Yeux perdus, pieds dans l'eau, et baignade glaciale. |Libre|

Les pieds dans l’eau, le regard perdu et absorbé par le torrent de la rivière qui baignait ses orteils, Emeraude était là, assise sur le bord du ponton de bois. Le vent matinal fouettait sa longue chevelure brune. Ses escarpins blancs étaient posés à côté d’elle, et elle les regardait au moins une fois par minute. Que faisait-elle ici, à une heure si matinale ? Rien. Elle avait juste eu une soudaine envie, après s’être fait réveillée par son cauchemar habituel, de se changer les idées et de venir faire trempette dans l’eau glaciale. Le ciel était teinté d’une lumière orangée magnifique. Le soleil n’était qu’un demi-disque rouge qui se levait derrière la mer alors que derrière Haveirson régnait toujours la noirceur implacable de la nuit. Le Colombienne n’aurait voulu qu’une seule chose : que ce moment, que cette vision idyllique reste intacte. Tout simplement que le temps s’arrête, maintenant. Elle ferma les yeux et commença à chantonner une chanson qu’elle connaissait bien. Le petit monde de l’université n’était quant à lui pas réveillé. Il devait être quoi, cinq heures du matin.

Emeraude aurait voulu plonger la tête la première dans cette masse aqueuse, mais elle savait qu’à une température pareille, une hydrocution serait vite arrivée. Elle n’était pas folle amoureuse de la vie, mais elle n’avait pas non plus envie de mourir à cause d’une simple baignade. La sorcière se contenta juste de prendre sa baguette et de faire voler autour d’elle des petites bulles d’eau translucides, pour passer le temps. Elle se débrouillait assez bien avec ce genre d’enchantements. Sa baguette en chêne rouge toucha un de ses boules, qui se givra d’un coup. C’était un bel orbe transparent. On aurait presque dit une boule de cristal. Le reflet de la Colombienne se reflétait dedans, légèrement déformé. Elle contempla longtemps sa création avant de la jeter dans la rivière. L’orbe de glace fut alors emporté par la notabilité du torrent. Quand elle disparut, Emeraude se reconcentra sur ses pieds mats.

D’abord absorbée par la puissance de la rivière, elle n’entendit pas les craquements de bois derrière elle, signe que quelqu’un marchait sur le ponton. Ses yeux étaient de nouveau fermés, juste pour goûter le bruit relaxant du flot. Elle n’avait pas besoin de dormir, loin de là. Son sommeil n’était pas pour elle, contrairement à beaucoup de gens, une source de sûreté et de plaisance. C’était un nid de cauchemars, d’horreurs et de monstres intérieurs qu’elle voulait à tout prix éviter. Un autre craquement se fit entendre, plus proche, plus intense. Il sortit d’ailleurs Emeraude de son rêve. La sorcière se retourna vivement, et elle percuta ce qui semblait être un bras. Le choc fut si violent qu’en plus de donner une légère bosse à la femme, il la poussa dans l’eau. Elle cria de surprise.

La projection de l’eau glaciale contre sa peau fut un véritable supplice. Elle lui transperça ses vêtements et gela sa peau. Elle manquait d’air et le liquide froid commençait à envahir ses poumons. Emeraude en était sûre, elle allait mourir. Comme c’était bête, décéder à un âge aussi jeune. Alors que ses quelques larmes de regret étaient en train de se mélanger à l’eau douce mais mortelle, une main lui saisit le pull et la sortit de là. La Colombienne, frigorifiée, atterrit lourdement sur le ponton de bois. Ses escarpins étaient toujours là. Elle se releva et enfila ses chaussures blanches. Elle tremblait de la tête aux pieds, elle était trempée et ses cheveux, ses vêtements, tous étaient collés à sa peau halée. Ses yeux étaient les seuls à ne pas être bleus de froid. Eux, ils étaient rouges. Rouges de menaces, de reproches. Ses deux pupilles lançaient des éclairs.

Ses globes oculaires se braquèrent contre la personne complètement folle qui l’avait poussé, sans faire exprès ou non. A vrai dire, ça, elle s’en fichait bien. D’un autre côté, elle ne voyait pas qui aurait eu un malin plaisir à noyer une pauvre étudiante en sortilèges. « Non mais t’es complètement à la masse ! Tu voulais me tuer ! » hurla-t-elle, enragée. Emeraude avait besoin d’évacuer toute la rage, mêlée à de la peur, qu’elle avait ressenti. La Colombienne attendait de plates excuses, ou sinon, le pauvre être qui l’avait noyé pourrait lui aussi subir le même sort. A la différence que là, la femme ne l’aiderait pas. Elle prendrait même un malin plaisir à la regarder s’éloigner, avalée par les flots…