard on ne peut plus sérieux à son pote. C’était peut-être son meilleur ami, mais ça ne voulait pas dire qu’il ne pouvait pas lui voler dans les plumes de temps en temps.

— C’est toi qui est pénible là. J’ai pas vocation à devenir joueur d’aquaquidditch, tu sais. Je vois pas pourquoi on devrait rester sous la pluie une minute de plus…

Il baissa la tête, changeant ses chaussettes avant de tilter de quelque chose. Ce n’était peut-être rien mais bon, on ne savait jamais. Fronçant les sourcils, Drago se redressa et planta son regard bleu-gris dans celui, sombre, de Blaise.

— À moins qu’il y ait un truc qui te donne pas envie de rentrer. C’est quoi ?

Il ne prononça pas son nom, se contentant de regarder Blaise assez intensément pour qu’il le lise dans son regard. Daphné Greengrass.

Les paroles frappèrent Drago aussi violemment que la pluie cinglante l’avait fait au-dehors. Pas de Quidditch…? Quoi alors ? Oh, il avait bien une petite idée, mais il n’avait pas vraiment envie d’en parler. Pas du tout même. S’il pouvait juste continuer à jouer les autruches, ce serait parfait. Affichant son air le plus innocent, il fit mine de ne pas comprendre. Blaise ne se laisserait sûrement pas berner, mais on pouvait toujours essayer, non ?

Renvoyer la citrouille à Blaise, essayer de lui faire croire que c’était lui le problème, plus particulièrement, et que s’il voulait discuter, c’était seulement à cause de quelque chose qui le concernait lui. Drago n’avait aucune envie de parler de lui : s’il ne l’avait pas fait jusque là, c’est qu’il y avait une putain de raison. Et plus ça allait, plus le ton de Blaise ébrécha son orgueuil, le mettant à chaque fois un peu plus en rage. Jusqu’à ce que finalement, Drago n’explose.

— Dis-le franchement alors, au lieu de tourner autour du pot comme une vierge effarouchée !

Sentant qu’il était de bon ton de se barrer de là, Crabbe & Goyle disparurent promptement des vestiaires, laissant les deux amis régler joyeusement leurs comptes. Pas que Drago ait quelque chose à leur cacher, mais il préférait ça. Certains mots ne seraient destinés qu’à Blaise, et à personne d’autre.

— Qu’est-ce qui te gêne ? Parle, je t’écoute.

Reprenant un calme trompeur, Drago croisa les bras en fixant du regard son meilleur ami. Qu’est-ce qu’il allait lui sortir celui-là ? Et surtout, de quelle manière ? Blaise n’était jamais le dernier pour juger, et franchement, Drago en avait déjà mal d’avance. Surtout si son pote venait à évoquer le doux nom d’Yvain Gallant.

Putain la honte. En y repensant, Drago se souvint de l’accès de folie qui lui avait pris quand il avait rédigé une lettre anonyme à son autre meilleur ami. Yvain ne savait toujours pas de qui il s’agissait, et Drago espérait à demi-mots qu’il avait arrêté de chercher mais qu’est-ce que ça avait été con de sa part. Con, et carrément indigne. Il ne savait même pas où il avait trouvé le courage et la stupidité de faire un truc pareil. Il avait dû être défoncé ce jour-là.

Bref. Tout ce que tu veux Blaise, mais pas ça.

Il l’avait mis au défi, il l’avait poussé au pied du mur, si près que Blaise pouvait en détailler les briques métaphoriques, et il le regrettait amèrement. Quatre mots résonnèrent dans l’air, faisant presque écho dans les vestiaires vides. Ah, alors on en était là ? Drago planta son regard d’un bleu froid dans celui de son ami, d’abord perplexe. Puis méfiant et défiant. Cette mission dont il s’était vanté au début de l’année, il n’en voulait plus depuis longtemps. Elle le bouffait, le rongeait de l’intérieur. Elle le rendait maladif, l’empêchait de dormir, creusait des cernes sous ses yeux.

Il voulait la voir. Il savait déjà qu’elle était là, qu’elle l’attendait, mais il voulait la voir de ses propres yeux. La toucher, peut-être même. Drago ne savait quoi en penser. Il n’ignorait pas le point de vue de son ami sur la situation actuelle : il y avait fort à parier qu’il le soutiendrait. Seulement, le pourrait-il en voyant les conséquences que cette allégeance avait eu sur Drago ? Le pourrait-il en sachant que tout n’était qu’une punition indirecte pour les faux-pas de son père ? Il soupira, et lentement, il remonta sa manche.

Elle était là. Noire, tout en entrelacs qui serpentaient et rampaient sur sa peau, comme pour mieux s’insinuer en lui et tout lui prendre. Elle était là, symbole indélébile d’une soumission encombrante dont il ne savait plus que faire. Drago ne la dévoila que quelques secondes, avant de faire redescendre sa manche et de relever son regard vers Blaise.

— T’es content, maintenant ?

Yvain lui en voudrait sûrement de s’adresser ainsi à un ami qui pouvait potentiellement les rejoindre, mais Drago n’arrivait pas à ne pas être amer, compte tenu de la façon dont Blaise lui avait formulé sa requête. Et quand bien même, un Zabini pouvait être un atout de poids chez les Partisans, tout comme il pouvait être un poids tout court, avec leur politique d’ouverture qui ne manquerait pas de le faire tiquer.

— Tu vas faire quoi, alors ? T’avais raison. Bravo. Tu veux un pass backstage VIP ou quoi ?

Une drôle de façon de savoir s’il souhaitait le rejoindre dans sa merde, mais Blaise était assez intelligent pour comprendre. Du moins, Drago l’espérait. C’est vrai qu’ils s’étaient pas mal concentrés sur le recrutement en dehors de la maison ophidienne, mais avoir un noyau de Serpentards n’était peut-être pas une mauvaise idée. Sauf si Blaise l’ouvrait trop souvent. Faudrait le briefer. C’était chiant. Drago en soupira rien que d’y penser.

Voir Blaise se détourner comme si ce qu’il voyait lui donnait envie de vomir blessa Drago bien plus qu’il ne l’aurait imaginé, ou qu’il ne voudrait bien l’admettre. Et sa tentative d’humour noir saupoudrée d’auto-dérision ne sembla pas fonctionner non plus. Il devait se rendre à l’évidence : il était aussi pitoyable que les autres pensaient qu’il l’était. Blaise avait bien ri, mais c’était par dépit. Comme pour repousser le mauvais sort qui semblait s’acharner sur Drago. Ce dernier aurait dû considérer sa Marque comme un honneur, ce qu’il avait fait au début. Il s’était vite rendu compte qu’elle n’était qu’une malédiction de plus, un fardeau qu’il devrait porter jusqu’à la fin de ses jours. Voyons le côté positif des choses : ses jours n’allaient sûrement pas être bien nombreux désormais.

Voilà que Blaise lui rappelait son rôle de meilleur ami. Drago sentait venir le discours moralisateur mais pétri de bonnes intentions — bien cachées certes, mais présentes — de Zabini, mais il n’avait pas vraiment envie de l’entendre. Que pourrait-il y répondre ? Quelles étaient ses options ? Aucune. Il n’avait pas eu le choix, et il devait aller jusqu’au bout de la merde dans laquelle il s’était fourrée. Peut-être qu’en touchant le fond, il pourrait prendre appui et enfin remonter à la surface.

Il s’attendait à tout, mais sûrement pas à ce que Blaise lui sortit. Il lui faisait quoi là ? Une crise de jalousie ? Drago fronça les sourcils, perplexe et passablement vexé de l’attitude qu’avait son ami.

— Ça dépend de quoi tu veux parler.

Il cherchait à l’aider là, ou à gagner des points dans son duel avec Yvain ? Drago ne pouvait pas s’empêcher de se sentir blessé par une telle attitude, ce qui le rendit évidemment prompt à dire des choses plutôt regrettables.

— Et puis, en fait si. Il y a des choses que tu ne peux pas faire à la place d’Yvain.

Excédé, Drago se leva. Il repensait à sa propre folie, à son désespoir qui l’avait amené à faire et dire et écrire des choses complètement insensées. Heureusement, il se détourna juste avant que Blaise ne puisse voir la couleur de ses joues changer. De dos à son ami, il se crispa. Il y avait aussi des choses moins honteuses mais tout aussi dangereuses qu’Yvain pouvait faire, et que Blaise ne pouvait pas. Ils étaient liés dans le secret. Fermant son poing, Drago se tourna de nouveau vers Blaise.

— C’est de toi dont tu veux parler, hein ? Toujours toi. Rien que toi. Qu’est-ce que tu veux !?

Apparemment, pas un pass backstage VIP.

Drago avait sous-estimé son autre meilleur ami. Ce dernier se sentit parfaitement insulté quand le blond lui affirma que oui, il y avait des choses qu’Yvain pouvait faire et pas lui. Bon, aurait-il été à sa place qu’il aurait eu son ego grièvement blessé également. Il pouvait le comprendre. Mais ça ne changeait rien à la réalité. Blaise et Yvain étaient deux personnes si différentes, si opposées qu’il était d’une logique implacable que l’un ne puisse pas faire ce dont l’autre était capable. Et vice versa.

À moins que Drago ne se soit trompé, et que l’origine de l’indignation de son ami ne soit pas ‘rival’. Pour quoi faisait-il tout ça ? On pouvait se le demander, non ? Drago leva un regard perplexe vers son ami quand ce dernier affirma bien se foutre de la gloire. Sérieusement ? L’héritier des Malefoy en eut le souffle coupé, tant et si bien qu’il n’eut pas le temps d’interrompre Blaise avant que ce dernier n’enchaîne. Il ne voulait vraiment… rien ? Pourquoi vouloir le presser comme un citron alors ? Pourquoi le forcer à se révéler, si ce n’était pour entrer quelque part, ou utiliser cette information ? N’était-il pas comme les autres Serpents, une froide machine calculatrice ?

Drago avait bien mal jugé son meilleur ami pendant tout ce temps. Il avait l’air sincère. Il s’inquiétait réellement pour lui. Vu le nombre de câbles que le blond avait pété ces derniers temps, il avait dû lui en faire voir de toutes les couleurs. Pour un peu, Drago l’aurait presque plaint. Mais voilà, la dure réalité, la cruelle vérité restait la même.

— Si tu veux vraiment faire quelque chose pour moi, reste en dehors de tout ça.

C’était malheureux à dire, mais dans la partie de poker de Drago, Blaise était une figure encombrante. C’était une carte trop difficile à jouer, à double tranchant. Il préférait la retirer du deck, quitte à devoir se passer d’un allié de poids en cas de pépin. Et d’un ami résolument fidèle, envers et contre tout.

— La vérité, Blaise, c’est que je me débrouille très bien sans toi. Ton inquiétude me touche, sincèrement, mais il n’y a rien que tu puisse faire.

Au contraire. Il risquait de tout foutre par terre avec son caractère de merde et sa langue trop bien pendue. Parce que oui, il fallait se rendre à l’évidence : il y avait des choses que pouvait faire Yvain, et dont Blaise était désespérément incapable.

Ce serait faux d’affirmer que Drago n’avait pas besoin de celui qu’il considérait comme son meilleur ami. À titre personnel et émotionnel, il avait besoin de soutien, et Blaise, bien que n’étant pas la première personne à laquelle il aurait pensé pour ce genre de choses, lui offrait le sien. C’était digne, et c’était louable. Non, ce dont Drago n’avait pas besoin, c’était de ses idées et de sa grande gueule. Drago avait besoin de Blaise, mais Zabini aurait sûrement gêné Malefoy plus qu’autre chose. Le poids des responsabilités liées aux patronymes, et à autre chose. Cette Marque sur le bras, il pouvait la brandir en en étant fier, mais dans le fond, il se mentait surtout à lui-même. Il l’avait reçue en punition pour les échecs de son père, et pas comme l’honneur qu’elle devait être. Le chien de garde fier qu’il aurait pu être avait été trop maltraité et humilié pour ne pas avoir peur de son maître.

Tout ça pour dire que non, Blaise n’était pas le mieux placé pour être d’une aide quelconque à Drago. Ou du moins, pas plus qu’il ne l’était déjà. La remarque piquante de son ami le fit sourire, même si ce fut bien sûr de manière désabusée.

— Je ne m’en sors pas vraiment, et c’est aussi pour ça que je ne veux pas que tu t’en mêles. Que tu sois inquiet… C’est déjà assez pour moi, crois-moi.

Il était sincère. Son sourire se changea en une véritable expression de reconnaissance, même si en l’état actuel des choses, il était obligé d’envoyer bouler Blaise. Comme il le lui disait, il n’y avait rien qu’il puisse faire. Alors oui, il allait faire ce qu’il devait faire, de la meilleure façon possible. Il avait Yvain avec lui, et Harmony, et bientôt d’autres personnes mais pour des raisons diverses et variées, c’était bien mieux si Blaise ne s’en mêlait pas.

Avec un goût amer dans la bouche, Drago regarda son ami repartir s’occuper de ses affaires sans mot dire, avant de quitter rapidement les vestiaires. Lui s’attarda encore un peu, espérant à moitié que la pluie faiblirait avec le temps. Ce ne fut pas le cas, et il dut se résoudre, un bon vingt minutes plus tard, à braver les éléments pour regagner le château et au-delà, la salle commune des Serpentards.