Take my Hand | Drago Malefoy

Drago avait au moins conscience de ça : il avait une vie de merde. Il était né au mauvais moment, dans la mauvaise famille, et il était désormais condamné à être moqué, pris entre les deux feux d’une guerre où il était aussi inutile que gênant. Manipulés, les Malefoy avaient été brisés par leur Seigneur comme des jouets dont on ne veut plus. Il ne restait presque plus rien de ce qu’ils avaient été. Un coup d’œil au manoir suffisait à s’en convaincre.

Yvain n’aurait pas pu trouver de meilleure solution que de fuir, à part peut-être faire le mort en attendant de l’être. Moyen, quand même. Drago avait décidé de laisser son sort entre les mains de son ami, lui demandant même s’ils ne pouvaient pas partir le soir même. Il était fatigué, mais arguait que ce n’était pas grand-chose si ça pouvait permettre de le garder en vie. Pareil pour le chapitre on ne peut plus désagréable du ‘vous allez devoir passer pour des Moldus’. Assez étrangement, Drago n’était pas dérangé plus que ça par ce détail. Il avait déjà mis un pied dans la merde, alors il pouvait bien continuer à ramper dans la fange, surtout si ça lui sauvait la peau.

Mais Yvain avait vraiment l’air vanné. Hmpf. Drago soupira un temps, réfléchissant. Ils pouvaient couper la poire en deux.

— On peut partir cette nuit. Tu te reposes un peu, avant. J’ai l’impression que t’es prêt à t’effondrer. Je voudrais pas que tu nous claques dans les pattes…

Comme c’était ironique que ce soit lui qui dise une chose pareille ! Drago en avait bien conscience, et détourna le regard l’espace d’un instant. Voyager comme des moldus était la meilleure idée qu’ils puissent avoir, mais elle comportait quand même des inconvénients…

— Comment tu vas faire pour Giselle ? Elle fait pas très moldue, la pauvre.

Drago n’avait pas oublié le petit nom qu’Yvain avait donné à son balai, qui était sûrement l’objet le moins moldu qu’il puisse avoir. Il doutait que son ami veuille se séparer d’une si bonne amie, du moins pas si facilement. Et puis, ils avaient dit d’aller au Danemark avec elle, non ? Qu’est-ce qu’ils avaient pu dire comme conneries dans ces lettres, sérieusement… Et encore, c’était que le début. La correspondance dryvanique, c’était tout un chapitre, et pas des plus glorieux.

Se faisant court-circuiter par son inconscient, Drago failli l’évoquer, avant de se raviser, rougissant & embarrassé. En face de lui, Yvain se noya presque dans son thé, insistant pour savoir ce que Drago avait bien pu vouloir dire de si intéressant. C’était forcément loin d’être anodin s’il rougissait ainsi, non ? Bon vite, trouver une parade, quelque chose. Noyer le poisson, faire diversion, coûte que coûte.

— …Merci. Pour tout.

L’ancien Drago aurait clamé haut et fort qu’Yvain ne méritait pas un ami comme lui, mais c’était l’inverse qui était vrai. Il n’était pas digne d’avoir dans son entourage quelqu’un d’aussi dévoué, surtout après tout ce qu’il lui avait mis dans la tronche. Drago pourrait s’excuser. Ouais, il pourrait. Il pourrait faire et dire plein de choses, mais il restait Drago.
Il ne dit ni ne fit rien.

Petit à petit, il avait cessé de tousser – de s'étouffer, plutôt, ouais – comme un fou furieux. Même ses poumons faisaient un effort pour qu'il puisse faire autre chose que cracher du thé. Ou son intérêt humide et métaphorique. Wowh. Amenée de cette manière, sa pensée était fichtrement crade : il parlait juste de son amitié pour Drago, hein. Évidemment. Bien sûr.

Mouais. Mec, ton excuse, elle tient pas deux secondes dans ton crâne. Tu le sais très bien. Autant que le reste.

Le souffle rendu court par ce semblant de noyade, Yvain avait finalement réussi à se dissocier de la tasse vide. De toute façon, ça n'aurait pas été très sympathique de la casser sous le coup de la surprise. Euh. Oui. La briser tout court aurait été putain de mal venu. Franchement, de ce qu'il pouvait en juger, le manoir de la lignée Malefoy était constitué d'une myriade de petites choses trop précieuses.

L'espaces de quelques instants, le regard du septième année s'immobilisa dans le vide, à proximité de la table et du service à thé. Il réfléchissait à toutes les informations lâchées par les lèvres de son blond cadet, et ce que de tels propos impliquaient. Le sommeil, déjà. Un peu. Merde. Il avait capté le mensonge. Ça, ça n'aidait vraiment personne.

Un pote trop observateur, ça risquait de lui poser quelques problèmes. Enfin. Tant qu'il s'agissait seulement de repérer son mal être... C'est pas comme si son meilleur ami avait deviné l'intégralité du plan vivement élaboré. Non. Heureusement, d'ailleurs. Le cas échéant, ce serait gênant. Surtout si son camarade se décidait à foutre le bordel pour l'empêcher de sacrifier sa propre mémoire.

Hmpfh. Inutile d'en débattre. Ni maintenant, ni demain. C'était un aspect non négociable de leur fuite. Et de son retour auprès des siens. Sa mère. Son oncle. Harmony. Gabrielle.

Distraitement, il soupira. Dire que ce n'était que le début. « D'accord. Tu as gagné. Je vais me reposer un peu. » En des gestes lents et éreintés, Yvain tenta de se coucher en travers du fauteuil. Tant pis pour le côté bonne manière et respect des objets. Tant que ses pieds ne touchaient rien d'autre que le vide, théoriquement, il ne faisait rien de mal. Pas vrai ? « Ça me ferait chier de tomber dans les citrouilles au milieu du trottoir. Ce serait trop flagrant. » Il eut un petit sourire railleur. « Pour Giselle, je compte la rétrécir à la taille d'une balayette, en m'éloignant assez pour ne pas activer ta trace. Franchement, un truc pareil... Personne n'y fera attention. De toute façon, nous n'avons pas le choix. »

Une sorte de fermeté exaspérée lui vint. « Comme tu dis, elle fait pas assez moldue à sa taille réelle. »

Après ces mots, le septième année ferma les yeux. Contrôler son cœur. Les rougeurs. Tout le bordel lié à son agitation grandissante. « Y'a pas de quoi. » Ils partageaient une amitié à l'épreuve de toutes les merdes du monde.... Et un peu plus, parfois. Euh. Potentiellement. Pas réellement. Enfin. Ça dépendait de l'humeur de son blond cadet. « Tu sais que tu peux compter sur moi. »

Il croisa alors les bras sur son corps, tel qu'il le ferait pour se tenir chaud. « Même si on le dirait pas spécialement, je tiens trop à toi pour te laisser pourrir ici... » Au loin, au-delà des murs épais et vieillots, le ciel se chargeait de grondements et d'éclats aveuglants. « … Bref. File préparer tes affaires, je vais somnoler un peu. »

De nouveau, il souriait. Las et tendre à la fois. Un petit coup de repos ne lui ferait pas de mal.

Yvain avait capitulé un peu trop rapidement à l’injonction de Drago à se reposer. Il devait vraiment être crevé, surtout s’il était prêt à dormir dans le canapé. Ils étaient dans un manoir, par Merlin. Il y avait des chambres d’amis. Mais Drago ne dit rien : il le regarda s’affaler dans le fauteuil, faisant peu de cas de la bienséance, s’en moquant éperdument. Si seulement Drago arrivait à être un peu plus souvent comme ça, lui aussi. Il n’était pas idiot. Il n’était pas sourd à la réputation d’aristocrate avec un balai dans le fondement qu’il se traînait… S’il voyageait, s’il partait — parce que c’était bien de ça dont il s’agissait — il allait forcément guérir de cette excroissance gênante. Il n’aurait pas le choix, non ?

Drago hocha doucement la tête : Yvain avait un plan pour garder Giselle avec lui : tout était donc pour le mieux et il pourrait se reposer l’esprit tranquille. Et puis la langue du blondinet fourcha, manquant d’éventer un secret qu’il préférait bien gardé. Alors il le remercia, tout simplement.

— Ouais, je sais.

Il pouvait compter sur Yvain. C’était peut-être la seule personne au monde à qui il pouvait confier sa vie sans hésiter. Il soupira. Après tout ce qu’il lui avait fait subir, putain. Drago devrait avoir honte.

— T’en fais pas, ça se voit.

Il n’avait pas pu s’en empêcher, alors qu’Yvain disait que malgré les apparences, il tenait à lui. Malgré quelles apparences ? Drago tenait à lui faire savoir que c’était limpide, clair comme de l’eau de roche. Et que ça n’aurait pas pu l’être davantage, même. Épuisé, Yvain s’allongea dans le fauteuil, laissant Drago ranger le service à thé et prévenir sa mère du plan. Elle parut hésitante, mais quelle alternative avaient-ils ? Confier leur vie à un gamin de 18 ans, c’était tout ce qui leur restait.

En revenant dans le salon, Drago constata que son ami s’était endormi. Il ne put s’empêcher de placer une couverture sur lui et, avant de se rendre compte de son geste, passer ses doigts pâles dans sa chevelure brune. Yvain leur sauvait la vie. Il était venu le chercher jusque dans ce manoir, et il lui avait offert de l’espoir alors qu’il était convaincu qu’il n’y en avait plus et que tout n’était que ténèbres. Drago inspira profondément, se frotta les yeux, et alla préparer son sac.

Ne pas oublier de laisser des choses essentielles, des choses qui prouveraient, aux yeux des Aurors comme des Mangemorts, qu’ils avaient disparus, et pas qu’ils avaient fui. Quelques rechanges, qu’ils devraient rapidement renouveler avec ce qu’ils trouveraient sur place. Peu de Gallions, parce qu’ils n’en auraient pas besoin, là où ils allaient. Aucune malle. Ni balai.
Ni baguette.
S’il fallait vivre comme des moldus, alors ils allaient le faire. Au moins le temps que Drago atteigne ses dix-sept ans et que cette foutue Trace ne s’estompe. Ce n’était l’affaire que de quelques semaines, les semaines les plus longues de toute l’existence de Drago. Quelques semaines pour changer de vie et renaître, car c’était bien de ça dont il s’agissait : l’ancien Drago était mort.

Laissant derrière eux les préciosités de la famille, dont la baguette en orme qui se passait de génération en génération depuis presque mille ans — quoique protégée dans un écrin enchanté — Narcissa, son fils et le meilleur ami de ce dernier quittèrent le Manoir Malefoy quelques heures plus tard. Drago aurait bien voulu le faire flamber, mais ça aurait inutilement attiré l’attention sur l’endroit. Ce fut en silence, sans éclat de lumière ou de voix qu’agonisa son ancienne vie, jusqu’à pousser son dernier soupir alors qu’elle disparaissait dans la nuit orageuse.