Serve and Protect (Sio)

Serve and Protect
« Le 16 juillet 1997 - Siobhan & Adalina »

Dès que Siobhan accepta sa proposition, Adalina se mit en recherche du lieu parfait. Il fallait un endroit peu fréquenté, voire totalement désert. Elle aurait pu choisir un endroit aux abords de Pré-au-Lard, mais elle considérait que leur affrontement, même feint, risquait d'affoler les habitants du village magique après les récents événements. Le village d'Avalon, même si elle savait qu'il était proche de l'école que fréquentait l'apprentie auror, lui était totalement inconnu, et elle aurait beaucoup de mal à préparer le terrain.

Adalina était un peu anxieuse. Bien sûr, elle avait participé au club de duels à l'époque, traînée là-bas par une de ses amies de Poufsouffle. Mais c'était de trop nombreuses années plus tôt, et même si elle avait eu l'occasion d'user de quelques sorts offensifs et défensifs ces derniers mois, elle doutait d'avoir un niveau égal à celui de l'adolescente. Même sans trop la connaître, elle savait que son adversaire était férue de duels, et après tout, elle-même n'avait jamais passé ses ASPICs, ce qui lui donnait un niveau général inférieur à celui de sa cadette. L'autre serait-elle déçue de ses faiblesses ?

Finalement, la polonaise laissa de côté ces considérations le temps de trouver l'emplacement idéal pour cette rencontre. Et se souvenant de balades qu'elle avait fait autrefois, quand son frère embellissait ses rêves au lieu de hanter ses cauchemars. Elle se souvenait notamment d'un vieux manoir, non loin d'Oxford, dont le toit délabré laissait passer le jour, et où les nids de corneilles avaient pris la place des hommes. L'enfant qu'elle était alors s'était amusée à imaginer de grands bals, à une époque ou les apparences dissimulaient à merveille les tourments d'une société charnière. Aujourd'hui, on ne s'encombrait plus de ces façades, on considérait que l'hypocrisie générale n'apportait rien, qu'il était idiot de se voiler la face. Idiot, certes, mais terriblement doux, d'après Adalina. Mais après tout après des années à enfoncer la tête dans le sable, la sorcière pouvait être couronnée reine des autruches.

Parcourant les couloirs de la vieille demeure, s'assurant qu'elles ne seraient pas dérangées, Adalina s'amusa de son idée et son rire provoqua de nombreux petits grattements dans les murs alentours, signe que les rats s'inquiétaient d'une présence nouvelle. Et si rats il y avait, alors les lieux étaient bel et bien abandonnés. Elle se décida donc et envoya une note à Siobhan pour l'informer du lieu de leur duel.

Le jour de la rencontre, la polonaise passa dans un magasin moldu pour y chercher ce qui leur servirait d'objet à défendre. Elle trouva deux grands poupons, qu'elle fourra dans son sac, sous le regard incrédule de la caissière qui devait se demander comment deux jouets comme ça logeaient dans un petit sac qui ne semblait capable que d'en renfermer un seul. Elle rejoignit une ruelle calme, un peu sombre et un peu sale, et transplana au manoir, attendant l'arrivée de Siobhan. Quand celle-ci arriva, elle lui expliqua un peu mieux son projet. L'idée était donc de défendre chacune l'une des poupées, qu'elle animerait pendant que la jeune femme allait découvrir les lieux à son tour. Elles feraient un duel en dix tours, laissant à chacune cinq tours pour défendre, cinq tours pour attaquer.

Une fois les préparatifs terminés, Adalina observa Siobhan, puis sourit.

« Êtes-vous prête ? »

Adalina attendait, partagée entre impatience et appréhension. Et lorsque sa partenaire du jour arriva, le sourire aux lèvres, ses doutes s'estompèrent peu à peu. Après avoir exposé son idée et le fonctionnement qu'elle avait imaginé pour cette session, elle laissa Siobhan s'éloigner, prendre ses marques. L'étudiante pouvait commencer à échafauder un plan tandis qu'elle, de son côté, préparait les accessoires. Bientôt, les deux poupées prirent vie, pour ainsi dire. Elles n'avaient pas la parole, cela n'aurait pas ajouté grand-chose à l'exercice, mais elles se dressèrent sur leurs jambes de plastique, leur corps mou ondulant tandis qu'elles marchaient. L'une d'elle tournoya, vacilla, tandis que l'autre se hissai sur une vieille caisse à demie brisée. Quelques pièces de mobilier avaient été abandonnées ici par les derniers propriétaires de la demeure, et Adalina poussa un canapé contre le mur, pour libérer plus d'espace dans le salon. Dans les couloirs et les différentes pièces du manoir, elles pourraient se dissimuler, créer des pièges, des illusions. Mais dans la pièce principale, il n'y aurait aucun refuge.

Siobhan revint, ses repérages terminés, et la polonaise hocha la tête. Tout était prêt. Elle écouta la jeune femme s'inquiéter d'être ménagée, puis lui demander s'il était nécessaire de prendre des précautions avec elle. A sa mine soucieuse, Adalina répondit sincèrement.

« J'ai l'habitude d'être blessée, ne vous en faites pas. Je ne retiendrai pas mes sorts, mais ne vous attendez pas à des duels comme ceux que vous devez faire avec vos camarades d'Haveirson. Ma scolarité commence à dater et je n'ai jamais été une grande sorcière. J'espère du moins ne pas vous décevoir. Je vais installer la poupée, et je prends le premier tour d'attaque, si cela vous convient. »

Bien sûr, elle avait quelques années de pratique, mais elle n'avait jamais été de ces sorciers pour qui le combat est un loisir. A Poudlard, elle avait toujours eu d'excellentes notes, grâce à un apprentissage rapide, une compréhension des gestes et une bonne mémoire. Mais jamais elle n'avait montré de conviction lors des duels imposés. Lorsque ses émotions prenaient le dessus, terrassant ses doutes et ses principes, alors elle était une adversaire redoutable, tant elle n'avait plus de limite. Mais cela n'arriverait pas avec Siobhan. Cela n'arriverait plus, tout simplement. S'éloignant de quelques pas, elle se retourna, rappelant Siobhan avant qu'elle ne s'éclipse du salon.

« Un mot de sécurité. C'est une excellente chose de donner notre maximum, d'accepter de prendre des risques, mais il vaut mieux savoir comment indiquer à l'autre qu'on ne peut plus continuer, juste au cas où. Il est parfois plus facile de réagir à un mot saugrenu dans le contexte qu'à un simple 'stop'. Que pensez vous de… Dumbledore ? Il n'y a pas grande raison d'utiliser ce nom aujourd'hui, et c'est assez facile à retenir. »

Elle attendit l'avis de la jeune femme et tendit la main au bébé de plastique et de tissu, qui s'élança vers elle. Le soulevant en utilisant son élan, elle le plaqua sur sa hanche machinalement, comme elle l'avait fait à l'époque avec les siens. Puis elle disparut dans le couloir opposé à celui choisi par Siobhan, monta les marches de l'escalier de service et se faufila dans les couloirs étroits, avalés par les murs épais de la maison. Enfant, elle adorait les parcourir sur les traces de son frère, qui se faufilait comme une anguille pour échapper à la surveillance parentale quelques instant. Plus grand, quand il ne fut plus victime de la trace et put utiliser sa magie à loisir, qu'elle entrait à peine à Poudlard, il avait marqué le mur de lettres calcinés, dessinant son prénom à l'abri des regards. Elle caressa le A majuscule toujours bien distinct, se souvenant de ce qu'il lui avait dit alors. Elle était une princesse, cette maison était son château. Elle serra un peu plus le poupon contre son flanc et avança, abandonnant les souvenirs d'enfance entre les murs en brique de ce passage presque secret.

Elle laissa le jouet animé dans une chambre vide et poussiéreuse dont elle verrouilla la porte d'un sort puis partit à la recherche de son ennemie temporaire. Elle avait un léger avantage, connaissant les lieux. Malgré tout, en voir les fantômes de son passé ne lui facilitait pas la tache et il lui semblait qu'il n'était pas trop injuste pour Siobhan qu'elle ait choisi ce lieu. Adalina redescendit rapidement au salon et s'engouffra dans la zone que devait défendre l'étudiante, baguette à la main. Elle était préparée, son sort tournait en boucle dans son esprit concentré. Croyant avoir entendu un bruit, elle poussa une porte sans douceur et brandit sa baguette. Un énorme rat se dressa sur une commode face à elle, surpris, et prit la fuite. Pour la discrétion, c'était fichu. Adalina poursuivit sa recherche, jusqu'à ce qu'elle trouve enfin sa cible.

« Waddiwasi ! »

Adalina fut surprise par la violence de son propre sort. Bien sûr, elle savait que waddiwasi n'était pas parmi les plus inoffensifs. Que sous ses apparences de sortilège de défense, il était puissant et pouvait s'avérer dangereux. Elle savait aussi qu'elle n'avait jamais été de ces sorciers capables de maîtriser l'intensité de leur magie, faisant fi de leurs émotions. Et elle savait que les souvenirs ravivés par les murs de la bâtisse, par les images qu'elle voyait danser chaque fois qu'elle clignait des yeux, faisait naître en elle une colère sourde. Mais elle n'en avait pas mesuré l'ampleur, n'avait pas songé que sa jeune partenaire puisse en faire les frais.

Son rempart de fortune se disloqua, le bois craqua, explosa dans un bruit tonitruant et les éclats furent projetés avec Siobhan vers le fond de la pièce. Pour la duelliste en elle, c'était une bonne chose. Mais pour la gamine brisée, pour l'épave que la violence humaine avait fait d'elle, c'était trop déstabilisant. Alors même si c'était ridicule, totalement inconscient, elle se figea. Ralentissant sa propre respiration, elle se concentra sur l'apprentie auror, un peu effrayée et très inquiète. Elle ne pouvait pas réellement s'excuser, elle imaginait que la jeune femme n'apprécierait pas cette considération trop poussée et prendrait cela pour une forme de condescendance mais malgré tout, elle relâcha son attention. Sa prise sur le manche de sa baguette se fit plus souple, et elle attendit. Bêtement.

Siobhan n'était pas une novice, et elle ne prit pas le temps de rassurer Adalina. Elle ne prit pas le temps de laisser son adversaire comprendre que tout allait bien, se préparer à la riposte. Son bras fendit l'air et Adalina n'eut pas le temps de raffermir sa prise sur le bois de sureau que sa baguette lui échappa pour retomber dans le couloir, derrière elle. Elle secoua sa main un peu blessée par la brutalité de l'expelliarmus et se précipita pour récupérer son bien, préparant déjà sa nouvelle offensive. Elle visa le vieux plancher, juste sous les pieds de son adversaire.

« Terra Motus »