let me be your killer king ; &Adrasteia

L’euphorie. L’héritier avance lentement sur le pavé, une lumière éclairant le bout de sa baguette qu’il tend à présent vers les plantes. Mortes, presque givrées, même, à cette période de l’année. Son souffle s’échappe en de petits nuages de buée, et si la soirée se fait fraîche, il n’en est pas moins présent. Un frisson le secoue brièvement, et il inspire doucement, levant la tête vers le ciel à présent couvert d’étoiles. « Nox... » marmonne-t-il, son regard se posant vers l’une des hautes tour qu’il peut apercevoir de là. Il lui aurait fallu un miracle pour qu’il ne puisse apercevoir quoique ce soit, tout particulièrement dans la pénombre ambiante, mais il sait que l’heure avance, et que bientôt, il serait vingt-et-une heure. Tapante. Comme à l’habitude.

Les dernières semaines avaient été mouvementées. Entre l’annonce de la grande bataille, le retrait de sa famille, son entrée presque miraculeuse à Haveirson et les semaines le séparant d’Adrasteia, il ne savait plus si le temps avait été trop long ou bien trop court. Il y avait eu les deuils, les remises en question, puis les mises à niveau. Il y avait eu le manque, le besoin, l’envie. Puis les réflexions, les questions, la curiosité, ce monstre qui nous gruge jusqu’à la moelle et qui, dans son cas, l’empêchait de suivre le courant normal des choses. Normal, de toute façon, vraiment ? L’idée avait d’abord germé quelque part dans un coin de son cerveau, puis s’était ancrée solidement lorsqu’il avait vu la toute petite épée briller comme elle ne l’avait plus fait depuis des mois, le bijou toujours accroché à son cou à lui. Du bout des doigts, il l’avait effleuré, sa lumière s’intensifiant une fraction de seconde et confirmant ses doutes : elle était en possession du sien. Un sourire était automatiquement venu dessiner ses lèvres, et il s’était, dès lors, appliqué à la faire venir à lui. Il avait longtemps tiré les ficelles de la demoiselle à sa guise, avait réussi à s’insinuer dans sa tête comme dans sa vie, et s’était amusé à la décoder, à la calculer, à apprendre à jouer de ses cordes sensibles simplement pour obtenir ne serait-ce qu’une lueur d’appréciation à son égard, quelque part au fond de ses iris. Elle lui en avait offert beaucoup plus que ça, certes, mais elle savait à présent des choses qu’il préférait ne pas voir éclairées aux yeux du public. Mais pourquoi n’avait-elle, encore à ce jour, rien exprimé à ce sujet ? Il n’avait subi aucune conséquence, jusque là. Et peut-être qu’elle avait un plan, et peut-être qu’elle n’en avait absolument pas ; peut-être qu’elle était confuse, peut-être aussi qu’elle était à présent fatale pour lui. Mais dans tous les cas, il ne s’était pas contenté d’aller la voir. Deux mois s’étaient passés depuis le premier message qu’il avait glissé dans l’un de ses manuscrit, puis à peine quelques heures depuis le dernier indice qu’il lui avait laissé, un puzzle sensé la guider jusqu’à lui.

Et pour une raison aussi obscure que celle qui l’emmenait à ces jardins ce soir, il avait déjà la conviction d’avoir réussit. Quel sentiment honorable.

Un bruit. Son fil de pensée se coupe brusquement, et il pivote sur lui-même, discrètement, silencieusement. Réflexe peu naturel, il range sa baguette sous sa ceinture et plisse les yeux pour tenter d’apercevoir une ombre, une silhouette, ses pupilles s’ajustant tant bien que mal à la noirceur pesant tout autour. Il peut sentir une présence s’approcher, se frayer un chemin jusqu’à lui, et même si c’est une expression de satisfaction qui s’imprime sur son visage, colore tous ses traits, son cœur saute un petit bond. Il recule d’un pas, se tapit dans l’ombre, et observe en silence l’ombre devenir une jeune femme, devenir la jeune femme qu’il attendait, qu’il trépignait de voir. Un rapide coup d’œil vers sa montre le fit hocher de la tête, satisfait de voir qu’il était vingt-et-une heure. Pile. Il humecte ses lèvres et sort de la pénombre après quelques longues, tortueuses secondes d’attente à simplement l’observer. Elle cherchait, ou tout du moins, c’était probablement le cas. Il se glissa derrière elle et entreprit de la suivre en silence, les mains dans les poches, à peine à quelques centimètres d’elle. Il se fit discret un très court moment, avant qu’il ne devienne évident qu’il cherchait à lui faire sentir sa présence, ses pas le rapprochant d’elle et la distance lui permettant de parler tout bas pour s’adresser à elle. « je t’ai trouvé en premier, comme toujours. » se contente-t-il de dire, inclinant la tête, se préparant à croiser son regard. Enfin, le premier, depuis une éternité, même s’il ne s’attendait pas à y voir le même genre de lueur à laquelle il s’était habitué, attaché même. Avec ces mots, un sentiment de satisfaction l’envahissait, enivré d’avoir réussi son coup, bêtement fier de l’avoir à ses côtés ce soir.

Adrasteia N. Raventhrone
« Take my arm, break it in half. Say something, do it soon, it’s too quiet in this room.»

Arseni E. Selwyn
« Break some bread for all my sins. Say a word, do it soon, it’s too quiet in this room? »

L’appréhension. Jamais l’idée que ses actes étaient déraisonnables ne lui avait frôlé l’esprit. Jamais il n’avait tenté de comprendre pourquoi le sang bouillait si agressivement dans ses veines, ou encore pourquoi tous ses sens s’engourdissaient lorsqu’il la voyait tomber presque volontairement dans ses filets. Toujours est-il qu’il sentit son cœur s’emballer lorsque ses longs doigts, froids, vinrent étreindre sa gorge et ses ongles s’enfoncer presque gracieusement dans sa chair. La suite de ses mots, sa voix, s’étaient dissipés dans le néan, puis son chant s’était amplifié, jusqu’à ce qu’il n’entende que ce qu’il voulait, qu’il en interprète le sens qui lui plaisait. Il retroussa les lèvres et haussa les sourcils, approuvant sa déclaration d’un petit sourire étriqué, mesquin. Il triomphait de voir la réalisation se peindre  sur son visage, sur le sien, de la voir avouer l’inavouable, comme si, enfin, des murs étaient tombés entre eux, et qu’après ce long et sinueux périple, il se sentait, égoïstement, libre d’un poids. « J’ai, vraisemblablement, toujours sous-estimé ton sens de l’observation. » se contenta-t-il de lui répondre, d’une voix doucereuse, doublée d’un regard nébuleux, et pourtant si familier, certainement, pour la Raventhrone. Ses doigts se résilièrent et elle recula, le poussant à soupirer et hocher négativement de la tête, comme s’il réprimandait son comportement. Il ne lui laissa cependant aucune chance et fit le même pas, en avant, penchant la tête et sourcillant d’abord, puis finalement pantois face à ses derniers mots. Dur. Il hocha la tête à nouveau, plus nettement même, toujours en négation, et vint poser un index sur sa bouche, lui intimant de se taire, maintenant. « Oh, Adra… » Son doigt fila sur sa peau, jusqu’à la commissure de sa mâchoire, et s’il se retint de soupirer à nouveau, il ne s’empêcha pas moins de pincer les lèvres en guise d’agacement.  Est-ce que ça avait jamais été sérieux entre eux, avait-il éprouvé ne serait-ce qu’une once de ressentiment pour elle ? Dire non aurait été une calomnie en soit, mais elle n’avait pas tort de penser que tout n’avait pas été véridique. L’idée de la sacrifier à ses propres fins lui avait été facile à envisager, et s’il n’avait pas su ce fait depuis le début, c’était presque comme si. Néanmoins, la douceur de son masque se brisa rapidement, et ses doigts se pressèrent solidement sur le visage de la poupée, déjà visiblement bien abîmé par les mauvais traitements qu’elle s’était probablement infligés d’elle-même. « C’est si vulgairement dit, mais je te confirme qu’il y en a déjà plus que suffisamment entre ces murs. » Il lui offrit un nouveau sourire, puis relâcha son emprise, son pouce sillonnant plutôt les traits de fatigue gravés sur les traits de son visage, tout particulièrement les sombres cernes soulignant tristement des yeux qu’il s’était accoutumé à voir briller. Mais comme si le toucher l’avait brûlé, il se ravisa bientôt, et glissa à nouveau sa main dans sa poche.

« Ceci dit... ce que je cherche n’a rien à voir avec ça. Ce que je cherche se dresse déjà devant moi. » Son sourire se transforma bientôt en une moue compatissante, et son regard, lui, se posa vers la pénombre lointaine. Est-ce qu’il savait la raison exacte de sa présence, à lui, à elle, dans ces jardins, ce soir ? Le fait était qu’il n’y en avait pas qu’une. Il y en avait plusieurs, certaines en son contrôle, et d’autres qu’il ne pouvait absolument pas réprimer. Le besoin de savoir, la curiosité maladive l’habitant, le désir de la retrouver, aussi… d’avoir la chance de tâter le terrain et s’immiscer là où elle ne le voyait pas, de la surveiller, de la superviser. Mais quels étaient ses droits sur la belle ? Aucuns, absolument aucuns… dans l’absolu, tout du moins. « Tu ne soulèves pas les questionnements les plus pertinents, Adrasteia. Tu sais très bien ce que je sollicitais ce soir… ce que tu n’assimiles pas, c’est pourquoi je le désirais. » la corrigea-t-il au bout d’un court moment de réflexion, hautain pour si peu, comme à l’habitude. Il s’écarta d’elle sans jamais ne cesser de la jauger du regard, ses pas lents et précis alors qu’il lui tournait autour tel un vautour devant sa proie. Mais rien n’en était, à vrai dire, et il observait simplement chacune de ses réactions, chacun de ses bruits, de ses souffles, de ses battements de cil… il l’examinait, la scrutait, comme il avait toujours aimé le faire. Ne lui laisser aucun espace pour se cacher, aucune marge de manœuvre, aucune pensée malencontreusement ignorée, la détailler sous toutes ses coutures… « Mais comme je suis exceptionnellement compréhensif, je peux te donner des réponses... » Il s’arrêta donc de marcher et inspira doucement, humectant ses lippes le temps d’un nouveau songe. Tout avait été planifié jusqu’à ce moment précis, jusqu’à cette seconde où il ne savait pas exactement par où il devait commencer, jusqu’à ce moment où tout n’en tenait qu’à lui, du moins en ce qui concernait le futur de ces deux jeunes gens, de cette relation qui se mourrait, lentement, mais sûrement. « Je veux, tout d’abord, savoir la raison de ton état si lamentable. » Proposa-t-il en premier lieu, et si la question aurait d’abord pu être prise pour de  la compassion, de la tristesse à son égard, ce fut plutôt d’un ton dur qu’il lui réclama des explications, sans même ressentir le besoin de camoufler le fait qu’il l’avait probablement épiée au courant des dernières semaines.

Adrasteia N. Raventhrone
« Take my arm, break it in half. Say something, do it soon, it’s too quiet in this room.»

Arseni E. Selwyn
« Break some bread for all my sins. Say a word, do it soon, it’s too quiet in this room? »