Petit et mignon || libre

Dennis en avait déjà fini avec les courses de rentrée. Ses nouvelles robes de sorcier étaient pliées et déjà placées dans sa valise avec son chaudron et son matériel de potions. Ses livres procurés d’occasion reposaient en une pile géante dans sa chambre. Dean Crivey avait feuilleté avec intérêt le livre de Défense contre les forces du mal. Il l’avait rapidement échangé contre celui de Métamorphose quand son regard était tombé sur une photo animée d’un sorcier subissant le Doloris. Contrairement à son père, le jeune garçon n’était pas spécifiquement attiré par ses livres, pour le moment. Cette rupture avec la magie pendant les deux mois d’été lui faisait plus grand bien.

Cependant, pour la deuxième fois cet été, Dennis comptait se rendre sur le Chemin de Traverse. A son dernier passage, il était passé plusieurs fois devant l’Animalerie sans se décider à rentrer. Il n’avait jamais eu un animal de compagnie. Poudlard autorisait ses élèves d’en avoir un ; il n’avait jamais pensé à cette idée en fait. Mais là, ça le tiraillait depuis quelques jours. S’occuper d’une créature vivante ne pouvait qu’être intéressant ; il avait toujours adoré les Soins aux créatures magiques en plus.

Dennis emprunta donc le Magicobus, quelques gallions en poche. Son père avait insisté pour qu’ils gardent l’argent qu’il n’avait pas dépensé pour les courses. Il n’avait jamais possédé autant d’argent ; pour lui, c’était une vraie petite fortune et il souhaitait de le dépenser dans quelque chose de sympa. Pas forcément utile. Il ne voulait pas un hibou n’étant pas sûr que son père soit d’accord pour avoir un rapace nocturne à la maison. Sinon, il n’avait pas vraiment de préférence. Il allait marcher au feeling et demander conseil au gérant.

La clochette tinta quand il rentra dans la boutique. Ça sentait un peu la paille et Dennis fut surpris que l’odeur ne soit pas si forte dans un endroit qui abritait un grand nombre d’animaux. La boutique était chaleureuse et bien éclairée. Il se sentait malgré tout intimidé dans cet environnement inconnu. Il s’avança vers le comptoir d’un pas hésitant.

« Tiens, salut Harmony. »

Août était le mois propice pour rencontrer plein d’étudiants de Poudlard sur le Chemin de Traverse. Dennis pensait qu’Harmony venait regarder les animaux aussi. Peut-être les boursouflets ? En général, les filles aimaient bien tout ce qui était petit et mignon. Le jeune Gryffondor ignorait que Mme Sharen était la gérante de la boutique ; ça n’était jamais venu dans ses conversations avec Abby.

« Comment se sont passées tes vacances ? »

Il n’avait jamais trouvé Harmony très bavarde. Ils étaient dans la même promotion, avaient partagé pas mal de cours mais n’avaient jamais vraiment discuté.

Spoiler:

Astiquer, ranger, déplacer, passer un coup de chiffon, nettoyer le sol. Recommencer. Changer la paille des cages, vérifier l’aspect des bêtes, récupérer la bave de Musard. Recommencer.
Cet enchaînement inlassable de tâches simples, basses du front, à l’ouverture de la boutique, plaisait à Harmony. Il lui permettait de se concentrer sur quelque chose de concret, d’utile et d’éviter d’éparpiller ses pensées.
Elle devait tout faire à la main, car, devant le client, l’adolescente se devait de respecter la Trace. Elle utilisait parfois la magie dans l’arrière-boutique et s’entraînait dans sa chambre : sur le Chemin de Traverse, l’activité des baguettes des sorciers mineurs était tout à fait incontrôlable.
Mais on ne savait pas qui entrait dans sa boutique et le père venu acheter un chaton à son fils pouvait très bien être du Magenmagot.

Harmony détaillait les cages lorsque la clochette de la porte tinta. Les étudiants de première année se faisaient de plus en plus nombreux à venir choisir leur animal de compagnie, il fallait donc que leur pelage ou plumage soit impeccable – quant aux crapauds, eh bien, l’argument commercial principal était la facilité d’entretien de ces amusantes bestioles.
Elle se retourna sur Dennis Crivey, un garçon de sa promotion. Elle ne lui avait jamais réellement adressé la parole, de la même façon qu’elle évitait tout contact avec les autres Gryffondors de son âge. Elle n’avait aucune idée de ce que sa sœur pouvait raconter à son sujet et ne voulait pas se retrouver dans une situation compromettante.
« Bonjour Dennis, comment vas-tu ? » lui demanda-t-elle poliment. Elle n’avait aucune idée du degré d’amitié qu’il entretenait avec Abby et son attitude traduisait selon elle une simple courtoisie. Aussi il la questionna sur ses vacances. Délicat sujet, cette année.
Au bilan celles d’Harmony ne s’étaient pas si mal passées. Elle avait retrouvé une amie, sa sœur allait un peu mieux, son frère s’était rétabli. Elle-même n’était pas souffrante et n’avait pas eu le temps de s’ennuyer. Ou de réfléchir. Car si elle se penchait un peu plus sur la question, son cœur se serrait et s’asséchait. Elle s’était prise à rêver de passer son été à flâner sur le Chemin de Traverse, de découvrir les paysages gallois qu’elle ne connaissait qu’en songes. D’éventuellement se perdre dans la nature écossaise. Le genre d’aventure qu’elle ne tenterait jamais seule. Qu’elle était donc condamnée à ne pas expérimenter.

« Eh bien, comme tout le monde, je suppose. On essaie de faire en sorte que la vie continue.» déclara-t-elle en haussant les épaules. " Et toi ? "Elle ne savait pas s’il avait perdu des proches et ne l’avait pas croisé lors de l’évacuation – ou alors sans le voir. Toutefois, même ceux qui n’étaient immédiatement touchés par le deuil devaient avoir passé l’été avec le sentiment d’une chape de plomb pesant sur leur crâne – et elle ne faisait pas référence au soleil d’août.
« Tu es venu voir Abby ? » l’interrogea-t-elle. Sa sœur et elle s’évitaient, elle n’était donc même pas sûre qu’elle soit à l’étage. « Ou alors, tu venais pour le magasin ? Tu as besoin de quelque chose ? » Comme elle ne se doutait pas que Dennis puisse ignorer que sa mère était la gérante de la boutique, Harmony se comportait comme avec tout client. Anna Sharen était dans l’arrière-boutique et William était parti pour faire une course. S’il avait besoin d’un soin basique ou de nourriture pour son animal de compagnie, Harmony pouvait s’occuper de l’encaisser. Elle s’approcha donc du comptoir et déposa le balai à poussière qu’elle avait récupéré au pied d’une cage à l’emplacement adéquat, en attendant la réponse de son camarade.

« Tiens, salut Harmony.
- Bonjour Dennis, comment vas-tu ?
- Très bien merci. Comment se sont passées tes vacances ? »

Un début de conversation des plus sobres. C’était peut-être la première fois qu’il s’adressait à Harmony. Bien sûr, ils étaient dans la même classe. Dennis n’avait en plus rien contre le fait de fréquenter les autres maisons. Il avait eu l’occasion d’entretenir des relations allant de simples connaissances jusqu’à de bonnes amitiés. Mais là, l’occasion ne s’était jamais présentée. Ce qui était encore plus surprenant, c’était qu’il était tout de même ami avec sa sœur Abby. A sa connaissance, il ne les a jamais vraiment vues ensemble.

« Eh bien, comme tout le monde, je suppose. On essaie de faire en sorte que la vie continue. Et toi ? »

Bonne question. Et lui ? Plus de deux mois étaient passés. Il avait l’impression que ça brûlait comme au premier jour. Dennis croisa les jambes puis se gratta le bout du nez, un petit tic qu’il avait quand il se sentait mal à l’aise. Il avait conscience qu’il n’y avait pas de mal à pleurer ses proches mais dévoiler ses émotions était vraiment compliqué pour lui. « Oh, tu sais, c’était correct. J’ai visité l’Irlande pour la première fois. Le lac Lough Corrib du Connemara est vraiment un coin à voir au moins une fois dans sa vie. » C’était toujours mieux qu’avouer qu’il se cloitrait dans sa chambre en se demandant s’il y avait un moyen de ressusciter les morts. Puis ce n’était pas vraiment un mensonge, il était bien allé en Irlande… pour une semaine.

« Tu es venu voir Abby ? Ou alors, tu venais pour le magasin ? Tu as besoin de quelque chose ?
- Je n’avais pas rendez-vous avec Abby, je suis venu tout seul. » Il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle lui avait posé la question mais avait tout de même enchaîné : « Sinon, je suis là pour regarder les animaux. J’aimerais bien en prendre un pour Poudlard mais je n’ai pas vraiment… » Dennis vit Harmony passer derrière le comptoir et s’interrompit. «  T’es sûre que tu peux faire ça ? » Son regard tomba sur le balais que la Verte et Argent avait déposé contre le mur, ses neurones s’activèrent et il finit par déclarer l’air enjoué : « Ah, je suis bête, tu travailles ici pendant l’été ! C’est super cool. »

Ce devait être un des meilleurs jobs d’été du monde. Le contact permanent avec les animaux, le fait de pouvoir discuter avec les clients puis être sur le Chemin de Traverse, le lieu le plus animé de Londres. Dennis apprécia le fait qu’Harmony ne soit pas oisive pendant les vacances d’été. Lui-même donnait un coup de main à son père pendant les vacances mais entre une animalerie magique et la laiterie, le choix était fait.

« Je ne suis pas un client facile » accorda-t-il avec un mince sourire en s’approchant du comptoir. « Je n’ai jamais eu d’animal de compagnie, je ne sais vraiment pas lequel pourrait me correspondre. »

C'était bien une des premières fois qu'elle lui adressait la parole. Harmony évitait comme la peste les Gryffondor de sa promotion. Elle ne supportait pas sa sœur et, par extension, tous ses amis. Et puis, comme Abby le lui rendait bien, elle craignait les sornettes qu'elle pouvait bien raconter à son sujet à ses petits camarades rouge et or.
Leur conversation se faisait polie, il n'y avait pas de raison qu'il en soit autrement, du côté d'Harmony. Et le garçon ne venait pas chercher des noises mais les dépenser. Il semblait suffisamment intelligent pour ne pas l'agresser verbalement au premier coup d'oeil. Bien.

Si ça se trouvait, Abby ne lui avait rien dit. Probablement qu'ils n'étaient pas si proches que cela, d'ailleurs. Pour ce qu'Harmony savait de la vie de sa sœur...
Il lui expliqua avoir visité l'Irlande, notamment un certain lac, dans le Connemara. La blonde avait très peu voyagé, depuis leur retour de Nouvelle-Zélande. Elle ne connaissait que Londres et l'Ecosse – et elle n'avait pas eu l'occasion de visiter le pays de Galles comme elle l'avait projeté au long de l'année, son guide étant allé prospecter un peu trop loin : au-delà, même, de tout.

Elle lui offrit un sourire affable, acquiesçant, et lui demanda la raison de sa venue. La question sembla le déboussoler. Il lui répondit enfin qu'il cherchait un animal de compagnie. Et cependant qu'il parlait, Harmony rangeait le balai à poussière près du comptoir. Le geste étonna Dennis qui s'interrompit pour ne comprendre qu'ensuite qu'elle avait tout à fait le droit de faire ça, puisqu'elle travaillait là.
Néanmoins, quelque chose dans sa réponse la chiffonna. Il disait cela comme si elle avait eu la chance d'obtenir un job d'été. Vraiment, il ne devait pas être proche d'Abby : car il semblait ne pas savoir que les Sharen tenaient cette boutique.

La mère d'Harmony, justement, sortait de l'arrière-boutique et saluait le jeune homme. « Tu as fini les cages ? Bien. Je peux m'occuper de ce que veut ce garçon, Mony, si tu veux aller dans ta chambre ou te balader. » Mais dans sa chambre, elle risquait de croiser Abby et par ce temps, elle préférait rester à l'ombre. « Non, Mam', ça va, je vais l'aider. C'est Dennis, il a le même âge qu'Abby et moi, il veut un animal de compagnie. »
La cheffe de famille hocha la tête et alla remettre le crapaud qu'elle venait de soigner dans sa cage. Souvent, ayant peu de place, en cette période où la demande était accrue, les animaux se blessaient. Anna Sharen préparait ses propres onguents pour les guérir avant de les proposer à l'adoption. Elle s'en retourna à l'arrière-boutique, pour s'occuper certainement de points administratifs.

Harmony se retourna donc vers Dennis. « En fait, c'est ma mère qui tient l'Animalerie. C'est pour ça que je travaille ici. On l'aide, pendant l'été, comme il y a beaucoup plus de clients. » D'un geste de la main, elle l'invita à observer de plus près les bestioles qui peuplaient la devanture. « Je t'en prie, regarde. Tu sais ce que tu préfèrerais ? Un chat, une chouette, un crapaud, ou un rat ? N'hésite pas, si l'un te plait, je pourrai le sortir de la cage pour le faire te rencontrer. »
Avec les animaux, Harmony était douée. Elle avait ça dans le sang. Ou plutôt, elle s'y était formée jeune. Elle les comprenait bien et savait les rassurer. Elle était méthodique et apaisée. C'était bien un des rares cas où l'on pouvait constater une forme de douceur, chez elle.