Visages lointains | Camille A. Rosier

Ce lundi était une journée des plus banale pour Camille. Le soleil qui commençait à réchauffer peu à peu les températures hivernales lui avait fait oublié la reprise des cours, même si elle aurait préféré lézarder dans le parc avec un bon livre plutôt que de s'enfermer dans les classes. Heureusement, les lundi étaient des jours très peu chargé pour la jeune fille, et elle avait quand même eu quelques occasions pour se détendre. Elle aimait bien ces journées tranquilles où elle pouvait passer des moments avec ses amis sans trop se soucier de ses problèmes. Ses camarades avaient vite compris qu'elle n'aimait pas qu'on parle de sa famille plus que nécessaire, ainsi les discussions sur les mariages arrangés, les bals mondains, sa relation avec sa sœur, tout cela était facilement évité, et elle adorait ne pas avoir à y penser. Elle avait bien assez l'occasion de ressasser tout cela quand elle était seule.

Seulement voilà, une de ses amies avait fait une petite gaffe qui avait vite ternis la journée de la Rosier. Alors qu'elles discutaient tranquillement, elles virent Gabrielle passer à quelques mètres l'appela, ne sachant pas que Camille et sœur étaient en mauvais termes. Celle-ci avait immédiatement sauté sur sa camarade pour lui plaquer la main sur la bouche, ce qui donnait une scène fort peu flatteuse. Quand la grande brune tourna son regard vers le groupe de Poufsouffle, elle les observa dédaigneusement avant de continuer son chemin, la tête droite, le menton haut, fière. Pas un seule regard particulier pour sa sœur, juste du mépris. La jeune sorcière libéra son amie qui s'excusa. Un peu chagrinée mais ne voulant pas le faire apparaître, elle avait répondu en souriant, avant de s'éclipser en prétextant aller faire ses devoirs. Ce qui, en fait, était totalement vrai, surtout qu'elle avait l'habitude de travailler seule. Elle avait comme qui dirait un peu perdu l'appétit et elle préférait se changer les esprits en allant plancher sur son devoir d'histoire de la magie. Pour cela, elle préféra s'isoler. Elle connaissait un endroit bien plus pratique que la bibliothèque pour cela. Elle grimpa donc les grands escaliers de pierres, souriant aux quelques gens qu'elle connaissait pour ne pas propager sa mini-mélancolie. La verrière était un de ses endroits préférés pour travailler, un cadre magnifique et apaisant, et surtout, du silence. Peu d'élèves y allait, et le peu qui venait était discret, tout ce que la jeune fille demandait. Elle passa en coup de vent à la bibliothèque emprunter un livre sur la chasse au sorcières au Moyen-Âge. Certes, le sujet de son devoir n'était peut-être pas le plus propice pour se changer les idées, elle décida donc d'emprunter aussi un roman d'anticipation qui pourrait si son moral avait un peu trop chuter, de se vider la tête. Elle reparti vers la verrière, essayant de se dépêcher pour rattraper le temps perdu.

Arrivée au palier, elle se rendit directement vers la porte qui menait à la salle vitrée, sans faire attention à une quelconque autre personne. À cette heure là, la plupart des élèves bullaient dans leur salle commune et n'allait pas tarder à descendre manger, il y avait donc trèèèèès peu de chances qu'elle croise quelqu'un, et tant mieux. Elle marcha d'un pas sur vers la salle et la porte s'ouvrit dès qu'elle fut devant, laissant sortir un jeune garçon qui manqua de peu de la bousculer. Elle le reconnu directement, Aaron. Elle lui sourit en le voyant s'écarter pour se rattraper, puis elle vit le visage de son ami se figer une micro seconde, avant qu'il n'enchaîne sur une autre phrase. Elle en eut des frissons. Il souriait, mais ses paroles sonnaient creux. Elles semblaient fausse. Camille fut un peu déstabilisée d'abord, puis elle récupéra son sourire. Elle ne voulait pas inquiéter son ami, même si elle doutait qu'il en ait quelque chose à faire. Ils n'avaient plus parlé depuis presque un mois, et dès que la jeune fille tentait une approche, il se débrouillait pour fuir. Elle était un peu vexée, mais surtout triste du comportement de son ami, qu'elle ne comprenait pas. Aaron lui manquait.


Elle se mordait les lèvres. Elle voulait tellement lui demander ce qui le tracassait, et elle savait qu'elle n'aurait sans doute pas d'autres occasion de pouvoir lui parler. Elle était entre lui et l'escalier, il ne pourrait pas partir en l'ignorant, ou du moins, pas sans être très impoli. Mais elle ne voulait pas non plus le gêner, après tout il devait avoir faim… Non. Elle n'allait pas commencer à se chercher des excuses. Il fallait qu'elle lui parle. La situation la minait trop pour qu'elle la laisse comme ça, elle devait faire quelque chose, elle devait comprendre ce qu'elle avait fait, ce qui n'allait pas. Elle avait un peu baissé la tête en réfléchissant, sans s'en rendre compte. Timidement, elle attrapa la manche d'Aaron et se redressa, plantant ses yeux bleu dans ceux du jeune homme. Avalant sa salive, elle essayant de parler le plus calmement possible, laissant passer son inquiétude malgré son ton doux.

Rester digne. Elle se devait de rester digne, quoiqu'il arrive elle ne devait pas craquer. Maintenant qu'elle se tenait là, tenant Aaron par la manche et le fixant pour le forcer à rester, elle se rendait compte à quel point il lui avait manqué. Plusieurs fois elle avait essayé d'instaurer le dialogue, dans la salle commune, à l'heure du déjeuner, même dans le parc, mais il avait toujours trouvé une excuse pour s'éclipser. Au début, elle y avait cru, elle n'avait aucune raison de douter de lui. Au bout de la énième excuse vaseuse, elle avait compris qu'il y avait un problème, mais c'était trop tard et il était plus distant que jamais. Il n'essayait même plus de faire du pipeau, dès qu'il voyait la petite Poufsouffle, il s'en allait sans qu'elle n'ait le temps de rien faire. Sur le moment, elle se sentait un peu décontenancé, mais elle essayait d'oublier le plus vite possible pour pas paraître morose et n'inquiéter personne. Sauf que maintenant, seule face à lui, tous ces événements accumulés ressurgissait de la mémoire de la jeune Rosier.

Un mois sans s'adresser la parole, jamais. Et presque deux mois à essayer de s'éviter, progressivement. Certes, le fait de se voir de moins en moins, petit à petit, avait un peu adouci l'acte de Aaron, Camille ne l'avait pas directement senti comme un abandon ou une trahison, c'était beaucoup plus doux que la rupture que lui avait imposé sa sœur, mais au final, à l'instant, elle se sentait un peu dans le même état. Aaron était la personne qu'elle considérait le plus comme son meilleur ami. Pendant quatre ans ils s'étaient soutenu, surtout lui. Il avait été gentil et avait tout fait pour qu'elle se sente mieux vis à vis de sa nouvelle maison dont on ne lui avait dit que du mal, et vis à vis de l'abandon de sa sœur. Quatre ans où ils avait été proche, pour qu'au final il essaye de tout balayer en un petit mois.

Pour Camille, cet éloignement n'avait pas d'explication, elle n'avait pas réussi à en trouver du moins. Et comme Aaron refusait de lui en parler, elle en était venu à l'hypothèse qu'elle avait peut-être fait quelque chose qui avait déplu au jeune homme. Elle n'était pas sure que ce soit le cas, mais elle s'accrochait à cette idée. Elle se disait que si il avait eu un problème assez grave pour couper les ponts, il serait venu la prévenir pour ne pas qu'elle se sente délaissée. Cela voulait aussi dire qu'il n'avait pas assez confiance en elle pour lui parlait de ce qui le tracassait, et elle ne voulait pas envisager ça non plus.

Après un mini-silence, le Poufsouffle répondit, si on pouvait appeler ça comme ça, à la question de la jeune fille. Réponse qui laissa cette dernière sceptique. Elle baissa la tête comme pour réfléchir. Elle envisagea très rapidement l'idée que c'était elle qui se faisait des films et qu'au final, rien n'avait changé entre les deux, il avait juste moins de temps à lui consacrer à cause de ses études, bla bla bla. Elle n'y croyait pas elle même. En quatre ans on apprend à connaître quelqu'un, et elle savait qu'Aaron faisait en général passer les révision en second plan après ses amis, comme c'était le cas en ce moment avec sa copine. Elle les avait vu plusieurs fois ensemble, et elle avait été heureuse pour Aaron, mais elle se demandait maintenant si ce n'était pas elle qui avait ait changer Aaron. Elle en doutait, ses tentatives pour s'éloigner de la petite Rosier avaient débutés avant qu'ils ne soient ensemble. Puis il aurait au moins pu la prévenir. Ca ne collait toujours pas. Aaron se moquait donc d'elle avec cette réponse. Il savait très bien qu'il y avait un problème, mais il l'évitait encore, pensant peut-être que Camille se raviserait. Ce n'était pas son genre. Elle souffrait un peu trop de cette séparation. Elle inspira pour se donner de la contenance, et replongea ses yeux dan ceux de son ami.


Elle avait fini de parler dans un souffle. Elle avait peur d'avoir trop parlé et de peut-être l'avoir fait culpabiliser. Ce n'était pas du tout son but, mais elle ne voulait pas être trop vague, elle ne voulait pas lui laisser une autre chance de la faire douter. Maintenant, elle espérait qu'il ne pourrait rien faire d'autre que lui répondre. Elle fessera sa prise sur le tissu de la manche, et son regard se fit un peu plus déterminé. L'heure des explication avait sonné, elle ne le laisserait pas se défiler.