Leçons sur le silence - Pv. Aldabella

C'était déjà l'hiver. Les feuilles mortes étaient désormais recouvertes d'une fine couche de blanc, égale et immaculée. Le froid se faisait discret, les arbres suintaient d'humidité et une légère brise fraiche caressait ceux et celles qui étaient sortis de leur dortoir, les entrainant doucement au gré du vent, de ses sifflements mélodieux. La forêt, elle, empestait le poil mouillé, la sève gelée et la mousse pourrissante. Mais c'était une si belle odeur. Une odeur qui lui avait manqué. Ce n'était pas la première fois qu'il entrait dans ce lieu interdit, mais c'était bel et bien la première fois depuis qu'il n'était plus à Poudlard. Ghrystal humait les odeurs et se dirigeait d'un pas assuré vers la clairière où il devait rejoindre sa petite sœur. La neige s'écrasait sous ses pieds. Crounch crounch. On pouvait entendre les feuilles chanter leur mort, camouflés sous le froid. La nostalgie lui revenait toujours avec l'idée d'un printemps nouveau. Il s'annonçait, peu à peu. Il l'appréhendait, le sourire aux lèvres.

Le jeune homme était habillé en conséquence de la saison. Un grand manteau noir et des gants de cuir. Un foulard, un bonnet, il était prêt, parfait. Il trainait avec lui un petit sac sans fond dans lequel il avait mit un exemplaire d'Introduction à l'art de la magie informulée, le livre qu'il avait ordonné à sa sœur de lire. Il lui avait dit d'arriver pour 21h. Aucun retard permis. Il s'attendait bien à ce qu'elle soit en retard. Du moins, lui, il le serait. Il prenait son temps. Admirait le paysage. Flânait un peu. Caressait l'écorce d'un arbre là, qui trainait. Délicat. Puis, lorsqu'il arriva finalement au grand rocher blanc – leur lieu de rendez-vous – il leva sa baguette.

—  "Lumos ! T'es là, Alda ?"

Tel un phare, il dirigeait le faisceau de lumière autour de lui. Sa sœur arriverait-elle à bon port ?

 

Il haussa les sourcils lorsqu'elle mentit. Chérie, nous avons été élevés ensembles, je t'ai vu grandir et mentir, tu ne peux pas m'avoir. Il pouvait voir un brin de vérité, aussi. Beaucoup trop insignifiant pour nécessiter une confrontation de sa part; il se taisait. Elle saurait de toute façon ce que son expression voulait dire. Sourire discret, muscles des sourcils contactés. Le visage d'un Ghrystal qui savait bien qu'on lui disait des idioties.

— "Bien sûr que je suis prêt. C'est pas à moi que tu devrais poser cette question là ! Il sortit un parchemin et une plume. Tu sais, je t'avais demandé de lire le livre sur les sorts informulés parce que tu étais supposée passer un petit test. Finalement, j'ai changé d'idée. J'en déduis que tu l'as lu avec l'appréhension que j'allais te questionner aujourd'hui. Eh bah non. Incendio !"

Pendant qu'il parlait, il avait pointé sa baguette, maintenant éteinte, vers le papier. Aussitôt la formule prononcée, le questionnaire prit feu. La combustion fut brève; il n'était plus que poussière après quelques secondes. Il recula un peu, prenant de la distance par rapport à sa sœur. Son sourire devait être difficilement perceptible, mais il existait bien. Il préférait montrer son bonheur dans le noir. Il était plutôt gênant qu'elle le voit.

— "Avant qu'on commence, sache que je suis content de te voir. Sache aussi que je vais savoir tout de suite si tu n'as pas lu ce que je t'ai demandé. Il pointa sa baguette sur elle. Si tu as lu, tu sauras comment te sortir de ce sort."

Il informula Levicorpus. Aussitôt, la Gryffondor pouvait se sentir léviter, prise par la cheville, tête en bas. Le sort le plus basique relié à l'enseignement de la magie du silence. Sujet du premier chapitre de pratique du livre qu'il lui avait demandé de lire. La contre-formule était simple.

Il échappa un rire. Un rire de grand frère qui se moque de sa sœur.

— "Ok Ok, j'essaie de rester sérieux. Mais j'y arrive pas ! Ta face quand tu te prends un de mes sorts ! Ça m'avait manqué ça !"

 

— Un jour, je vais te tuer, Ghrys ! Mais commence par m’aider à me relever." Il sourit et aida sa sœur à se relever pendant qu'elle terminait sa réplique. Le tuer ? Il n'attendait bien que ça ! Ha ! "Sérieux, c’est pas croyable. Je suis trop contente de te revoir pour être fâchée." Et il la réceptionna dans ses bras. L'étreinte fit s'élargir son sourire. Il oubliait toujours à quel point elle lui manquait. Seul à Haveirson, tout allait bien. Il ne manquait de rien. Il était un peu seul, mais ça allait. Mais quand il la revoyait, il se rappelait à quel point il avait besoin d'elle. Sa présence, son existence, les battements de son cœur contre le sien. Sa petite sœur lui manquait effroyablement. "C'est réciproque, au cas où tu pouvais en douter." Elle se dégagea d'elle-même et le piqua avec sa baguette. Il fronça les sourcils. Une moquerie ? Elle savait qu'elle pouvait regretter ces affronts ? Bien sûr que oui. Voilà qu'elle exigeait qu'il ne le fasse plus et lui demandait s'il allait arrêter de se foutre de sa gueule ce soir. Un léger haussement d'épaules et une moue artificielle décorent l'expression du jeune homme.

— Je vais essayer mais je ne garantie rien. Depuis quand j'accède à tes demandes ? Et je savais bien que tu lirais mon livre. Je me suis dis que le travail écrit était bien trop ennuyeux et que y'a que la pratique qui te mènera loin. On s'en fout de la théorie, en fait." Il prit une pause. Ok. En fait je réalise que je t'ai fait lire pour rien. Bah alors, si tu as lu, on peut assumer que tu es prête ?

Il recula un peu et relevait sa baguette. Il en était au point où il ne voyait plus les traits de son visage dû à la noirceur et la distance. Malheureux de ne pouvoir savoir si elle rageait de le voir pointer le bout de sycomore vers elle, il informula un lumos pour éclairer les lieux. "Alors c'est simple. Pour commencer, je vais te demander de me lancer le même sort que je viens de t'infliger. Levicorpus. Comme ça tu as la chance de te venger un peu, d'accord ? Concentre toi. En lançant un sortilège informulé, tout se passe dans ta tête. C'est de la volonté pure. Tu dois lancer le sort. C'est nécessaire, c'est vital, tu ne peux pas rater. Au départ, ça demande beaucoup de concentration. Pense à ta baguette entre tes doigts, pense à la magie dans tes veines. L'énergie qui accompagne normalement l'incantation, les mots d'un sortilège. Cette énergie ne peut s'échapper à travers tes mots. Allez. Levicorpus. Tu es capable."

La lumière au bout de sa baguette se tamisait peu à peu, jusqu'à totalement s'éteindre sous la volonté informulée de Ghrystal. Il attendait la vengeance d'Alda.

 

Lorsque Ghrystal commença à donner ses explications, Aldabella croisa les bras contre sa poitrine. Elle avait toujours été très attentive aux instructions de son frère, même si parfois, elle trouvait qu’il en faisait un peu trop. Mais pouvait-elle vraiment lui en vouloir ? Il prenait de son temps, même maintenant, alors qu’il allait à Haveirson, pour l’aider à progresser. La Gryffondor repensa à leurs premiers cours du soir, il y avait cinq ans maintenant. C’était lors de sa première année à Poudlard, alors qu’elle n’était qu’une enfant inexpérimentée. Ghrystal avait toujours été le meilleur sorcier des deux; celui qui réussissait chacun de ses sortilèges et qui avait l’avenir le plus brillant devant lui. Lorsque Aldabella avait eu des soucis à réussir ses premiers enchantements, c’était son frère qui l’avait prise sous son aile. À cette époque, ils avaient toujours travaillé ensemble après les cours, alors que le soleil n’était pas encore couché. Puis, plus les années passaient et plus les deux jeunes gens avaient allongés leurs rencontres.

Les voilà donc dans la Forêt Interdite, une nuit de février, à s'entraîner à informuler des sortilèges. La seule lumière perceptible était la lueur qui émanait de la baguette de Ghrystal. Aldabella leva la sienne après un soupir et tenta de se concentrer. Elle avait bien réussi à informuler un Wingardium Leviosa mais encore jamais elle n'avait tenté un Levicorpus.

La jeune fille ferma les yeux un instant, puis pointa la baguette vers son frère. Elle se concentra du mieux qu’elle put, ne pensant à rien d’autre qu’au fait qu’elle voulait réussir ce sort. Elle devait montrer à Ghrystal qu’elle pouvait y arriver.

« Levicorpus, pensa t-elle très fort, en vain. Levicorpus ! »

Elle n’y arrivait pas. Elle tenta d’y mettre tout son coeur, tout son âme mais rien n’y faisait. Ghrystal restait bien ancré au sol malgré tous les efforts de sa soeur. Celle-ci ne perdit pas espoir et tenta à nouveau, sans succès.

— Ghrys, dit-elle au bout de plusieurs tentatives. J’y arrive pas. Pas du tout.

Aldabella pinça les lèvres. Elle avait horreur de l’échec, et surtout devant son frère. Lui qui réussissait si bien et qui faisait tout en son pouvoir pour l’aider. Elle refusait de le décevoir, mais elle n’arrivait pas à informuler le sortilège.

— C'est normal de ne pas y arriver au départ, crois-moi lui lança alors Ghrystal. Imagine moi léviter. Ta volonté, c'est de me voir subir ton sort, pas de réussir ton sort. Surtout n'abandonne pas et ne te frustre pas. Allez."

Alda hocha la tête et se concentra à nouveau. Elle se souvint de la sensation qu’elle avait eu en se faisant tirer dans les airs. De la peur qu’elle avait ressentit. De la vague de colère qui l’avait envahie quand il l’avait enchanté... et elle imagina Ghrystal subir ce sort. Elle se figura son visage empreint de surprise lorsqu’il ressentirait ses pieds soulever le sol. Elle se demandait s’il sursauterait comme elle l’avait fait. S’il le faisait, arriverait-elle  à ne pas éclater de rire ?

« Levicorpus, informula t-elle, un sourire aux lèvres. »

À peine avait-elle pensé ces mots qu’elle le savait. Cette fois, c’était réussi.

Ses pieds glissaient. Ghrystal se renversait, mais il ne tombait pas au sol. Non ; il débutait son ascension. La magie de sa sœur le portait, en lévitation. Sur le coup, il s’effraya et chercha un équilibre qu’il réalisa de suite ne jamais avoir perdu. En suite à cette peur éphémère vint la fierté. Il laissa s’échapper un discret « Bravo » à l’attention de d’Aldabella. Sans dessus-dessous, il chercha à croiser son regard, voir l’expression de sa réussite. Mais, dans le noir et pendu comme une chauve-souris, il n’y parvint malheureusement pas. Elle avait réussi, il sourit, resserra sa baguette entre ses doigts pour ne pas être désarmé par la gravité puis informula Liberacorpus. Il retomba sur le dos et se redressa rapidement. Normalement, il aurait été insulté et la neige dans ses vêtements auraient reçu une jolie ribambelle de mots haineux, mais pas maintenant. Il était bien trop heureux. Alors, il fit face à sa sœur et lui montra son poing, l’invitant d’un sourire à cogner ses jointures avec les siennes.

— Tu vois, ce n’est pas si difficile. Pas pour un Prendergast, en tout cas ! Mais ce n’est toujours qu’un bête levicorpus, tu ne feras pas grand-chose avec ça. Si tu veux un conseil, c’est toujours pratique de savoir informuler un sortilège de protection ou de désarmement. C’est la base des duels et, même si ton adversaire voit ta magie, nous avons beaucoup plus tendance à nous fier au son et à la formule pour identifier un sort. Allez, passons à autre chose. Tu pourras pratiquer levicorpus sur les Serpentards, au pire."

Il ajusta ses vêtements et lança un Protego silencieux sur lui-même.  « La lumière dorée qui m’enveloppe, c’est un sortilège de protection. Ne manque pas ce signe, le bouclier est invisible après. C’est difficile de lancer un bon Protego informulé, cependant. Je ne t’en tiendrai pas rigueur si tu n’y parviens pas. Ce que je veux cependant… Silencio ! » Le maléfice toucha sa sœur en pleine poitrine. Elle était effectivement muette. Son sourire s’élargit. « Ce que je veux cependant, c’est que tu me désarmes. Un expelliarmus bien placé. Comme ça, l’idiot qui osera te rendre muette paiera cher quand il croira t’avoir vaincue. Cependant, tout tes sorts seront grandement affaiblis lorsque lancés sans formulation. N'oublie pas ça. Si tu peux te permettre de dire la formule, fais le. » Il se mit en position de combat, la baguette bien en évidence. Il la tenait à peine dans ses doigts ; elle ne parviendrait pas à lancer un sort puissant, sans doute. « Comme tu as fait avant, penses à ton objectif. Sois plus agressive, cette fois. »Il plongea son regard dans le sien. On pouvait facilement lire la fierté dans ses iris bleutés.

 

La riposte de son élève se faisait grandement attendre par Ghrystal, qui se tenait là, l'air fébrile et impatient. Il la gratifia d'un vague sourire et elle lui donna son regard le plus meurtrier mais il ne sut signaler l'insolence; sa frustration était justifiée. Sans scrupules, il l'observait, se nourrissait de sa haine un peu insipide, comme le faisait normalement un bon grand-frère. Elle essaya, elle secoua sa baguette. Sans effets. Il l'encouragea un peu, se retenait de se moquer, de la rabaisser un peu car cela aurait été injuste. Sa fureur, il l'attendait; il l'a voyait dans ses yeux, mais pas dans ses actions. Était-elle capable de le faire ? Il hésitait à la provoquer encore plus. La haine était un excellent catalyseur pour la magie. Peut-être en avait besoin un peu ? Puis, il remarqua un mouvement de la baguette de sa sœur, son sourire et finalement les sons disparates d'une volée d'oiseaux s'approchant de lui à toute vitesse. Agressifs. Il se retourna et leva précipitement son arme au même moment où ils receva plusieurs becs au visage. Il laissa échapper un petit cri de douleur et lança un sortilège inconnu qui fit éclater les animaux en petit tas de plumes. L'adrénaline coulant à forte pression dans ses veines, il dressa instinctivement sa baguette vers sa la Gryffondor.

—  J'sais pas quoi penser. Bravo. Mais... mais. Tiens. Il lança le sortilège contraire à Silencio, pour annuler son handicape. Maintenant, avales ça ! Ventus Anima !

Un coup sec du poignet et aussitôt une puissante rafale de vent souffla dans la direction d'Aldabella et arracha au passage neige et petites pierres du sol. Impatient, il enchaîna de suite avec un second sort, un nouveau Protego pour remplacer celui-ci qui avait été percé par les oiseaux de sa cadette. Il prit position, prêt à répliquer, puis parla alors qu'elle se remettait de son sort. Son Ventus Anima avait été un peu trop puissant, mais elle était une Prendergast. Tout irait bien pour elle; elle était forte. ''Je suis content que tu aies été capable de me lancer ça. C'est bien. T'as un grand potentiel, je le sais, j'espère que tu le sais aussi. Mais... maintenant, je suis en rogne. Et j'ai envie de te botter les fesses. Tu mérites d'être disciplinée. Lèves-toi.'' En fait, sa fureur laissait peu à peu place à la fierté. Elle pouvait sans doute le sentir dans sa voix. La discipline n'était qu'un prétexte de s'amuser avec elle; il n'était pas réellement rancunier pour l'Oppugno. Il semblait avoir rajeuni, être revenu à l'âge qu'il avait quand il l'embêtait sans cesse, non pas pour lui faire du mal mais plutôt pour passer du temps avec la personne la plus importante pour lui. Dans le noir, prêt à faussement combattre Aldabella, Ghrystal avait les yeux brillants.

 

 

Elle informula un autre sort. Comment était-ce possible ? Un instant, il fut vraiment surpris par sa petite soeur, tellement surpris qu'il ne prit même pas la peine de raffirmer son Protego. Son offensive ne se fit pas attendre puisqu'elle radotait déjà une réplique insignifiante sur comment lui qui ne jouait pas fair play. N'avait-elle toujours pas compris que, en tant que cadette, elle avait automatiquement tord et ce sur exactement tous les sujets ? Il se mit à rire discrètement pendant son discours, jusqu'aux deux derniers mots de celui. Limacius Eructo. Quoi ? Et, les yeux grands ouverts, le visage marqué par la surprise, Ghrystal n'eut le temps de parer le sort, ou de faire quoique ce soit pour éviter ce qui arriva malheureusement: la magie d'Aldabella le frappa en plein torse. Il eut un haut le coeur. Un violent haut le coeur.

Qui le jeta à genoux, les mains sur le sol, sa baguette écrasée entre sa paume et la neige. Puis, comme ça, avec toute la dignité d'un chat entrain de cracher une boule de poil, le jeune homme se mit à vomir de façon incontrôlable. À quatre pattes sur le sol. Il ferma les yeux, crachait une, deux, trois limaces. Il étouffa quelques larmes sous ses paupières, puis se força à se redresser alors qu'il avait toujours la nausée. Essouflé, il soupira, rit un peu puis dit à Aldabella, d'une voix erraflée:

— Je t'emmerde, chère petite soeur. Tu sais, je regrette presque d'avoir voulu te punir. Presque. Il pointa sa baguette sur l'une des limaces qui gigotait au sol. Expulso ! Du bout de bois émana une brève lumière blanche, suivi d'un son d'explosion. Aussitôt, l'animal s'envola à toute vitesse dans la direction de la jeune Gryffondor. Puis, imaginant qu'elle se concentrait sur le machin gluant, il pointa son arme vers celle de sa soeur. Expelliarmus ! À mort la discipline, tu apprends très bien par toi même !