This could be heaven... Or this could be hell. [Orion]

London calling to the faraway towns
Now war is declared, and battle come down
London calling to the underworld
Come out of the cupboard, you boys and girls


Je chantonnais tandis que je tentais d'avancer un peu plus loin dans la forêt, mon appareil photo à la main et ma baguette dans l'autre, mon sac rempli de mes affaires de botanique me ralentissant quelque peu. J'avais décidé que, plutôt que de rester enfermée dans la salle commune ou à la bibliothèque, il était temps de prendre l'air et ce, malgré les temps qui couraient. Je profitai donc d'un après-midi de libre pour me perdre entre les arbres sans personne pour me déranger et je comptai bien sur le fait que ça reste comme ça jusqu'à ce que je rentre !
Quand enfin je trouvai le coin parfait, je laissai échapper un soupir de soulagement. Je ne savais pas trop jusqu'à quel point je m'étais enfoncée - de là où j'étais je voyais toujours les pointes des tours du Château donc ça ne devait pas être si loin que ça - mais la prudence me fit tracer une sorte de flèche pointant vers l'école, au cas où je m'endormais et me réveillai dans le noir. Parce que oui, c'était déjà arrivé et je peux vous dire que ce n'est pas drôle du tout de se retrouver seule dans la Forêt la nuit à 13 ans, alors même qu'on n'est pas en retenue. Disons que ça guérit de toute volonté de briser le règlement.

Je laissai tomber mon sac au pied d'un arbre voisin et en profitai pour admirer la clairière que je m'étais trouvée. Elle n'était pas très très grande, peut-être une dizaine de mètres de diamètre, et était couverte d'une herbe bien verte et bien tendre, avec quelques jolies fleurs par-ci, par-là. J'avais de la chance niveau météo puisqu'il n'y avait pas un seul nuage en vue, aussi j'en profitai pour prendre une photo du ciel bleu et de la cime des arbres. Seul le chant des oiseaux venaient troubler le silence et cela changeait agréablement du brouhaha habituel de l'école.
Satisfaite de mon environnement direct, je m'assis à côté de mes affaires et tirai mon manuel de botanique de ma besace, ma baguette directement à côté de moi - on sait jamais. Tranquillement, la même chanson sur le bout des lèvres, je chantonnais en cherchant le chapitre sur les Tentacula vénéneuses, le sujet du prochain cours. La page trouvée, je m'installai confortablement contre le tronc et commençai ma lecture.





J'avais du m'endormir sans m'en rendre compte - encore une fois - puisque quand je rouvris les yeux, le crépuscule était déjà là et la nuit ne tarderait pas derrière, une fine bruine ayant même commencé à tomber. Oh non, pas encore. Je me levai précipitamment et rangeai en quatrième vitesse mes affaires, profitant de la dernière lumière pour ne pas avoir à allumer ma baguette et donc ne pas me faire repérer par d'éventuels prédateurs qui commençaient à sortir de leur tanière. Qui sait à côté de qui j'avais passé la journée ? Une branche qui craquait m'arrêta net dans mon mouvement. Je devais avoir l'air bien ridicule, figée dans ma position actuelle, mais je n'avais pas envie de rire. Qui était là ?
Je me redressai doucement, prudemment, et serrai ma baguette entre mes doigts. Il fallait que je sois courageuse. Si ça se trouve ce n'était qu'une licorne qui passait là ! Ou alors un sombral, que je ne pourrais donc pas voir... Ou un loup-garou ? J'avais entendu dire qu'il y en avait dans la Forêt et je savais que si le professeur Lupin était un homme adorable, tous n'étaient pas comme lui, loin de là. Je déglutis difficilement et pointai mon arme dans la direction générale du son, mes yeux s'habituant enfin à l'obscurité ambiante.

« Q-Qui est là ? Je vous préviens, je suis armée ! »

Ma voix se brisa un peu sur la fin et je ne pus retenir une petite grimace de peur. Allez Lucy, cherche le Lion qui se cache en toi et fais preuve de courage, pour une fois ! Sauf que mon Lion intérieur devait être bien caché ou en grève puisque je commençai à trembler. Je tentai de reprendre une certaine contenance quand des bruits de feuilles et autres brindilles écrasées m'indiquèrent que l'inconnu et potentiel ennemi se dirigeait à présent dans ma direction. Non mais quelle idiote ! Si je n'avais rien dit, il ne m'aurait peut-être pas entendue et aurait passé son chemin ! Rah non mais franchement, pas étonnant que le Choixpeau ne m'ait pas envoyée chez Serdaigle.
Histoire de pouvoir fuir en courant si besoin, je fourrai mon sac au maximum tout en surveillant l'avancée de l'autre. Je l'entendis plusieurs fois grogner, comme s'il s'était pris une branche ou s'était griffé avec des ronces et, allez savoir pourquoi, j'allumai ma baguette. Yup. Un petit Lumos et je devins visible, facilitant la tâche de l'autre. La version officielle et que je raconterai si jamais on me pose des questions sur le moment, c'est que je ne trouvais pas mon appareil photo et qu'il était hors de question que je reparte sans. La version officieuse... C'est que je n'aime pas entendre les gens avoir mal et que je suis trop gentille alors je le guidais. Pas étonnant que le Choixpeau m'ait envoyée chez les Blaireaux à peine posé sur mon crâne.

Au bout de deux minutes, je trouvai enfin l'appareil qui avait, pour une raison qui lui était propre, roulé à l'autre bout de la clairière et, alors que je m'apprêtai à lancer un Accio pour le récupérer, l'inconnu émergea et le ramassa. Sweet Helga. Si je pouvais voir qu'il était humain - yay, pas de lycanthrope ! - je ne pouvais par contre pas discerner s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, d'un élève ou d'un professeur, d'un ami ou d'un ennemi. Je me figeai, attendant que le nouvel arrivant fasse le premier pas. Et priai pour qu'il ne me jette pas de sort.

Le rendez-vous « galant » duquel je revenais ne s’était pas très bien passé. Enfin, c’est un euphémisme. En réalité, c’était un désastre. La fille en question était une fana de botanique, du genre à passer sa vie les mains dans la boue pour replanter ses boutures, et a pensé que l’aider à cueillir des plantes pour pouvoir les dessiner et les coller dans son herbier nous rapprocherait. Nous ne nous connaissions pas bien, j’avais juste accepté son rendez-vous pour essayer, pour me changer les idées, et parce que ça ne ferait de mal à personne. Jamais je n’aurais cru devoir mettre les mains dans les feuilles, la terre et les insectes pour récolter deux ou trois stupides plantes médicinales, le thème de son herbier. Quiconque me connaît un minimum sait que je tiens la botanique en horreur, car je n’aime pas me salir – ni les mains, ni les vêtements – et, manque de chance pour la fille, je n’apprécie pas non plus le moins du monde l’odeur de la Forêt Interdite. Je sus néanmoins rester courtois, et lorsqu’elle annonça avoir tout récolté pour son herbier, le soulagement vint me libérer. Je lui déclarai gentiment que malgré le fait que j’eusse apprécié le rendez-vous (mensonge total), nous n’avions pas vraiment les mêmes centres d’intérêt et qu’il était préférable de ne se revoir qu’en tant qu’amis, chose à laquelle, pour mon plus grand bonheur, elle acquiesça sans faire d’histoire. Je la laissai donc passer devant, puis ralentis considérablement le pas pour ne pas avoir à subir la gêne du retour ensemble à Poudlard.

Malheureusement, bien mal m’en prit, puisque je me trompai à un embranchement et passai par un chemin embourbé et plein de ronces. Je me pris plusieurs fois les pieds dans des racines apparentes que j’avais manquées, conséquence de l’obscurité déjà naissante – je râlai à haute voix, certain que de toute façon, personne n’était là pour m’entendre. Soudain, j’entendis une voix féminine visiblement inquiétée menacer de sa baguette… Moi.

Mon sang ne fit qu’un tour, je commençai à vouloir lui dire « Non !  », puis « Arrête ! », et enfin « Ne me lance pas de sort ! », mais à chaque fois que j’essayais de parler, à cause de la panique, je m’empêtrais un peu plus dans des branches tombées à terre ou autres arbustes rampants. Néanmoins, je réussis à me libérer tant bien que mal et aperçus la lueur bleue caractéristique du sortilège Lumos, dessinant également la silhouette d’une jeune femme sur le grand chêne derrière elle. Ouf, sauvé ! Elle a donc compris que je n’étais pas un ennemi malgré mon incapacité à lui parler. Je me dépêchai de trouver un chemin convenable jusqu’à elle, puis la rejoins dans une petite clairière, un peu essoufflé. Alors que je me dirigeai vers elle pour la remercier de son aide et l’accompagner jusqu’au Château, mon pied buta doucement sur un drôle d’objet. Je me penchai pour le ramasser et reconnus un des appareils qu’ils vendent en plusieurs sortes, aux magasins d’élec-trop-ménagé moldu. Tiens donc ! Amusé, je m’avançai vers la jeune femme et lui tendis son appareil, dont le nom m’échappait.

« Salut ! Merci beaucoup pour ton Lumos, je crois que j’aurais lamentablement été coincé dans les ronces jusqu’à ce que quelqu’un me trouve. » Je mimai une petite moue tout en observant son visage.
« On ne se connaît pas, si ? Je m’appelle Orion, en 7ème année chez les Gryff. Et toi ? »

Les quelques secondes qui passèrent avant que l'inconnu ne daigne avancer me semblèrent une éternité. Qui était-il ? Ou était-ce 'elle' ? J'avais peur, encore plus que quand je m'étais réveillée en pleine panique, tout à l'heure. Et si je me faisais agresser et que personne ne remarquait ma disparition ?! Enfin... Alycia la remarquerait, pas vrai ? Enfin, la personne daigna avancer. De longues jambes sortirent de l'ombre, bientôt suivies d'un torse et de bras on ne peut plus masculins et j'aperçus une écharpe aux couleurs des Gryffondor - parfait, quelqu'un qui ne me ferait pas de mal. Normalement. Toutefois, je le reconnus immédiatement. Orion Rosier.
Je n'avais rien contre lui et j'appréciais même un peu sa sœur - pas la jumelle, l'autre, Camille - mais entre se croiser dans les couloirs de temps en temps et se retrouver seuls dans la Forêt de nuit, ce n'était pas vraiment vraiment pareil. C'était même très différent. J'avais entendu quelques filles de septième année parler de lui et elles le trouvaient toutes charming ou encore so handsome et si je ne pouvais pas le nier, elles ne s'étaient jamais retrouvées seules avec lui - bien que la plupart en rêvâssent. Et s'il n'était pas si charming, en réalité ?!

Je savais qu'il était un sang-pur issu d'une des plus anciennes familles de Grande-Bretagne, aussi je ne m'attendais pas à ce qu'il ramasse mon appareil photo et le regarde d'un air plus amusé que dégoûté. J'avais bien en face de moi le jumeau de Gabrielle Rosier, là, non ? La fille qui s'amuse à mépriser un peu tout le monde dans le château et ne parle même pas à sœur parce qu'elle a fini chez les Blaireaux ? Comment des jumeaux peuvent-ils être si différents ? J'attrapai toutefois l'appareil d'une main qui ne tremblait pas, ce qui m'étonna fortement et esquissai un vague sourire quand il me remercia pour la lumière - s'il savait - avant de secouer la tête quand il demanda si l'on se connaissait.

« L-Lucy Rosebury... Sixième année chez les Poufsouffle... »

Je m'éclaircis un peu la gorge et détournai les yeux. Tant de filles tueraient pour être à ma place et moi, je n'avais rien demandé. Nous restâmes dans un silence inconfortable pendant quelques minutes et si je regardais partout ailleurs que vers lui, il semblait faire la même chose de son côté. Je tentai de réprimer l'étincelle de déception qui s'était allumée en moi. Depuis quand est-ce que j'ai envie de me faire agresser par un inconnu, aussi beau que Mr Rosier soit-il ?
Comme pour nous rappeler que le temps passait et que nous allions bientôt dépasser le couvre-feu, la bruine forcit et se transforma petit à petit en une pluie désagréable, le genre qui s'insinue partout et détrempe les vêtements en un rien de temps. Misère de misère. Je récupérai mon sac et fourrai l'appareil dedans, avant de chercher à la lumière de ma baguette la flèche que j'avais tracée. Oui mais voilà. Eau + terre = boue. Boue = matière informe qui colle à tout et qui, surtout, efface tout ce qui a pu être dessiné.

« Hum, Rosier... Je crois qu'on est perdus. »

Parce que oui, plus de flèche donc plus de repère. Et forcément, trop de nuages pour se repérer aux étoiles. Sweet Helga.

A l’annonce de son nom, je lui souris gentiment. Elle avait l’air timide ! J’avais l’habitude de devoir faire le clown ou des vannes un peu nulles pour alléger l’atmosphère et encourager les autres à parler ; qu’elle soit réservée ne me posait aucun problème. Il est vrai que je n’aimais pas trop les silences et que je ressentais toujours le besoin de les combler, aussi pathétiquement qu’il eût été possible de le faire, mais cela ne semblait déranger personne, au contraire. Je commençai donc à essayer de la mettre à l’aise, ne pas l’effrayer.

Lorsqu’elle m’annonça qu’on était perdu, je me renfrognai. Non pas que je ne me doutais pas que j’étais perdu, hein, ça c’était acquis depuis longtemps, mais j’étais étonné plutôt négativement que Lucy connaisse mon nom malgré le fait que je ne me sois présenté qu’avec mon prénom. Pire encore, qu’elle choisisse de m’appeler Rosier tout en sachant pertinemment que je ne lui avais dit qu’Orion. J’étais vraiment déçu de sa réaction et eus du mal à trouver de quoi rire. Tout semblait mal parti entre nous, et c’était avec elle que j’étais perdu. Super.

Orion, ici le pôle nord de votre cerveau. Arrêtez de vous focaliser sur des détails et concentrez-vous sur le principal : retrouver votre chemin.

Je m’assénai une gifle intérieure et repris contenance. Je n’avais toutefois pas retrouvé mon enthousiasme d’il y a quelques instants envers Lucy et choisis d’être plus froid avec elle, sans rappeler Gabrielle, non plus.

Réfléchis, il faut réfléchir pour sortir d’ici… Je levai instinctivement les yeux au ciel. Les nuages, trop denses et hauts dans le ciel, cachaient toutes les étoiles qui auraient pu nous être utiles pour nous orienter. Il faudrait faire sans.

Je saisis ma baguette dans ma poche arrière et fis un gros effort de concentration pour me rappeler la formule de ce sortilège. Je ne m’en souvenais plus bien, ayant estimé que je n’en aurais jamais besoin, mais j’avais eu tort. Je n’avais jamais été très travailleur, et si je pouvais passer un petit chapitre par-ci, par-là pour les examens, c’était toujours avec plaisir. Celui-ci en faisait naturellement partie – qui aurait cru que je me retrouverais coincé dans une clairière, perdu dans la forêt interdite avec une fille qui n’avait pas franchement l’air enthousiaste ?

Posée bien à plat sur ma main, ma baguette tourna lentement lorsque je lui ordonnai « pointe au nord ». Très satisfait de moi, j’effaçai immédiatement le sourire qui était apparu au coin de mes lèvres lorsque je dus expliquer le résultat de ma réflexion à Lucy.

« La Forêt se situe au nord du Château, tu me suis ? Il nous suffit donc d’aller au sud et nous tomberons soit sur le Lac, soit directement sur le Château. Impossible que nous ayons marché beaucoup plus loin à l’est. »

Je tournai les talons et commençai à marcher.

« Tu viens… Rosebury ? »

A son nom, j’appuyai exagérément ma voix. Moi, gamin ? Non… plutôt rancunier.

Bon, l'appeler par son nom de famille alors qu'il ne me l'avait pas donné n'était peut-être pas l'idée du siècle. Mais en même temps, il ne fallait pas m'en vouloir ! En situation de stress, je ne suis pas vraiment un modèle de politesse...
Chacun réfléchit de son côté pendant quelques minutes, jusqu'à ce que je l'entende marmonner Pointe au nord, qui était également la conclusion à laquelle j'étais arrivée. Prenant sur moi-même, je m'apprêtais à le féliciter pour sa bonne idée quand il décida de m'expliquer à quoi servait ce sortilège. Non mais pour qui il se prenait, lui ? Je me renfrognai. J'étais prête à reconnaître que je n'avais pas été délicate et lui ne me laissait même pas l'occasion de me racheter ! Pire, il en rajoutait une couche ! Je ne pus m'empêcher de lui lancer une sorte de pique :

« Tu sais que tu ne risques pas d'aller bien loin, sans lumière ? Ou faut que je t'explique le principe de Lumos ? C'est bien beau d'avoir une baguette qui t'indique le nord mais si tu vois pas où elle pointe, c'est pas très utile. »

Sur ces mots, je pris mon sac et rejoignis mon compagnon d'infortune, pour éclairer nos pas. Nous marchâmes en silence pendant quelques minutes, chacun plongé dans ses pensées. J'étais partagée : j'aurais aimé qu'il ne soit pas là mais en même temps, sa présence était bien pratique puisque c'était sa baguette qui indiquait le chemin. Dilemme, dilemme. Bah, qu'importe. Au moins, je n'étais pas coincée avec sa jumelle, c'était déjà ça...
Au bout d'un moment, le silence se fit vraiment pesant. Pourquoi il ne parlait pas ? Il était toujours fâché ou bien ? Je n'eus pas le temps de poser ma question à voix haute - même si je ne sais pas vraiment si je l'aurais vraiment posée, au final - puisque nous rejoignîmes enfin le chemin. La perspective d'être un peu plus près du but nous fit échanger un regard mi-soulagé, mi-victorieux et nous le suivîmes sur plusieurs mètres. C'est-à-dire jusqu'à ce qu'il se divise en deux. Alors que sa baguette continuait de pointer tout droit. Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un bruit indistinct qui trahissait mon incrédulité et, surtout, mon refus d'y croire.

« Par où on passe, Monsieur Pointe-au-Nord ? »

Les mots étaient sortis tous seuls, la fausse insulte aussi. Du coin de l’œil je le vis tiquer mais il ne releva pas, ce qui me soulagea un peu. De toute façon, c'était lui qui était chargé de l'orientation. Moi, c'était la lumière !

Lucy ne pipa mot lorsque je pris la peine de lui expliquer ma réflexion. Je me mordis alors la lèvre inférieure ; j’avais commis une bourde et l’avais visiblement vexée. Je reniflai dédaigneusement et songeai que ça n’en était pas moins à elle de faire un effort en premier, mais jugeai qu’il était peut-être mieux de ne pas continuer sur cette pente de piques acérées, où elle semblait vouloir me mener, si je ne voulais pas me faire assassiner en pleine forêt, là où seuls les insectes trouveront mon corps. Je frissonnai.

Lorsqu’elle m’arrêta, je me retournai vers elle en prenant l’air le plus blasé possible et espérai qu’elle le vit malgré la faible luminosité. Je voulus lui répondre d’une voix dépitée, bien loin du ton qu’elle avait pris : « C’est bien pour ça que j’ai besoin de toi et que je t’enjoins à me rejoindre. Il va falloir qu’on coopère, Lucy, je pense que tu t’en es bien rendue compte. J’imagine que si je te l’explique, tu vas de nouveau te vexer. »

Je voulais aussi lui répondre « Ouais mais j’ai qu’une baguette, et peut-être que toi t’as des yeux de taupe qui te permettent pas de voir ta main, mais moi ça va encore. »

Mais je ne dis rien, faute de pouvoir choisir, je la regardai, sans expression, me rejoindre avec sa lumière et marchai à ses côtés pendant ce qui m’a semblé être une éternité. Pour mon plus grand désarroi, lorsque je me retournai pour voir d’où l’on venait, j’avais l’impression de ne pas être au bout de mes peines. Je n'avais pas le coeur à parler, n'ayant toujours pas pu me décider quelle attitude adopter envers elle – essayer de lui faire rejoindre mon côté en admettant l'avoir vexée, ou l'énerver encore plus ? Les deux parties me tentaient.

Lorsque j’essayai de l’observer avec la maigre lueur de sa baguette, je reconnus une fille assez discrète que j’avais croisée plusieurs fois dans les couloirs. Elle m’avait toujours regardé d’un air que je n’aimais pas trop, qui n’augurait rien de bon, mais n’avais jamais pu comprendre pourquoi une telle méfiance, qui se répercutait et s’amplifiait aujourd’hui. On ne se connaissait même pas ! Enfin, Lucy, visiblement, en savait plus sur moi que moi à son sujet, ne serait-ce que parce qu’elle connaissait mon nom avant que je ne sache le sien. Etait-ce Gabrielle qui avait fait des siennes ? Je commençais à me douter que mon infernale – pour les autres, hein, moi, je l’adore, que ça soit clair – jumelle soit passée par là avant et qu’elle ait jeté une aura de … de Gabrielle autour de moi également, aux yeux de Lucy.

J’allais lui poser la question qui me permettrait probablement de comprendre son animosité à mon égard, lorsque le chemin se sépara en deux. Pas de chance, ma baguette pointait en plein milieu. Bon. La miss pas-gentille, après n’avoir pu cacher son incrédulité, ne manqua pas cette occasion pour me rabaisser et me faire comprendre que c’était à moi de trouver une solution puisque j’étais, d'après son ton, si fier d’avoir pensé à Pointe au Nord.

Je décidai qu’il n’était pas prometteur de nous séparer ; en plus, Lucy telle qu’elle se comportait maintenant pourrait peut-être tomber sur le bon chemin et décider de rentrer seule – je n’étais sûr de rien. Je marquai donc l’arbre le plus proche de moi en lui lançant « orchideus » – j’étais certain qu’elle se moquerait de moi, mais je n’avais rien trouvé d’autre et n’avais pas le cœur à incendier ou à marquer au feu un pauvre arbre à cause de notre incapacité à retrouver notre route.

Je choisis d’aller à droite, au Nord-Est, totalement par hasard mais également parce qu’à l’ouest du Château se trouvait le Lac, à la superficie plutôt grande, et que si nous tombions sur une de ses rives, il serait facile de le contourner et de retrouver notre destination. Mais je ne l’expliquai pas à Lucy. Qu’elle me demande si elle le désirait.

Par contre, moi, j’avais quelque chose à lui demander – je voulais comprendre son mépris et lui faire comprendre que je ne méritais pas une telle attitude.

« Dis… Tu connais ma jumelle, Gabrielle ? » lui demandais-je simplement, sur un ton innocent qui ne l’était pas tant.

Nous restâmes plantés quelques minutes face à l'embranchement, toujours dans le silence le plus complet. En vrai, je regrettais mes paroles et je sentais bien qu'il ne les avait pas très très bien pris mais plus ça allait et moins ça allait... Je ne savais pas comment nous dépêtrer de cette situation et son air renfrogné n'était pas très engageant. Rosier - non, Orion - finit par se décider pour le chemin de droite, non sans marquer auparavant un arbre d'un Orchideus magnifiquement réalisé. Toutefois je ne dis rien, trop timide et surtout trop effrayée par ce qu'il pourrait me répondre. Je ne demandais pas non plus pourquoi ce choix et le suivait sans un mot, une pointe de fierté m'empêchant de poser des questions. De toute façon, j'aurais ma réponse bien assez rapidement.

Sa question me prit un peu au dépourvu. Qui ne connaissait pas Gabrielle Rosier ? C'était le genre de fille qui savait se mettre en avant sans chercher à le faire et il n'était pas rare de le voir avec elle donc par extension, j'avais appris à le reconnaître. Bon, c'est vrai que je ne connaissais pas son prénom avant qu'il ne me le dise et c'était le stress qui m'avait fait utiliser Rosier au lieu de Orion. Maintenant, il fallait que je trouve comment dire tout ça avec assez de tact.

« Euh, eh bien... Il est difficile de ne pas connaître ta sœur... Je veux dire, je ne la connais pas vraiment mais sûrement parce que j'ai entendu Camille en parler dans la salle commune, eh bien je sais qui elle est ? » Je marquai une courte pause, le temps de passer sous une branche plus basse que les autres et repris la parole. « Je ne lui ai jamais parlé mais j'ai appris à la reconnaître dans les couloirs. Elle a de la prestance, elle m'intimide beaucoup. Et elle pose un regard très... particulier sur les gens de ma maison, même sur Camille. C'est très perturbant. » Je me mordis la lèvre inférieure. En avais-je trop dit ? Je tentai de noyer ces paroles avec les suivantes. « Et je suis désolée pour tout à l'heure, je ne voulais pas être aussi... désagréable avec toi. J'étais stressée et je n'ai pas imprimé ton prénom puis j'ai été vexée que tu me penses incapable de savoir ce qu'est Pointe-au-Nord... Surtout que je pensais faire pareil et que j'étais sur le point de te féliciter - ou un truc du genre... »

La fin de ma phrase mourut sur mes lèvres et je n'étais pas trop sûre qu'il avait tout entendu mais qu'importe. Au moins, je m'étais excusée - c'est ce qui comptait, non ? De toute façon, tout ce que je voulais c'était enfin arriver au château, si possible avant la fin du dîner et surtout avant le couvre-feu.

Avec surprise, je l’écoutai parler, un petit sourire au coin de la bouche. Lucy se montra soudain beaucoup plus bavarde qu’avant ; à croire que ma question l’avait comme décoincée et débarrassée de sa mauvaise humeur. Après ses excuses, elle me parut même avenante et sympathique et je mis notre mauvais départ sur le compte de la maladresse afin de l’oublier et de recommencer.

Afin de lui répondre avec autant de tact qu’elle l’avait fait pour moi, je choisis de m’excuser à mon tour avant toute chose pour continuer sur sa lancée.

« Je suis désolé moi aussi ; à vrai dire, je crois que nous nous sommes mal jugés. Par contre, tu te trompes : je ne doutais pas que tu connaisses Pointe-au-Nord, mais je ne pouvais pas savoir que tu étais assez intelligente – Poudlard regorge de bécasses gloussantes et de séducteurs comptant plus sur leur physique que sur leur cerveau, tu as bien dû t’en rendre compte – pour replacer le Château et ses environs dans une carte à deux dimensions et t’y débrouiller avec une boussole, alors qu’on n’a pas reçu de cours de géographie. Je te demande pardon, je ne douterai plus de toi. »

Je lui adressai un petit signe de tête cordial pour lui faire comprendre que ma promesse était scellée. Je continuai alors sur un ton beaucoup plus enthousiaste :
« Mais tu sais, tes félicitations sont quand même les bienvenues ! Je n’étais vraiment pas sûr de moi sur ce coup-là, je suis content que ça ait marché. Enfin, que ça ait l’air d’avoir marché. Je serai vraiment content une fois qu’on sera rentrés au Château. »

Je voulus lui proposer d’aller boire une Bièraubeurre ou un chocolat chaud dans les cuisines après que nous soyons arrivés pour nous réchauffer et nous faire oublier cette histoire, mais je me rappelai que l’heure du dîner approchait et qu’elle souhaiterait certainement retrouver ses amis pour manger, ce qui était évidemment aussi mon cas. Tant pis, ce sera pour une autre fois si nous avons l’occasion de nous recroiser !

« Pour en revenir à Gabrielle… » commençai-je, choisissant mes prochains mots délicatement afin de ne pas insulter par accident ma sœur, si chère à mon cœur. « Je t’ai posé cette question parce que je pensais que ton mépris envers moi était sa faute ; je me suis demandé si elle t’avait causé des ennuis qui auraient également terni ton opinion de moi. Je ne m’étais pas rendu compte que je t’avais vexée avec mes explications, en fait. Je me sens un peu bête, tu as dû me prendre pour un fou à te demander ça. »

Je ris un peu pour détendre l’atmosphère et me rassurer.

« Mais il est vrai qu’elle a une opinion très tranchée sur les gens, d’où son regard méprisant pour ceux qu’elle a jugés indignes. Il faut aussi que tu saches que depuis que nous sommes petits, nos parents nous apprennent que les Rosier sont envoyés à Gryffondor, Serdaigle ou Serpentard, mais que ceux qui vont à Poufsouffle ne sont pas vraiment imprégnés des valeurs de la famille, d’où son opinion stéréotypée de tous ceux de ta Maison. Quant à Camille, eh bien… elle a une relation très particulière avec Gabrielle, tantôt très bonne, tantôt extrêmement mauvaise. Et elle est à Poufsouffle et n’échappe pas à l’opinion de ma famille et donc de Gabrielle sur ta Maison. J’espère t’avoir un peu éclairée et avoir rendu ma sœur moins perturbante, comme tu l’as dit. Maintenant, c’est à toi de m’éclairer. Euh, littéralement, tu le fais déjà, je veux dire, mais, en fait, je voudrais savoir quel est l’appareil que j’ai ramassé tout à l’heure, à quoi il sert, tout ça. J’aime beaucoup aller dans les magasins moldus pour essayer les objets rigolos, comme les… les… les frigolateurs ? Ah, je ne me souviens plus du nom. Enfin bref, pour une fois que j’ai quelqu’un qui peut me faire une démonstration, je suis tout ouïe ! »

Nous arrivâmes à un autre embranchement. Je lançai Defodio et creusai une croix dans la terre avant de prendre le chemin de droite.

J'esquissai un petit sourire, signe que j'acceptais ses excuses. Il était vraiment sympathique comme garçon, au final, j'avais eu tort de douter de lui. Heureusement, nous étions repartis sur de bonnes bases... J'écoutai attentivement ce qu'il me racontait sur sa jumelle, essayant de comprendre un peu mieux le personnage. C'était une fille vraiment impressionnante et elle m'avait toujours fait peur, alors même que je ne lui avais jamais parlé.
La conversation passa ensuite à mon appareil photo - quel était donc cet étrange objet ? - puis au monde moldu en général et je ne pus m'empêcher de froncer les sourcils à la mention d'un "frigolateur". Ça ne me parlait pas plus qu'à lui...

« Euh, je ne vois pas de quoi tu parles en fait, Orion. » Je me grattai pensivement la tête, tandis que nous continuions d'avancer. « Je ne connais pas grand-chose des moldus non plus, j'ai grandi avec mon père qui est un sang-mêlé et nous n'avons jamais vraiment eu de contacts avec les moldus. » Ma voix devint plus basse à mesure que je prononçai mes dernières paroles. « J'ai seulement hérité de l'appareil photo de ma mère... »

Je toussotai. Pas la peine de verser dans le mélodramatique avec un quasi inconnu - les confessions avaient bien le temps de venir. Je l'observai en silence creuser la croix dans le sol et, pour une raison qui m'était inconnue, notai que son sort toucha également les racines de l'arbre, le blessant légèrement. Le Gryffondor s'engagea sur le chemin de droite encore une fois et je le suivis - jusqu'à ce qu'un poids me saute sur les épaules et me fasse chuter. Je poussai un cri, vite étouffé par la terre qui me rentra dans la bouche. J'entendis Orion pousser un juron à côté de moi, lui aussi attaqué. Mais qu'est-ce que c'était ce truc ?! Ma baguette m'ayant - forcément - échappé des mains, je tâtonnai pour la retrouver tout en me débattant pour ne pas que mon agresseur ne m'arrache les yeux, ses piaillements m'emplissant les oreilles. Puis cela fit 'tilt' dans mon esprit.

« Ce sont des Botrucs ! » hurlai-je, ou plutôt, bafouillai-je à l'intention d'Orion, de la terre encore plein la bouche et toujours en me débattant. « Tu as dû... abîmer... un de leurs arbres... sans faire ex... près ! »

Enfin je m'étais libérée de mon agresseur. Je fouillai rapidement dans mon sac, à la recherche de quoi détourner l'attention des créatures. Si l'héritier Rosier revient éborgné au château, je vais me faire assassiner.

« Oh, excuse-moi. Je pensais que tu étais née Moldue, parce que c’est rare de voir des Sang-Mêlés avec des objets non magiques. Je parlais des grandes boîtes froides dans lesquelles les Moldus rangent leurs aliments pour les conserver, mais ce n’est pas grave. »

Remarquant qu’elle ne souhaitait pas vraiment continuer la discussion, je jugeai préférable de ne rien rajouter lorsqu’elle parla de son héritage – ce n’était jamais vraiment bon de partir là-dessus – et passai à d’autres sujets plus anecdotiques tout en continuant notre chemin. Nous marchions depuis quelques temps maintenant, d’après mes jambes qui devenaient doucement endolories, et un petit coup d’œil à ma montre m’indiqua clairement que nous venions de louper l’heure du dîner. Oh, super… Il ne restait qu’à espérer que les Elfes aient gardé quelque chose de côté quand nous nous présenterions aux cuisines – puisque mon plan était désormais faisable, petite lumière sur un tableau d’ombres – ; sinon, il faudrait douloureusement patienter jusqu’au lendemain matin.

A un autre croisement, je partis de nouveau à droite en creusant un deuxième symbole dans la terre. Lucy ouvrit la bouche pour me signaler quelque chose, mais se ravisa aussitôt ; je ne cherchai pas plus loin et me dis qu’elle me le répéterait une fois qu’elle le voudrait. Soudain, un truc qui ressemblait à un bout de bois articulé me sauta sur le torse, me renversant à terre en poussant des piaillements suraigus qui n’avaient rien à envier à une jeune racine de Mandragore. Je n’avais aucune idée de ce qu’était cette chose, mais elle avait carrément l’air énervé, essayant de me griffer le visage en me fixant méchamment avec ses horribles yeux rouges. J’étais totalement en panique, et l’angoisse monta encore plus vite lorsque je m’aperçus que Lucy était aux prises avec une autre de ces créatures. Elle le repoussa plus loin alors que je me débattais encore avec le mien, et elle chercha quelque chose à tâtons – sa baguette. Elle l’a lâchée.

Je saisis le Botruc – puisque j’avais décidé de faire confiance à Lucy pour le coup, n’ayant jamais entendu parler de ces choses – d’une main vraiment peu assurée et le levai en l’air pour garder mon bras qui tenait ma baguette dans un champ libre.

« Surtout ne bouge pas, Lucy ! » lui hurlai-je, tentant une des seules solutions faisables que j’avais réussi à trouver. « Petrificus Totalus ! »

Le sort partit, mais manqua sa cible, venant s’échouer dans l’herbe. « Petrificus Totalus ! » recommençai-je, cette fois avec un peu plus de succès : le sortilège n'atteignit pas le Botruc, mais il se désintéressa de Lucy pour aller voir où ils avaient échoué. Pendant ce temps, mon amie plongea aussitôt les bras dans son sac, jusqu'à sortir une petite fiole contenant quelque chose que je ne pouvais voir à cause de la distance. Néanmoins, elle mit un peu de temps à la trouver et à la déboucher à cause de l’obscurité naissante. Johnny – mon Botruc, que je venais de baptiser – s’était emporté face aux sortilèges que j’avais lancés vers son compère et me lacérait le bras, si bien que je dus le lâcher pour qu’il se reporte à mon torse ou une autre partie qui l’intéressait visiblement plus et qui me lancinait bien moins.

Après quelques instants de douleur intense – je ne voulais même pas voir ou savoir où le Botruc m’avait griffé –, Johnny se jeta à terre, près de l'autre Botruc, et semblait... manger ? Ok. Tant mieux.

Lucy et moi partîmes en courant avant qu’ils ne se désintéressent de la nourriture et qu'ils reportent leur attention vers nous.

Enfin je trouvais ce que je cherchais : les quelques œufs de Doxy qui traînaient encore dans mon sac après le cours de Potions de la veille. Laissant tomber la besace au sol, j'ouvris le bocal et immédiatement, les créatures sentirent le parfum de la nourriture. Mon Botruc et celui d'Orion se précipitèrent dessus et nous en profitâmes pour fuir, prenant nos jambes à cou, une fois que j'eusse récupéré sac et baguette. Jusqu'à ce que...

« Mon appareil ! » Je pilai et fouillai un peu plus en profondeur dans mon sac. « Il n'est plus là ! » Je commençai à faire demi-tour quand mon compagnon d'infortune me retint par le bras, me disant que ce n'était pas une bonne idée que de retourner là-bas. Je me dégageai, plus ou moins gentiment, les larmes commençant à me monter aux yeux. « Tu n'es pas obligé de me suivre mais moi, j'y retourne. Hors de question que je le laisse au beau milieu de la forêt ! »

Sur ces mots, je repartis en courant vers l'endroit de notre "bataille" avec les Botrucs. J'entendis les pas d'Orion derrière moi et ne pus retenir un petit soupir de soulagement. Il ne m'a pas laissée toute seule.
Aux abords de l'endroit, nous ralentîmes et nous approchâmes à pas de loup, jusqu'à arriver en vue de l'appareil, resté seul sur une touffe d'herbe en plein milieu du chemin. Les Botrucs ne semblaient plus être là, aussi je me dépêchai de ramasser ce qui m'appartenait et nous repartîmes. Nous marchâmes en silence pendant quelques temps, bien que, comparé au début de l'aventure, ce soit un silence agréable, presque de connivence. A croire que nos péripéties nous avaient rapprochés.

Il n'y eut plus de croisements et les premières tours du château ne tardèrent plus à apparaître. Toutefois, nous n'étions pas encore arrivés - nous devions encore contourner une bonne partie du lac... Et maintenant que le couvert des arbres n'était plus aussi dense, c'était la pluie qui redoublait d'intensité. J'espérai vraiment ne pas tomber malade, pour le coup.

Son appareil. Elle avait oublié son appareil photo.

Je crus me liquéfier lorsqu’elle me supplia de la laisser y aller, seule s’il le fallait, de ne pas la retenir, de lui permettre de retrouver son appareil. Je lui lâchai le bras à contrecœur ; elle avait laissé entendre que l’appareil était son héritage de sa mère et donc probablement un des seuls souvenirs qu’elle avait d’un proche défunt. Elle aurait sûrement vécu dans le regret par ma faute, parce que je l’avais retenue, et je ne voulais pas ça. Je voulus néanmoins lui dire que jamais je ne la laisserai retourner seule près de ces monstres, mais elle était déjà partie en courant. Je soupirai, las de cette aventure, et sprintai sur une centaine de mètres pour la rejoindre sur le chemin. Elle parut soulagée de me voir ; je ne regrettai pas de l’avoir suivie.

Soudain, nous nous fîmes plus silencieux et discrets ; sans un bruit, Lucy alla ramasser son appareil photo – aucun signe de Johnny – et nous repartîmes aussi vite que nous étions arrivés.

Je ne pus m’empêcher de lui demander, poussé par la curiosité :
« Qu’avait-il dans cette fiole pour que les Botrucs nous laissent tranquille ? »

Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes sur l’une des rives du Lac Noir – plus que quelques centaines de mètres et nous serions dans l’enceinte du Château. Malheureusement, il pleuvait des cordes et si le feuillage dense de la Forêt Interdite nous avait protégé des gouttes glacées, le Lac Noir ne me rappelait que ô combien l’eau était froide, au moins autant que celle qui me martelait le crâne, le cou et le dos. Mais il fallait continuer. Je pensai à ma future Bièraubeurre chaude et épaisse, aux délicieux plats que les Elfes aux fourneaux avaient concoctés, au feu grisant des cheminées et à la chaleur ambiante de la Salle Commune des Gryffondor. Comme j’avais hâte d’y être ! Néanmoins, je n’étais pas tant fâché d’avoir été le héros de toute cette aventure, puisque j’y avais gagné une héroïne courageuse et sympathique, une nouvelle amie, en la personne de Lucy.

Pris dans mes rêveries, je ne remarquai pas que la pierre où j’avais posé le pied était rendue particulièrement glissante sous la pluie à cause des micro-algues qui y avaient élu domicile ; j’entendis Lucy crier mon nom et me retrouvai plongé dans l’eau glacée jusqu’au cou. Je criai et me débattus, craignant l’hypothermie ; j’essayai d’attraper l’eau sans grand succès, de me hisser vainement dans le vide ou de poser les pieds sur le sol, qui se situait plusieurs mètres en-dessous. Je tendis le bras, espérant que Lucy parvienne à le saisir et à me hisser ; de l’eau s’était engouffrée dans mon nez, ma bouche, me brouillait la vue et me mordait par son froid. Je sentais mon cœur battre et battre encore, plus fort, pour amener mon sang dans toutes mes extrémités ; j’avais froid, si froid.

Je ne me souvins de sa question uniquement quand nous quittâmes le couvert des arbres - le nœud de mon ventre s'était enfin relâché - et je lui répondis : « Ah oui, pardon ! Il y avait des œufs de Doxy, une de leurs nourritures favorites. Quand tu te promènes en forêt, c'est toujours pas mal d'en avoir sur toi ; heureusement qu'il m'en restait de mon cours de potion d'hi- ORION ! » Mon nouvel ami venait de faire un plongeon dans le Lac Noir et ne semblait pas réussir à s'en sortir de lui-même.

La panique me saisit. Que faire ?! Je savais nager mais pas suffisamment bien pour pouvoir le sortir de là sans moi-même me noyer et cela ne nous mènerait nulle part... Je tentai d'attraper une de ses mains mais rien n'y faisait, j'avais les bras trop courts pour à la fois l'attraper lui et me retenir à l'arbuste proche de l'eau. Petit à petit, je le voyais s'enfoncer, à ma plus grande horreur, sans pouvoir rien faire. J'ai honte de l'avouer mais j'étais prête à le laisser là. Je ne pouvais rien faire ! Rien ! Presque résignée, je m'assis au bord de l'eau, des larmes prêtes à couler. Je suis désolée, Orion... Puis la situation actuelle m'en rappela une autre.

La seconde tâche. Potter avait lui aussi failli se noyer dans le lac et s'en était sorti... Grâce à la magie ! Comment avais-je pu oublier que j'étais une sorcière ?! Fébrilement, je cherchai ma baguette dans la poche où je l'avais rangée et, d'une voix aussi forte et claire que je le pouvais, prononçai la formule. « Accio Orion ! » Je priai Merlin que cela fonctionne - je ne voyais pas d'autre solution. S'il te plaît Orion, ne meure pas. S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît !
A peine quelques secondes passèrent mais elles me semblèrent être une éternité quand enfin il émergea et vint se poser à mes pieds. Immédiatement, je le couchai sur le côté pour qu'il puisse cracher l'eau de ses poumons tout en retirant aussi vite que je le pouvais ma cape pour l'en recouvrir. Forcément, la pluie ne s'était pas arrêtée et plus le temps passait, plus je craignais qu'il n'attrape une pneumonie. Ses lèvres étaient bleues et il tremblait de froid, trempé jusqu'aux os ; je lançai sur lui le sortilège de chaleur, lui ré-insufflant un peu de vie en attendant que tous ses vêtements soient secs. « Orion... Orion, tu m'entends ? » appelai-je doucement et un vague hochement de tête me rassura. « Je vais te faire léviter pour qu'on puisse rentrer au plus vite au château, une fois là-bas je te sécherai. D'accord ? » Un autre hochement de tête me répondit ; je prononçai donc la formule adéquate et nous fis rentrer. Je nous arrêtai dans l'entrée, près d'une cheminée et le fis s'asseoir après l'avoir délivré du sort.

Lorsque je revins totalement à moi et que je repris pleinement conscience, j’étais assis sur le siège le plus confortable au monde, devant le foyer le plus chaleureux de la galaxie, dans le hall le plus accueillant de l’univers. Je tournai difficilement la tête – Merlin, que mon cou était raide – et croisai le regard soulagé de Lucy. Je me rappelai alors vaguement qu’après notre court épisode avec les Botrucs, j’étais tombé dans le Lac Noir et que Lucy m’avait sorti de là à l’aide d’un sortilège. Et puis, plus rien jusqu’à maintenant. Bien.

« J’imagine que je te dois une fière chandelle, » commençai-je délicatement. La pauvre avait dû se mettre dans un état terrible ; la mort de l’héritier Rosier, leur seul enfant mâle, aurait été un coup dur pour beaucoup de Sang Pur et Lucy aurait directement été soupçonnée, si ce n’était inculpée. En dehors de cet aspect contraignant, notre aventure avait indéniablement créé un lien assez puissant entre nous ; de l’amitié, un esprit de camaraderie et maintenant une lourde dette. Perdre un ami, même s’il n’était que de quelques heures, et se retrouver dans de beaux draps à sa mort aurait été une situation difficile à vivre pour le plus aguerri des solitaires – ce que Lucy n’était pas, à l’évidence.

Je dépliai mes jambes encore engourdies par le froid – par Merlin, avais-je donc pris soixante ans en tombant dans le Lac ? – et me remis péniblement debout. Lucy sembla esquisser un geste pour m’arrêter, mais je la rassurai d’un hochement de tête et fis involontairement craquer toutes mes articulations, même celles dont je ne soupçonnais pas l’existence. Je réprimai une grimace de douleur désagréable et passai la main dans mes cheveux. Complètement décoiffé. Mon passage éclair dans l’eau glacée semblait les avoir adoucis, néanmoins, et il était si tard que je ne risquais pas de croiser grand-monde.

Je tendis mon bras à Lucy pour la lever galamment et me rapprochai du foyer.

« Dis-moi… Je meurs de faim. Que dirais-tu de faire un tour aux Cuisines voir ce que les Elfes ont gardé ? Je tuerais pour une gigantesque Bièraubeurre bien épicée. Ensuite, je te raccompagnerai à ta Salle Commune – je sais que c’est juste à côté, mais c’est une question de principe. »

J’offris mon bras à ma nouvelle amie, visiblement aussi affamée que moi, et nous partîmes être les héros d’une nouvelle aventure… bien moins palpitante.