Entraînements. | Rowan P. W.

Le miroir dans mon pull, je m'enfonce plus encore dans la forêt pour être sûre d'être seule. Sans m'y aventurer trop loin, ne dépassant la ligne qui sert de barrière défensive.
Regardant tout autour de moi, je me persuade que l'endroit est parfait. Patientant quelques minutes d'être sûre de ne pas être suivie.
Personne.

Je sors de sous mon pull le miroir intacte et orné de runes. Toujours aussi beau. Je n'ai pas pris la peine de le contacter sous les deux jours qui me permettait de converser avec lui. Parce que pour le moment, je n'avais rien à lui dire si ce n'est que les cours étaient intéressants.
Même si l'envie de l'entendre parler était affreusement présente, je ne voulais nullement paraître faible, et les sentiments n'avaient pas leur place.

Je m'adosse alors contre un arbre, alors que les créatures enfermés dans une cage pleuraient leur désarrois. Qu'importe le sort que j'allais devoir apprendre, ils allaient souffrir. Peut-être même mourir. Je ne dois pas faire preuve de clémence, l'intransigeance... Voilà ce que le Seigneur des Ténèbres aime. Aucun doute, la mort au bout des doigts.

Le miroir s'active et la silhouette encore floue fait son apparition. Un sourire enjôleur et fier se dessine sur mon visage. Ravie de pouvoir être la disciple d'un mangemort, un rêve qui devient réalité.
Presque amusée et bien heureuse, je me permets d'ouvrir la conversation en première :

« Bonsoir, Smaragdin. Quel plaisir de vous voir. Comment allez vous ? »

Tenant fermement le miroir entre les mains, la baguette dans ma poche me chauffe déjà. L'impatience dans les doigts.

Les jours s’étaient égrainés avec lenteur, ne lui laissant que peu de distractions doucereuses. À dire vrai, le jeune aristocrate passait son temps à travailler – pour oublier les discordances du monde autant que de son cœur. Il devait se concentrer ; se refuser à toute perturbation potentielle. Même si elle prenait la forme d’une silhouette gracile et attirante. Bon sang.

À l’heure dite, Rowan s’était équipé des atours de son ordre. L’épaisse cape des mangemorts agrafée sur son épaule, et le masque aux runes ciselées fermement tenu contre son visage. Toujours la même demeure, perdue au creux d’Avalon. Et Freya, dissimulée avec ses potions derrière un épais sortilège de silence. Rien ne devait trahir son identité ; bien trop précieux et éthéré pour le laisser aux mains d’une adolescente de seize ans.

Et ce, qu’elle soit son apprentie ou non. Mieux valait s’assurer, d’abord, de sa loyauté ; quoi que les incertitudes de sa binôme l’inquiétaient, il s’était décidé à s’en défaire. Il voulait croire en sa mission ultime.

« Alycia McWood. » La teinte irisée du miroir se brouilla, au profit d’un environnement boisé. Et de ladite jeune fille, un sourire aux accents audacieux. Licencieux ? Le regard vraisemblablement égayé ; heureux ? Il prends le temps d’analyser les émois offerts à sa vision. Touché, quelque part, par cette joie singulière que sa seule présence semblait prodiguer.

Tu te trompes. En effet.

« Mademoiselle McWood, mes salutations. » Le mangemort inclinait galamment le visage, empreint d’un respect évident et affable. De bonne humeur, sans doute ? « Je suis ravi de constater, une nouvelle fois, votre présence. » Il chérissait avec langueur cette obéissance adroite. Intéressée. Espérant, sans oser le dire, s’attacher l’intérêt de sa cadette par leurs enseignements continuels. « Je me porte bien, tel que vous pouvez le voir. Je ne manquerais pour rien au monde votre curiosité avisée. »

Derrière la protection des gravures runiques, un sourire lui vint. « Permettez-moi de m’enquérir de votre propre santé ? De votre moral ? » Quelques secondes, il marqua une pause. Lui laissant, ainsi, le loisir de répondre. « Si vous le souhaitez, j’aimerais pouvoir commencer votre enseignement. Connaissez-vous le Fervesco ? »

Le masque devenu des mangemorts étaient devenus familier, aujourd'hui plus que le dernier, les dessins des runes étaient plus lisibles. Mais je me concentrerai dessus un peu plus tard, aujourd'hui nous devions apprendre. Apprendre à faire du mal aux autres, à créer une nouvelle forme de supériorité par rapport aux autres élèves. Par rapport, aux autres serpentard. Le sourire en coin, satisfait, arrogant.

La voix si envoutante de son mentor se fit alors entendre, léger comme un murmure dans les méandres de la forêt interdite. Je frissonne quand mon nom est formulé de la sorte. La flatterie. Je pourrais jurer qu'il me connait plus que je ne veux l'admettre, mais je ne me fais pas facilement acheter par de jolis mots. Non, je veux le pouvoir. Contrôler. Massacrer. Crier ma haine. Néanmoins, je reste figée à le regarder, écouter attentivement. Sans rien laisser paraitre qu'un sourire suffisant.

Je plisse doucement le nez, légèrement impatiente. C'est bien s'il se porte comme un charme, je n'ai posé la question que par pur politesse, si nous pouvions entrer directement dans le vif du sujet cela m'arrangerait grandement. Et non, il me retourne la question. Je tente de paraître heureuse de le voir préoccupé par ma santé.
« Oh, Smaradgin. Je n'ai jamais été plus en forme qu'aujourd'hui. »

Enfin les hostilités débutent, et je souris, le vrai sourire. Diablement fou mêlé à la curiosité insatiable de mon amour pour le savoir. « Fervesco... Fervesco. C'est un sort qui s'apparente au feu, non ? Vous savez dans nos fichus bouquins, les sorts de cet ampleur sont rarement bien décrits. »

Je me lève du rocher gardant le miroir face à moi, comme une caméra à bout de bras. Et je me dirige doucement dans un trou que j'ai creusé et où j'y ai emprisonné quelques animaux. « J'en ai une dizaine, cela suffira pour la leçon du jour ? » Je tourne doucement le miroir face au trou. Il y a des rats, crapauds et deux chatons. Reportant doucement le miroir sur son visage. « Le vol n'est pas toléré à Poudlard, mais la perte est fréquente. »
Un sourire dédaigneux, assoiffé de sang. « Je vous écoute, comment dois-je procéder ? »

Précautionneusement protégé derrière le masque aux gravures luisantes, le jeune aristocrate s’échinait à détailler les traits de sa supposée élève. Son apprentie, pour reprendre les termes soigneusement formulés lors de leur précédent échange. Une adolescente assoiffée de connaissance ; de pouvoir ; de damnation à en croire l’obligeance qu’elle s’évertuait à offrir.

Une nymphe néanmoins attentive et méfiante, dont il espérait quérir la confiance au fur et à mesure de leurs entraînements. Si c’était le prix à payer pour l’approcher et l’envelopper de son influence ténébreuse... Il n’hésiterait pas. Trop de choses indistinctes dépendaient de la réussite de sa mission.

À la réponse portée vers le miroir, il se contenta de hocher respectueusement le visage. En forme. Une bonne nouvelle, quoi que l’expression concise de cette dernière sonna singulièrement à ses oreilles. L’infante McWood était définitivement une créature de malice et de vigilance, aussi joueuse et éthérée que lui-même. Difficile, en l’état, à appréhender.

Approcher. La tâche allait être diablement ardue.

Pourtant, la passion revint entre eux dès qu’ils s’attaquèrent à la rudesse de l’enseignement tant convoité. En réponse au sourire éclatant, le sien se forma en un fin rictus appréciateur. « En effet, vous apparentez avec justesse. » De son côté, il dégaina une baguette de sycomore – en vérité celle de sa binôme, Freya. Sa propre férule d’orme se refusait de plus en plus à lui obéir – et à coopérer aux projets audacieux de son affilié. Elle n’était plus adaptée à ce qu’il devenait.

À ce qu’il bafouait allègrement dans le sillage de ses choix. « Entre nous, nous appelons ce sortilège ‘le cuisant’. Vous comprendrez sous peu pourquoi. » Ses fins doigts gantés de noir s’égayèrent à sentir l’amabilité du bois en sa possession. Jusqu’à ce qu’il perçut l’amas d’animaux capturés. Il s’immobilisa, jugeant vraisemblablement le travail de sa cadette. « Je pense qu’ils suffiront. »

Sa voix, lente et maîtrisée, laissa transparaître un intérêt enthousiaste. « Je n’en attendais pas moins de vous, Mademoiselle McWood. » De sa main libre, il vint cueillir le miroir de son support et l’emporta avec lui vers la gauche. « Le mouvement du poignet doit être leste et déterminé. Les sortilèges de magie noire ne se laissent dompter que par ceux qui en ont l’âme suffisante. » Avec la baguette, il dessina un sigma allongé. « Prononcez-le en accentuant le deuxième ‘e’. Fervesco. » Il refit le même mouvement avec la prononciation adéquate ; le bout de sa férule étincela d’un rouge flamboyant. « Concentre-vous sur votre cible. Dirigez-y votre seule et unique volonté. Laissez votre esprit s’imbiber du feu qui coule dans votre baguette, jusqu’à ne plus faire qu’un avec. » Une distance inhabituelle s’installa dans son ton. Concentré. « Unissez-vous à votre magie et brûlez votre ennemi. »

J'écoute avec attention les propos de celui que je nomme maître. Si seulement. Mais je n'ai pas de maître, du moins, je n'en ai qu'un seul et qui n'est pas celui qui m'a encore remarquée. Mais je ne me plaindrais pas, ce professeur de magie noire est tout à fait suffisant pour mes ambitions naissantes.
Évidemment que j'apparente bien, je ne dis rien que ne vaille d'être dit. Je reste néanmoins très évasive, et j'évite de montrer mon agacement.
La voix de mon maître est aussi condescendante que la mienne, précieux prince caché derrière son masque. Lâche et pourtant désirable. Je suis nue comme un ver face à lui, à l'écouter m'enseigner. Il sait tout, mon nom, mon prénom, mon  âge... mon allégeance. Et il peut aisément comprendre qu'une folie est en train de grandir en moi...
Je veux bien patienter, comprendre ce besoin d'anonymat mais je ne pourrai rester plus longtemps dans l'ignorance.
J'espère bien qu'il suffiront.
Le soupire m'échappe et je reprends aussi vite contenance en l'écoutant. Un sourire suffisant plaqué sur le visage.

Je pose le miroir contre un arbre et je m'agenouille devant mon maître, la baguette en main. Je l'écoute attentivement, peut-être même trop intensément que j'ai l'impression que ses mots me transpercent le cœur. D'un geste habile, je reproduis la gestuelle de mon maître peu de temps après lui, alors qu'il précise la prononciation. FervEsco. Ça, elle le savait. « Bien. »
Je me lève lentement et retire un des chatons du trou, le posant délicatement sur le sol, je lui grattouille doucement le menton. Je m'écarte d'un pas et je réitère le mouvement du poignet, prononçant FervEsco avec détermination. Toute trace d'empathie, d'amour et de doute s'échappent de moi. Je ne suis que haine et folie, je veux faire mal. Je pense au feu, j'ai l'impression que ma paume brûle sous la volonté et pourtant rien ne change chez le chaton. J'insiste car la baguette brille.
« Je ne comprends pas. Est-il censé prendre feu ou ... Oh ? » Le chaton se tord, miaule à la mort. Je relève ma baguette, laissant le chat reprendre son souffle. « Est-ce que ça a marché ? »
Impatiente et las, je me rends compte que je me suis retournée avec colère vers le miroir. « Il ne brûle pas. »

Les émotions qui se succédèrent sur le visage de son apprentie, le poussèrent à pincer les lèvres de mécontentement. Envers lui-même plutôt que l’adolescente fermement déterminée. Enseigner était un art délicat, subtil et maniéré, qui requérait une patience à toute épreuve. Une volonté inébranlable. Apte à dépasser les soupirs exaspérés des plus enthousiastes.

Et cet agacement-là, plus que tous les autres, il le remarqua. Il le méprisa, brièvement. En silence. Soit. Transmettre son savoir n’était guère le problème ; son empathie caressante l’était davantage. Autant que l’intérêt doucereux qu’il portait aux propos de sa cadette.

Sans rien laisser transparaître de son aigreur – trop habitué à étouffer ses émotions – l’ancien Serpentard s’efforça de lui montrer la voie à emprunter. Avec assurance et distance. S’obligeant même à se détacher de leur environnement et de son humanité. Jusqu’au miaulement de la petite créature. Une plainte détestable à ses oreilles. Terrible. Immonde.

Ses membres se raidirent légèrement, attaqués sournoisement par la plus grande faiblesse de sa chair. Et de son âme. L’Amour. Dissimulé, pourtant, avec une fermeté implacable et rigide. Il devait être un maître inébranlable afin de mener sa mission à bien. Rien ne devait échapper à sa vigilance maladive – surtout pas maintenant.

Que son cœur saigna de compassion n’était qu’un détail négligeable pour l’heure. « Et bien. » Sa voix conservait une nonchalance guindée, prête à encaisser leurs entraînements. Un brin appréciatrice. « La peau de votre cible est en train d’enfler. » Il fit un léger mouvement de sa main libre pour imiter le gonflement d’une matière invisible. « Comme si... Vous la faisiez brûler de l’intérieur. » Ses doigts s’immobilisèrent. « Ce maléfice à l’avantage de ne pas être immédiat, ce qui vous permet de prendre quelques distances avisées. »

Rowan pencha le visage sur le côté. « Reprenez. »

« Bien, maître. » dis-je sarcastiquement, en ouvrant les bras dans une fausse révérence. Le soupire non dissimulé révèle mon impatience, je veux du concret. J'ai l'impression d'avancer à reculons, qu'il me prend pour une sorcière de pacotille. Alors que je suis bien plus que cela, je suis Alycia McWood, et on me redoutera comme on redoute le Seigneur. Je serai son alliée, aussi démente et fourbe que Lestrange. Et je serai toujours loyal tant que j'aurais de quoi me mettre sous la dent. Là, nous ne faisons que rôtir des animaux. Il ne fume même pas.
J'attrape le chaton par la peau du cou et il pue. Je fais une grimace alors que la pauvre bête tremble dans ma main. Ok. Je ramènerai les chats au château, le regard que le chat me jette me donne mal à l'échine.
Alors je sors un sale crapaud, gros et visqueux. Je n'en suis pas dégoutée, mais ceux là n'appellent aucunement ma sympathie, ça pourrait. Mais non. Je ne vois pas ce que mes camarades leur trouvent. Enfin.
Je réitère le mouvement du poignet et je dis avec force et conviction : FervEsco, à nouveau la baguette éclaire d'un léger jet rougeâtre alors que la bête semble attaquée. Je ne le lâche plus regard.
Il est ma proie.

Je patience, avec détermination. Cette pauvre créature, sans un bruit semble s'étouffer. Mon emprise sur la baguette se veut encore plus ferme alors que dans mon esprit, l'envie de sang s'intensifie : elle va mourir. C'est ce que je me dis chaque fois que je pense à elle. Qu'elle hante mon esprit de ses sourires absurdes d'un amour inexistant. Accablant la magie des erreurs qu'elle a faite, de sa lâcheté, de la bassesse de son esprit. Elle n'est rien d'autre qu'un être immonde qui ne voulait que le malheur de sa fille. De celle qu'elle a élevée, à qui elle a fait croire que son mari lui manquait. Menteuse, et tu mourras. Fière de dire que ta fille n'est qu'un monstre. Quand tu seras morte, je pourrai me glorifier de ta perte... Ton sang, je le purifierai par ma folie. Tu ne seras plus rien.
Alors le crapaud fume, il se dégage une odeur dégoutante alors qu'il semble sans vie, immobile, des cloques et des bulles se forme sur sa peau visqueuse. Je l'ai tué. Comme je les tuerai tous.
« Voilà, Smaragdin. Fier ? » Je le regarde avec un regard vide d'expression, éteint, le visage pâle alors que dans mon cœur bat un son tout neuf.
J'ai aimé ça.

Acquérir sa confiance, toujours. Coûte que coûte. Or, plus les minutes s’allongeaient, plus Rowan se rendait compte qu’il lui faudrait des semaines pour dépasser le carcan étouffant de leur relation actuelle. L’élève se méfiait – à raison, assurément – de son maître. Quitte à venir défier précautionneusement les contours tangibles de l’autorité qui se dressait au-devant d’elle.

Y répondre, d’une quelconque manière, serait un excès de mauvais goût. Une faute diplomatique somme toute désagréable et persistante dans leur entreprise commune, aux ramifications néanmoins divergentes. Il ne pouvait que se montrer inébranlable face à elle, dont les traits du visage luisaient d’un agacement fiévreux.

En s’extirpant des tressautements de l’adolescente, l’ancien Serpentard affirmait sa position et conservait une distance suffisante à le protéger. C’était à ce prix, et aucun autre, qu’il garderait l’aval ; il le savait diablement. Tant que sa patience et son silence parviendraient à contenir les discordances fallacieuses, tout irait pour le mieux.

Et les dieux savaient à quel point le jeune aristocrate savait se parer d’un tel velours protecteur.

Au bout d’un moment, la détermination de l’infante McWood se révéla payante. Sa cible fumait, littéralement, des sévices effectués sur sa chair autrefois vivante. « Oui. Je suis infiniment fier de vous. » Il dressa alors la baguette de sycomore vers le miroir. « Vous pouvez encore l’effectuer sur vos cibles. Ou l’essayer sur votre environnement immédiat. » Par chance, le masque gravé de runes masquait la nausée muette qui se manifestait désormais à son visage.

J'ai continué. J'ai pris un rat, un crapaud. J'ai déchargé ma haine contre ces pauvres bestioles qui ne demandaient rien. Alors que les chatons, du moins un des chatons miaulait à la mort au fur et à mesure des morts. Encore. Toujours. Ça m'agaçait. Je voulais qu'il se taise. Si j'avais pu lui lancer le sort de mort, croyez bien que je l'aurais fait. Mais je revoyais Kuro chaque fois qu'il miaulait. Aurais-je pu tuer mon chat ? Bien sûr que non.
Mais je peux tuer qui je veux. J'ai ce pouvoir, n'est-ce pas ? Oui, personne ne me dira que je ne peux pas. Je fais ce que je veux, les vies m'appartiennent plus qu'aux autres.
Alors je recommence, d'un coup de poignet, d'un jet de lumière, l'odeur nauséabonde... Les cadavres. La caveau se remplit de corps alors que les chatons paniquent.
Dans le miroir, plus de maître. Alors je balance ce sort sur tout ce qui m'entoure. Les feuilles, les arbres... Je tue. Je tuerai.
Je deviendrai invincible.
Vous verrez, Smaragdin. Combien je peux être dangereuse et qu'il ne faut pas me prendre à la légère...

Plus agacée que les autres jours, je me suis empressée de me réfugier dans la forêt. Courait dans le château, la rumeur d'un caveau rempli de cadavres d'animaux dans la forêt. J'ai donc du changer de planque.
Je suis légèrement essoufflée, impatiente. D'ordinaire, je ne suis jamais présente pour les jours de discussion qui ont lieu tous les deux jours en suivant le jour de l'entrainement.
Je tremble, j'ai des sueurs froides. Je dois juste me calmer, retrouver mon masque. Je dois bêtement oublier que je suis en danger. Que je suis toute seule.
Personne ne m'a tourné le dos, mais peu m'ont proposé leur aide. Si on excepte Andrew le cerf volant.
Il est dix-sept heure, je m'assois contre un arbre et je tente de paraître détachée.
Le miroir se brouille. Encore. Comme avant, j'attends. Peut-être que j'arriverai à le voir sans ses atours de mangemort. Peut-être que je pourrai enfin regarder quelqu'un dans les yeux, plutôt que de rêver les voir.
« Allez, miroir de malheur. »
Le silence de la forêt me donne des frissons, j'ai mal à l'échine. Je veux l'entendre, le voir. Je veux me rassurer. Je n'ai plus personne... personne. Alors peut-être que lui. Peut-être qu'il peut m'enlever d'où je suis, peut-être que je peux me cacher... Un instant. Auprès du maître ? Impossible, n'est-ce pas.
Mais que cela cesse. Le monde s'écroule... Ça devient n'importe quoi... Entre les tromperies, les mensonges, la mort... C'est aux autres que cela doit arrivé. Laissez-moi en paix. Un instant. Juste un instant.
Je rejette ma tête en arrière contre le tronc, je soupire en gardant le miroir sur mes cuisses. Je ne suis jamais venu tous les deux jours... Pourquoi continuerait-il à m'attendre.

Sous la surveillance précautionneuse de son aîné silencieux, elle avait obtempéré. Davantage obligeante que lorsqu’il s’échinait à tisser entre eux plus qu’une relation surannée et détestable. Assurément moins sujette aux doutes quant à ce qu’il espérait lui transmettre ; les sortilèges ne mentaient pas. Le Fervesco s’attelait sans troubles à son office pour peu qu’on y mettait de la bonne volonté.

Au bout d’un moment, Rowan avait détourné son regard du miroir. La nausée s’était accentuée dans son corps, et il se savait à la limite du raisonnable. La torture de créatures innocentes l'insupportait profondément. Alors, d’un geste distrait, il avait abandonné son apprentie à ses entraînements. Brouillé son image.

Puis, en des mouvements rudes et ébranlés, ses doigts gantés avaient retiré le masque de son visage. Blafard. Imprégné de faiblesse. D’horreur. De culpabilité. En le voyant ainsi, Freya s’était levée. Mais le temps qu’elle arriva à sa hauteur, il était tombé à genoux.

***

Les deux dernières séances allouées aux conversations, Rowan les avait cédé à sa binôme, tandis que lui-même se concentrait sur des révisions de politique sorcière. Deux horaires gaspillés en vain, tant sa cadette semblait peu disposée à s’ouvrir ; à appréhender son aîné autrement qu’une force hostile. Un maître à l’existence dépréciée en dépit des enseignements qu’il partageait à sa jeune disciple.

Plus d’une fois, le jeune aristocrate avait soupiré auprès de Freya, éreinté par l’absence de retours affables. Pourtant, il se refusait à lâcher pleinement l’affaire. Il voulait croire, envers et contre tout, que sa détermination se montrerait payante. Que McWood cesserait ses hostilités pour devenir une alliée. Un jour. Peut être.

Malgré les mises en garde, il s’efforçait d’y croire. Tu es aveuglé, mon ami.

À l’heure dite, l’ancien Serpentard s’était laissé choir sur un vieux fauteuil poussiéreux. Ses étoffes n’avaient rien de celles d’un mangemort ; elles s’apparentaient davantage à une tenue quotidienne rudement entretenue et coûteuse. Seul le masque, ultime protecteur de son identité, rappelait ses obscures attributions.

Daphné avait insisté pour qu’il le porta cette fois-ci, par prudence disait-elle, même si son élève rechignait à le contacter.

Un épais opuscule de grammaire portugaise sur les cuisses, le jeune homme avait prévu quelques lectures agréables pour passer le temps. Tandis que sa sœur de cœur apprenait de savants mélanges avec demoiselle Nightingale, toutes deux camouflées derrière des sortilèges d’isolement.

D’un geste maniéré et las, ses doigts fins et pâles caressèrent la glace. « Alycia McWood. » Or, contre toute attente, le visage de ladite adolescente se matérialisa dans la pénombre familière de la forêt. La surprise le percuta de plein fouet, à tel point qu’il en oublia brutalement le reste. Qu’il manqua de fauter en prononçant son prénom. Alycia. « Mademoiselle McWood ? »

Un sentiment indistinct s’éveilla immédiatement en sa chair, bardée d’une vigilance aiguë. Une inquiétude, réelle et sincère, s’immisça dans sa voix. « Que se passe-t-il ? » Elle ne l’avait jamais contacté en dehors de leurs entraînements.

Je respire, comme je peux, mais je respire. J'ai l'impression d'avoir un poids sur la poitrine, que je vais mourir à mon tour. J'ai peur, bon sang. Moi, avoir peur... Qui aurait pu y croire. Je suis invincible, je les écraserai avec un doigt... N'est-ce pas ? J'ai mal à la tête, je transpire. C'est une horrible sensation... Depuis la seconde lettre de Lydie, mon monde a cessé de vraiment tourner. J'ai cru à une mauvaise blague, j'ai cru qu'on voulait me faire rigoler. J'aurais pu trouver ça drôle, j'aurais eu juste besoin de lui mettre des pétards des Weasley dans le nez de celui qui m'avait fait ça... Mais ce n'était pas une blague, hein ?
Non les fautes de mon père ne veulent pas être rachetées, non, je dois subir encore et encore les salissures de sa faiblesse. De sa trahison. Alors elle avait envoyé un autre message, plus concis, plus précis. Dans mes mains, le papier officiel, froissé, rafistolé de l'adoption, ce que je croyais être. Même si elle est vieille, sans doute folle... Je deviendrai l'héritière. Je toucherai du doigt ce que je devais être. Alors pourquoi... Qui veut empêcher ça ?

C'est comme une mélodie à mon oreille, j'ouvre les yeux et je me redresse en sursautant. J'ai failli faire tomber le miroir mais je le rattrape. Pâle comme un mort, je passe ma manche sur le miroir comme pour m'assurer que je ne rêve pas, j'ai envie de pleurer. Mais je ne pleure pas. Je le regarde un moment en silence, sans sourire, mais le front plissé par l'inquiétude. Je ne peux décemment pas cacher tout ce que je ressens. Alors comme un murmure qui déchire, un murmure d'un mourant dans une dernière volonté, la voix rauque : « Je suis en danger. »

J'ai passé une main sur mon visage comme pour chasser l'anxiété, et j'ai replacé mes cheveux derrière mes oreilles en me pinçant les lèvres. J'ai pris les parchemins avec l'écriture mal faite de l'elfe qui se nomme Lydie et je lui brandis. « Quelqu'un sabote. Quelqu'un m'en veut. Ma... mère est morte. »
Pourquoi cette information me fait moins mal que de dire que je suis en danger. Pourtant cette sensation de vide ne me quitte pas. J'ai l'impression de mentir. Je ne l'aimais pas... Elle était l'erreur. « Attendez, maître. Mes mots sont incohérents, je vais essayer de reprendre depuis le début. »
J'installe le miroir sur le haut de mes cuisses que j'allonge suffisamment pour lui permettre de tenir sans glisser sur mon ventre. Je prends le journal en date du 24 Avril, et j'ouvre à la page macabre et je lis l'attaque rapidement, puis la liste des morts jusqu'à : « Manuelle McWood. »
Je ne sais même pas pourquoi elle a gardé son nom... Elle le haïssait, elle le disait. Tous les soirs. Et elle pleurait.
« C'est ma mère. Elle est morte hier. Ne me présentez pas vos condoléances, maître, elle n'était rien pour moi. » Si ce n'est la source de ma haine et de ma folie, et que je ne trouve plus de raison à mon combat, je suis frustrée, j'ai juste mal au ventre. J'aurais du la tuer, moi-même : avec mes mains.
« Peu avant j'avais reçu ça, ce parchemin abîmé et c'est très mal écrit. Ça me disait que j'étais en danger... J'ai pris ça pour une blague. Regardez comme c'est mal écrit. » Je laisse le papier suffisamment longtemps devant le miroir. « Ensuite, aujourd'hui, j'ai reçu ça : Même écriture, on dirait une elfe de maison qui se nomme Lydie. Me faire taire ? Mais qu'est-ce que je sais qui ne doit pas être su ? »
Je secoue la tête commençant à sentir la colère m'envahir. Et je montre le papier officiel que Lydie avait du remettre en étant. « On m'empêche de devenir l'héritière des McWood. Mais pour quelle raison ? »

Je les jette par terre et je soupire. Est-ce que j'ai vraiment de faire confiance à mon maître ? ...
« Vous êtes mon unique espoir, maître. »

Alycia. Le teint blafard et fiévreux, pareil à celui que l'on observe sur les mourants alités par quelques sordides pestes. Les expressions rongées, progressivement, par la déchéance d'une perversion grandiloquente. Les lèvres tremblantes et froides dans un dernier sursaut de volonté ; de crainte ardente ; d'espoir mitigé. Devant cette inquiétude crispée et étouffante, le jeune aristocrate pinça les lèvres.

Les nouvelles n'étaient décemment pas réjouissantes. Et il comprenait mieux, désormais, le brutal désespoir qui se cristallisait dans les iris de sa cadette. Apte à provoquer des échos distordus auprès des deux silhouettes féminines dissimulées par la magie, dont les doigts s'étaient crispés sur leurs manipulations.

Une angoisse réelle, aux relents exaspérés, vint piquer sa chair. Autant que l'empathie et la compassion, qui se souvenaient avec douleur des journaux de la veille. Manuelle McWood. Un nom aligné au hasard des autres ; peu importe le sang du défunt, puisque se mêlait aux grands noms ceux plus obscures de racines indigentes.

Une mère était morte. Emportée par la haine. Un émoi sirupeux et brûlant qui gisait là, encore, dans les membres d'une adolescente perdue. Héritage abscons et tordu d'un désamour tangible, surtout pour lui, si aisément sensible aux tourments de l'âme. Aux affres qui menaçaient les précieux remparts de sa toile affectueuse, aux dévotions infinies et arachnéennes. L'infante McWood était à la limite de telles attaches surannées et dures, impossible à lui arracher sans le tuer.

Au fil des mots déversés par le miroir, le port altier de Daphné sembla se raidir dans un silence à l'ourlet contrarié. Tandis que Rowan caressait du pouce les bordures de son masque, d'un geste fébrile et assurément trop hésitant. Sans le poids des regards portés sur ses épaules, il savait que le doute grandirait progressivement en lui ; jusqu'à l'obliger à la séparation de son ultime protection.

Pourtant, à l'heure de leurs dissensions, c'était son apprentie qui en avait besoin. Pas lui.

Les doigts du supposé mangemort s'agitèrent quelques instants, trahissant une réflexion vive et intense. McWood en danger, il redoutait les conséquences d'une chute macabre. Non pas pour sa propre chair – en dehors du miroir, qui n'était même un indice suffisant, rien ne l'y reliait – mais bel et bien celui de son élève.

Les phalanges crispées finirent par s'immobiliser au-devant de ses lèvres invisibles. Les rouages de son esprit parvenaient même, enfin, à tracer la peinture dangereuse et inconnue qui se dressait maladroitement sur le chemin de sa cadette. « Alycia. » Sans remords ni incertitudes, sa voix déchirait la barrière soigneusement élaborée entre eux. Il souhaitait non pas quérir l'attention d'une subordonnée ; davantage celle d'une égale dont l'ombre se profilait présentement vers les soieries empoisonnées de la pourpre. « Je crains que vous soyez la cible de quelques héritiers malavisés de l'aristocratie. »

Or, il n'avait aucun souvenir de tractations autour de la lignée McWood... Sauf si les individus concernés s'étaient montrés discrets. Patients. Évoluant dans leurs démarches loin des lumières oppressantes et des révélations sordides. Un travail d'orfèvre grandiose et mortel. Surtout pour ceux qui menaçaient la réussite de missions semblables.

Rowan siffla tel un serpent, agacé et agité par ces potentiels obstacles. Éthérés. Non identifiables pour le moment. « Dans les prochaines heures, je vous ferai parvenir un hibou. Vous me transmettrez une copie de ces lettres, que je puisse les étudier sérieusement. » Un ennemi insaisissable. « Je ne vous apprends rien, j'imagine, en vous indiquant que l'aristocratie est une arène dans laquelle les louveteaux sont déchirés et massacrés par leurs ainés. Peu importe qu'ils soient doués de magie noire ou bien prometteurs. Ils sont dévorés par des meutes inextricablement liées entre elles, tant par le devoir que l'ambition. » Sous le ton déterminé, grondait une rage naissante et sourde. « Si je ne vous protège pas, Alycia, d'une manière ou d'une autre... Ils vous auront. Leurs crocs briseront vos os et vous serez dévorée devant une foule en liesse. »

Il n'avait pas vraiment le choix, en l'état. Abandonner l'adolescente à son sort était au-delà de ce qu'il pouvait tolérer comme lâcheté. « Je vais faire mon possible pour comprendre de quoi il retourne dans cette affaire. Méfiez-vous des prochaines missives que vous recevrez... Il n'est pas rare d'en empoisonner le papier. Et si votre sang ou votre existence représente une menace certaine pour vos ennemis, nul doute qu'ils emploieront tous les moyens à leur disposition pour vous supprimer. »

Sa langue claquait dans son palais, avec rigueur. « Pour l'heure, Poudlard est l'endroit dans lequel vous serez le plus en sécurité. Tant que les protections du château tiennent, personne ne peut vous toucher. » Un pauvre sourire s’immisça sur ses lèvres. « Pas même ma propre main. »

Une vague éreintée vint balayer la raideur de son ton et de ses épaules. « Cette elfe peut sûrement être un allié précieux pour votre survie, c'est une bonne chose. » Il soupira, plus pour lui-même que pour ses différents interlocuteurs. « Je vous protégerai, Alycia. Je vous en donne ma parole. » Et les dieux savaient à quel point il tenait fermement ses promesses.

Rassurant. Des mots fins, bien choisis. Est-il réellement inquiet pour moi ou joue-t-il à un jeu ?
Puis-je seulement lui faire réellement confiance ? Et pourquoi ne pourrais-je pas ? S'il voulait vraiment me faire du mal, il m'aurait tué le jour même où Anton a touché le sol sous les lianes sévères de leurs attaques.
Les iris vertes émeraudes se perdirent dans le miroir. Alors c'était ça ?
Son seul allié se cachait derrière un masque, de ce qui promette mais ne montre pas... Je me suis mise toute nue face à lui. J'ai ouvert mon cœur, pour la première fois depuis cette tragédie digne des grecs. Et voilà donc ma récompense : une promesse.
Je sais parfaitement comment marche l'aristocratie, aussi moldue que sorcière. Le pouvoir. J'en suis avide depuis que je sais mon père venu d'une célèbre famille de Sang-Pur discret mais riches et influents à leur manière. Mais tout a implosé à cause de sa bêtise.
Voyons le bon côté des choses, sans cette faute, la merveille que je suis n'aurait pas vu le jour.
Orpheline, et en colère.
Je ne dis pas un mot quand il promet. Je le regarde, un instant. Si ce n'est pas aujourd'hui, peut-être aurais-je la chance de le voir à un autre moment... Mais je n'y compte plus.
Je le regarde en me pinçant les lèvres.
Mon seul allié vient donc d'un miroir... Pas de nom, pas de visage. Rien. Je soupire.
Je prends le miroir dans les mains, l'approchant de mon visage. Sans expression, sans un sourire.
« Merci... Maître. »

Je laisse alors tomber le miroir sur le côté et j'observe la forêt. Mon maître est de la grande aristocratie, cela ne fait aucun doute. Il a même l'air d'avoir des alliés suffisamment placés pour connaître les sévices qui planent autour de moi. Mais alors qui est-il ? Pourquoi dois-je l'ignorer... N'ai-je pas déjà trop donner pour qu'on veuille me le reprendre ?
J'ai été naïve. Pardonnez-moi.
Sans même dire au revoir, je range le miroir dans un linge doux avant d'enterrer le miroir près de l'arbre que j'ai taillé d'un W.


Je m'étais bien présenté aux enseignements de mon maître, sans véritablement parler. Quelques sons, quelques mots. Le désespoir et la décadence occupaient désormais ma vie. On bafouait mon honneur, mon besoin de vivre. De haïr.
Je suis arrivée avec un peu de retard ce jour-là. J'avais déterré avec empressement le miroir, et le visage froissé par la peur. J'ai couru plus loin dans la forêt avec le masque du maître dans le miroir. « Ne parlez pas.
J'ai couru jusqu'à une nouvelle planque. Plus loin. Je me suis arrêtée près d'un arbre et d'un énorme buisson. Je suis rentrée dedans et j'ai attendu, le doigt sur la bouche pour taire le maître.
« Pardonnez-moi, maître Smaragdin. J'ai reçu une nouvelle missive hier... Je n'étais même pas sûre de venir aujourd'hui. Euh. Tenez. J'ai envoyé mon hibou aujourd'hui avec la copie de ce que vous me demandiez... J'espère que ma chouette vous trouvera sous votre pseudonyme. Bien. »
Je sors le papier froissé. Alors, souillon, tu as perdu ta mère ? Ne t’inquiète pas, je te fais la promesse que tu la rejoindras bientôt. Je montre le papier au miroir pendant quelques secondes. L'écriture est différente de celle de Lydie. Cette fois, j'en suis sûre, ce n'est plus un jeu.

Je chuchote, tremblante. « Que se passe-t-il ? De qui dois-je me méfier ? »
La colère vrillait mon esprit au même titre que la peur. Je crache, des postillons tombent sur le miroir en même temps que la haine et la frustration débordent mon cœur.
Je n'en pouvais plus de parler à un mur, à une entité qui n'existait pas. Je ne peux plus supporter cette insubordination. Je mérite mieux que ça, surtout dans les circonstances actuelles.
Alors oui après le crachat sur le miroir, je crache cette fois mes mots :
« ENLEVEZ CE MASQUE ! JE NE SUIS PLUS VOTRE CHIEN ! »

Je respire mal, j'ai mal partout. Et je ne pleure toujours pas... Pourtant la douleur est insupportable autant par le manque de considération que ce sentiment de solitude. « Enlevez-le, s'il-vous-plaît. » Plaintive, lasse... Je ferme les yeux, comme l'envie soudaine de dormir... pour toujours.

Une nouvelle fois, la furie jouait de ses talents indistincts et fiévreux pour se dérober à son regard. Elle dansait à la frontière de l'obligeance et du désaveu, comme si les expressions de son visage livide laissaient entrevoir un gouffre béant et infini. Bardé de falaises abruptes et houleuses. En silence, l'ancien Serpentard considéra l'écorce des arbres et les feuilles ondulantes sous le vent.

Et pour la première fois, il réalisa à quel point il s'enlisait dans une folie inavouable et tendre, auprès d'une adolescente qui ne souhaitait soutirer de lui que l'essence pure et rigoureuse de son utilité. Seul salut jugé recevable par une apprentie indomptée et définitivement indomptable.

Elle le méprisait. Il soupira, las. L'image finit par se brouiller.

Pas même la confiance donnée du bout des lèvres ne parvint à déloger le sourire amer qu'il adressa à ses comparses, lorsque son masque gravé quitta ses traits éreintés. « Tu perds ton temps. Elle ne sera jamais ton alliée. » D'un geste lent, aux relents exaspérés, ses doigts jetèrent le fer vers le sol tapissé. « Et si jamais elle découvre la vérité, elle fera tout pour te briser. »

***

Toutes les séances qui avaient succédé à sa promesse, Rowan s'était évertué à concentrer son enseignement sur les sortilèges de protection. Le Protego en tête. D'une main implacable et déterminé, les maléfices et la magie noire avaient été soigneusement écartés. La survie primait assurément sur le reste.

Même si pour cela, son élève s'enfonçait dans le flegme et la distance. Creusant, jour après jour, l'écueil doucereux dans lequel la motivation de son professeur manquait continuellement de tomber. Éreinté, par les tâches diverses qui s’alignaient en dehors de leurs échanges. Les échéances à venir ; le danger suintant de ses plans ; la haine grandissante de McWood.

Il perdait foi. Une nouvelle fois, son esprit s'était fourvoyé en quelques missions impossibles et grandioses. Or, déjà qu'il ne parvenait pas à se sauver lui-même, comment pouvait-il espérer le faire sur une âme vouée aux Ténèbres ?

À l'heure dite, comme de coutume, il s'était installé sur le fauteuil à l'étoffe surannée. Paré de ses atours sombres et menaçants. Du masque protecteur. Encore et toujours. Dans l'attente de l'adolescente – singulièrement en retard pour cette occasion. Une interrogation nouvelle naissait en lui, lorsque soudain elle se présenta à lui. Effrayée. Impérieuse.

Il se tût sur son ordre. Ne laissant planer plus que le silence dans son refuge, à peine secoué par la respiration de son apprentie. Vive. Extatique. Il s'inquiéta sans oser formuler à voix haute sa propre empathie ; traîtresse aisément corruptible dans les interstices de son cœur. Clairvoyante. Faible, aussi. Plus que tous les travers de sa chair.

Et c'est là qu'elle attaqua. Transgressant la dernière limite de leurs échanges, pour se poser avec une rage tangible face aux errements de son aîné. Les tremblements cessaient sous la fureur et les ordres ardemment claqués. Savoir, quel qu'en soit le prix. Pénétrer le secret tissé autour des gravures, quel qu'en soit l'issu.

Puis la supplique proférée avec abattement. La plainte, insidieuse et pénétrante. Surtout chez lui.

L'ancien Serpentard ne chancela aucunement. Droit. Imperturbable dans le port altier de son visage. Il savait ce pourquoi il s'employait à rester anonyme. La sécurité : la sienne et celle de ses proches, si chèrement payée par la disgrâce de sa chair. Pourtant, il se mit à douter. La douleur de sa cadette le touchait ; le broyait de l'intérieur. Il soupira longuement, acceptant la victoire de la furie sur sa prestance guindée, avec l'espoir infime de s'attacher enfin son alliance plutôt que le dégoût.

Ses doigts gantés de noir se portèrent aux entrelacs runiques pour en déverrouiller les contours.

Il se passa alors simultanément deux choses. Des cris guerriers brisèrent la quiétude appuyée de son environnement ; et une série de sortilèges colorés frappèrent sa silhouette avant qu'il ne puisse retirer son masque. À dire vrai, à la première slave, une seconde succéda. Bourdonnante et indistincte. D'une violence inouïe. Presque animale. La force de cette magie l'envoya valser contre le mur fondateur, dans un bruit sourd et étouffé. Douloureux. Hors de portée du miroir, tombé là sur le sol. Abandonné. Fracturé, en partie.

Une lumière aveuglante naquit ensuite dans un coin de la pièce et illumina entièrement l'endroit, alors que deux visages divins et inconnus se penchaient sur la glace pour l'éteindre. Le lumos brûlait tant et si bien les yeux, qu'il était de toute façon impossible de reconnaître quoi que ce soit. L'image se brouilla définitivement sur cette scène. Cet avertissement.

Loin du regard de McWood, Rowan perdait conscience. Le goût cuivré du sang fut son dernier souvenir avant les ombres froides et glacées de la nuit.

Son silence est d'autant plus insupportable que la douleur de me faire rejeter une nouvelle fois. J'ai le pouvoir de faire plier genoux à qui je veux, pourquoi cela ne marche-t-il pas sur lui aussi ?
Puis enfin, le geste que j'attends. Étonnée, j'écarquille doucement les yeux quand ses doigts se portent à son masque. Je vais enfin savoir qui est caché derrière ce masque... A qui je parle... A qui je me confie. Qui est mon unique allié. Mon unique défense.
Le cœur battant, je regarde mon maître une dernière fois sous ses atours de mangemort. Qu'il était beau, qu'il était fort et puissant.
Il sera ma nouvelle force, n'est-ce pas ? Sans ce masque, j'aurais peut-être un mentor sage et risible de cruauté tandis que le seul amour me sera porté comme à un enfant...
Que je crois.
Tout bascule, mon cœur manque de s'arrêter.
Le miroir ne montre plus rien qu'un plafond défait et le son est tonitruant. Des sorts sont projetés alors qu'un corps somme propulsé. La main tremblante sur le miroir, le visage pâle du cadavre de Merlin : « Maître ? »

Un silence ; et une lumière vive apparait soudain. Je ne vois plus rien, je n'entends même plus rien. Le miroir évanouit la lueur dans son étreinte éteinte.
Impuissante, je secoue le miroir avec force : « Non... Non. NON ! Smaragdin ! Je vous en prie ! Rallumez... S'il-vous-plaît. Je vous en supplie. Revenez... »
J'ai envie de pleurer, mais ça ne vient pas. J'ai mal au ventre.
C'est ma faute.
Est-ce qu'il est mort ? Avions-nous tué le seul capable de m'aider ? Ce n'est pas possible. Qu'ai-je fait ? Qui sont-ils ? Et pourquoi ?

J'entends le bruissement de branches sur lesquels on marche, et je creuse. Je creuse si fort que je m'arrache des ongles, je mets le miroir dans la terre et je le recouvre de la terre et des feuilles. Je sors de mon buisson en courant.
Je cours, encore. Comme une folle.
Je l'ai tué.
J'ai envie de pleurer, mais ça ne vient toujours pas. J'ai tué mon maître.
Je n'ai plus personne...
Je continue de courir, je sors de la forêt en trombe, continuant ma course folle dans le parc où je bouscule, heurte... Je vais mourir.

Je vais mourir.