Déplumé, désespéré ! [Libre]

Isolde tendit une oreille inquiète vers le raffut qui se déroulait en bas. La porte - désormais toujours ouverte - de sa chambre laissait monter à elle les doux cris et divers bruitages qui animaient soudain la salle commune. Depuis l’enfermement de l’été, son esprit restait constamment en alerte ; le moindre bruit suspect la tirait de tout autre occupation. Il n’y avait qu’à Avalon, au Parker’s Coffee, qu’elle parvenait à se détendre un peu. Et là encore, ses yeux aux aguets marquaient rarement de pause. Son sommeil était plus paisible, mais pourtant plus léger que pendant l’incarcération ; et sa baguette ne la quittait plus. Elle jaillit dans sa main au premier son.  La porte restait un sujet sensible ; elle supportait mal de se voir enfermée, peu importe la taille de la pièce, ouvrait grand les fenêtres dès Leo sorti, et répugnait même à fermer la salle de bain. Elle passait le plus de temps possible dehors, et avait ajouté de nombreuses plantes dans sa moitié de chambre. Un petit jasmin blanc pendait du baldaquin, une sorte de lierre expérimental glissait le long de son armoire et parfumait du bout de ses feuilles les partitions abandonnées sur le coffre à ses pieds, et elle avait accroché plusieurs pots à son mur, dont la plante en forme de cône orange ramenée du Pérou. Si elle avait été seule, elle aurait transformé la chambre en serre.
Allongé en travers de son dos, comme il adorait le faire dès que son humaine se mettait à plat ventre - la bloquant au passage dans une position étrange, mais en félin digne de ce nom, il s’en fichait - Endymion se redressa en reconnaissant les battements caractéristiques d’un volatile en liberté. Une demi-seconde plus tard et il se tenait sur la mezzanine, léchant consciencieusement ses babines. Isolde aurait parié un gallion qu’il salivait déjà. Elle sauta sur ses pieds et traversa à grand pas la chambre, poussa d’un coude la porte entrouverte et se pencha par dessus la balustrade.

SPLASH

Elle resta interdite une seconde, avant d’éclater de rire en voyant l’état de son colocataire. Avec un peu de retard, elle se dit qu’il lui revaudrait ça, mais elle n’était pas responsable des troubles intestinaux des hiboux en fuite, non ? Ou alors c’était un nouveau coup très tordu du Comte. Son colocataire calmé, elle comprit enfin de quoi il s’agissait. Bon, ils étaient colocataires depuis une nuit seulement, pas assez pour qu’elle ait déjà pu lui étaler au nez son amour botaniquesque - quoique la gravure de Quinlan représentant une aubépine et la décoration de son côté de la chambre auraient pu légèrement lui mettre la puce à l’oreille. Mais visiblement, il s’intéressait à un autre genre de belles plantes. Il lui faisait penser à Jason, en plus… direct ? Moins subtil. Plus américain. Elle sourit, d’humeur joueuse. Accoudée au balcon telle une Juliette moderne surplombant son Roméo, elle posa négligeamment sa baguette sur le bois, pointée sur l’américain, et prit une voix théâtrale.

- Oh Leo, je crains que tes yeux n’aient pas été assez rincés, mais je serai heureuse de t’aider ! dit-elle en faisant jaillir une petite gerbe d’eau de sa baguette, droit sur le jeune homme. Et pour les boucles, je pense être bien pourvue, alors je tente le coup ! Quelqu’un peut retenir l’oiseau ?

D’un geste gracieux et maniéré, elle fit léviter la lettre jusqu’à la balustrade. Mais son sourire cachait à peine sa curiosité. Pourquoi écrire à quelqu’un dont on ne connaissait pas le nom… ? Ni le hibou ni l’écriture ne lui étaient familiers. Il pouvait aussi bien s’agir d’une blague ; dans tout les cas, elle brillait de découvrir le contenu, et la décacheta aussitôt.

Son nom était calligraphié, pas tapé à la machine ; mais cela pouvait très bien être un enchantement. Le hibou lui était inconnu ; ni de Poudlard, ni d'Avalon. L'écrivain du Parker's Coffee ? Elle s'était demandé s'il se souvenait d'elle, sans prendre l'initiative de lui écrire encore. Le cerveau de la Phénix tournait à plein régime lorsque l'objet de ses pensées s'évanouit d'entre ses doigts. Sa main suivit la lettre en réflexe, mais trop tard: elle pendait au bras victorieux de Leo. Son colocataire, planté avec une classe toute relative devant elle, la toisait de sa hauteur et de son air joueur. Elle lui lança un regard furieux, guettant avec appréhension les gouttes qui se balançaient au bout des doigts et frôlaient le papier. Il allait l'abîmer !

- Rends-la moi !

Le regard noir de la Phénix devait être tout sauf impressionnant pour l'américain. Bon. Elle ne gagnerait pas comme ça. Et elle n'allait pas lui faire plaisir en se mettant à sauter sur place. Son visage se radoucit et elle fit un pas vers lui, sa baguette roulant entre ses doigts.

- T'as raison, je suis une présidente indigne. Mais il ne faudrait pas qu'un innocent en pâtisse.

Le sexisme de son colocataire l'irritait, mais elle n'avait pas envie de disserter sur le sujet alors qu'elle brûlait de découvrir le contenu de la lettre (empêcher un Serdaigle de résoudre un mystère était une torture interdite par la convention de Genève, au moins.). Et elle n'avait pas joué ainsi depuis trop longtemps. Elle ne l'avouerait pas, mais leur petite joute verbale lui plaisait. Elle saisit son chat sous les pattes avant et le leva sous le nez de Leo. Il arborait une tête complètement blasée, comme à son habitude, et renifla avec intérêt le bout de papier, avant de recentrer son regard sur le hibou inconnu.

- Regarde, il est si triste de ne pas savoir ce que raconte la lettre ! Tu ne veux pas avoir le malheur de ce chat sur la conscience le reste de ta vie, si ? implora-t-elle avec des grands yeux humides.

… Un bisou ?! Si elle en avait déjà vue une, Isolde aurait eu l’impression de se trouver dans une comédie étudiante américaine terriblement clichée. Mais ce n’était pas le cas, alors elle considérait seulement son colocataire comme particulièrement immature. Bon, l’arroser depuis le balcon n’était pas non plus une idée très adulte, mais on était toujours plus complaisant avec ses propres défauts. Et elle s’amusait de leur petite joute.

- Le mot magique ? répéta-t-elle en faisant rouler de plus belle sa baguette entre ses doigts. Tu penses à Lashlabask j’imagine ? dit-elle en faisant semblant de ne pas comprendre, mais sans dissimuler son sourire joueur.

Elle n’avait plus entendu cette expression depuis très longtemps, depuis des années même. Personne ne disait cela dans le monde magique, évidemment, et elle doutait que les étudiants autour d’eux comprennent de quoi Leo parlait. Un monde de blagues moldues s’ouvrait devant eux, et Isolde se prit à se demander pourquoi aucun club secret de Nés-Moldus n’avait été créé à Poudlard pour troller les Sang-Purs avec des références non-magiques. Vraiment, il avait du potentiel inexploité. Quelle tristesse.

Endymion devait aussi être parvenu à cette conclusion car, pendant une fraction de seconde, son regard blasé se voila. Et ce fut assurément ce qui persuada Leo de rendre sa lettre à Isolde. Ça ou son fou-rire, seul Merlin le savait, mais Isolde afficha en tout cas un grand sourire mi-victorieux mi-stupide en saisissant le précieux papier.

- Moi, une tortionnaire ? Tu sais que rire muscle les abdominaux ? Je t’offre une séance de sport gratuite, et tu me traites de tortionnaire ? Quel ingrat !

Elle libéra son chat et s’éloigna avec un air faussement outré pour décacheter la lettre. Son visage se couvrit d’une expression étonnée, puis franchement curieuse, et sa main droite se leva pour aller grattouiller une mèche de cheveux, signe d’une réflexion intense. C’était étrange de s’adresser à une étudiante inconnue plutôt que d’aller à la bibliothèque, mais elle était intriguée. Spontanément, elle pensa à un piège. Le Comte et ses tours avaient réussi à la rendre parano, c’était certain. Mais sa curiosité naturelle ne pouvait pas renier une telle énigme…et puis elle ne risquait rien à Avalon, n’est-ce pas ? Elle préviendrait quelques amis, et garderait comme toujours le miroir à double sens jumeau de celui de Clemens sur elle. Non, rater un mystère pareil pour une bête parano serait du gâchis.

Elle fila dans sa chambre et s’étendit sur son lit avec une plume et un bout de parchemin pour répondre aussitôt.

Madame,

Votre lettre m’est bien parvenue. Pour ce qui est d’Haveirson, je crains que vous n’ayiez rien pu faire, à part être enfermée à votre tour. Le soutien des habitants d’Avalon est plus précieux que les regrets.

Je me souviens de vous et de votre fils, et je dois avouer que la réciproque m’a surprise. Tout comme ce que vous me décrivez de cette plante. J’avais fait quelques recherches moi-mêmes après notre rencontre, mais n’avais pas trouvé d’informations intéressantes au sujet de cette fleur. A-t-elle eu des effets déplaisants ? Je serais curieuse d’entendre ce que vous voulez me dire.

Pourrions-nous nous rencontrer samedi après-midi, au Morrigan’s Perch par exemple ? Ou dans un lieu plus calme, si vous préférez.

Isolde Mayer, confrérie Phénix, Académie Haveirson

L’encre eut à peine le temps de sécher que la Phénix sortait à grands pas de sa chambre pour se saisir du hibou. Elle attacha la lettre avec douceur et le porta à la fenêtre avant de le relâcher dans le parc. Endymion émit un long miaulement plaintif en voyant son casse-croûte s’enfuir, et alla se frotter consciencieusement aux jambes de Leo.

Isolde s’amusait toujours plus du jeu entre eux deux. Et de son faux air de chien battu surtout. Elle perçut la crainte qu’elle instillait en son colocataire et arrêta le jeu avec sa baguette. Elle ne lui aurait jamais lancé de sort bien sûr, mais Leo lui renvoyait la balle et répondre était trop tentant. Elle ne s’était pas amusée aussi innocemment depuis des mois. Une éternité. Et c’était si agréable de rencontrer quelqu’un qui partageait ce sens un peu vache de l’humour. Elle se sentit plus légère qu’elle ne l’avait été depuis des semaines, alors que la Isolde potache de Poudlard refaisait surface. Elle l’avait crue perdue pour de bon, emportée par tous les évènements désastreux de l’année passée. Mais cette facette de son caractère était bien ancrée en elle, malgré tout, et la Phénix eut l’impression de retrouver une ancienne amie perdue de vue. Cette découverte l’apaisa énormément, et une vague de châleur réconfortante se répandit en elle.

Bon, elle trouvait toujours son colocataire un peu sexiste, mais ils auraient tout le temps d’en parler. Pour l’instant, elle était plus concentrée sur le fait de retenir son rire en voyant sa mine de Chat Potté.

- Qu’est-ce que tu en penses Endymion ? dit-elle d’un air très sérieux, la baguette pointée sur son menton en signe de réflexion. On l’épargne ? Tu sais, dit-elle en s’adressant à Leo, il n’a pas l’air comme ça, mais c’est un monstre sanguinaire. S’il te désigne comme sa proie, plus personne ne pourra te sauver. Tant de chaussettes ont ainsi tragiquement péri, ajouta-t-elle avec un air affecté.

Elle regarda Endymion, dans l’attente de son verdict. Une seconde passa. Le félin restait impassible, assis entre eux deux, son regard volant de Leo à Isolde, puis au hibou, puis à Leo. Il prenait le temps de peser le pour et le contre, assurément. Puis il examina les mains de Leo avec un oeil expert : elles étaient grandes, apparemment douces, et le chat, fort de sa très longue expérience câlinesque, émit un miaulement d’approbation. Et en guise de réponse, il se roula par terre au pied de sa presque-victime, ronronnant comme un tracteur, plissant les yeux de toute ses forces en direction de Leo comme s’il voulait l’hypnotiser.

- Ouf, t’es sauvé ! conclut Isolde en s’épongeant le front.

Elle resta interdite une seconde en voyant Leo remonter son tee-shirt tel un mannequin dans un concours de mister. Isolde n’était pas particulièrement amatrice de gros muscles, mais de façon tout à fait désintéressée (oui oui, désintéressée), elle devait admettre qu’il était bien foutu. Mais ce n’était pas le sujet. Hum. Elle lutta pour garder son sérieux encore un peu, alors que Leo s’exhibait comme si elle voulait vérifier la marchandise dans une vente au gros.

- Ah mais il faudrait savoir ! Si tu veux, tu peux demander des cours de souplesse à Endymion, c’est un maître dans ce domaine, dit-elle en pointant le chat qui se tortillait de toutes ses forces par terre pour quémander des câlins, faisant admirer à tout le monde ses talents de contorsionniste. Et au pire, il peut toujours te masser le ventre. Tu joues au Quidditch ? demanda-t-elle plus sérieusement.

La lettre était moins importante qu’intrigante, et Isolde comptait profiter du hibou pour répondre immédiatement. Par la porte ouverte, elle entendit sans tout saisir le monologue de Leo pour son chat, et elle sourit. Isolde, en bonne maîtresse complètement gaga, ne pouvait s’empêcher de s’émouvoir devant tant de mignonitude. Sa lettre envoyée, elle rejoignit son colocataire.

- C’est un mystère pour Super-Botaniste ! dit-elle d’un ton mystérieux. La botanique, frontière de l’infini, vers laquelle voyage ce hibou. Sa mission : explorer de nouvelles plantes étranges, découvrir de nouvelles espèces, de nouvelles essences, et au mépris du danger, avancer vers l’inconnu…

Difficile de dire pourquoi elle avait pensé au générique de Star Trek à ce moment précis, mais ça lui semblait totalement approprié. Après tout, les voyages spatiaux, la botanique, les sciences, même combat ! Et puis elle était curieuse de savoir si Leo aurait la référence. Elle adorait cette série. Petite, ses parents et elle ne regardaient la télévision que pour Doctor Who et Star Trek, et elle se remémorait toujours ces moments avec un peu de nostalgie. Elle avait été très déçue de découvrir que bien que l’Enterprise ait fait trois fois le tour de l’univers, il ne soit pas arrivé jusqu’à Poudlard pour qu'elle puisse continuer à le voir là-bas.

- Les plantes, c’est toujours important. Une dame que j’ai rencontrée il y a quelques mois me demandait mon avis sur une fleur étrange qu’elle a trouvée. Tu vois, je suis célèbre aux quatre coins, d’Avalon, dit-elle d’un ton faussement prétentieux. Enfin, dans un coin en tout cas, c’est déjà pas mal !