Dear dearest [Orion&Gabrielle]

Les vacances avaient été les bienvenues. Entre les différents problèmes à l'école et tout ce qu'il se passait à l'extérieur, pouvoir retrouver la sécurité du manoir familial était on ne peut plus nécessaire pour pouvoir me ressourcer et, surtout, retrouver comme il se devait mon frère. Nous ne nous voyions pas souvent au château : chacun était occupé de son côté, seuls les cours communs nous permettaient de nous croiser et nous ne prenions pas forcément le temps de nous envoyer des lettres, n'étant après tout pas si loin l'un de l'autre que ça.
En ce mercredi matin, j'avais donc décidé de passer la journée avec lui et je savais qu'il ne refuserait pas ma compagnie, aussi je me mettais en route pour sa chambre à pas de loup, à peine réveillée et encore en pyjama. Arrivée à sa porte, je frappai doucement et ouvris quand il me donna l'autorisation d'entrer. Je ne pus retenir un sourire mi-railleur, mi-ému quand je vis qu'il était encore au fond du lit et que seule sa tête complètement décoiffée émergeait de l'édredon.

« Ori, si tu ne sors pas maintenant du lit, tu vas fusionner avec. » Seul un grognement me répondit et je pouffai, comme seul lui m'avait jamais vu faire. Je me rapprochai jusqu'à être au bord du matelas et m'assis, avant de me pencher par-dessus lui. « Oriii... » appelai-je d'une voix douce et taquine. « Oriiiiii... » Un vague grognement me fit écho et, cette fois, je ricanai. Je retirai brusquement sa couette - Merlin merci il avait un pantalon de pyjama - et commençai à le chatouiller.

Je la voyais devant moi malgré la distance physique que les vacances mettaient entre nous. Je pouvais sentir ses cheveux couleur miel, qui étaient doux comme le plus soyeux des tissus ; je pouvais toucher sa peau, immaculée et tiède, attraper ses doigts fins et élégants, plonger mon regard dans le sien et admirer ses yeux noisette inquisiteurs et espiègles. Je la voyais, elle était juste là assise à mes côtés comme si nous assistions à un cours ; quelqu’un frappa à la porte de la salle de classe. Un retardataire, sûrement, rien de plus ; or, ce retardataire avait la voix de Gabrielle et m’appelait.

Tiré sans douceur de ma rêverie, je répondis à Gabrielle qu’elle pouvait entrer avec un vague marmonnement qu’elle sut interpréter correctement. Elle passa la tête dans l’entrebâillement et son sourire s’ouvrit largement quand elle me vit encoconné comme une chenille. Je ne résistai pas et lui répondis avec le sourire le mieux que je pouvais étant donné l’heure matinale. Elle m’enjoint à sortir de mon lit mais un grognement endormi lui répondit ; c’était plus fort que moi.

Me rappelant subitement quel était le lourd fardeau des hommes à leur réveil, je me retournai immédiatement sur le ventre lorsque Gabrielle approcha de mon lit – hors de question qu’elle assiste à ça, ce serait carrément bizarre. Néanmoins, j’étais content qu’elle vienne me réveiller en douceur – d’ordinaire, ma mère entre dans ma chambre et ouvre les volets, n’est-ce pas cruel ?

En douceur, avais-je dit ? Oh que non. M’appelant d’une voix qui ne laissait présager rien de bon pour moi, Gabrielle tira d’un coup ma couette – Merlin soit loué, j’avais mis un pantalon et j’étais sur le ventre – et commença à me chatouiller sans pitié entre les côtes.

Je hurlai de rire et de mécontentement à la fois, ne supportant pas particulièrement bien les chatouilles. Essayant de me débattre, je parvins à ramper hors de mon lit, duquel je me jetai pour atterrir non sans douceur sur le lourd parquet laqué. Gabrielle grimpa dessus pour m’attraper, mais je passai sous le sommier et la surpris de derrière, la plaquant contre le matelas et la chatouillant à son tour. Je ris en même temps qu’elle, incapable de résister à ses cris retentissants, et arrêtai lorsque notre mère nous cria d’en bas :

« Les enfants, tout va bien ? »

« Oui, mère ! » lui répondis-je, en sueur d’avoir tellement ri.

« Alors Gab, qu’as-tu de prévu pour aujourd’hui ? » m’enquis-je en m’asseyant sur le lit, signe que la guerre était terminée.

Ses éclats de rire me réchauffèrent le coeur et je commençai moi-même à glousser légèrement, jusqu'à ce qu'il tombât sur le parquet, où j'éclatai alors réellement de rire. Bon, il s'était peut-être fait mal mais Merlin savait à quel point ces moments m'avaient manqué. Je grimpai alors sur le matelas pour pouvoir le suivre de l'autre côté mais il fut plus rapide en passant par en-dessous et se jeta sur moi, me plaquant efficacement avant de me chatouiller à son tour. Je ne tardais pas à crier, réveillant très certainement Camille dans sa chambre, mais ne pus m'arrêter que quand notre mère nous demanda si tout allait bien. Incapable de répondre, je laissai Orion le faire le temps de reprendre mon souffle.

Il se rassit normalement et j'en profitai pour en faire de même, m'adossant au pied de son baldaquin, un léger sourire aux lèvres. Sa question me laissa songeuse - je n'avais absolument rien prévu, pour une fois. « Eh bien, pour tout te dire, je n'ai rien en tête... » répondis-je, en réfléchissant. Qu'allions-nous pouvoir faire ? Un regard vers lui et je décidai. « Et si, pour une fois, on ne planifiait rien à l'avance mais on s'amusait avec ce qui vient ? »

Normalement, je devais avoir une leçon de piano vers dix heures et un goûter était prévu pour seize heures ; notre mère tenait absolument à ce que j'y participe pour que je m'entraîne pour plus tard - comme s'il y avait besoin de s'entraîner pour un goûter. Forcément, Camille ne devait pas y participer parce qu'elle était trop jeune et n'avait pas encore besoin de prendre ce genre de leçons. Tandis que moi... Je serais fiancée dès ma sortie de Poudlard alors le plus tôt était le mieux.
Mais je ne voulais pas, pas aujourd'hui. Aujourd'hui ce serait la journée d'Ori et Gab. Personne n'aurait le droit de nous déranger et nous retomberions très certainement à l'âge un peu bête où il s'amusait à me tirer les cheveux et moi à le pousser mais nous nous amuserions comme des petits fous, loin des tracas de la vie.

Je sautai à bas du lit et me tournai vers lui, un grand sourire malicieux sur les lèvres et le regard pétillant, les mains sur les hanches, tel que j'avais l'habitude de le faire une dizaine d'années plus tôt. « Déjà, allons petit déjeuner... » proposai-je. Mon sourire s'élargit quand je vis qu'il avait compris que je voulais refaire comme avant. « Le premier arrivé en bas a gagné ! » m'écriai-je en détalant vers le couloir dont la porte était restée ouverte, glissant quelque peu sur mes chaussettes et ma chemise de nuit volant derrière moi.

Une journée à n’obéir qu’à notre propre volonté, à rire et à faire rire. Voilà quelque chose qui me parlait, voilà quelque chose qui me donnait envie de profiter de la vie à pleines dents. J’acquiesçai avec grand plaisir à la proposition de Gabrielle, qui m’enchantait véritablement. Je savais qu’elle avait des occupations plutôt précises pour aujourd’hui, mais elle avait tout l’air de balayer ses obligations pour vivre cette journée avec moi. Mes tâches consistaient surtout en discuter avec mon père après le dîner, afin qu’il recueille mes opinions sur les événements de l’actualité magique ainsi que mon avis sur les réactions des différentes familles Sang Pur. J’avais participé à ces débats assidûment tous les soirs depuis mon retour de Poudlard et je ne doutais nullement que mon père me laisserait une soirée de permission – surtout si c’était pour profiter de Gabrielle.

Gabrielle proposa d’aller prendre le petit-déjeuner, ce qui me ravit puisque la faim commençait à se faire ressentir. Malheureusement, il ne serait pas de tout repos, et Gabrielle annonça immédiatement la couleur en détalant pour gagner la course. Sans vraiment réfléchir et oubliant que ma mère hurlerait à me voir faire ça, je saisis ma baguette magique, posée sur mon chevet, et partis à la suite de Gabrielle, sur ses talons. J’étais pieds nus et elle, en chaussettes : elle avait l’avantage de la vitesse octroyée par les glissades, mais j’avais celui de la stabilité. Sa chemise de nuit, derrière elle, me faisait penser à un oiseau dansant un ballet ; j’arrivais à quelques foulées d’elle tel un élan au galop. Une fois à la cage d’escalier, je passai par-dessus la rampe et me jetai dans le vide alors que Gabrielle dévalait rapidement les marches.

« Arresto Momentum ! » dis-je à la mi-hauteur de ma chute. L’arrivée fut un peu brutale, mais j’avais dépassé Gabrielle ; nous entrâmes presque en même temps dans la salle à manger quand ma mère surgit de nulle part, les poings sur les hanches et les sourcils froncés.

« Orion Theodore Rosier ! Est-ce une façon de se comporter ? » me demanda-t-elle d’une voix ferme. Quand elle m'appelait par mon nom entier, ce n'était jamais bon signe.

N’arrivant pas particulièrement à garder mon sérieux, je baissai la tête et me retint de pouffer.

« Non, mère. Pardon. Je ne recommencerai pas, » m’excusai-je d’une voix un peu trop aigue pour être honnête. Ma mère, néanmoins, ne m’embêta pas plus longtemps et me congédia ; je m’assis à table où Gabrielle était déjà installée. Elle avait gagné la course grâce à ma mère. Je fis une fausse moue et tartinai deux morceaux de scones avec de la pâte à tartiner ; j’en offris un de bon cœur à Gabrielle et mordis dans le mien. Un elfe de Maison vint nous apporter notre thé ainsi que du jus de fruits et des viennoiseries. Nous commençâmes notre petit-déjeuner en silence, occupés à savourer le bon goût de la maison qui me manquait tant lorsque j'étais à Poudlard, puis je brisai le vide lorsqu’une idée me vint.

« Dis, Gabrielle, ce matin, tu voudrais bien qu’on aille se promener dans le domaine ? J’aurais bien aimé pêcher dans la rivière, ça fait si longtemps ! »

Si j'avais l'avantage de la vitesse et d'un départ en avance, Orion n'eut aucun mal à me rattraper à force de grandes enjambées - et de magie. Il se jeta de l'étage. C'était dans des moments comme ceux-ci que je me souvenais qu'il avait été envoyé chez les Lions non seulement pour sa galanterie mais également pour le courage quelque peu idiot dont il pouvait parfois faire preuve. Toutefois, je savais qu'il ne craignait rien - s'il avait sauté, c'est qu'il savait comment arrêter sa chute - et j'accélérai au maximum ma course, assez pour ne pas prendre de retard sans me briser la nuque. Je faillis perdre mais l'intervention de notre mère me permit de m'installer la première et c'est les joues rouges à cause de l'effort mais également du rire que je réprimais tant bien que mal que je m'installais à ma place habituelle.

Je ne dis rien tandis qu'il se faisait réprimander, par respect pour notre mère et pour lui, mais je ne pus retenir un sourire mi-railleur, mi-victorieux alors qu'il s'asseyait en face de moi et sa fausse moue me fit gentiment ricaner. Toutefois, je perdais vite mon air puisqu'il m'offrit un scone, que j'acceptai avec joie - et faim. Un silence agréable s'installa, tellement différent de quand nous étions au château, alors que les élèves semblaient incapables de profiter d'un repas dans le calme et la paix. Mon jumeau le brisa toutefois en proposant qu'on aille se promener, puis à la rivière. J'hochai la tête, les yeux écarquillés de plaisir tandis que je finissais ma bouchée de framboise. Une fois celle-ci avalée, je m'essuyai les lèvres et lui répondit :

« Oh oui ! Ça fait tellement longtemps ! » Je frappai un peu des mains, comme une enfant excitée. « Oh, j'ai tellement hâte ! Bon, je pense avoir perdu la main avec une canne à pêche mais ça devrait assez vite revenir... »

Le repas se termina dans un silence plein de bonne humeur et de hâte. Quand chacun eut fini, nous nous rendîmes dans nos chambres respectives pour nous préparer et c'est habillée d'une robe simple et pratique - bien qu'élégante, comme toujours - que je le rejoignis dans le hall du manoir. Les elfes avaient ouvert quelques fenêtres pour aérer et une légère brise printanière entrait, prometteuse d'une belle journée.

« Allons-y ! » lançai-je avec un grand sourire à mon frère adoré.

Nous nous élançâmes sur la pelouse verte et bien tondue du domaine. La rivière s’écoulait à quelques centaines de mètres du manoir pour venir se jeter directement dans la mer ; l’embouchure à la fois douce et salée permettait toujours d’attraper des prises exceptionnelles. Le chemin pour y aller commençait de la terrasse, à travers le petit jardin français qui jouxtait le potager, en suivant la lisière d’une petite forêt puis le long d’un chemin pavé qui amenait directement à la plage. J’adorais faire cette promenade quand j’étais bébé ; je pleurais souvent jusqu’à ce que ma mère se résigne à m’y balader. Un jour, un horrible insecte avait choisi ma joue comme terrain d’atterrissage ; je suis resté traumatisé et n’avais plus jamais demandé à ma mère de m’y promener. Elle avait commencé à s’habituer à ce parcours quotidien et avait essayé de m’y emmener de nouveau plusieurs fois, mais rien à faire, le bébé Orion était décidément bien têtu. Je sais qu’elle en avait été déçue, mais que la tristesse lui était bien vite passée quand s’était déclarée ma lubie suivante.

Grâce à des enjambées plus puissantes de ma part, je remportai sans difficulté la course – pas de mère pour venir faire gagner Gabrielle – et commençai à installer le poste de pêche avant qu’elle n’arrive à ma suite. Deux chaises dépliantes, du thé glacé et de la citronnade, un seau d’eau pour conserver nos poissons avant de les relâcher, ainsi que les cannes et les appâts. J’entrepris péniblement de coincer deux vers sur les cannes – j’avais du mal à faire cette chose répugnante mais Gabrielle ne voulait même pas toucher les invertébrés. Je lui tendis sa canne prête à l’emploi et nous lançâmes nos lignes en même temps.

Après quelques minutes, un poisson mordit et mon bouchon disparut dans l’eau. Je ferrai et une carpe de taille correcte vint à la surface, accrochée à mon hameçon. Je la détachai prudemment et observai du coin de l’œil Gabrielle, les yeux rivés sur la surface ; à raison, car des cercles venaient briser la surface, signe qu’un poisson faisait de l’œil à son appât. Profitant de son attention focalisée sur autre chose que moi, je pris ma carpe par la queue et frappai doucement Gabrielle au visage avec. Ni le poisson, ni ma sœur n’eurent mal, mais Gabrielle sentirait la rivière toute la journée, et je savais qu’elle détestait ça. Bon, c’était un coup à me retrouver plongé dans l’eau… Mais c’était toujours plus agréable que recevoir un poisson écailleux sur la joue. J’éclatai de rire devant sa mine incrédule.

Nous repartîmes dans une autre course, qu'il gagna cette fois haut la main - je dois avouer que j'avais moins envie de courir, maintenant que j'étais lavée et habillée - et je pris donc mon temps pour arriver, lui laissant le temps d'installer nos affaires et surtout, de planter mon ver sur mon hameçon. Déjà que je n'appréciais pas tellement le contact de la peau écailleuse des poissons sous mes doigts alors si en plus il fallait que je touche l'appât... Beurk. Quand j'arrivai à ses côtés, il était déjà installé, canne en main et je pris donc place sur la chaise qui m'était destinée. Nous restâmes ainsi pendant quelques minutes et il ferra plus rapidement moi. Du coin de l’œil, j'aperçus une carpe mais presque aussitôt après, un autre poisson commença à titiller mon bouchon et mon instinct me disait que ma prise serait plus grosse que la sienne, je restai donc concentrée sur ce que je faisais. Le traître en profita pour me frapper la joue - certes gentiment - avec son poisson.

Je laissai échapper un cri d'effroi tandis que je sursautai violemment, laissant échapper ma canne et tombant presque de ma chaise puisque j'avais presque sauté dans la direction opposée à celle de mon agresseur. Et lui, il riait, fier de sa blague. Je me levai et me plantai face à lui, les mains sur les hanches et les sourcils froncés, bien qu'un sourire me démangea le coin des lèvres. « Orion Rosier, j'ai failli faire une crise cardiaque par ta faute et j'ai perdu ma prise ! N'as-tu pas honte ? » Vu son fou rire, ce n'était certainement pas le cas, je me jetai donc sur lui pour - encore une fois - le chatouiller et nous tombâmes à la renverse.

Gabrielle m’interpella comme notre mère le faisait pour me gronder – cela lui allait bien, elle maîtrisait parfaitement l’air outragé qu’elle essayait de se donner ; poings sur les hanches, sourcils froncés. L’esquisse de sourire qu’elle ne parvenait pas à réfréner la trahissait néanmoins, et je grinçai des dents à la pensée de tout ce qu’elle pouvait me faire subir pour se venger. J’avais raison ; elle se jeta sur moi pour me chatouiller de plus belle, et j’en lâchai ma carpe qui finit par rejoindre en un bond le lit de la rivière. Après quelques instants – qui me parurent une éternité – à hurler de rire et implorer sa pitié, Gabrielle se releva et me laissa en paix – pour l’instant. Je m’assis difficilement dans ma chaise, les côtes encore endolories de la torture douce que ma jumelle m’avait fait subir et sirotai mon verre de thé glacé en le savourant tranquillement, profitant d’un moment d’accalmie qui me rappelait non sans une certaine nostalgie les trêves négociées de notre enfance, lorsque j’arrêtais de lui tirer les cheveux et qu’elle ne me lançait pas de galet à la figure.

Je relançai ma canne dans l’eau après y avoir accroché un nouvel appât, et la fixai sur le support pour ne pas avoir à la tenir – je n’étais pas particulièrement fragile, mais je préférais largement prendre mes aises dans ma chaise plutôt qu’être debout à attendre bêtement un poisson qui ne viendrait probablement plus, après tout ce raffut. Je soupirai et observai Gabrielle, toujours campée sur sa détermination d’attraper une prise plus grosse que celle avec laquelle je l’avais frappée. Lui souhaitant bonne chance à part moi, j’entamai enfin une discussion un peu consistante – jouer et se taquiner, c’était bien, mais nous n’étions plus des enfants qui n’avaient rien à se dire.

« Tiens, Gab, j’ai reçu hier une missive de mon amie Aldabella Prendergast. Nous irons d’ailleurs nous promener ensemble demain après-midi, lui lâchai-je d’un ton désinvolte, me gardant bien de lui dire où nous allons, même si une déduction n’était, au bout du compte, pas si difficile. La perspective d’imaginer Gabrielle nous suivant par curiosité et découvrant ce que je ne voulais pas qu’elle découvre sans que je ne lui en ai parlé avant me faisait froid dans le dos. Quant au fait de lui en parler… Eh bien, pas maintenant, pas aujourd’hui. Son opinion n'était pas la bienvenue.  Et toi ? Des nouvelles de tes amis ? »

Je finis par me laisser convaincre par ses supplications et arrêtai de le chatouiller, non sans un dernier regard de mise en garde. Qu'il recommence et la sentence serait pire ! Je retournai donc à ma canne, lâchement abandonnée et la relançai, même si je me doutais un peu que plus rien ne viendrait, le bruit ayant effrayé les poissons. Dans mon dos, Orion s'installa dans une chaise, un verre à la main, avant d'installer sa propre canne sur un des supports. Je décidai de ne pas lâcher l'affaire pour l'instant, bien déterminée à attraper quelque chose malgré tout et tant qu'à faire plus gros que sa carpe. On verrait bien !

La voix de mon jumeau s'éleva dans mon dos et j'écoutai ce qu'il me dit, bien que toujours concentrée sur la pêche. Aldabella Prendergast ? La préfète Gryffondor ? Je posai la canne sur un support semblable à celui de mon frère et le rejoignis, intriguée par ce qu'il me racontait. Me servant un verre de thé glacé, j'attendais qu'il ait fini avant de répondre.

« Aldabella Prendergast, la préfète Gryffondor ? » Il acquiesça et je ne rajoutais rien, n'ayant de toute façon rien à rajouter. Bon, j'aurais aimé lui rappeler que les Prendergast étaient des traîtres à leur sang mais la remarque n'aurait pas été bien accueillie et je ne voulais pas gâcher nos retrouvailles alors je me tus. « Quant à mes amis... » Mon regard se perdit un peu dans le vague. « Je n'ai plus de nouvelles d'Yvain depuis quelques temps déjà. » J'accrochai son regard, si semblable au mien. « Tu en as eu, toi ? » Quand il hocha la tête en signe de dénégation, je laissai échapper un petit soupir. Yvain me manque. Nous restâmes ainsi, silencieux et plongés dans nos pensées, pendant quelques minutes et quand chacun eut fini son verre, je me levai, de nouveau le sourire aux lèvres. « Ça te dit qu'on aille se promener ? Les elfes s'occuperont de nos affaires de pêche. » Il se leva à son tour et m'attrapa la main, comme nous le faisions toujours étant petits, avant de commencer à avancer en direction de la plage privée du manoir. Tout en marchant, je levai les yeux vers lui et, le sourire plus large que jamais, lui dis : « Tu m'avais manqué, Ori. » avant de me dresser sur la pointe des pieds et de l'embrasser sur la joue. La seule différence entre avant et maintenant, c'était qu'il piquait un peu...

Elle suggéra immédiatement de ne rien ranger, de laisser tout en l’état et que les Elfes de Maison nettoieraient à notre place. Je n’eus d’autre choix que me lever, le cœur serré, et regardai le bazar que nous leur laissions – deux chaises, des affaires de pêche, des boissons. Pris d’embarras pour eux, j’empilai les verres et ramassai les affaires aussi rapidement que possible pour qu’il ne soit pas aussi pénible pour eux de passer derrière nous.

Nostalgique d’une époque où tout était beaucoup plus simple, je pris la main de ma sœur sans vraiment y penser et nous prîmes la route jusqu’à la plage, où nous finirons probablement avec au moins les pieds dans l’eau. Gabrielle me dit que je lui avais manqué en m’embrassant, mais je n’eus qu’un faible sourire : à quel point cette petite phrase de convenances pouvait-elle être fausse ? A Poudlard, Gabrielle faisait sa vie sans trop se préoccuper de moi, et encore moins de la pauvre Camille – nous nous voyions uniquement parce que la plupart de nos fréquentations Sang Pur se révélaient être les mêmes. Elle ne cherchait jamais à me voir, moi particulièrement, et c’est presque si elle n’allait pas m’annoncer, un de ces quatre, qu’elle préférait qu’on se parle par lettres interposées. Alors, est-ce que je lui manquais ? Peut-être, peut-être pas. Je ne savais plus qui était Gabrielle ; depuis plusieurs semaines, elle était comme détachée de moi et de tout ce qu'il y avait de bon chez elle. Je me doutais qu’elle préférait passer du temps, au Château, avec ses amis Serpentard parce qu’elle savait que je serais toujours là pour elle – mais le serais-je ? En arriverais-je un jour à un point où je me sentirais tellement abandonné que je l’abandonnerais pour de bon ? En aurai-je la force, le courage ? A part moi, je me dis que peut-être, je n’avais pas été envoyé à Gryffondor uniquement parce que je l’avais demandé. Je soupirai.

« Tu m’as manqué à moi aussi », lui dis-je d’une voix déchirée. C’était un mensonge. Elle me manquait toujours.

Je lui lâchai la main et croisai les bras pour qu’elle ne puisse pas la rattraper, ni me prendre le poignet. Je n’avais plus envie d’être ici, là, avec elle ; j’avais envie d’avoir ma Camille sur mes genoux et ne plus penser à ce qui allait mal dans le monde, dans ma famille, dans mon cœur, un peu partout. Avec Camille, tout était si rose – je crois que nous évitons tous les deux les sujets qui nous blesseraient l’un l’autre – et je n’avais pas eu droit à cette overdose de douceur et d’amour depuis bien longtemps.

Je repensai à quelques instants plus tôt, où je riais à m’en faire mal aux côtes. Je ne supporterais pas bien un contact physique de la part de Gabrielle, en ce moment-même. Depuis quand étais-je devenu si incroyablement lunatique ?