[Intrigue] Il était une fois ...

Harmony accueillait au creux de ses doigts une sphère qui, à ce contact, semblait s'illuminer et laissait une impression tiède sur la paume de la jeune fille. En la regardant de plus près, toutefois, elle ne parvenait à distinguer ce que c'était. Faisaient-elles partie intégrante de cette pièce ? Peut-être le frère de Jane avait-il créé ces bulles, lorsqu'il se réfugiait là. C'était joli et doux.
Il venait ici s'isoler du reste des élèves de Poudlard. C'était surprenant... Il semblait bien né et pour avoir créé cet endroit, il devait être intelligent. A croire que cela n'avait jamais suffi, pour s'intégrer. Harmony s'imagina un garçon au teint maladif, ressemblant à sa sœur, craintif et fuyant le regard moqueur d'esprits faibles n'ayant pas d'autre moyen d'asseoir leur domination qu'en écrasant les autres. « Il était le bouc émissaire ? » demandait-elle, sourcils froncés, à Jane.

La pièce semblait doucement se réchauffer et s'éclairer. Contrairement à Jane, elle était confiante. Elle ne voyait plus aucun danger poindre désormais, sans pouvoir expliquer pourquoi cette intuition s'installait en elle. Et puis elle sursauta. Mais le craquement était celui du transplanage d'un elfe de maison. Sa peau fripée, ridée formait le contour lâche de deux larges billes d'opaline, des yeux brillant et larmoyants. Intrigués. Il paraissait si vieux.
Harmony n'avait pas l'habitude de ces créatures, elle n'allait jamais dans les cuisines. Mais il lui semblait particulièrement âgé... et complètement perdu. A la façon dont il observait la pièce, il ne la connaissait pas non plus.

Le noir complet était donc le résultat d'une première alarme. De ses mots, Harmony comprenait qu'elle était la première à venir ici : la magie, la poussière, tout semblait indiquer le repos dans lequel cette pièce avait été longuement plongée. Et la seconde alarme ne s'était pas déclenchée : elle avait raison, la pièce ne leur voulait pas de mal. Elle réfléchissait : si l'alarme alertait un elfe de maison de Poudlard, alors cette pièce était administrée par le château lui-même et le frère de Jane avait eu un droit d'usage à l'époque. C'était étrange. A moins qu'Ilfty ait été un elfe dévoué à la famille Croft, dès lors il viendrait de plus loin que le château. Elle observa du coin de l'oeil les réactions de Jane : peut-être en savait-elle plus qu'elle sur ce qui se passait. D'ailleurs : est-ce que l'elfe pouvait la voir ?

« Bonjour Ilfty. Je suis Harmony Sharen. Une... amie, du passé, Jane Croft, souhaite retrouver un portrait qui la représente, dans cette pièce, pour s'y reposer. Elle m'a dit que son frère se réfugiait ici, il y a des centaines d'années de cela. Savez-vous quel est cet endroit ? Pourquoi est-il protégé ? » demanda-t-elle d'une voix douce, hésitante. Elle était intriguée mais ne voulait pas brusquer l'elfe. Elle savait ces créatures dociles, mais seulement envers leurs maîtres. Elle avait plus l'habitude de la mauvaise humeur des Gobelins lorsqu'elle amenait la caisse à Gringotts que de ces aides pour grands bourgeois.

Harmony, alors qu'elle mentionnait la peinture, regardait autour d'elle et un scintillement attira son regard. L'encadrement de l'objet tant recherché était peut-être celui-ci ! Elle s'approcha du tas d'affaires et entrepris de les écarter pour dévoiler l'objet qui avait attiré son regard.

Le frère de Jane était donc bien martyrisé au point de vouloir se cacher de la vue des autres dans une pièce perdue et sans fenêtre. Pour quelle raison, Harmony n'en avait pas la moindre idée. La remarque de sa compagne l'intriguait. Il y avait tellement de raisons possibles pour être malmené dans une école. Peut-être le lui demanderait-elle plus tard. Ce qui lui importait désormais était de comprendre comment cette pièce fonctionnait, de trouver ce portrait et d'en offrir le réceptacle à l'âme vacillante qui l'accompagnait.

Jane Croft n'avait pas l'air bien en point, tandis que la lumière revenait. Contrairement à la blonde, elle n'était pas rassurée. Elle sursauta, d'ailleurs, lorsque l'elfe de maison apparut. Harmony la regarda, puis l'elfe : mais il ne réagit pas. Il ne devait pas la percevoir.
L'enthousiasme d'Ilfty, s'il était un peu oppressant pour la froide enfant, était encourageant. Au moins, il la mènerait vers la bonne piste. Et en effet, il lui expliqua la nature de cette pièce. Elle se nommait « salle des souvenirs ». Elle sourit au cocasse de la situation : cela faisait des mois qu'un souvenir la hantait et voilà qu'elle était proche de s'en séparer.. dans une salle éponyme.
« Pourquoi s'appelle-t-elle la salle des souvenirs ? Je connais les pensines. Est-ce que cette salle sert à ranger des souvenirs dans une pensine ? » ne put-elle s'empêcher de demander. Regardant alentour, elle ne vit rien qui ressemblât à ce type de bassine magique. Lorsqu'elle avait essayé de comprendre les visions qui lui étaient imposées, elle avait beaucoup lu à ce sujet. Toutefois il était étrange qu'une salle à souvenirs soit si difficilement accessible : elle était particulièrement utile, dans le principe, pour la recherche. Si tel était l'objet d'une telle salle, les professeurs devaient vouloir s'en servir ! C'était étrange.

Enfin, elle se concentra sur l'objet de sa visite, cette nuit-là. Elle n'avait aucune idée de l'heure et l'idée de croiser Rusard ou un préfet, sur le retour, la saisit d'angoisse. Elle avança donc vers un fatras d'objets où une lueur perçait malgré la poussière. L'elfe la suivit et l'aida à découvrir un coffre ancien, sous les livres. Jane rappela alors sa présence, d'une expression joyeuse. Harmony sourit, sans lui répondre, de peur d'effrayer l'elfe. Il ne semblait pas avoir la même réaction qu'Hope, autant ne pas la créer.
Harmony observa un instant les différents loquets, les souleva et tira fort sur des poignées. Ses efforts finirent par payer et les mécanismes rouillés cédèrent. Dans le coffre, plusieurs papiers recouverts d'une encre fanée, des objets gallois lui donnèrent espoir qu'ils appartenaient bien au jeune Croft. Certains mots étranges attirèrent son attention. Toutefois, dédaignant soudain les écrits, Harmony sortit du coffre le portrait et en détailla les traits. Ravie, elle se releva. « Je crois que j'ai trouvé, Jane. » Elle se tourna vers son acolyte, espérant qu'elle sache quoi faire, à présent.
Elle eut enfin un regard vers le coffre. Peut-être que Jane voudrait conserver ces objets – à moins qu'ils ne soient mieux ici, à l'abri. Elle lui demanderait.

Flottant autour d'elle, les bulles bleu clair éclairaient d'une lueur rassurante la pièce. Les recoins, recouverts de poussière, disparaissent dans l'obscurité, supprimant tout lien avec le monde extérieur. Il n'existait que le coffre et leurs trois présences. A la manière des indolentes, ils étaient suspendus en dehors de toute référence temporelle.
Plus encore que cette sensation étrange, c'était la sérénité qu'éprouvait Harmony qui paraissait magique. Le lieu devait être profondément chargé de magie pour qu'elle si sente alerte, clairvoyante et si peu inquiète.

Les réponses de l'elfe étaient vagues et hésitantes, toutefois, son aveu d'ignorance résonne. Bien souvent l'évidence des solutions freinait leur découverte. Harmony sentait qu'elle tenait une piste, sans pourtant pouvoir encore la définir. Aussi, elle préféra se concentrer sur l'objet premier de sa visite et entreprit d'ouvrir le coffre. Entre autres objets et papiers poussiéreux, elle y trouva le tableau.
Non sans joie, elle le présenta à l'être d'éther qui l'accompagnait. Et, apeurée, intriguée, elle l'observait s'éteindre, disparaître. Enfin, relâchant la tension dans ses épaules, elle tourna le cadre vers elle. La peinture n'était plus inanimée. Ce n'était pas une projection de son esprit, n'est-ce pas ? On voyait se soulever la poitrine de l'endormie.

La question d'Ilfty sortit Harmony de sa rêverie. Elle était libérée. Jane aussi. Un étrange sentiment de solitude parcourait ses veines. Elle n'est plus qu'elle-même, au dedans d'elle. Cela dit, le corps endormi l'interrogeait. Contrairement à ce qu'elle attendait, ce qu'elle appelait de ses vœux, elle n'éprouvait pas de soulagement. Son inquiétude mêlée de curiosité s'accroissait. Peut-être Jane n'avait pas suffisamment d'énergie, finalement. Et peut-être avait-elle rêvée ses mouvements picturaux.
Elle sourit tristement à l'elfe. « Je ne sais pas si Jane est animée. Je pensais pouvoir lui parler » consentit-elle à lui expliquer.

Elle posa délicatement la peinture contre le mur et s'agenouilla devant le coffre. D'une main distraite, elle en caressa les bords, souleva un objet, puis un papier. Elle souffla la poussière sur des parchemins et fronçait les sourcils. Elle n'était pas bien sûre de comprendre.
Harmony se tourna vers Ilfrit et lui dit : « Ces bulles. Font-elles partie de la première défense ? Ou peuvent-elles conserver des souvenirs ? » Si tel était le cas, elles devaient alors contenir des bribes du passé des Croft. Au delà des pavés sombres, elles pourraient alors éclairer tout le mystère entourant la personne de son hôte.

La tête pleine de questions, Harmony ne pouvait détourner son regard de la peinture. Avaient-elles réussi ? Si tel était le cas, peut-être Jane était-elle partie pour toujours. C'était impossible, songeait-elle, car elle l'avait bien vue respirer. Ce n'était pas qu'une projection ; une image qui apparaît face à soi car on la désire tant que l'esprit ne peut envisager qu'elle puisse être autre qu'ainsi rêvée. Elle avait bien bougé. A la lueur des bulles bleues on distinguait les paisibles soulèvements de sa poitrine.

Absorbée par ces mouvements doux et lents, Harmony entendait à peine les remarques d'Ilfty. « Oui, vous avez raison, Ilfty. Croyez-vous que je puisse l'emmener avec moi dans mon dortoir ? » A la réflexion, elle ne savait pas si l'idée formulée instinctivement était bonne. Et Hope, dans tout cela, trouverait certainement sa colocataire étrange, à tenir ainsi à la peinture d'une Gryffondor de siècles passés. Mais enfin, elle ne pourrait peut-être pas retourner dans cette pièce ! « A moins que... Lorsque l'on a passé la défense, peut-on entrer dans cette pièce facilement, à nouveau ? » Elle n'emmènerait pas, alors, les quelques papiers qui avaient attiré son attention dans le coffre et pourrait, plus simplement, à loisir les consulter.

Enfin, justement, elle se pencha sur eux. Une vague d'incompréhension la saisit et elle fronça les sourcils. Dans l'énigme qui s'était invitée dans sa vie, un nouveau personnage faisait son entrée. S'il pouvait apporter des réponses, il paraissait encore plus mystérieux que sa sœur. Son sang n'était pas pur, c'était l'objet des actes haineux qu'il fuyait. Le frère de Jane était donc un bâtard, à moins que la traitrise au sang ne remontait à plus loin. La blonde innocente lisait les mots à moitié formulés, du bout des lèvres ; ces mots qui ne cherchaient d'autre interlocuteur que soi et n'exigeaient aucune clarté pour leur lecteur légitime ; ces mots qui s'enchainaient évoquaient des sentiments arrachés, une lutte d'avance perdue contre plus fort que soi, qui résidait au dedans de soi. Rien qui ne satisfasse l'esprit logique et étriqué de l'adolescente.

Bientôt, de plus, elle était sidérée. Passionnée par ce qu'elle lisait, ses mains froides moites contre le parchemin si précieux. L'ombre tombait au large quand ils arrivaient. Les vêtements noirs flottaient et le rire cristallin se faisait lointain. Le souvenir d'une peur qui n'était sienne palpitait en elle, comme si elle la vivait à nouveau, à la place d'une autre.
Avec lui s'immisçait en elle la colère foudroyante de ce garçon. Jane avait été sacrifiée. Les tempes d'Harmony vrillaient. Il fallait qu'elle sache. Le lien était trop serré pour qu'elle ignore une telle chose. Jane, dans son tableau, se reposait, cependant. Elle ne saurait rien. Pas ce soir.

A moins que... Elle se relevait et questionnait l'elfe de maison sur la raison d'être de cette pièce. Des fumées... Il n'existait qu'un moyen de le savoir. Et peut-être choisirait-elle un souvenir du frère de Jane Croft. Avec un peu de chance. Alors elle approchait la main d'une bulle et l'accueillait dans sa paume, attentive à la moindre réaction de l'objet, dans l'espoir qu'il se révèle à elle.

Elle l'emporterait. Le portrait était de dimensions moyennes et représentait une femme endormie, dont la prestance nobiliaire était indéniable. Il ne détonerait pas tant que cela dans une des salles auxiliaires du salon commun de la Maison Serpentard. Ou bien pourrait-elle l'accrocher dans la verrière, dans ce coin de pièce continuellement calme, car les élèves y venaient trouver un semblant de repos. Cela plairait probablement à Jane.

Néanmoins, pour satisfaire sa curiosité concernant le jeune Croft qui se réfugiait en cette petite pièce, elle reviendrait. Ifty lui assurait qu'elle le pourrait. Un peu trop enthousiaste pour que sa remarque ne soit qu'altruiste, il lui proposait de l'accompagner. Interloquée, Harmony détailla ses traits. Elle ne savait ce que les tâches quotidiennes d'un tel être pouvaient être dans le château – certainement que cette aventure était le grain de sel qui lui manquait tant. Elle ne pouvait l'en blâmer. « Oui, si vous le souhaitez, Ifty. » lui dit-elle d'un ton égal, animé simplement d'un sourire de convenance. Après tout, l'affaire était ancienne, elle ne remuerait rien d'actuel dans cette académie. Et si Ifty ne savait se taire, les autres elfes le prendraient sans doute pour un doux rêveur. Il ne ferait pas de mal à une mouche.

Elle revint aux coffres et se plongea dans la lecture des parchemins à sa disposition. Elle essayait de s'introduire dans les pensées du jeune frère de Jane. Et pour cela, le lieu était parfait. Car Ifty ne lui avait-il pas dit qu'il renfermait des secrets sous la forme de souvenirs précieusement conservés ? Elle trouverait certainement des bribes de vie des Croft.
Elle s'approcha des sphères flottantes et avec précaution, en prit une dans sa paume. Ce ne pouvait être que cela. A son contact, elle se brisa et, comme les gouttes d'encre que l'on jette dans l'eau, sa substance se diffusa, teintant l'espace de silhouettes dont les détails progressaient. Bientôt, elles s'animèrent et Harmony fut plongée dans un siècle qui n'était pas le sien.

Face à elle, elle le savait, le jeune homme était celui dont elle recherchait le passé. Ses traits étaient ceux de sa sœur, seulement asséchés par l'amertume et une volonté entravée. Elle s'approcha de lui mais il ne semblait pas la voir. Après tout, c'était un souvenir, comme ceux dans lesquels elle avait été plongée contre son gré par son invitée malheureuse. Elle se pencha sur la lettre.
Jane était donc fiancée, comme toutes les jeunes filles de son rang et de son âge et cela déplaisait au garçon. Harmony ne pouvait que le comprendre. Elle avait suivi de près l'affaire des fiançailles entre Daphné Greengrass et Rowan Westminbrook et si les deux élus s'appréciaient, ils avaient tôt fait de s'en délier. Alors s'il existait une inimitié entre les deux familles en question, sa rage était logique. Quel fardeau qu'un sang pur, songeait-elle, et quel nombre de drames personnels engendrés et hérités au cours des siècles, afin de garantir la mainmise sur le pouvoir par certains. Elle réfléchissait à ses souvenirs d'Histoire de la Magie, et les paroles de Jane lui revinrent. « Nous descendons de la lignée Glyndŵr. Notre grand-père était profondément attaché à cet héritage, Harmony. C'est lui qui a souhaité que nous nous y tenions. Même si de telles allégeances nous ont coûté. » Probablement se référait-elle à sa propre histoire et son mariage. Qui avait conduit à sa perte - ainsi que la rage de son frère le laissait supposer ?