Dripping like a saturated sunrise // Adrasteia

Le mois de Novembre venait de débuter, et, avec lui, la fraîcheur était arrivée. Elle s’infiltrait partout, se jouant des couches de vêtements qu’il tentait de superposer, des mailles de ses pulls et des carreaux des fenêtres qu’il gardait toujours closes, se glissant entre d’infimes interstices, par des fêlures et des craquelures, pour le faire frissonner alors qu’il tentait d’emballer le cadeau d’Adrasteia. Il n’était pas  très doué, lorsque cela concernait les cadeaux, et ne savait jamais véritablement quoi offrir ; il avait pensé à des fleurs, au début, mais il lui semblait se souvenir que son amie était allergique à un certain type de fleurs, sans toutefois parvenir à se rappeler lequel – dans le doute, il n’en avait pas acheté. Quant aux thés, il était presque certain de ne pas avoir les mêmes goûts qu’elle, et les probabilités de lui acheter quelque chose qu’elle allait détester étaient un peu trop grandes pour qu’il prenne le risque.

Mais voilà, RJ et Adrasteia avaient vécu quelques semaines ensemble, et c’était largement suffisant pour se rendre compte qu’elle avait deux passions dans la vie ; les potions et les poupées. Il n’était pas certain de ce qu’il pensait de la deuxième, étant donné qu’il faisait partie de ces gens qui trouvaient que les poupées de porcelaine étaient absolument terrifiantes, mais il avait réussi à trouver quelque chose qui pourrait lui plaire et qui ne donnerait pas à RJ des cauchemars. Quant à la première, il avait erré dans une apothicairerie, promenant son regard sur toutes les étagères jusqu’à ce que l’Apothicaire se libère et vienne le conseiller ; les potions n’avaient jamais été son fort.

En réalité, RJ n’avait jamais été particulièrement doué dans quoi que ce soit, à part peut-être en Astronomie et en Sortilèges. Mais ce n’était pas important, en ce premier novembre 1997.

Ce jour-là, il achevait finalement d’emballer les deux cadeaux d’anniversaire de son amie, tentant de faire taire ce doute atroce qui était revenu souvent durant les derniers jours, alors qu’il contemplait la toute petite poupée de porcelaine, aux cheveux blonds et à la robe pervenche, et l’ensemble de fioles stylisées sur lesquelles étaient gravées des runes et les phases de la lune ; la poupée était jolie, les fioles étaient censées être de bonne qualité et permettre de mieux conserver les potions. Il espérait vraiment que ça lui plairait.

Vers cinq heures, il s’extirpa de son dortoir pour transplaner et la rejoindre dans le vieux village d’Avalon, protégé du froid qui lui mordait les joues par un épais pull et un bonnet, où ils étaient censés avoir rendez-vous. Lorsqu’il apparut, il prit quelques secondes pour reprendre ses esprits – car on ne pouvait pas dire qu’il s’était habitué à la sensation du transplanage, et, en dépit de ce que tout le monde lui disait, il doutait d’y parvenir un jour – et laisser de grandes inspirations salvatrices infuser ses poumons, avant de se redresser.

Il n’y avait que des arbres dénudés de leurs feuilles et des personnes qu’il ne connaissait pas, autour de lui ; elles vaquaient à leurs occupations sans véritablement le remarquer, sans s'arrêter, sans le regarder. Sa montre – parfaitement moldue – lui indiqua qu’il était en avance. Avec un soupir, il s’assit sur un banc, attendant qu’Adrasteia n’arrive, tentant de museler le malaise qu'il ressentait toujours lorsqu'il était seul dans un lieu fréquenté par les sorciers, de s'empêcher de jeter des œillades inquiètes à tous ceux qu'il identifiait comme tels, d'imaginer qu'un sort perdu allait l'atteindre.

AVENGEDINCHAINS

Il entendit le bruit de ses talons claquer, et ne se retourna pas, se contenta de sourire, d’attendre qu’elle ne soit véritablement là, qu’elle n’arrive – cela faisait longtemps. Pas aussi longtemps que les longues années qui les avaient séparés alors qu’il achevait Poudlard et qu’elle y demeurait ; mais longtemps pour deux personnes qui habitaient au sein du même manoir et qui étaient heureuses de se retrouver. Et s’il ne fut pas surpris d’entendre le bruit s’approcher – si rapidement qu’il se demanda si elle n’était pas en train de courir – il fut pris au dépourvu lorsqu’elle l’enserra de ses bras, lorsqu’elle plongea son visage dans le creux de son cou, lorsque son parfum lui parvint, entêtant et impossible à ne pas remarquer. S’il se tendit durant les premières secondes, il se reprit vite et apposa ses mains sur ses bras, les pressant légèrement, basculant la tête en arrière pour l’appuyer sur l’épaule de l’ancienne Serpentard et offrir un rire à ses paroles.

« A ce qu’il paraîtrait, aujourd’hui est un jour spécial. Je n’allais pas manquer ça, quand même. »

Il la regarda grimper le banc et s’asseoir à ses côtés, dissimulant mal la tendresse qu’il ressentait à chaque fois qu’il la voyait ; et il saisit la boisson chaude qu’elle lui offrait, ne jetant qu’une œillade rapide à son contenu – chocolat chaud. Elle n’avait pas oublié à quel point il détestait l’amertume du café. Il n’était pas surpris qu’elle s’en souvienne, en vérité, car c’était l’une de leurs nombreuses – si nombreuses – divergences d’opinions, l’une des innombrables choses sur lesquelles ils ne s’accordaient pas et ne s’accorderaient jamais. Parfois, il lui arrivait même de se demander comment ils pouvaient aussi bien s’entendre alors que rien ne les rapprochait. Et puis il la revoyait, et il oubliait ses doutes, car leur relation était colorée par l’évidence.

Sa réaction, exubérante, irradiante de bonheur, était beaucoup plus intrigante ; il était rare de la voir aussi ouverte sur ce qu’elle ressentait, aussi émotive, aussi heureuse. Et, si cela l’intrigua quelques instants, il mit cela sur le compte de leurs retrouvailles, de son anniversaire, et l’excitation qu’elle ressentait sans doute à l’idée de recevoir des présents – car, évidemment, il avait parfaitement conscience qu’elle n’avait pas été dupe un seul instant lorsqu’il avait tenté de l’attirer en dehors de l’Académie sans qu’elle ne comprenne pourquoi ; mais elle était trop fine et il était trop mauvais menteur pour que cette tentative n’ait eue la moindre chance d’aboutir, de toutes façons.

« Non, je garde ma demande pour Noël » répondit-il immédiatement, ses lèvres s’étirant à nouveau en un sourire, comme s’il n’avait jamais cessé de rire depuis qu’elle était arrivée. « J’espère que tu sauras avant moi si tu es enceinte, ceci dit, mais non – ce n’est pas pour ça. »

Il se détourna quelques instants, tenta d’extirper les deux paquets de son sac sans se renverser du chocolat dessus. Après quelques instants à batailler, il s’avoua vaincu et déposa la boisson au sol, imitant les gestes d’Adrasteia, avant de finalement saisir les cadeaux et de les lui tendre ; ils étaient enveloppés par du papier argenté, emballé de la façon la plus moldue qui soit – la seule qu’il connaissait, après tout. Du ruban adhésif, assez maladroitement appliqué, maintenait le papier fermé, et les pliages n’étaient pas tous égaux, n’étaient pas parfaitement symétriques.

« Bon anniversaire » souffla-t-il en se penchant et en embrassant sa joue, les narines chatouillées par le parfum de fleurs qu’elle dégageait, mais auxquelles il ne parvenait pas véritablement à lier un nom – elle sentait bon, et c’était sans doute suffisant.

Lorsqu’il les lui tendit enfin, il sentit l’angoisse que cela ne lui plaise pas remonter, gonfler ses poumons et prendre toute la place, alors qu’il tentait de ne pas y penser depuis des heures ; ce fut donc en se mordant la lèvre inférieure qu’il l’observa, guettant sa réaction, espérant qu’elle n’allait pas perdre ce masque de joie qui semblait contrôler ses émotions ce jour-là.

AVENGEDINCHAINS

Les cadeaux lui plurent. Il la regardait s’extasier, il voyait son regard qui brillait, même s’il ne comprenait pas véritablement pourquoi – ce n’étaient que des présents modestes, bien éloignés ce qu’elle avait sans doute pu avoir dans sa vie, de ce que sa famille, si riche comparée à ce qu'il ne serait jamais, avait pu lui donner lors de ses anniversaires. Il la regardait préserver le papier, comme s’il faisait partie du cadeau lui aussi, il l’observait alors qu’elle le contemplait, qu’elle se glissait vers lui, alors qu’elle dissimulait son visage dans le creux de son cou et que le contact de leurs peaux, la fraîcheur de son visage le faisait frissonner. Et il glissa son bras derrière son dos pour la serrer contre lui, laissant sa tête doucement basculer contre la sienne, un peu hébété, un peu surpris par son enthousiasme.

Et sa phrase l’avait fait rougir, détourner le regard par réflexe, tenter de se dissimuler et de disparaître derrière quelque chose, n’importe quoi, tant que cela empêcherait Adrasteia de déceler sa gêne. Mais elle ne semblait de toute façon pas prêter attention à ce genre de choses, trop embrumée, trop quelque chose.

Il avait cru que c’était la perspective de son anniversaire, peut-être même de leurs retrouvailles – car il s’était lui-même senti nerveux toute la journée, un mélange étrange d’anxiété et de bonheur, alors que les aiguilles avançaient et que l’heure de leur rendez-vous se rapprochait ; et il avait donc supposé que c’était la même chose pour elle, sans doute, peut-être ? – qui l’enivrait, qui la faisait se comporter ainsi ; qui lui faisait quitter sa réserve habituelle, son calme et sa maîtrise.

« Je suis contente qu’elle te plaise » bafouilla-t-il en guise de réponse, sans parvenir à trouver quoi que ce soit de plus intelligent à dire.

Mais elle lui mordilla gentiment le cou, et il se tendit, surpris ; incapable de savoir comment réagir alors qu’il sentait son visage s’embraser à nouveau et son cœur se serrer, devenir désordonné et battre de façon étrange, incongrue – et puis elle se mit à fredonner.

« Teia ? » articula-t-il, précautionneusement, fronçant les sourcils.

Il ne souhaitait pas se dégager trop brutalement, lui donner l’impression qu’il voulait s’arracher de leur étreinte, la rompre à tous prix alors que c’était faux – il aurait aimé ignorer le fait qu’elle se comportait étrangement, que quelque chose semblait ne pas aller du tout, juste pour la garder un peu plus longtemps près de lui ; sentir sa chaleur et l’odeur de fleurs, devoir dégager ses cheveux qui le gênaient, qui lui faisait froncer le nez. Il ne bougea donc que légèrement, comme s’il avait une poupée de cristal entre ses bras, effilée et fragile, qu’il aurait fallu glisser dans un écrin pour s’assurer de la préserver – juste de façon à pouvoir scruter son visage ; et il le connaissait par cœur, pour l’avoir si souvent contemplé.

« Tout va bien ? »

Quelque chose n’allait pas, quelque chose était étrange. Suffisamment pour qu’il le voie – alors qu’on lui avait tant de fois reproché de ne pas comprendre, de ne pas remarquer – et pour que cela l’inquiète.

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