Anna Sharen - "Ceux que nous aimons le plus sont parfois ceux qui nous sont le plus étrangers"

Anna fait son âge, peut-être plus, ce qui ne l'empêche pas de dégager une impression de force et de stabilité. Elle se tient toujours droite et marche d'un pas alerte. Pas de temps à perdre quand on a quatre enfants auxquels penser, un millier d'animaux à soigner, un foyer et une boutique à tenir. Sa corpulence a toujours été très mince et on distingue nettement le contour de ses clavicules à la base de sa gorge. Elle est toujours habillée de façon très classique et pratique, mais soignée, avec des couleurs en harmonie, parmi lesquelles on trouve souvent du marron. Jamais de talons, mais plutôt des bottines en cuir confortables, idéales quand on doit rester debout toute la journée.

Sa caractéristique physique la plus notoire se situe peut-être sur le sommet de son crâne, avec ces cheveux gris coupés à la garçonne qui dégagent bien ses oreilles. Mais elle a aussi d'assez jolis yeux bleu-gris qui, à cinquante ans, lui offrent toujours une vision 10/10. Ses narines un peu marquées donnent un côté volontaire à son expression. Deux longues rides partent de chaque côté de son nez, et des petits plis marquent les coins de sa bouche. Globalement, son visage aux traits fins n'est encore que peu marqué par l'âge, mais la couleur grise de ses cheveux la vieillit.

Anna est ce qu'on peut appeler une femme active. Elle a un métier très prenant et ne donne aucun signe de faiblesse. Si quelque chose la ronge, c'est plutôt son inquiétude concernant ses enfants si distants, plus pesante que jamais alors que la guerre les menace tous. Et la perte de son mari a laissé une blessure qui n'a jamais tout à fait guéri. Mais pas question de s'apitoyer sur son sort, ou de ressasser volontairement le passé. Son credo est que les morts n'ont besoin de personne - les vivants, si... Et elle est très consciente que ses enfants ont bien davantage besoin d'elle que son mari dans la tombe. Peut-être même au point d'avoir été trop empressée à enterrer le passé, et fermée à l'idée qu'eux-mêmes puissent avoir besoin d'y revenir.

C'est une femme intelligente à l'esprit vif et un peu méfiant, qu'on n'abuse pas facilement. Très pragmatique et terre à terre, elle n'a que peu de fantaisie et d'imagination, quoi qu'elle peut occasionnellement faire preuve d'humour. Pas avec le travail, par contre ! Ses animaux doivent être traités au poil, sans mauvais jeu de mots, et elle est particulièrement pointilleuse sur l'hygiène - étant elle-même à la limite de la maniaquerie - alors gare à son unique employé s'il tire au flanc. Mais dans l'ensemble, elle reste une patronne sympa. D'un naturel calme et posé, elle n'est pas du genre à crier ou à perdre les pédales. Par contre elle a un certain côté autoritaire, ce qui peut la conduire à devenir tranchante, s'emporter et s'aveugler lorsque ses enfants la défient ou la contredisent. Pour autant, elle n'est pas fermée à la remise en question, une longue expérience lui ayant enseigné l'importance du dialogue et de l'introspection. Avant toute chose, elle cherche à faire ce qu'il y a de mieux pour sa famille. Face à leur comportement parfois hostile ou incompréhensible pour elle, la crainte d'avoir échoué la hante de plus en plus.

Anna est avant tout quelqu'un de solide et d'équilibré. Elle ne perd pas la tête face aux coups durs et refuse de se laisser aller au désespoir, ce qui s'est révélé essentiel dans la vie qu'elle a menée. Le stoïcisme pourrait être son maître mot.

Anna a grandi comme la fille unique d'un magizoologiste et d'une vétérinaire de campagne Moldue, dans un beau village des Costwolds. Ils avaient des chats multicolores (car d'origine magique), des chiens normaux, des lapins, des crapauds, des serpents et des araignées dans des vivariums ensorcelés qui reproduisaient leur habitat naturel, une chouette, un hibou et un cheval. Autant dire que l'obsession avec les bêtes a commencé très tôt. En fait, Anna pensait que c'était parfaitement normal de vivre avec tout un tas d'animaux et fut surprise de découvrir, vers l'âge de cinq ans, que certains de ses amis n'en avaient même pas un seul. Très tôt, ses parents lui apprirent à les soigner. Les animaux ordinaires du côté de sa mère, les créatures magiques de l'autre. Elle les aimait tous autant et adorait s'en occuper. Quand il faisait beau, elle passait beaucoup de temps dehors et dans la forêt avec ses amis. Ensemble, ils inventaient des jeux un peu casse-cou et parfois elle les embêtait en ne pouvant s'empêcher de leur expliquer que tel chant d'oiseau correspondait à telle espèce d'oiseau.

Son enfance aurait pu être quasi idyllique si elle n'avait pas été marquée par les disputes qui éclataient assez souvent entre ses parents. La plupart étaient sans gravité, tous deux ayant de forts caractères qui produisaient des étincelles à la première friction. Mais il arrivait que de véritables guerres éclatent entre eux, par exemple lorsque son père revenait d'une énième excursion dans le monde des sorciers - le coin où ils habitaient était très majoritairement peuplé par des Moldus. Son père était très séduisant et aimait jouer de son charme. Il tenait également à son indépendance et à voir ses amis sorciers, mais cela déclenchait des accès de jalousie chez sa mère. Et au fond, ce n'était que l'un des thèmes qui pouvaient les pousser à se prendre verbalement à la gorge. Parfois, cela donnait lieu à des scènes terribles, bien que leur couple fût solide. Anna allait alors se réfugier dans sa chambre ou sortait.

C'est avec joie qu'elle se rendit à Poudlard. Elle s'y intégra parfaitement et connut des soucis d'adolescente ordinaire, les doutes existentiels, les embrouilles avec des amis, les premiers émois amoureux, les auto-critiques détaillées face au miroir. Elle était assez populaire, même si certains la trouvaient un peu bizarre à cause de son obsession pour les animaux. Elle fut aussi une élève plutôt appliquée, mais parfois grande gueule et indisciplinée, ce qui lui valut régulièrement sa place dans les annales des retenues de Poudlard. Inutile de le dire, son cours préféré était les soins aux créatures magiques. Dès l'obtention de ses ASPIC, elle s'orienta vers un cursus en magizoologie dans la ferme intention de suivre les pas de son père.

Un jour, elle lut un article dans un magazine sur la diversité de la faune en Nouvelle-Zélande et les nombreuses possibilités de découvertes à faire là-bas. Par livres interposés, elle découvrit et ne tarda pas à développer une grande fascination pour ce pays au bout du monde. Ce fut tout naturellement qu'au bout de ses études, alors que la plupart de ses amies se mariaient et que les questions de sa mère sur le sujet se faisaient de plus en plus agaçantes, elle s'envola de l'autre côté de l'hémisphère. Là-bas, elle passa quelques années exaltantes. Après les menus tourments de l'adolescence, ce fut une période riche et épanouissante pour elle : elle savait exactement ce qu'elle voulait et faisait ce qu'elle aimait. Ses recherches étaient passionnantes et la beauté du pays la marqua à jamais. Elle se consacrait entièrement à son métier et n'était pas le moins du monde troublée par la pseudo-nécessité de fonder une famille.

Jusqu'au jour où elle rencontra Troy Sharen. Lorsqu'elle fit la connaissance de cet éleveur de moutons au tempérament vif et au rire tonitruant, elle ne se doutait pas qu'il allait acquérir une telle place dans son cœur que sa vie en serait complètement bouleversée. Les débuts de leur relation ne furent pas de tout repos, loin de là. Cinq années plus que tumultueuses s'écoulèrent avant qu'il ne lui propose enfin de l'épouser. Elle mit au monde leur premier enfant, William, à l'âge de trente-deux ans et à partir de là, tout leur parut filer à toute vitesse. Son métier était toujours aussi important à ses yeux, mais ses enfants lui disputaient la place. Car les jumelles Abby et Harmony ne tardèrent pas à suivre, ils passaient leurs journées à courir comme des fous et étaient tellement heureux qu'elle avait peine à y croire. Est-ce que ça pouvait vraiment continuer comme ça ? Après la naissance de Sara, elle se dit que ce serait la dernière, d'ailleurs, elle commençait à être un peu âgée... mais de toute façon, la vie ne devait pas leur laisser le choix.

En une nuit, comme pour donner une sinistre confirmation à son incrédulité face à la générosité de l'univers, tout s'effondra. L'incendie. La mort de Troy. La maison en cendres.

C'est étrange, ce que le chagrin fait faire aux gens. Avant le drame, Anna ne se serait peut-être pas crue capable de décider péremptoirement de repartir en Angleterre et d'emmener ses enfants sans leur demander leur avis. Mais soudain elle voulait se rapprocher de sa famille, retrouver son pays natal et elle se convainquit que cela vaudrait mieux pour tout le monde. Une seule chose l'obsédait, à l'époque : être forte pour ses enfants. Pour elle, cela passait par l'idée de tourner la page, construire autre chose. Elle partit sans même vouloir ouvrir une enquête sur les faits. C'était un accident, rien d'autre. Comment qui que ce soit pourrait leur en vouloir à ce point ?

Ils partirent donc très vite et s'installèrent à Londres. Par "chance", le gérant de la Ménagerie magique sur le Chemin de Traverse était juste sur le point de passer le flambeau. Avec ses compétences, elle n'eut pas de mal à décrocher la place. Elle se noya dans le travail, de nature d'ailleurs très prenante de base et la Ménagerie prospéra, mais pas sa famille. Très souvent absente, elle perdit quasiment le contact avec ses enfants qui devinrent de plus en plus distants. Harmony, en particulier, devint extrêmement froide et les jumelles commencèrent à se faire la guerre. William avait trop de responsabilités pour son âge, mais elle ne s'en rendit jamais compte. Péniblement, la vie continua.

Elle continue toujours.