Para Bellum

Il ne savait pas vraiment ce qui lui avait pris. Il y avait sûrement bien meilleur que lui pour prendre ce genre d’initiative, mais il ne pouvait pas non plus rester à ne rien faire pendant que les gens qu’il aimait se faisaient attaquer. Leur apprendre à se défendre, de façon plus efficace et sûrement moins déontologique que ce qu’ils avaient pu voir à Poudlard, c’était un peu son devoir aussi. Il était membre de l’Ordre du Phénix, et même s’il ignorait combien de temps cela durerait encore, il était conscient de savoir des choses que ses amis ignoraient.

C’est pour ça qu’il avait donné rendez-vous à Isolde dans la salle de duel, ce soir-là. Ils en avaient discuté avec Neal, chacun de leur côté, et ils s’étaient dit que c’était peut-être une bonne idée. Quinn en doutait toujours un peu, mais bon. Il ne pouvait plus reculer.

Et puis même, au delà de ça, ça lui ferait sûrement de bien de parler un peu avec Isolde. Il était repassé par son appartement, et s’était changé. Il avait abandonné ses vêtements flamboyants du jour pour enfiler un simple t-shirt col V avec un pull par dessus et un simple jean. Il préférait être à l’aise pour ce soir, pas besoin de sortir l’artillerie lourde, d’autant plus qu’on n’était pas à l’abri d’un accident de sort.

Il arriva dans la salle de duel un peu avant l’heure prévue, et déambula un peu autour des mannequins. Le stress grimpait, sans raison réelle. Il lança quelques sorts dans le vent, sans vraiment y réfléchir, et puis songea à son frère riant aux éclats. À Clemens, les yeux brillants d’avoir découvert quelque chose.

— Spero Patronum !

Et la pièce fut envahie d’énormes phalènes argentées tournoyant autour de lui. Il était encore capable de lancer un tel sort, il avait encore ça quelque part au fond de lui. Il était moins désespéré qu’il voulait bien l’admettre, et avec un soupir, il l’accepta. Ils allaient forcément faire quelque chose d’utile aujourd’hui, quelque chose qui ferait avancer le schmilblik. Il avait besoin d’en être convaincu.

30/03/2015

Isolde avait mis un peu plus de temps qu’espéré pour trouver la fameuse salle de duels ; fameuse, mais pas pour elle, qui n’y avait encore jamais mis les pieds. Elle avait participé aux concours de Poudlard lors de sa quatrième année, plus par jeu que par réél défi. Mais l’enjeu de ce soir était tout autre ; plus d’amusement, la menace était bien réelle. Et c’était justement cette menace, et ses capacités de défense qu’elle savait faibles, qui guidaient ses pas jusqu’à la salle inconnue. La Phénix n’avait jamais brillé en Défense contre les Forces du Mal, leur préférant la botanique ou les enchantements. Sans négliger la matière du moins ; mais elle était consciente de ses faiblesses. Et surestimer ses capacités par fierté ne lui servirait à rien en cas d’attaque. Elle n’était pas non plus incapable, mais elle manquait de connaissances, et de sang-froid.

Et Quinlan se proposait comme professeur particulier. Plus le temps passait et plus elle appréciait le guérisseur. Elle ne pouvait pas se targuer de le connaître vraiment, et elle doutait encore un peu de sa conduite à tenir avec lui. Mais elle le comptait parmi ses amis, sans aucune hésitation. Et un ami qui s'était déjà montré d'une aide secourable.

La porte était entrouverte, signe que son professeur était déjà là, et Isolde passa sa tête bouclée dans l’interstice. Endymion était là aussi, évidemment, trottant tranquillement à côté de son humaine. La perspective de recevoir un sort manqué n’avait pas eu l’air de l‘effrayer assez pour le tenir à distance; et Merlin sait qu’Isolde l’avait prévenu. Puis elle s’était fait une raison en se disant que ce serait l’occasion pour Quinlan de lui apprendre à lancer les bulles de protection qu’il avait déployées à Avalon. Inutile d’essayer de raisonner un chat qui s’est mis une idée en tête, de toute façon. Et le spectacle qui se dévoila à leurs yeux était bien trop attirant pour qu’il change d’avis.

De gigantesques phalènes volaient autour de Quinlan, comme suspendues aux fils d’un mobile invisible et protecteur. Isolde ne put retenir un “Woaw” admiratif à la vue des papillons de nuit, heureusement plus ragoûtants dans en version argentée. Elle n’avait vu de Patronus qu’une seule fois, au cours de Remus Lupin, trois ans auparavant. Elle n’avait alors réussi à produire qu’une épaisse fumée, sans pouvoir identifier la forme animale qui s’y cachait. Mais ce n’était peut-être pas le sujet du cours de ce soir ; le guérisseur l’avait peut-être simplement lancé pour lui, même si Isolde n’imaginait pas qu’il puisse se sentir anxieux à cause de sa présence. L’effet apaisant du Patronus était indéniable, et une bonne entrée en matière pour une soirée qui s’annonçait intense. Le petit félin marcha vers lui, visiblement partagé entre l’envie de saisir un des gros lépidoptères et la vague impression qu’un coup de patte ne serait pas très efficace contre ces étranges bestioles flottantes. Prudence étant mère de sûreté, il choisit de s’asseoir en plein milieu de la pièce, à distance raisonnable de tout objet. Un sourire un peu plus franc qu’à son arrivée, Isolde s’avança doucement vers Quinlan, comme si elle craignait que le bruit de ses pas ne rompe le charme.

- Bonsoir, dit-elle, les yeux glissant du visage du professeur vers les papillons, qui s’avéraient plutôt effrayants vus d’aussi près. Elle était curieuse de connaître la symbolique derrière la nuée. Un passage à la bibliothèque s’imposait mais… pourquoi ne pas demander directement à l’intéressé ?

- Pourquoi des papillons de nuit ?

Quinn n’avait pas songé au patronus comme étant un sort bien utile, et il n’avait pas spécialement prévu d’entraîner Isolde à le lancer. Il avait juste eu besoin de se sentir capable d’en produire un, malgré tout, pour se convaincre que le monde n’avait pas changé plus qu’il ne l’aurait voulu. La nuée de papillons dura même plus longtemps que d’habitude, virevoltant de façon tentatrice autour du guérisseur. Le chat d’Isolde, Endymion, aurait sûrement aimé en attraper un, tout comme le Docteur s’amusait à jouer avec. Les chats. Quinn se fendit d’un sourire et accueillit Isolde avec une accolade.

— Bonsoir !

Elle lui posa une question que personne ou presque ne lui avait jamais posé, mais qui lui avait souvent trotté en tête. Il avait même fait quelques recherches à une époque, mais il ne se souvenait plus bien de ce qu’il avait lu. Quelques mots seulement lui revinrent en tête, alors qu’il souriait et regardait les phalènes s’évaporer.

— Le papillon est le symbole de la légèreté, et aussi de l’instabilité. Il y a aussi un truc avec la chenille et la métamorphose, ce que je trouve d’autant plus ironique que je suis absolument nul dans ce domaine.

Il rit doucement, faisant tournoyer sa baguette dans sa main.

— Après, pourquoi des papillons de nuit, spécialement, je n’en sais rien. Peut-être parce que je suis trop dark pour des papillons diurnes ?

Un nouveau rire, teinté cette fois d’une intonation désabusée. Il n’avait produit un patronus complet qu’au début des années 90s, et se doutait bien que certains événements de sa vie l’avaient marqué au fer rouge. Il soupira doucement, et jeta un œil au chat d’Isolde.

— Même si on va surtout lancer des sorts de défense, il faudrait protéger ta boule de poils… Comment tu t’y prendrais ?

Il avait remis son masque de professeur, attendant de voir ce qu’Isolde ferait pour savoir si elle avait de bons réflexes ou non, et juger de ce qu’il y aurait à améliorer. S’écartant légèrement, il observa la jeune femme, se remémorant son protego au Parker’s. Elle avait été rapide et efficace. Quinn ne doutait pas qu’elle avait de la ressource, et viendrait seulement combler les manques.

Après, rien ne les empêchait d’aborder des sorts un peu plus offensifs, un peu moins gentils que ce qu’on pouvait apprendre à Poudlard. Des protections plus puissantes et un peu d’attaque, juste pour ne pas être bloqué à ne pouvoir rien faire en attendant l’aide d’Aurors qui ne viendraient peut-être pas. Parfois, on n’avait pas d’autre choix. Tuer ou être tué.

30/03/2015

Isolde rendit son accolade à Quinlan, contente de voir un sourire s’esquisser sur son visage troublé. Elle-même n’était pas au mieux de sa forme, comme elle l’avait dit dans sa lettre ; mais la perspective d’apprendre de nouveaux sorts faisait pétiller ses yeux et chassait un peu la brume d’inquiétude qui les couvrait.

Alors que le Patronus rayonnait toujours autour de Quinlan, Isolde leva une main et suivit d’un doigt caressant le contour d’un des papillons. La forme repoussante des phalènes n’enlevait rien à l’impression de sécurité et de bien-être qui se dégageait de la nuée. Isolde respira profondément, plus profondément qu’elle ne l’avait fait depuis l’attaque. Elle ferma même les yeux une seconde, laissant le calme la gagner.

Les explications de Quinlan lui arrachèrent à nouveau un doux sourire, qui se teinta très légèrement d’inquiétude au rire désabusé du guérisseur. Les rumeurs à son égard parlaient bien de légèreté et d’instabilité, même si elle s’était toujours bien gardée de le juger sur des ragots. Pour ce qui était de la noirceur par contre, elle ne savait pas grand-chose, et la mention fugace laissa une brève empreinte de perplexité dans son esprit. Très brève seulement ; ce n’était pas ses affaires, et à priori pas le sujet de ce soir. Et elle n’était pas du genre à vouloir fouiller dans le passé des gens si eux ne lui en parlaient pas spontanément. Elle se fichait assez de ce qu’il avait pu faire à vrai dire, ou en tout cas la mention d’un côté sombre n’entachait pas son opinion du guérisseur ; le Quinlan actuel l’intéressait plus.

Le cas pratique lançant la soirée d’entraînement fit naître une expression plus grave, concentrée, sur le visage de la Phénix. Elle se tourna vers son chat.

- Hmm… Je commencerais par le mettre dans un endroit moins exposé.

Pas très difficile, le félin étant resté planté au milieu de la pièce, trop confiant pour se soucier de ce qui l’entourait. D’un geste souple, Isolde le fit léviter à quelques centimètres du sol et le déposa dans un coin, sur une étagère en hauteur.

- Ensuite, je lancerais un bouclier sur lui. Mais je ne connais que le Protego, et ça ne le protègera pas sur tous les côtés. Il risque de bouger de toute façon.

La jeune femme se gratta distraitement la tête, comme elle le faisait toujours pour réfléchir. Si elle ne pouvait pas produire de sort assez puissant elle-même, autant multiplier les protections. Elle lança un Protego assez grand pour couvrir tout le coin où Endymion était installé, et d’un nouveau coup de baguette, amena tous les mannequins en demi-cercle autout de l’étagère, offrant un deuxième écran pour contrer un éventuel sort perdu. Elle compléta son arrangement par un sort d’Impassibilité, qui assurerait que le félin ne se glisserait pas entre les pieds des mannequins sans qu’elle ou Quinlan ne s’en aperçoive. Satisfait de son perchoir (et sûrement aussi de voir autant de silhouettes humaines dévouées pour lui, satisfaisant ses instincts machiavéliques de chat), Endymion se roula en boule, gardant seulement un oeil distrait sur les deux sorciers qui s’agitaient devant lui. Isolde se retourna vers Quinlan, attendant son avis.

Quinlan avait l’habitude de ce qu’on disait sur lui, des rumeurs qui couraient à son sujet. Il l’acceptait en même temps qu’il repoussait l’idée. Il était instable dans beaucoup de domaines d’ailleurs, pas que lorsqu’on parlait de cul. Isolde ne posa aucune question, et il ne sut pas comment interpréter cela. Estimait-elle en savoir assez ? Ou n’était-ce que de la politesse ? Même s’il était étonné, Quinn ne montra rien et enchaîna directement sur les sorts défensifs en prenant le chat d’Isolde comme exemple.

Réagissant rapidement, la jeune femme allia le geste à la parole, alors qu’elle mettait Endymion en sécurité. Il hallucinait que son chat se laisse faire aussi mollement. À sa place, le Docteur se serait défendu crocs et griffes contre le sort de son humain… Là, Endy n’en avait strictement rien à faire. Quinlan était admiratif. Il la regarda faire, trouver une solution avec les sorts qu’elle connaissait et il fut agréablement surpris du résultat.

— C’est très bien. Même si tu ne connais que le Protego, tu t’en es vraiment bien sortie. Il y a d’autres sorts plus puissants que le Protego, mais c’est quand même le premier réflexe.

Il pouvait bien lui parler de celui qu’il avait lancé à Avalon, le Praesidum Facere, mais il doutait que ce soit vraiment de cela dont avait besoin Isolde. Il eut une idée, peut-être une mauvaise mais sait-on jamais… Quinlan se plaça au centre de la pièce, et fit face à Isolde, la baguette levée. Il était temps d’attaquer les choses sérieuses, non ?

— Imagine que je veuille t’attaquer. Pour l’instant je ne bouge pas, mais j’ai clairement de mauvaises intentions. Qu’est-ce que tu fais en premier, sachant que tu as l’initiative et tout ton temps ?

Le guérisseur était curieux de savoir comment réagirait une Isolde menacée, mais pas encore attaquée. Il avait bien vu comment elle s’y prenait lorsqu’on lui tirait dessus, et il ne s’en faisait pas pour elle à ce niveau-là. Ils verraient d’autres sorts défensifs plus tard dans la soirée, là le but c’était de voir ce qu’elle faisait quand elle avait le temps de prendre l’avantage. C’était pour ça qu’il lui présentait justement une situation différente. Sa réaction déterminerait quel chemin prendrait le reste de ce petit cours très particulier.

30/03/2015

Isolde ne s’en étonnait plus, mais il était vrai que, vu de l’extérieur, Endymion devait avoir l’air un peu trop flegmatique. Ce qu’il était en réalité ; c’était bien grâce à son manque de méfiance que la jeune femme avait réussi à s’attirer son affection et à le ramener à Haveirson. C’était un chat du genre compliant : ayant vite compris l’intérêt de rester en hauteur, et hors de portée des tirs de baguette, l’étagère lui avait semblé un perchoir tout à fait accueillant. Et comme tant d’action sous ses yeux risquait de le fatiguer, autant se mettre tout de suite en position pour un petit somme réparateur.

Isolde ressentit une pointe de soulagement en entendant la satisfaction de Quinlan. Le spectre de leur discussion houleuse était revenue flotter dans son esprit ce soir-là, avant de venir, et malgré elle, elle craignait de passer à nouveau pour une idiote aux yeux du guérisseur. Elle aurait été peinée qu’il garde une aussi mauvaise opinion d’elle, pour une erreur qu’elle avait faite sous l’emprise de l’alcool. Heureusement, sobre, elle avait apparemment de bons réflexes.

- J’aimerais bien que tu me montres d’autres sorts de ce genre. On ne sait jamais, ils peuvent toujours être utile ?

Une autre interrogation revint aux limites de sa conscience. Elle s’était un peu étonnée de la maîtrise des deux frères Fitzsimmons en matière de défense ; on ne pouvait pas dire que Neal avait un métier à risque, et elle n’imaginait pas à priori que Quinlan se batte souvent aux urgences. Elle se posait sûrement trop de questions, mais elle ne pouvait retenir un léger doute à leur sujet.

Elle remisa ce doute alors que Quinlan proposait de passer à quelque chose de plus offensif. Elle resta silencieuse, réfléchissant furieusement à la situation sans quitter du regard le guérisseur.

Une attaque, même informulée, risquait peu de réussir. Un ennemi sur le qui-vive ne manquerait pas de la contrer, et l’assaut serait lancé. Or les duels et les sorts offensifs n’étaient pas vraiment le fort de la jeune femme. Elle préférait éviter la confrontation directe, ou s’offrir une échappatoire. Une diversion ? C’était un peu gros, mais Quinlan ne pourrait pas contrer un sort qui toucherait son environnement, et non lui.

Les yeux toujours fixés sur Quinlan, elle bougea presque imperceptiblement sa baguette vers la droite pour viser derrière le guérisseur, droit vers le chandelier dans son dos. Avec un bruit métallique, celui-ci se détacha et alla heurter le sol avec fracas. Une des bougies se détacha et fonça en direction de Quinlan, bien décidée à poursuivre l’entreprise de déstabilisation du professeur. De distraction, en tout cas. Assez distrayante pour qu’Isolde tente un Expelliarmus informulé, espérant que sa petite manoeuvre ait été efficace.

Quinlan hocha la tête à la demande d’Isolde. Elle avait très bien réagi, mais elle devait se douter qu’il n’y avait pas que ce sort qui puisse être une bonne défense. En réalité, Quinn avait l’intime conviction que n’importe quel sort, selon la manière dont il était utilisé, pouvait s’avérer utile en cas de conflit. Il espérait bien qu’Isolde lui donnerait l’occasion de le lui prouver.

Il se plaça au centre de la pièce, et lui demanda ce qu’elle ferait s’il avait des intentions hostiles envers elle, mais qu’il n’avait pas encore agi. L’attaque. Il voulait savoir comment Isolde allait l’attaquer. Elle réfléchit un instant, avant de lancer un sort. De l’informulé bien sûr, c’était plus simple pour l’effet de surprise. Un énorme chandelier tomba derrière Quinlan, qui lui lança un Deflecto pour qu’il tombe de l’autre côté. Son sort fonctionna et la bougie ne vint pas jusqu’à lui, mais le deuxième sort d’Isolde réussit. La baguette de Quinlan lui échappa des mains, et roula lamentablement dans un coin de la pièce.

— Stop !

Il avait du mal à cacher sa surprise. La diversion avait bien fonctionné, même si elle aurait pu être encore plus… incisive. Quinlan alla récupérer sa baguette, tout en s’adressant à Isolde.

— Pas mal le coup du chandelier. Le faire tomber directement sur ma tronche n’aurait pas été stupide non plus : attaquer l’environnement plutôt que la personne est loin d’être une idée conne.

Il se tourna vers le chandelier et lança un Reparo, avant de revenir vers l’étudiante. Ce faisant, il continuait de parler.

— En fait, j’étais en train de me dire que même si tu ne connais pas de sorts d’attaque ou de défense, tu peux toujours utiliser l’environnement à ton avantage. Faire tomber des trucs sur ton agresseur, faire que le sol cède sous ses pieds, te protéger avec des objets… Bon après, si tu te bats dans un champ ou dans un désert, tu vas peut-être avoir plus de mal, mais en intérieur, y’a pas mal de trucs à faire.

Le guérisseur riait doucement, et s’étira le cou, le faisant craquer un peu au passage.

— Bon je pense que de détourner les sorts ne devrait pas te poser de problèmes. Sinon, tu pouvais toujours me lancer un Stupefix ou un Impedimenta. Vas-y. Fais-toi plaisir !

Il lui lança un grand sourire, écartant les bras dans un air de défi. Il voulait savoir si Isolde n’y avait juste pas pensé, ou si elle ne savait pas les lancer. Ce n’était pas de la magie blanche de haut-vol, mais parfois les sorts les plus basiques sont les plus efficaces, principalement parce qu’ils sont bien connus et maîtrisés du lanceur.

30/03/2015

Isolde vit la baguette de Quinlan voler avec un sourire satisfait. Les sorts offensifs n’étaient pas son fort, mais elle savait quand même se défendre. Et visiblement, elle savait surprendre aussi. Endymion avait d’ailleurs fait un bond sur son étagère en entendant le chandelier tomber, et sauta prestement de son perchoir pour aller l’inspecter. Essaya du moins. Le sortilège d’Impassibilité fit son effet et le chat heurta le mur invisible. Franchement perplexe, il réitéra l’essai entre les jambes de tous les mannequins, forçant avec ses pattes et sa tête pour essayer de traverser, sans succès.

La Phénix acquiesça aux paroles de Quinlan. Bon, techniquement, elle n’aurait pas osé lui envoyer le chandelier au visage, mais elle gardait l’idée pour un véritable ennemi. Utiliser l’environnement lui semblait en effet une bonne idée, surtout en cas de combat avec des sorciers plus entraînés qu’elle, qui sauraient sans difficulté prédire et contrer ses coups.

Se battre… Étrangement, Isolde n’avait pas pas songé à cela en venant à ce rendez-vous. Ou plutôt, elle l’avait occulté, venant seulement dans l’idée d’apprendre à se défendre, et non à frapper. Elle se gifla mentalement d’être parfois aussi naïve. Ou de vouloir croire qu’elle allait toujours réussir à éviter les combats, alors même qu’elle s’était déjà retrouvée en plein coeur d’une mêlée. Elle était terrifiée par la situation, et en même temps son esprit refusait d’admettre que l’attaque d’Avalon se répéterait, et deviendrait peut-être un évènement fréquent, quotidien.

Pourtant, Isolde répugnait à attaquer frontalement le guérisseur. Mais si elle voulait progresser en magie offensive, il allait bien falloir qu’elle pratique. Elle sourit en voyant l’attitude provocatrice de Quinlan. Avec un hochement de tête, elle lui fit face et lança un Impedimenta, toujours en informulé. Le sort réussit et toucha les jambes du professeur, qui se trouva cloué sur place. D’un petit geste de baguette, Isolde défit l’enchantement et s’approcha de lui.

- En fait, ce qui m’handicape le plus, c’est que je n’ai pas beaucoup de sang-froid. Je panique complètement dans ce genre de situations. Enfin, ça s’est amélioré, parce que j’avais demandé quelques cours particuliers à l’ancien professeur de magie offensive. Quand je me retrouve dans ce genre de situations, mon cerveau se vide et je suis incapable de réagir.

Elle lança un regard perplexe à Quinlan, dans lequel flottait une trace de sa peur au Parker’s Coffee. Elle se doutait bien qu’un entraînement en situation réelle était impossible à mettre en place. Mais elle savait que toutes ses connaissances lui seraient inutiles si elle n’arrivait pas à garder la tête assez froide pour pouvoir les utiliser au moment critique.

Un chandelier ou autre chose hein, Quinlan n’était pas difficile. Un peu masochiste aussi. Il était guérisseur, alors il saurait comment se soigner si jamais Isolde venait à le blesser par inadvertance. Et puis, ça ne le gênait pas lui, puisqu’il l’avait demandé. Non non, pas de doute, elle pouvait y aller. Sauf que… C’était Isolde. Quand Quinlan la regardait, il voyait une jeune femme brillante et douce, pas une machine de guerre. Il ne voulait pas la transformer en soldate non plus, ç’aurait été un tel gâchis. Le seul risque, c’était qu’en voulant la préserver, on lui retirait aussi un moyen de se défendre. Cette rose manquait d’épines, pour son propre bien.

Alors qu’il s’apprêtait à parler de nouveau, il sentit quelque chose de bizarre au niveau de ses pieds. Il essaya bien de les bouger, en vain. Hmm, pas mal. Il rit doucement, se tournant vers Isolde.

— Tes sorts informulés marchent plutôt bien, c’est une bonne chose !

Elle défit ensuite l’enchantement et s’approcha de lui en disant que son problème n’était pas tant les sorts que la réaction face à l’imprévu. Ah, effectivement, c’était problématique. Mais ce n’était pas non plus une réaction anormale.

— Je vois. Et tu sais ce qui pourrait te ramener dans l’instant présent ?

Quinlan savait bien ce que ça faisait d’être totalement paralysé, même si ce n’était pas dans les mêmes situations qu’Isolde. Il n’avait toujours pas trouvé comment se foutre une tarte mentale assez efficace pour se sortir d’une telle torpeur, et il en gardait une horrible sensation de frustration mêlée de honte.

Le guérisseur réfléchissait à un moyen de passer outre ce problème, mais n’arrivait pas à trouver quelque chose de satisfaisant. Un entraînement en situation réelle était un peu compliqué à mettre en place, même si pas forcément à exclure. Ça leur demanderait un peu plus de logistique que juste un rendez-vous dans la salle de duel, mais bon. C’était envisageable.

— Sinon, on peut toujours s’entraîner avec des créatures magiques, la prochaine fois. Ou alors…

Quinn venait d’avoir une illumination. Le Comte n’allait peut-être pas aimer et les invités non plus, mais bon. C’était quand même une idée. Il ouvrit des yeux brillants et se força à ne pas trop sourire alors qu’il dévoilait le fond de sa pensée :

— On peut faire une simulation, comme un jeu de rôle grandeur nature. On donne une liste de sorts avant le début du jeu, deux équipes, deux drapeaux. Je vois pas ce qu’on peut faire d’autre pour t’entraîner à agir vite. T’en penses quoi ?

L’idée de jouer aux gendarmes et aux voleurs version adultes dans les bois d’Haveirson n’était pas totalement déplaisante, mais fallait-il encore en avoir l’autorisation. Parce que là, Quinlan n’allait pas jouer au con, et il demanderait sûrement au Comte avant de faire n’importe quoi sur son domaine. On ne savait jamais quelle serait sa réaction si ce dernier le découvrait de lui-même.

30/03/2015

Isolde n’avait pas vraiment de difficultés à lancer des sorts offensifs basiques. Elle avait eu de bons résultats aux ASPICs, mais comme elle l’avait dit à Quinlan, la difficulté résidait dans la pratique en combat réel. Elle venait de passer sept années dans ce lieu clos et protégé qu’était Poudlard, sans avoir jamais été confrontée à une scène telle que celle qu’elle avait vécu à Avalon. Elle avait vécu son adolescence dans l’illusion confortable d’une société sans guerre, assez jeune pour ne pas avoir vraiment pris la mesure de la Guerre Froide dont son pays natal sortait et pour avoir évité la première guerre sorcière des années 1970. Elle s’était crue inattaquable, en sécurité dans son monde d’adoption, loin du monde moldu qui la rejetait. Mais maintenant que la guerre la touchait, la douce illusion se craquelait, s’effritait, ses fêlures faisant écho à celles, de plus en plus nombreuses, de la jeune femme.

La question de Quinlan eut l’effet d’un déclic dans l’esprit de la Phénix. Elle avait imaginé que la solution à son manque de sang-froid serait justement d’apprendre à en acquérir ; de travailler sur ses réactions, ses réflexes. De s’entraîner à rester calme en cas d’aggression. Mais l’idée du guérisseur lui semblait plus facile à mettre en place, et plus abordable.

- Une sorte de détonateur mental ? Tu penses à quoi ?

La deuxième proposition lui paru toute aussi intéressante, bien que plus délicate à mettre en place. Elle ressentit de la gratitude envers le guérisseur ; serait-il prêt à mettre tout cela en place pour l’aider, elle ? Elle ne connaissait pas vraiment les jeux de rôle, mais elle comprenait le principe.

- Tu penses pouvoir trouver des volontaires ?

Là encore, l’idée lui plaisait. Etre face à d’autres étudiants était plus confortable. Le bois semblait approprié, offrant un terrain propice à l’embuscade et aux attaques surprises. Quinlan pensait-il organiser ça de jour, ou de nuit ? L’effet immersif serait plus réussi encore sous la seule lumière de la lune…

Une vision s’imposa brutalement à Isolde. Une lune, à demi-masquée par des nuages chargés de pluie, éclairant un cimetière ravagé. Des silhouettes encapuchonnées, menaçantes, qui s’avançaient vers elle, Clemens et Megan. La sensation de paralysie irrépressible, d’engourdissement qui gagnait la moindre de ses fibres. Et l’image changea ; une autre nuit, une autre attaque. Tout aussi violente et imprévue, interrompant elle aussi un moment de paix. Les Moldus qui venaient d’incendier sa tente, debouts devant elle, aussi précis que dans son souvenir.

Isolde sentit ses jambes flageoler sous l’émotion. Chaque image lui faisait l’impression d’un coup au coeur. Aout, novembre ; elle avait essayé d’enfouir ces attaques au fond d’elle, en vain. Le moindre détail lui apparaissait aussi clair que si elle regardait dans une pensine. Et réapparaissait à chaque nouvelle agression, sans qu’elle n’arrive à contrôler les émotions brutales qui en découlaient. Elle fit un pas en direction du mur le plus proche et s’y appuya, soufflant profondément pour essayer de redonner à son coeur un rythme plus lent.

L’idée avait germé dans sa tête sans qu’il n’y réfléchisse vraiment. C’était quelque chose de naturel pour lui : quand il flashait, il avait besoin d’un déclic, quelque chose qui le ramène dans le présent. Sans ça, il était certain qu’il pouvait rester des heures prostré à revivre inlassablement le même souvenir. Quand Isolde lui demanda des précisions, il parla surtout pour lui.

— La douleur par exemple. Comme pour se sortir d’un rêve ou vérifier qu’on est bien dans la réalité.

La douleur, quelle blague. S’il était aussi dégoûté de ne plus la sentir, ce n’était pas parce qu’il était un peu maso sur les bords, mais bien parce qu’il s’en était toujours servi. Comme détonateur mental, comme l’avait formulé Isolde, ou comme défouloir, comme expiation… La douleur était si proche du plaisir qu’elle pouvait aussi devenir une forme de drogue. Jusque là, Quinlan avait toujours évité l’addiction, mais si un jour sa douleur revenait — il ne pouvait en aller autrement dans son esprit — il serait peut-être tenté de reprendre sa dose au centuple.

Enfin, après il y avait une autre solution : un gros GN dans les bois, type capture de drapeau. Il évoqua l’idée et Isolde ne semblait pas contre. Oh, il y avait toujours moyen de trouver des gens intéressés, non ? Sur ce coup, par contre, il faudrait prévenir le Comte, et si possible faire ça le moins clandestinement possible. Plus il y aurait de participants, mieux ce serait, et si c’était pour une occasion festive, comme l’arrivée du printemps… Quinn cherchait un moyen pour que cet entraînement aux conflits ne soit pas perçu comme une activité militaire, mais bien un jeu. Un jeu qui pourrait peut-être sauver la vie de ses participants, plus tard.

Il allait répondre quelque chose, mais il vit Isolde vaciller, son expression changeant rapidement. Inquiet, Quinlan s’avança vers elle et posa une main délicate dans son dos.

— Tu veux t’asseoir ?

Il se doutait de ce qu’il se passait. Un flash. Pourquoi et comment, cela dit, il n’en savait rien, et ce n’était pas à lui de demander si Isolde ne voulait pas en parler. Pour l’instant, il s’efforçait d’être une présence rassurante. Il rangea sa baguette et chercha le regard de la botaniste. Qu’avait-il bien pu dire pour déclencher une telle réaction ? Que s’était-il passé de si traumatisant dans la vie d’Isolde ? Quel lourd secret cachait-elle ?

Quinlan aurait menti s’il avait dit qu’il n’était pas curieux… Mais il avait appris dans la douleur que tirer les vers du nez des gens qu’on apprécie n’était pas forcément une bonne idée.

30/03/2015

Un détonateur… Isolde repensa aux rares fois où elle avait fait des rêves lucides ; il avait suffit d’un détail pour lui faire prendre conscience que son esprit était perdu dans des mondes oniriques. Et c’était exactement ce dont parlait Quinlan. La douleur semblait une bonne idée ; se pincer un bon coup suffirait peut-être à la faire réagir. En y réfléchissant, la chose qui avait tiré Isolde de sa torpeur dans le cimetière était les réflexes de Clemens et de Megan, l’enjoignant à se mettre à l’abri. C’était peut-être une piste ? Imaginer quelqu’un en train de l’extirper de sa léthargie… De la tirer par le bras comme pour la sortir d’un mauvais rêve. Dans le café, elle serait restée prostrée derrière le comptoir si Quinlan ne l’avait pas appelée dehors. Cette pensée lui arracha un léger frisson.

La mention du jeu de rôle en forêt eut un effet inattendu sur Isolde. Pâle comme un fantôme, elle s’appuya au mur. Le contact de la main de Quinlan dans son dos la fit légèrement sursauter, mais elle ne chercha pas à se dégager, appréciant le geste du guérisseur. La chaleur du geste, le soutien qu’il exprimait, la détendirent. Elle enfouit son visage dans une main, soupira profondément et laissa ses doigts glisser le long de ses joues. S’asseoir, oui : bonne idée. Elle hocha la tête et glissa le long du mur, repliant ses genoux contre sa poitrine alors qu’elle touchait le sol. Elle s’en voulut soudain d’être aussi faible ; ou plutôt, d’avoir l’air aussi faible. Elle ne voulait pas que les gens la considèrent comme une petite fille à protéger ; et pourtant, elle agissait comme tel. Immature peut-être, ou simplement trop jeune pour ce qui lui arrivait ?

Quinlan ne lui demandait aucune explication, et elle en était reconnaissante. Elle devinait sa curiosité cependant, et hésitait à la satisfaire. Parler soulageait, mais faisait aussi remonter à la surface des souvenirs qu’elle aurait préféré garder enfouis… Elle ne pouvait pas parler de l’attaque du cimetière, ou en tout cas pas mentionner Clemens ; elle avait déjà fait une belle gaffe en révélant leur immolation râtée à Quinlan, inutile de refaire la même erreur.

- Je… j’ai vécu plusieurs attaques ces derniers mois et… Elle soupira de nouveau, baissant un peu la tête. Elle mourrait d’envie de parler, finalement. De raconter, de décrire ces images qui hantaient ses nuits, qui peuplaient ses cauchemars de plus en plus nombreux, et de moins en moins apaisés par l’illusoire quiétude du quotidien. Elle voulait que Quinlan pose des questions. Qu’il ne la laisse pas se relever comme si rien ne s’était passé.

- Ton idée m’a fait repenser à cet été, j’ai… failli être tuée par des Moldus alors que je campais dans un coin isolé. Je ne supporte plus tout ce qui se passe. Je ne dors plus depuis l’attaque d’Avalon. Je vois les corps écrasés sous les étagères de la bibliothèque dès que je ferme les yeux, j’entends leurs cris sans arrêt. Elle enfonça encore sa tête dans ses mains, frottant ses yeux comme si elle espérait chasser les visions morbides tapies sous ses paupières. J’ai tellement peur… Des mangemorts, des Moldus. Plus encore de ces derniers. Je.. je craque, pardon.

Sa voix se brisa et elle se recroquevilla encore plus sur elle-même, comme si elle souhaitait être avalée par le mur et échapper au monde extérieur.

La séance d’entraînement prenait un tour bien particulier. Quinlan se savait assez choqué de ce qu’il s’était passé ce week-end, et se doutait bien qu’Isolde devait lutter encore davantage que lui. Cela dit, il n’était pas psy — il le répétait peut-être si souvent que les gens avaient arrêté de le croire ? — et le but de ce rendez-vous n’était clairement pas de pousser Isolde assez loin dans ses retranchements pour la faire parler. Quinlan savait ce que ça donnait quand il essayait de régler un problème d’ordre psychologique. C’était pire que mieux. L’image d’un Clemens hanté par les visions horribles du labyrinthe, incapable de détourner les yeux d’une simple baignoire, lui revinrent à l’esprit. Elles lui étaient insoutenables. Vraiment, son but avait été de parler de quelques sorts défensifs, de voir comment il était possible de parer à une situation dangereuse même quand notre répertoire magique était limité. Ça n’avait jamais été une thérapie déguisée pour Isolde.

Pourtant, ce qu’il avait dit avait déclenché quelque chose chez elle, la rendant hagarde et désorientée au point qu’elle dut s’appuyer sur un mur pour ne pas trébucher. Sans attendre, Quinlan l’avait rejointe pour la rassurer. Il avait beau ne pas être psy, il n’allait pas la laisser tomber sous prétexte qu’il se sentait trop incompétent et juste trop nul pour être d’une aide efficace dans ce domaine.

Il s’assit à côté d’elle, sur le sol, et la laissa parler. Portant son masque détaché de soignant, il ne montra rien quand elle lui appris qu’elle avait déjà subi des attaques, avant celle d’Avalon. Une agression par des Moldus, cet été. Le début de la fin pour le monde sorcier, après que le Secret fut révélé. Isolde n’avait donc pas attendu cet hiver pour en pâtir. Quinn en eut un pincement au cœur, qui s’accentua alors qu’Isolde racontait son histoire.

Elle craquait, et elle avait bien le droit. Quinlan s’approcha et la serra dans ses bras en lui caressant doucement les cheveux. Que pouvait-il faire de plus ?

— Ça va aller, t’inquiète pas… On va trouver une solution…

Le guérisseur savait bien que c’était stupide de garder le compte des souffrances de chacun pour choisir son camp, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que les sorciers s’en étaient un peu plus pris dans la gueule que les Moldus dernièrement. Qui plus est, des sorciers loin d’être des radicaux, des sang-mêlés, des gens qui comprenaient la vie et le point de vue des Moldus. C’était tellement plus facile de les cibler eux que d’essayer de voir que le vrai mal du monde sorcier résidait chez les extrémistes de la pureté du sang. Ils étaient bien trop planqués pour être à portée des Moldus — et ils avaient bien raison de l’être. Certain.e.s auraient tôt fait de les brûler sur le bûcher, à l’ancienne.

Quinlan comprenait qu’Isolde soit davantage effrayé par les Moldus que les Mangemorts, et pour cause. Les premiers l’avaient attaqué, deux fois, alors que les seconds… Un visage familier flotta devant les yeux de Quinn, un visage amical, presque incompatible avec le tatouage de son avant-bras. Il y avait une différence fondamentale entre les Mangemorts et les anti-sorciers : les premiers pouvaient être là de leur plein gré, mais aussi avoir été enrôlés, être prisonniers du carcan aristocratique et politique de telle manière à ce que l’absence de Marque puisse se traduire par une mort prématurée. Les Moldus n’avaient pas ce problème, ou alors pas à ce point-là. Il pouvait bien y avoir des castes idéologiques, des traditions familiales et religieuses, mais Quinlan savait que rien n’était définitif. Il y avait quelque chose d’absolu chez les Mangemorts. Peut-être parce que leur chef était bien là, vivant et terrifiant, et qu’ils risquaient leur vie à chaque mission ratée, a contrario des membres de l’Ordre du Phénix ou des radicaux moldus.

Le cerveau de Quinlan refusait de s’arrêter de faire de la sociologie de comptoir, alors même qu’il serrait Isolde dans ses bras. Il y avait bien quelque chose à faire, non ? Une solution à trouver, comme il l’avait évoqué. Mais comment ? Avec qui ? La discussion qu’il avait eu avec Neal lui revint en mémoire… Et pourquoi pas ?

30/03/2015

Isolde n’était pas non plus venue à ce rendez-vous dans le but de parler de ses peurs. Elle voulait apprendre à se défendre, à sauver sa vie sans avoir à toujours compter sur quelqu’un d’autre pour la tirer des mauvais pas. Mais elle avait craqué ; trop de tension accumulée, trop de stress, trop, trop tout simplement. Elle était terrifiée, et la peur la paralysait. Elle ne sortait même plus de l’académie, aussi dangereuse qu’elle lui apparaissait. Elle se recroquevillait sur elle-même, et elle détestait cela. N’était-ce pas ce qu’elle reprochait à Clemens, de prendre tout sur lui et de ne pas exprimer ses problèmes pour chercher à les résoudre ? Elle avait envie d’enfouir les souvenirs du café, du cimetière et de l’Ecosse, loin au fond d’elle ; elle rêvait de se réveiller un jour et de réaliser que tout n’avait été qu’un songe, une chimère douloureuse mais envolée.

Elle se voilait la face. Elle repoussait la difficulté. C’était presque un réflexe chez elle. Elle noyait le poisson en attendant que l’orage passe. Mais il n’allait pas passer de sitôt. Au fond d’elle, elle était convaincue que la situation ne pouvait que se dégrader ; que les sorciers et les moldus ne s’entendraient jamais. A ses yeux, seules quelques exceptions individuelles étaient possibles ; les couples mixtes, tels les parents de Clemens, ou des amitiés isolées entre les deux mondes. Mais une réconciliation générale était à son avis hors de portée. Utopique. Elle avait compris assez tôt à quel point la différence faisait peur ; créait la peur. Et l’analyse de Quinlan était juste, elle craignait les Moldus bien plus que les Sorciers. Les Mangemorts étaient des fanatiques, rendus puissants par le désordre mais minoritaires, désavoués par la majorité des sorciers. Les anti-magie étaient une foule anonyme, une vague qui grossissait chaque jour, de plus en plus populaire comme l’est un groupe qui sent son identité menacée. Unie par un nouvel ennemi commun, et terrifiante par la violence qu’elle déployait. Car les Sorciers n’étaient pas humains à leurs yeux ; pourquoi donc les traiter comme tels ? On pouvait les brûler, les torturer ; quelle importance ? Quelle valeur avaient leurs vies, sa vie à elle, pour ces gens persuadés que leur survie passait par l’éradiction de la magie ?

Isolde ne refusa pas le contact et se laissa aller contre le torse de Quinlan, lui rendant son étreinte. Faire quelque chose… La phrase sonna d’abord à ses oreilles comme les mots d’un parent inquiet pour son enfant qui vient de faire une gaffe. Faire quoi ? Pouvaient-ils vraiment agir ? Pour elle, a seule solution était de revenir au Secret. Mais faire oublier les derniers mois au Moldus du monde entier était impossible. Elle était presque vexée que Quinlan essaye de la rassurer avec une phrase aussi bateau. Elle n’était plus une gamine, elle savait un peu comment marchait le monde… Mais elle se radoucit aussitôt. Il voulait la rassurer, justement, il offrait son soutien, et c’était exactement ce dont elle avait besoin en ce moment.

Elle se redressa un peu pour pouvoir lui parler plus aisément, sans quitter les bras réconfortants du guérisseur. Les larmes n’étaient pas loin de gagner les coins de ses yeux, mais l’étreinte la calmait.

- Tu penses vraiment qu’il y a une solution ? A part revenir au Secret, je n’en vois pas… Ou alors il faudrait une réconciliation nationale, mais personne n’en voudra… Les Moldus pensent qu’on menace leur mode de vie, ils ont décidé qu’on était des ennemis à abattre, est-ce qu’on peut lutter contre ça ?

Isolde n’avait jamais été du genre militante, mais plutôt une adepte du “pour vivre heureux, vivons caché”. Au grand dam de Fanny d’ailleurs. Elle savait que rester se morfondre sur la situation n’arrangerait rien, mais pouvait-on vraiment faire changer d’avis toute une population ? Elle avait bien vu comment sa famille avait réagi à l’annonce de ses pouvoirs. Peut-être Quinlan était-il plus optimiste car il n’avait pas eu ce problème avec son propre entourage. Pour Isolde, plus les deux mondes seraient séparés, le mieux cela serait pour tout le monde.

Il n’était pas doué pour rassurer les gens et il le savait. Il était resté sur une phrase entendue des milliers de fois et désespérément cliché, en espérant qu’Isolde comprenne que ses mots étaient finalement moins importants que les bras qui l’enserraient. Quinlan voulait la soutenir, comme il le pouvait, tout en sachant qu’il serait incapable d’effacer son traumatisme. Le mieux qu’il pût faire, ce fut de lui assurer un peu follement qu’ils finiraient bien trouver une solution.

À ces mots, elle releva la tête et sembla retrouver la parole. Discuter n’était pas une alternative déplaisante, compte tenu de la situation. Quinn était même plutôt soulagé qu’elle soit encore assez combattive pour remettre ses paroles en cause. Même si en regardant de plus près, elle était au bord des larmes.

— Je suis d’accord avec toi. Dans l’idéal, il faudrait revenir au statu quo du Secret…

Quelque chose venait lui gratter un coin d’esprit quand même. Était-ce seulement possible de faire marche arrière alors que toute l’Angleterre, l’Irlande et bientôt le reste de l’Europe et du monde serait au courant ? Il devait bien y avoir des cultures où moldus et sorciers cohabitaient, alors finalement, pourquoi pas ici ?

Et puis Quinlan se souvint de ce qu’il avait dit à Clemens. De la peur qui l’étreignait à chaque fois qu’il pensait à ce dont étaient capables les êtres humains, qu’ils soient moldus ou sorciers. Pire même, la magie n’avait pas l’aspect machinal, mécanique et industriel que la mort pouvait prendre chez les moldus. Tuer avec de la magie demandait de la volonté et pouvait très bien rater… Tandis qu’avec un flingue, on avait tôt fait de faire un carnage. Quinn ne soutenait pas le fait que les moldus tuaient facilement, mais en mettant en place le bon système, en canalisant les gens dans une direction précise, on pouvait les amener à faire tout ce qu’on voulait. Tout et n’importe quoi.

— Cela dit, il y a de grandes chances que la plupart des modérés cherchent une réconciliation. En réalité, je serais heureux si ça marchait, mais je n’arrive juste pas y croire. Je me demande juste ce qu’ils vont demander en échange. On est minoritaires et on leur fait peur : ils pourraient très bien demander un fichage ou quelque chose du genre. Ou pousser l’absence de secret au point de nous forcer à nous révéler.

L’idée effrayait Quinlan, principalement parce que tout un pan de sa famille ignorait les origines de l’autre. Si Jarlath, ses frères et ses fils devaient annoncer à la famille d’Eryn qu’ils étaient des sorciers — en plus d’être Irlandais — la scission familiale les menacerait. Le guérisseur soupira.

— J’imagine le pan moldu d’une famille de sang-mêlé qui se réveille un jour et s’aperçoit que leur arbre généalogique a des branches sorcières. Il y en aura forcément pour s’indigner de ne pas l’avoir su plus tôt, pour mettre en avant le mensonge et la tromperie… Les bonnes excuses du Ministère ne tiendront peut-être pas.

Le parallèle était si évident que Quinlan ne le mentionna même pas : un coming-out forcé était parfois synonyme de mort. Si le gouvernement moldu exigeait une liste des sorciers qui soit rendue publique, Quinlan s’y opposerait farouchement. En pensée, et peut-être en actes. Restait à savoir quelles décisions seraient considérées, et surtout, lesquelles seraient prises.