Will Sharen - We'll never be Royals

Je n’aime pas trop me regarder dans un miroir. Je ne le fais que quand je n’ai pas le choix, généralement le matin au réveil, ou quand je me brosse les dents le soir. La seule personne qui m’ait jamais dit que j’étais beau, c’est ma mère, donc ça compte pas. J’ai des yeux bleus, trop clairs par rapport à ces cernes qui se creusent dessous. Pourtant, je n’ai pas vraiment de problème de sommeil. Des cernes naturels, toujours présents. Parfait. Après il y a mon nez. Trop grand, trop visible, ça jure avec le reste, qui n’est de toute façon pas bien glorieux. Ma bouche pourrait ne pas être trop mal, si seulement je n’avais pas un menton si fuyant qu’on croirait ma mâchoire inférieure enfoncée dans ma gorge. Et pour couronner le tout, des cheveux châtains, ternes et en bataille.

Je suis moche. Faut bien dire ce qui est. Mais après, j’adore le sport, et je parle pas du Quidditch. J’adore courir, faire des tractions, des pompes, de la musculation… Alors oui, je joue au Quidditch, mais c’est pour le fun. Ce que j’aime vraiment, c’est de courir et de grimper partout. Avec mon petit mètre soixante-dix, on me pense trop nain pour atteindre certains endroits, mais c’est mal me connaître. Je saute super haut. Bref, je suis assez sportif. C’est un peu une drogue, non ? Et puis, du coup, je suis musclé. C’est toujours ça de pris.

Je sais pas trop ce que disent les autres de moi. Sûrement que je suis un bon gars, juste pas très causant. Un peu à la masse, mais la plupart du temps c’est parce que ce qu’il se passe autour de moi ne m’intéresse pas tant que ça. Je suis assez distrait de nature, je pense aussi. Je suis le mec dans le fond de la classe, qui fait tout pour pas trop se faire remarquer, que ce soit des profs ou des autres élèves, parce que je suis trop moche et trop nul pour être populaire.

Pourtant, mes amis disent que je suis plutôt cool, qu’on peut compter sur moi… Enfin, ils ne sont peut-être pas objectifs non plus. Je me dis que ça m’arracherait quand même un bout d’âme de pas leur venir en aide si je le peux. Je ferais tout pour eux, comme je ferais tout pour mes sœurs et ma mère. Dommage que ce soit pas vraiment réciproque. Je suppose que chaque famille a son lot de problèmes… Alors les amis, j’en ai peut-être peu, mais je les choisis du mieux que je le peux.

Pour le reste… les profs me disent que je suis dans la lune tout le temps, et que c’est pour ça que j’arrive à rien dans leurs cours. Je veux dire, c’est vrai que si j’arrive pas à lancer un sort correctement, c’est parce que j’ai regardé par la fenêtre une demi-seconde pendant que Flitwick parlait, hein ? Logique. Après, pour les potions, Rogue n’avait pas tort. J’écoutais bien un mot sur deux, alors c’était un peu normal que ça ne ressemble à rien. M’enfin, même quand je fais des efforts, ça ne sert à rien. Au bout d’un moment, on finit par abandonner. Normal, non ?

Voilà. Qu’on m’apprenne un sort qui puisse recoller ma famille. Qui puisse me rendre ma sœur, qui puisse faire revenir mon père à la vie. Qui puisse me faire quitter ce pays dans lequel j’étouffe. Parce que j’ai beau faire, j’ai beau dire, je suis toujours néo-zélandais. Je suis pas né ici, et si mon ‘accent’ s’érode de jour en jour, ce n’est pas ma faute. Ce n’est pas un accent, d’ailleurs, c’est ma façon de parler anglais. C’est ma langue maternelle. Je suis un kiwi, et parfois je me demande bien pourquoi Maman nous a fait déménager à l’autre bout du monde.

Le ciel étoilé néo-zélandais me manque.

Alors je suppose que c’est le moment où je vous raconte ma vie. C’est pas pour ce qu’elle est intéressante, mais bon. Je suis pas Anglais. Je suis Néo-Zélandais. Je suis né et j’ai grandi là-bas. Qu’est-ce que je fous ici alors ? Ouais, moi aussi je me le demande. Ma mère n’a rien trouvé de mieux à faire quand mon père est mort. Elle a pris mes trois sœurs et moi, et elle est rentrée chez elle. Elle a juste oublié que c’était pas chez nous. Enfin. Je suppose que les filles ont finit par s’acclimater… Moi j’ai toujours du mal. Tout est trop différent et même moi j’ai l’impression de surjouer mon accent. Je le perds, lui aussi. Comme tout le reste.

Depuis mon entrée à Poudlard, j’ai la sensation que ma vie n’est qu’une succession de pertes. Harmony s’éloigne, Abby la déteste, Sara et moi ne savons pas quoi faire et ma mère est impuissante. J’ai perdu mon père, et maintenant c’est ma famille que je perds. Je pourrais juste abandonner, continuer seul, mais comment serais-je capable de me regarder dans la glace après ça ? Je suis pas assez égoïste pour tourner le dos à ma famille, même quand elle, elle le fait. J’arrive pas à lâcher ce petit bout d’espoir que peut-être, on pourrait un jour être tous heureux, ensemble. Parce que c’est ça, la famille. Au final, c’est tout ce qu’on a.

Je dis pas que j’ai pas d’amis non plus. Je suis pas assez difficile à vivre pour éloigner les gens, même plutôt tout l’inverse. Je suis pas chiant. Je m’arrête pas à la couleur de l’écusson pour me faire une opinion sur quelqu’un, alors on peut dire que j’ai quand même pas mal de bons potes. Ils doivent sûrement savoir pour mes sœurs, mais c’est parce qu’ils l’auront deviné. Je suis pas vraiment du genre à parler de moi. Trop douloureux. J’ai trouvé un moyen d’évacuer, donc tout va bien. Je garde l’esprit occupé, je joue au Quidditch, je cours autour du lac… J’aurais aimé faire du rugby, mais même si le sport est populaire ici aussi, il n’y a pas d’équipe à Poudlard. Je fais de la musique aussi, quand j’ai besoin de me reposer, ou juste d’être au calme. Du violon, même si j’ai plusieurs cordes à mon arc. Des cordes. C’est presque drôle.

Je sais pas trop comment je suis perçu à Poudlard. Sûrement un autre de ces gars assez sympas pour qu’on apprécie traîner avec, mais pas assez bon en cours pour être vraiment utile. Ouais, je suis nul. En plus d’être moche. J’ai galéré pour mes BUSEs, et franchement, les ASPICs ne s’annoncent pas franchement bien non plus. J’ai tellement de mal à lancer un sort correctement, je me demande parfois ce qui ne va pas chez moi. Enfin, dans la plupart des cours qu’il me reste, la baguette est presque optionnelle, donc ça va. Et puis, on ne peut pas dire que je ne travaille pas. Je révise, je bosse comme un malade, tout ça pour pas grand-chose.

Voilà, l’histoire de ma vie. Je sais pas trop où elle va. Certainement dans la boutique de ma mère. C’est le moins que je puisse faire, l’aider dans son travail, d’autant plus que je doute d’être capable de faire quoi que ce soit d’autre. J’espère juste que mes sœurs s’entendront de nouveau… La situation actuelle en Angleterre va peut-être avoir un petit effet bénéfique : on est tous dans le même bateau maintenant.