Sous le ciel étoilé [libre]

19h30. Je pousse mon assiette, vide et propre. Je n'ai pas faim. Je n'ai plus faim. Plus souvent, plus vraiment. Je grignote un peu de pain, un biscuit, un fruit. Mais remplir mon assiette ? Non, sans intérêt. Je suis maussade, je suis fatiguée. Je n'arrive pas à me retrouver dans ce monde branlant. J'étais motivée pourtant. Je le suis toujours. Déterminée, décidée à évoluer. Décidée à épouser une carrière découverte pendant l'été. De ces choix de vie qui se font d'un coup, de ces vocations auxquelles on n'a jamais pensé mais qui s'imposent comme ça. Et l'été, malgré mon évolution, malgré ma guérison physique rapide s'est avéré compliqué. Il aurait fallu que je comprenne. Pourquoi mes parents étaient partis, pourquoi Chris m'avait abandonnée. Pourquoi j'étais toute seule, perdue. J'avais commencé à me lier, à me fier aux autres. Et ceux qui m'avaient promis être toujours là, ceux qui étaient sensés être rattachés à moi, tous ceux-là m'avaient laissé tomber. Et dans cet égoïsme puéril, je m'étais laissée avaler par la dépendance affective. Par le mal qui vous enlace, qui vous berce, qui vous susurre que tout ira bien.

21h30. Je trempe le bout de ma plume dans l'encrier, une énième fois. Des centimètres et des centimètres de parchemins grisés pour le cours d'Histoire de la magie. Un exposé quelconque pour un enseignant sans plus de valeur. Un remplaçant, visiblement. A l'écart des babillages, je me plie à l'exercice, docile. La fatigue m'assaille par moment, par petites vagues, mais je lutte toujours. Je ne cauchemarde plus. Je ne me plains pas de mes nuits. Mais j'ai besoin d'avancer. De réfléchir. Du moins, c'est ainsi que je perçois la chose. Peut-être qu'avec plus de lucidité, je comprendrais qu'en réalité c'est l'inverse qu'il me faut. Abandonner la pensée au profit de l'action. Refuser la séquestration que m'impose mon propre esprit. Est-ce que je me protège vraiment ? La porte de la salle claque et des rires mal étouffés se font entendre. Un groupe d'étudiants de deuxième année vient de faire son irruption dans la pièce, d'envahir les fauteuils, et les éclats de leurs rires et de leurs conversations emplissent les lieux. Avec un soupir, je ferme lourdement mon livre. Je le glisse dans mon sac sans délicatesse et y fourre parchemin et autres bricoles avant de laisser le tout dans un coin de la pièce. Khéops et Kairos s'étirent, s'extirpent de leur fauteuil et me rejoignent en trottant. Le jeune fléreur prend place sur mon sac, prêt à monter la garde en ne dormant que d'un œil et le chaton le rejoint avec peine. Je suis seule. Libre. Désœuvrée.

20h50. Après avoir erré un moment, réticente à aller me coucher si tôt, j'arrive devant la porte de l'observatoire et la pousse doucement. Je ne m'attendais pas vraiment à ce que l'endroit soit désert. Un ou deux couples, un étudiant studieux. Un petit groupe silencieux qui n'aurait eu aucun intérêt pour moi. Mais ce fauteuil roulant qui soutient une étudiante seule, isolée… C'est l'échange obligatoire. Si l'on peut ignorer un groupe déjà installer, passer à côté d'une personne seule en faisant comme si elle n'existait pas est plus délicat. Je fais donc un pas en arrière et, troublée, trébuche et heurte la poignée. Bruyamment. L'étudiante se retourne et je reconnais cette étudiante de deuxième année, à Abraxan elle aussi. Mais surtout, je reconnais la combattante. Je l'ai déjà aperçue dans les couloirs, ou dans l'antre des Abraxans, mais sans jamais l'approcher. Parce que son état me fait me sentir frêle et plaintive. Parce qu'à côté d'elle je vais bien, mais que je conserve cette impression que tout va mal.

« Tu étais dans le hall. »

Pas une question, pas vraiment la meilleure façon de lancer la conversation non plus. Mais c'est la première chose à laquelle j'ai pensée.

Dans le hall. Parmi les souvenirs brumeux de cette nuit, il y a son visage. Son arrivée avec celle des autres sorciers venus prêter main forte à des gamins débordés. Ma mémoire, Merlin l'en préserve, ne parvient pas à recoller tous les morceaux du tableau, mais je me souviens d'elle. Et si je me fie à sa réserve, de son regard qui s'accroche à moi et au son de sa voix, elle se souvient de moi aussi. Je remarque la méfiance que son calme apparent ne parvient pas totalement à masquer avant d'entendre les mots, de les comprendre réellement. Et lorsqu'ils se fraient un chemin à travers mon esprit, c'est comme une douche glacée. Une accusation, rien de moins. J'ai attaqué. Je me suis tournée contre les mauvais combattants, et l'image de mon bras qui se tend vers le professeur McGonagall s'impose.

Je me fige, comme sous l'effet d'un stupefix. Comme si elle m'avait frappée, je bascule un peu, recule d'un pas, instable. Psychologiquement, physiquement. C'est ce qu'elle sait de moi. Elle n'était pas là au début des combats. Elle n'était pas avec nous, quand les elfes sont tombés un à un. Elle n'était pas là quand je me battais vaillamment. Cette fille dans son fauteuil, de celles que l’héroïsme n'épargne pas, n'a que cette image de moi. Trahison, disgrâce. Si elle savait à quel point mes propres actes m'ont traumatisée. Si elle savait comme j'ai lutté contre la force invisible qui empoignait ma pauvre volonté trop frêle… Je pourrais me justifier. Lui expliquer. Je pourrais simplement lui dire qu'elle se trompe. Mais fait-elle réellement erreur ? J'ai attaqué un professeur. Je ne peux pas le nier.

« Je... »

Je serre les poings et mes yeux s'écarquillent. Tu sais, je n'y pouvais rien. Tu sais, j'aurais voulu le tuer de mes mains pour ce qu'il m'a fait. Tu sais, on dit que si le sort a échoué, c'est que ma volonté était assez forte malgré tout pour lutter contre l'impardonnable. Tu sais…

« Je ne pouvais pas faire autrement. J'aurais voulu. Je voulais être moins faible. Je voudrais ne pas l'avoir fait, je voudrais être partie avec les autres. Ce n'était pas moi, ça. »

Probablement la plus mauvaise excuse de tous les temps. Est-ce que je me défends ou est-ce que je creuse ma propre tombe ? Ne sait-elle pas ? Se souvient-elle ? Aurait-il fallu que je nie ? Que je m'écrie que nous étions dans le même camp, que nous sommes dans le même camp ? Quelle minable. Quelle faiblesse. Quel échec, encore.

Personne ne finit dans l'oubli,
Si quelqu'un l'attend encore ici.
Un ami manque toujours,
On pense toujours à son retour.

Damien Sargue – Un jour

Personne ne finit dans l'oubli,
Si quelqu'un l'attend encore ici.
Un ami manque toujours,
On pense toujours à son retour.

Je me rends compte qu’elle semble très perturbée. Je ne sais pas comment je dois prendre son comportement, ses hésitations. J’ai tellement d’appréhension à l’idée d’être face à des anciens mangemorts. J’ai donné pendant des années, maintenant j’aspire à un peu de tranquillité, même si je sais que c’est pas gagné. J’ai envie de croire qu’elle n’a pas fait de mauvais choix, qu’elle n’a pas rejoint les partisans, pourtant ses actes me tendent à penser le contraire. Mais là aujourd’hui, elle semble plus abîmée par la guerre que je ne l’aurai pensé. Elle semble plus abîmer que moi de ce que je vois. Ce n’est pas physique, c’est plus profond. C’est l’âme. J’ai de la peine pour elle. J’écoute ses paroles, tenter de lire entre les lignes. Doucement ses paroles font leur petit bout de chemin jusqu’à mon cerveau et j’ai peur de comprendre. Elle n’était pas elle-même ce jour-là. Sous le feu de l’action, je n’ai pas fait attention ce jour là. Je pense que personne n’a eu le temps de voir ce qui n’était pas visible, ou plutôt personne n’a pris le temps de voir. Tout le monde était bien trop occupé avec ses propres emmerdes pour se préoccuper des problèmes des autres. Mais le problème, c’est la croire. Rien ne me prouve qu’elle ne mente pas même si elle est très convaincante. Je reste très méfiante, s’il y a bien une chose dont j’ai appris, c’est à me méfier des paroles qui peuvent être prononcé trop facilement.

« -Tu insinues que tu n’étais pas maître de toi-même ? » fis-je en restant sur la réserve, la dévisageant sans lui montrer que je la croyais ou non. « Le nombre de mangemorts qui ont sortis cette excuse pour échapper à Azkaban… » ajoutai-je sur un ton plus dur qu’à l’accoutumé.

Je ne bouge pas, me contentant de la dévisagé la jeune femme. Je pense qu’il est totalement possible qu’elle est été sous impérium. Mais elle peut tout aussi bien culpabiliser d’un choix fait par erreur de jeunesse. Et si c’est le cas, je refuse de lui enlever cette culpabilité. Une erreur de jeunesse a très bien pu couter la mort de ses camarades, et si c’est le cas, la réconforter et hors de question.

« -C’est vrai que si le hall avait bien explosé, il n’y aurait plus eu aucun témoin de tes actes. Que des avantages pour toi en quelques sortes » répliquais-je soudain froidement en me rendant compte de la porté des propos de la jeune femme.

Je me perds dans mes mots. Je me perds dans mon propre esprit. Ce n'est pas compliqué pourtant, rien n'est vraiment compliqué. Je ne suis pas celle qui a le plus subi lors de cette bataille. Je suis en vie, je suis entière, je ne suis pas physiquement blessée… Les fragments du plafond qui m'ont mis ko avant même la fin des combats n'étaient pas si gros, et si ce n'est une cicatrice à la base du cuir chevelu, je n'ai plus de marque. Plus de marque visible. Je suis consciente de ma dépression. Je suis consciente de mon état, de ma faiblesse. Je sais pertinemment tout ce qui s'est passé, même si je m'accable probablement un peu trop. J'étais là. J'ai vu. J'ai senti. Et je m'en suis sortie.

Alors pourquoi n'arrive-je pas à me remettre sur mes pieds, métaphoriquement parlant ? Pourquoi mon esprit si lucide est-il en même temps si brumeux ? Pourquoi suis-je incapable d'avancer ? Est-il possible que je ne veuille pas avancer, au fond ? Que la peur de l'abandon, que le traumatisme du viol cérébral m'enchaine à celle que j'étais alors, et que savoir ce qui sera ensuite m'effraie tellement que je refuse les yeux ? Comme certaines fois, alors que l'on se réveil d'un cauchemar particulièrement pénible, on n'ose pas ouvrir les yeux. L'on sait pourtant que ce n'était que le fruit de notre esprit ensommeillé, mais il est trop difficile de s'éveiller totalement au cas où. Au cas où la fantaisie serait trop proche de la réalité. Au cas où ce que l'on a à voir ne serait pas plus beau que ce que l'on a vu.

Aux premiers mots de l'Abraxane, je ne réponds pas. Tête basse, pitoyable, toute justification ne servirait que l'hypothèse que je puisse mentir. Je réagirais soit trop fort, soit trop peu. J'avancerais soit trop d'arguments, soit pas assez. Non, il est inutile de brasser du vent. Quelle preuve ai-je ? Je pourrais lui dire de demander aux médicomages, à ceux qui ont pansé les plaies invisibles de mon psyché blessé. Mais à quoi bon ? Le ferait-elle ? Les croirait-elle ? Je sens son regard inquisiteur et la nausée monte. Pourquoi ne suis-je pas capable de marcher, droit devant ? Si ma magie revenait… Si ma magie revenait, pourrais-je encore l'utiliser sachant que je pourrais mal l'employer. Est-ce que ce n'est pas ça, le fond du problème ? Non pas ce qui a été fait, mais ce qui pourrait être fait. Faire face à la réalité, me faire face ?

De nouveau, Megan prend la parole. Brûlante, acerbe. Infernale.

« Des témoins de mes actes ? »

Je souffle un rire nerveux, un rire un peu mauvais. Un rire blessé.

« Mais il y en a des témoins de mes actes. Parmi ceux qui ont fui quand nous sommes restés. Il y a des témoins de tout ça, de tout ce que tu ne sais pas. Crois tu avoir tout vu ? Parce que tu es arrivée au mauvais moment, parce que tu es tombée de ton piédestal héroïque dans un fauteuil roulant tu crois tout savoir ? Etais-tu là quand ils ont fait exploser les elfes ? Ces pauvres créatures qui nous nourrissaient, qui ne souhaitaient que nous défendre parce que nous avions l'audace de nous dresser contre le monstre et ses enfants araignées, parce que nous n'étions qu'une poignée d'adolescents contre le mal, dont un a trahi et l'autre n'a eu de cesse d'essayer de s'enfuir sans même y parvenir ? Tu étais là lorsque l'araignée m'écrasait, furieuse d'avoir perdu des pattes au bout de ma baguette ? J'aurais voulu que tout s'achève et nous aussi, parce que c'était toujours mieux que ce qui nous attendait. J'aurais voulu que son emprise me détruise, parce qu'il aurait été plus facile de savoir que je ne vivrais pas avec ça. Avec sa présence à l'intérieur de moi, avec l'impression de son souffle sur ma nuque quand bien même il n'était pas contre moi, avec la certitude d'être sa possession, malgré mes protestations silencieuses. Parce que je ne pouvais rien faire. Ni fuir, ni crier. Ni même vraiment pleurer ou me lamenter. Je ne pouvais que le voir agir, se dresser, jubiler par mon biais. Accomplir son méfait sans pitié, sans humanité. Sais-tu ce que c'est ? De n'avoir le contrôle sur rien, de savoir ce qui se passe, mais d'être trop faible pour agir et au pire moment, d'être presque résignée, d'espérer simplement que cela se terminera vite, et si possible définitivement ? Je voulais juste que ça s'arrête. Je l'aurais supplié, j'aurais presque tout offert pour que cela cesse. Mais il ne m'en a pas laissé l'occasion. Il n'avait pas besoin de mes prières ou de mes offrandes. Il prenait ce qu'il voulait. »

Ne le font-ils pas tous ?

Personne ne finit dans l'oubli,
Si quelqu'un l'attend encore ici.
Un ami manque toujours,
On pense toujours à son retour.

Je l’écoutais cracher sa tirade comme un serpent prit au piège pouvait vouloir cracher son venin pour se défendre, pour se protéger. Ses mots semblaient se mélanger, ses pensées s’entrechoquer. J’avais l’impression qu’elle vidait son sac pour la première fois depuis la bataille, bien que je ne la connaissais pas vraiment. Je l’avais bien croisé de temps en temps dans les couloirs de Poudlard lorsque nous y étions toutes deux élèves et même quand j’avais réintégrée l’école en tant que stagiaire, mais je ne m’étais jamais vraiment soucier d’elle. Pourquoi l’aurais-je fais d’ailleurs ? C’était une inconnue. Une inconnue dont la baguette avait farouchement faits des siennes alors qu’elle avait voulu s’attaquer au professeur McGonagall.  C’était les faits. C’était ce que j’avais vu et elle s’évertuer à se défendre qu’elle n’avait pas eu le choix, qu’elle avait été faible et que sa lutte avait été vaine. Des belles paroles, comme celles de toutes ces vermines qui s’amoncelaient à présent dans la nouvelle prison sorcière, jurant à qui voulait qu’ils n’avaient jamais eu le choix.

« - C’est trop simple » sifflais-je soudain agressive. « C’est trop facile de se cacher derrière cette excuse ! » coupais-je alors que mes yeux se plissèrent de rancœur non contenue.

Je serrais ma main libre contre l’accoudoir de mon fauteuil alors que je sentais la colère monter en moi. Cette fille pensait sérieusement qu’elle était la seule brisée par cette guerre ? La seule qu’on avait utilisé comme un vulgaire pion sur un échiquier qu’on sacrifié à la première occasion afin de prendre un coup d’avance. Elle s’apitoyait sur elle-même sans se rendre compte qu’elle avait une chance incommensurable d’être vivante. Combien de ses jeunes camarades auraient voulu être sa place ? Combien de jeune gens avaient été fauché par le destin alors que l’ange de la mort était venu à eux ce jour là ? Si j’avais pu me tenir sur mes jambes, je lui aurai très certainement foncé dessus pour la gifler et lui remettre les idées en place.

« -Mais qu’est-ce que tu crois hein ? Que tu es là seule à avoir subi leur cruauté ? Tu crois que tu es la seule a avoir été manipulé et utilisé pour qu’ils arrivent à leurs fins ? Mais ouvre les yeux ! ça fait des années qu’ils font ça alors que tout le monde les crois sous les verrous ! Alors oui, tu as été faible et t’apitoyer sur toi-même ne changera rien à ce qui s'est passé! ! » Répliquais-je sur un ton glacial.

Au fond, je ne lui en voulais pas, je comprenais sa peine, sa détresse. Mais ce qu’elle m’avait dit m’avait ramener à trop de souvenir pour me montrer compatissante. Mes pensées étaient déjà parti vers toi, Tigurius. Ce qu’ils avaient fait de nous deux étaient impardonnables. Manipulés, utilisés, violentés. Ils avaient fait de notre lien, une arme. Ils avaient fait de nous des rivaux, puis des ennemis. Tout ça parce que maman avait été l’une d’entre eux. Parce qu’elle avait tenté de se racheter auprès d’eux, craignant pour sa vie. Damnation. J’étais entrain de trembler. Tout ce qui me ramène à toi me fait perdre la raison, me rends faible. Je contiens mes larmes qui menacent mes joues et mon regard ce durcit alors que je regarde la fille.

«- Je n’ai pas de temps à perdre avec quelqu’un comme toi. » grognais-je en faisant glisser mon fauteuil jusqu’à l’entrée, passant devant elle. « Au passage, t’as de la chance que je sois tombé de mon piédestal héroïque comme tu dis, tu gardes ton arrière-train entier grâce à ça parce que je me serais fait une joie de te botter le cul ! » répliquais-je durement avant de reprendre la route vers la porte.