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 DAENERYS

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MessageSujet: DAENERYS   DAENERYS EmptyMer 21 Juin 2006 - 23:05

Chapitre 1

Les bras levés, son frère tenait la robe en suspens pour la lui faire contempler : « Superbe, n’est-ce pas ? Hé bien, touche ! palpe-moi ce tissu… »
En y risquant ses doigts, Daenerys éprouva la sensation fluide que procure l’eau. Si loin qu’elle remontât dans ses souvenirs, jamais elle n’aurait rien porté de si fin. Effrayée, elle retira vivement sa main. « Et c’est à moi, vraiment ?
Un cadeau de maître Illyrio », sourit Viserys. Il était décidément de belle humeur, ce soir. « Son coloris rehaussera le violet de tes yeux. Tu auras aussi de l’or, et toutes sortes de joyaux. Il l’a promis. Ce soir, tu dois avoir l’air d’une princesse. »
L’air d’une princesse… Elle avait oublié à quoi cela ressemblait. Si elle l’avait jamais su. « Pourquoi se montre-t-il si généreux ? demanda-t-elle, qu’attend-il au juste de nous ? » Depuis près de six mois, ils avaient chez lui le vivre et le couvert, ses serviteurs les mignotaient. Pour n’avoir que treize ans, elle ne s’y trompait pas : les prodigalités désintéressées n’avaient guère cours, en la cité libre de Pentos…
« Pas si fou », répondit le jeune homme, auquel ses mains nerveuses, son regard fiévreux, ses prunelles de lilas pâle donnaient un aspect peu aimable. « Il sait pertinemment que, le jour où je recouvrerai mon trône, je n’oublierai pas mes amis. »
Elle demeura muette. Marchand d’épices, de gemmes, d’os de dragon et de denrées moins ragoûtantes, maître Illyrio possédait, paraît-il, des amis dans chacune des neuf cités libres et même au-delà, du côté de Vaes Dothrak et des contrées fabuleuses qui bordent la mer de Jade. On ajoutait qu’il n’avait jamais eu d’ami qu’il n’eût de tout son cœur désiré trahir au plus juste prix. Les rues bruissaient de commérages là-dessus, et Daenerys avait l’ouïe fine. Mais mieux valait, irascible comme il l’était, ne pas tracasser son frère ou, comme il disait lui-même, « réveiller le dragon », lorsqu’il tissait sa trame de chimères.
Tout en raccrochant la robe auprès de la porte, Viserys reprit : « Quand les esclaves d’Illyrio viendront te baigner, veille à ce qu’ils t’ôtent cette puanteur d’écurie. Khal Drogo a beau posséder mille chevaux, c’est d’une tout autre monture qu’il rêve, aujourd’hui. » Puis, la détaillant d’un regard critique : « Toujours aussi gauche ! – redresse-toi », il lui repoussa les épaules. « Montre-leur donc que tu es une femme, désormais », insista-t-il en balayant d’un geste désinvolte la gorge naissante avant d’en pincer un bouton, « et gare à toi, si tu me manques, ce soir. Tu ne souhaites pas réveiller le dragon, je pense ? » A travers le tissu grossier de la tunique, l’étau resserré de ses doigts opéra une torsion blessante. « Si ?
- Non, dit-elle humblement.
- Bon ! sourit-il, presque affectueux, en lui caressant les cheveux. Vois-tu, sœurette, lorsqu’on écrira l’histoire de mon règne, on datera de ce soir mon avènement. »
Après qu’il se fut retiré, elle s’approcha, songeuse, de sa fenêtre et tristement se mit à regarder la baie. Le jour déclinait. Contre le crépuscule, les tours en brique du rempart carraient de noires silhouettes. Des rues montaient, mêlés aux litanies des prêtres rouges en train d’allumer leurs feux nocturnes, les piaillements de mioches miséreux jouant à des jeux invisibles. Que ne pouvait-elle se joindre à eux, pieds nus, vêtue de haillons, hors d’haleine et sans passé, sans avenir, sans obligation de paraître à la fête de Khal Drogo…
Quelque part, là-bas, au-delà du crépuscule et par-delà le bras de mer, s’étendait un pays de vertes collines et de plaines en fleurs où couraient de grandes rivières, où la pierre sombre des tours se détachait sur le merveilleux gris-bleu des montagnes, où, tout armés pour le combat, des chevaliers galopaient sous la bannière de leurs suzerains. Les Dothrakis nommaient ce pays Raesh Andahli, le pays des Andals, tandis que les habitants des cités libres l’appelaient Westeros, les royaumes du soleil couchant. Viserys, lui, disait tout simplement « notre pays ». Deux mots qu’il prononçait comme une prière. Comme si, à force de les redire, il devait s’attirer la faveur des dieux. « Nôtre par droit du sang. Nôtre toujours et, quoique dérobé par traîtrise, nôtre à jamais. Le voler au dragon ? nenni. Le dragon se souvient. »
Peut-être, en effet, se souvenait-il. Daenerys, elle, ne le pouvait. Elle n’avait jamais vu ce pays que son frère déclarait leur, ce royaume de l’autre rive. Tous ces noms : Castral Roc, les Eyrié, Hautjardin ou le Val d’Arryn, Dorne ou l’Île-aux-Faces, dont il se délectait, des mots, pour elle, rien de plus. Car si Viserys était âgé de huit ans lorsque, talonnés par l’Usurpateur, ils avaient dû quitter Port-Réal, elle-même, à l’époque, tressaillait à peine dans le sein maternel.
A force toutefois de se les entendre ressasser, il arrivait qu’elle se représentât la fuite, en pleine nuit, vers Peyredragon, les frissons blêmes de la lune sur la voile noire, l’affrontement de leur frère Rhaegar avec l’Usurpateur dans les eaux sanglantes du Trident, sa mort pour la femme aimée ; le pillage de Port-Réal par ceux que Viserys nommait les chiens de l’Usurpateur, lord Lannister et lord Stark ; les supplications de la princesse Elia de Dorne quand, arrachant de son sein le fils de Rhaegar, on le massacrait sous ses yeux ; les squelettes polis des derniers dragons béant aveuglément, sur les parois de la salle du trône, alors que le Régicide égorgeait Père avec une épée d’or…
Neuf lunes après ces drames, elle voyait le jour à Peyredragon. Durant un typhon d’été si épouvantable que, non content de manquer rompre, à ce qu’on disait, les amarres de l’île elle-même, il fracassa la flotte targaryenne à l’ancre, arracha aux remparts et précipita dans les flots déchaînés d’énormes blocs de pierre. Et, là-dessus, crime irrémissible aux yeux de Viserys, Mère était morte en la mettant au monde.

[suite à venir!]
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MessageSujet: Re: DAENERYS   DAENERYS EmptyVen 23 Juin 2006 - 11:02

appalaus Bravo encore
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MessageSujet: Re: DAENERYS   DAENERYS EmptySam 24 Juin 2006 - 23:59

De Peyredragon, aucun souvenir non plus. Leur fuite avait repris, juste avant que n'appareillât le frère de l'Usurpateur avec de nouveaux bateaux. Ancien berceau de leur maison, l'île était alors le dernier vestige de sa souveraineté sur les Sept Couronnes. Vestige précaire...Et d'autant plus menacé que la garnison s'apprêtait à vendre les orphelins à l'Usurpateur. Ceux-ci ne durent la vie qu'à la loyauté de ser Willem Darry qui, escorté de quatre braves, les enleva, une nuit, ainsi que leur nourrice, et, faisant force de voiles à la faveur des ténèbres, les mena sains et saufs jusqu'à la côte de Braavos.
Elle se rappelait vaguement ser Willem: un grand diable d'ours gris, à demi aveugle, et qui, depuis son grabat, rugissait des ordres. Mais, s'il terrifiait ses valets, de lui ne connut-elle que la bonté. Il l'appelait "petite princesse", parfois "dame", ses mains avaient la douceur du vieux cuir. Seulement, à vivre toujours alité, l'odeur de maladie lui collait à la peau, une odeur douceâtre, moite, souffreteuse. A Braavos, ils habitaient une grosse maison dont la porte était rouge. Elle y avait une chambre à elle, et sa croisée donnait sur un citronier. A la mort de ser Willem, le peu d'argent qu'il leur restait leur fut volé par la valetaille, et on ne tarda guère à les expulser. Dieux! que de larmes quand la porte rouge s'était définitivement refermée sur eux...
Ils n'avaient cessé, depuis lors, d'erer. De Braavos à Myr, de Myr à Tyrosh puis à Qohor, à Volantys, à Lys, sans jamais séjourner longtemps nulle part. Viserys ne l'eût pas permis. A l'en croire, les tueurs à gages de l'Usurpateur ne les lâchaient pas d'une semelle. Sans doute étaient-ils invisibles?
Au début, patrices, archontes, princes négociants, tout se flattait d'accueillir à sa table et sous son toit les derniers Targaryens mais, au fil des ans, le spectacle de l'Usurpateur toujours titulaire du Trône de Fer avait fermé chaque porte une à une, et l'existance des exilés ne cessa de devenir plus chiche. Peu à peu réduits à liquider les ultimes débris de l'époque faste (même la couronne de Mère y passa), ils se trouvaient désormais si démunis que, dans les venelles et les gargotes de Pentos, on affublait Viserys du sobriquet de "roi gueux". Quant à celui qui la désignait personnellement, elle préférait l'ignorer.
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