Croissants & Oeufs au plat

Une silhouette penchée sur un grimoire, bougeant à peine, alors qu’un nouveau matin de printemps se levait derrière les vitraux de son appartement. Quinlan était déjà réveillé depuis une bonne heure quand la petite aiguille de l’horloge pointa le six. Il s’était couché un peu trop tôt la veille, et s’était donc réveillé en pleine forme vers quatre heures et demie. Quitte à être déjà debout, il s’était tiré du lit pour aller étudier d’un peu plus près un grimoire sur lequel il patinait encore. Une myriade de problèmes se bousculaient dans sa tête, parmi lesquels le nom étrange d’un bar où il devrait fatalement se rendre. Oh, il n’y était pas obligé, mais il le ferait, pour un ancien collègue et par respect pour un pauvre loup-garou dont l’identité restait encore un mystère. En arrivant à Haveirson, en quittant les urgences de Ste Mangouste, Quinn n’aurait jamais pensé que sa préoccupation particulière pour les lycanthropes allait se transformer à ce point en passion. Une obsession ravageuse qui guidait ses travaux personnels, mais qui venait aussi entraver certains de ses jugements. Pourquoi les loups-garous et pas une autre catégorie de personnes…? Il n’en savait rien. Peut-être parce que les vampires avaient trop mauvaise presse ou que les créatures de l’eau étaient trop indépendantes. Peut-être encore parce que les vélanes se défendaient très bien seules. C’était grisant pour une âme militante de se trouver un combat, à partir du moment où on était concerné. Pour Quinlan, cette résonnance sonnait parfois faux. Mais même ainsi, il était incapable de lâcher l’affaire.

Quelques dizaines de minutes passèrent avant qu’il ne se souvienne qu’un de ses collègues et ancien ami de Poudlard, Maxwell, avait organisé un petit-déjeuner commun dans la salle des profs. Ça ne lui ferait pas de mal de se sociabiliser un peu, et il savait que la compagnie de Max lui rappelerait des souvenirs. Pas toujours très bons, mais au moins venus d’une époque où tout semblait plus simple. Il lâcha son grimoire et se dirigea vers la salle de bains en s’étirant. Et en jetant sa robe d’intérieur sur une des chaises de la salle à manger.

Quinn n’était pas spécialement long dans la salle de bains le matin. Non c’était devant l’armoire qu’il mettait plus de temps. Quelle chemise porter ? Avec quel pantalon ? Et quelle robe de sorcier !? Rha ! Ce casse-tête, surtout avec une garde-robe aussi bien fournie que la sienne. Il finit par se décider pour un jean tout simple, une chemise bleu turquoise par dessus laquelle il enfila un veston aux broderies cuivrées. Il ajouta une robe de sorcier légère que son père venait tout juste de lui confectionner, noire à la doublure satinée, parée elle aussi de reflets de cuivre. Voilà, là, il était fabuleux !

C’est ainsi qu’il entra dans la salle des profs, juste à temps pour entendre Maxwell pester contre… Contre quelque chose dont il ignorait encore la substance.

— Hé ben, déjà de si bonne humeur, Max ? Ça va ?

Quinn sourit et se tourna vers la table bien garnie. Il était levé depuis quelques heures, oui peut-être, mais il n’avait rien avalé si ce n’est un thé. Du coup, il crevait la dalle, et son estomac le lui rappela bruyamment. Sans hésiter, Quinn prit une tasse de café et quelques viennoiseries avant de s’installer sur un des fauteuils et de ramener à lui une table basse.

— Alors, quoi de neuf ? Ou de vieux ? Ou de pas encore arrivé d’aileurs !

Le guérisseur rit doucement, se souvenant bien évidemment du domaine d’expertise de Maxwell, et le respectant même s’il n’y croyait qu’à moitié. Enfin, depuis son expédition au Pérou, peut-être que… Tiens. S’il le lui demandait ? Oh. Non. Pas ici, ce serait bizarre… Non ? Si. Peut-être.

Quinlan ne connaissait pas ce M. Warner, mais il ne doutait pas que Maxwell voyait sûrement juste. C’était lui l’expert en divination, non ? Le guérisseur sourit doucement et une fois son petit-déjeuner préparé, il alla s’installer dans un fauteuil. Son ancien camarade de Poudlard lui balança donc les dernières nouvelles, en citant une fille que Quinn ne remettait pas. Ce n’était de toute façon pas bien important. Ce que le guérisseur avait compris, c’était que Maxwell avait toujours des soucis côté vie sentimentale, et qu’en dix ans ça ne s’était pas vraiment amélioré.

— Je vois pas qui c’est mais je te crois. Mais faudrait p’tet passer à autre chose, non ?

Il était bien placé pour parler, tiens, lui qui avait fait une gueule de trois pieds de long en apprenant le mariage de son ex suédois. Oh, il ne l’aurait pas marié lui-même s’il en avait eu la possibilité, tout simplement parce qu’il considérait le mariage comme quelque chose qui n’était pas fait pour lui. S’il y avait songé, il fut un temps, avec une autre de ses ex, c’était parce que c’était elle qui avait abordé le sujet en premier.

Quinlan ne préférait pas trop y penser et se raccrocha rapidement à la question de Max : avait-il sauvé des vies ? Le guérisseur ricana.

— Pas vraiment non, je m’occupe surtout de petites choses à l’infirmerie et c’est tant mieux ! Enfin, il y a des accidents assez impressionnants parfois.

Et aussi des gens qui mettent le Comte en pétard et le regrettent beaucoup ensuite. D’ailleurs, en parlant de pétard, Maxwell ne se gêna pas pour en allumer un, devant le regard indifférent de Quinlan. Lui s’en foutait, du moment qu’on venait pas lui demander de le sevrer. Il allait justement faire la remarque quand une jeune femme entra dans la salle des profs. Quinlan ne fit aucune remarque, sachant déjà qu’il y avait eu quelques recrutements ces derniers temps. Il serra poliment la main de Morgane, et se présenta en retour :

— Quinlan Fitzsimmons, professeur de médicomagie & infirmier en chef. Bienvenue à Haveirson !

Posé dans son fauteuil, il profita un temps de son café avant de se tourner de nouveau vers Morgane :

— Alors, ça va ? L’Académie vous plaît ? Les étudiants ne sont pas trop chiants…?

Il souriait doucement, songeant à quelques cas auxquels il avait eu affaire. Certains avaient été de vraies plaies, d’autres avaient su mettre un peu d’ambiance dans un cours qui, autrement, aurait été désespérément moribond. C’était ça qui était cool avec les étudiants : ils étaient tous différents, et il y en avait toujours un pour vous poser la question à laquelle vous ne vous attendiez pas.